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Vivre son couple

Crises, croissances, et saveurs conjugales

février 2009    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

Vidéo associée à cette publication sur le site "Mon couple et moi"

Cette publication s’adresse à toute personne en quête d’une plus grande qualité de vie conjugale. Que celle-ci soit déjà satisfaisante ou que celle-ci ne le soit pas. Ces quelques lignes font un peu suite à la publication d’avril 2007 « goûter un supplément de vie », ou celle d’aout 2009 « éloge de la différence », mais cette fois-ci dans le cadre du couple. Vous trouverez également ici bien d’autres précisions, par rapport à la publication de février 2001, « Passion ».

Le présent document s’adresse à toute personne désireuse de comprendre ces enjeux d’une vie à deux, que celle-ci soit célibataire ou non. Naturellement des parcours d’une grande richesse peuvent aussi se vivre dans le célibat et chaque vie est bonne dans la mesure où  elle correspond à celui qui la vit.  Gardons nous de proposer (et encore moins d’imposer) des modèles ou des absolus.

Remarquons simplement que nous trouvons de nombreuses personnes seules qui souhaiteraient vivre à deux, et de nombreuses autres, vivant en couple, qui souhaitent quelques fois ne plus y être. Sans édicter ici de règles et encore moins porter de jugement, il appartient à chaque membre d’un couple de savoir ce qui est juste pour lui. Il appartient à chacun de savoir si le couple doit continuer ou non. Nous ne saurions l’inciter ni à poursuivre ce qui devrait s’arrêter, ni à interrompre ce qui devrait continuer.

Sommaire

Projet de cet article

De la solitude à la croissance

Un important début de vie

Pour ne plus être seul

L’art de conjuguer

Facteurs de croissance

La rencontre initiale

Une intuition d’amour

Quand il y a des doutes

La non rencontre

De la passion vers l’amour

Le début et l’usure

Un « réveil surprenant"

Quand la passion s’arrête

L’amour commence

Subtile maturation des êtres

Délicate intrication d’enjeux réciproques

Ce qui nous dérange

Ce qui nous attire

Le quotidien

L’apprentissage de la communication

La mise en œuvre

Ce qui est dit tous les jours

Ce qui est dit « à l’occasion »

Ce qui est dit suite à un choc

La famille de chacun

La vie sexuelle

La sexualité et les besoins pointés par Maslow

La sexualité dans la catégorie des besoins physiologiques

La sexualité dans la catégorie des besoins socio-psychologiques

La sexualité dans la catégorie des besoins ontiques

Besoin, désir, et élan d’avoir un enfant

La sexualité et les vécus antérieurs

Le point de maturité

Le rôle de la communication

Validation existentielle de l’autre

Reconnaissance de son ressenti à soi

Partage des ressentis

Vers une croissance conjugale

Libre de la nostalgie

Une subtile complémentarité

Enfin communiquer

Des temps précieux

1   Projet de cet article

Le projet est ici humblement le suivant : donner quelques éclairages permettant de ne pas manquer les richesses de ce qu’il y a à vivre dans sa vie conjugale ; mieux comprendre le sens des tensions et incompréhensions ; mieux découvrir les moyens par lesquels il est possible de grandir à travers l’expérience qu’il nous est donné de vivre ; ne pas manquer ces précieuses sources qui se présentent dans notre vie avec l’autre.

Qu’il s’agisse de la rencontre, de la passion, du quotidien, de la sexualité, de l’amour, de l’usure, de la maturation, … tout cela mérite quelques développements, depuis le moment de la rencontre, jusqu’à la maturité conjugale.

Vivre en couple peut être source d’un grand bonheur, mais l’expérience montre que nombre d’hommes et de femmes traversent, quand ils sont à deux, de multiples périodes de crises. Ne croyons pas cependant que les périodes de crises existentielles ne touchent que ceux qui mènent une vie conjugale : ceux qui vivent seuls ont, eux aussi, des moments de trouble au cours de leur existence !

De nos jours, la longévité des couples est en baisse et les conjoints se séparent souvent aux premiers tourments. Il arrive même que plusieurs couples se succèdent sans forcément atteindre l’idéal tant espéré.

Autrefois, nombre de couples avaient une plus grande longévité (souvent toute la vie). Mais il n’est pas certains que nous ayons là, pour autant, un modèle de bonheur. De nombreux conjoints ne faisaient juste que se « supporter » un peu plus durablement, et peinaient aussi, en fait, à vraiment « se rencontrer ». Nous avons peut-être aujourd’hui une simple réaction à cette négation de soi et de l’autre. La situation actuelle semble, au fond, plus authentique, plus en harmonie avec la réalité intérieure de chacun. Pourtant, les deux situations ne sont, ni l’une ni l’autre, satisfaisantes et marquent, chacune à leur façon, une difficulté de vivre à deux (n’oublions pas que nous avons aussi une difficulté à vivre seul, sinon, la solution serait simple !)

Naturellement, de tout temps il y a eu des gens d’exception. Certains auront dans leur entourage quelques « anciens » attendrissants et exceptionnels, nous  offrant un modèle d’amour sans égal. Mais, la réalité quotidienne des couples est souvent faite de tensions, de remises en causes, de manque de compréhension, de déception, de désillusions, de crises successives, de lassitudes, de regrets, de vides intérieurs, de conflits…etc., cela même quand il y a de l’amour et de merveilleux moments. 

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2   De la solitude à la croissance

2.1Un important début de vie

Nous commençons notre vie en situation fusionnelle avec notre mère. L’être qui surgit en son sein se sent-il seul ou bien se sent-il accompagné ? Ne fait-il qu’un avec celle qui le porte, où bien sent-il déjà qu’ils sont distincts ?

Au moment de la naissance il y a, de toute façon, séparation physique et ce moment n’est pas anodin, même en étant aimé et entouré. Dans le cas contraire, c’est encore un peu plus compliqué, mais jamais impossible, pourvu qu’il y ait quelques ressources dans l’entourage ou dans l’environnement.

L’enfant a besoin d’être regardé avec bonheur pour se sentir exister. Il a aussi besoin d’être en contact charnel. Il a besoin qu’on lui parle, qu’on l’apprécie, qu’on l’encourage et surtout… qu’on le comprenne, même s’il n’a pas encore de mots pour demander.

L’enfant se sent vite seul. Si on ne le laisse qu’un instant, il le vit comme si cela allait durer éternellement. Il ne comprend pas la discontinuité. Il ne supportera cela et l’acceptera progressivement que s’il s’est senti suffisamment compris, entendu, aimé, sécurisé dans sa base, c'est-à-dire certain de provoquer dans l’âme de ceux qui l’ont mis au monde quelques émois ou bonheurs donnant un sens à sa place dans ce lieu nouveau où il vient d’être littéralement projeté.

Si cela ne vient pas de ceux qui l’ont mis au monde, ça devra néanmoins plus ou moins venir de quelque « bienfaiteur » de leur entourage. Dans le cas contraire ce sera une quête sans fin.

Mais les situations ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires. Nous avons tous reçu un peu de cela et nous avons tous manqué un peu de cela. Plus ou moins douloureusement, certes, mais nous sommes en même temps habités par des contentements et par des carences affectives.

2.2Pour ne plus être seul

Pour ne plus être seul… il faut être deux. Et pour être deux, il convient de cesser de ne faire qu’un. Or pour cesser de ne faire qu’un, et accepter de « couper le cordon » transitoire entre « l’état fusionnel » et « l’état à deux », il est souhaitable de s’être rencontrés.

En fait, un cordon, ça ne se coupe pas. Ça cesse simplement de nous attacher, le jour où l’on a su se rencontrer. En attendant, il nous donne une sécurité afin de ne pas nous perdre l’un de l’autre.

Qu’il s’agisse de la naissance, qu’il s’agisse de la fin de vie et du deuil, ou qu’il s’agisse, entre ces deux extrêmes de l’existence, des histoires d’amour qu’il nous est donné de vivre, la question sera toujours « un début fusionnel », suivi d’un « attachement (d’un lien) nous garantissant de ne pas nous perdre », suivi ensuite « d’une ouverture nous permettant de nous rencontrer pour enfin être proches sans être attachés ».

Il semblera maladroit de vouloir couper le lien tant qu’il n’y a pas eu rencontre. La mère saura-t-elle voir l’être qu’est son enfant ?, l’endeuillé saura-t-il s’ouvrir à l’être perdu ?, l’amoureux saura-t-il rencontrer enfin l’être qu’il idéalise ? Le premier est lié par le cordon, le second pas la douleur, le troisième par la passion.

Il ne s’agit pour aucun des trois de couper ces liens, d’oublier, de se détacher, mais plutôt de « s’ouvrir avec une telle lucidité et une telle sensibilité » que le lien cesse d’être la nécessaire garantie pour ne pas se perdre faute d’avoir su se rencontrer suffisamment.

2.3L’art de conjuguer

Nous remarquons qu’un verbe qui n’est pas conjugué est à l’infinitif. Il définit une possibilité d’action ou d’état. Cette simple possibilité ne trouve sa dimension que lors de la conjugaison grammaticale, dans laquelle nous avons un sujet mettant en œuvre cette action ou  cet état à un temps déterminé. Dire « faire » n’est pas la même chose que « je fais » ou « tu fais ». Dire « Être » ne signifie pas la même chose que « je suis » ou « tu es ». Conjuguer un verbe c’est l’associer à un je, tu, il, nous, vous, ils… à un ou plusieurs temps.

Le mouvement, l’action ou la qualité de la présence, ne s’enclenchent qu’avec la conjugaison. L’être est un peu comme un verbe à l’infinitif et il a besoin de se conjuguer avec un autre être ou avec d’autres êtres. Naturellement la réponse à de telles conjugaisons n’est pas que la réponse conjugale. Il y a des amitiés, des rencontres, des partages d’une grande richesse sans qu’il ne s’y trouve ni couple, ni sexualité, ni vie commune, et qui font tout simplement partie de la vie sociale.

Pouvons-nous associer le mot « conjugal » au mot « conjugaison ». Oui. Le mot « conjuguer » vient du latin conjugare de cum (ensemble) et jugare (unir)  et « conjugaison » vient de conjugatio (union charnelle)… quel curieux lien entre le couple et l’art grammatical. Un couple réussi est un peu comme quelqu’un qui a su faire passer son être de l’infinitif au présent, chacun étant le sujet de l’autre (et même à tous les temps de la vie !). Passer son « être » de l’infinitif au « présent », c’est un peu le faire passer de l’état de neutralité à l’état de « cadeau » (si on en croit le sens multiple du mot « présent » !).

En effet, dans un couple, l’autre est encore plus précieux qu’il n’y paraît (et réciproquement). Pas seulement parce qu’il nous est agréable, mais aussi, et surtout parce qu’il nous aide à grandir, à accéder à soi, à mieux rencontrer en nous ce qui n’est pas encore venu au monde, à devenir plus soi-même et à savoir plus aimer, en bref à accomplir notre processus d’individuation.

Cette conjugaison des deux êtres peut s’accompagner de l’idée de couple. Un couple, en mécanique, c’est l’association de deux forces qui se trouvent de chaque côté d’un axe et agissent en sens opposé afin de permettre la rotation de cet axe (couple moteur). Des énergies semblant opposées agissent ainsi en corrélation pour permettre le mouvement… et que ça tourne bien ! Encore faut-il qu’elles s’exercent de chaque côté de l’axe. Si, de sens opposé, elles s’exerçaient du même côté, elles ne feraient que s’annuler l’une l’autre.

2.4Facteur de croissance

De nombreuses et apparentes oppositions peuvent ainsi être le moteur permettant un mouvement d’accomplissement  réciproque chez deux êtres. Mais, concernant le couple, de l’idéalisation à la rencontre il y a un grand chemin. Il s’agit de toute une construction de vie, conduisant vers quelque chose de plus... nous dirons plus exactement « vers de l’être en plus ! ». Nous croyons parfois que « ce plus » est plus intense au début du couple… en fait c’est dans sa deuxième étape que se trouvent les délices au point qu’on pourrait même parler là de « vrai commencement ».

J’irai même jusqu’à dire que l’amour commence quand la passion s’arrête (voir ma publication de février 2001 sur la passion). Ce qu’il est donné de vivre, à partir de ce moment là, n’a rien d’une vague tendresse un peu désuète ou « nunuche », mais est rempli d’une immense richesse de vie, d’une très grande sensualité, d’une subtile rencontre des êtres et des corps.

Au départ, l’autre ne fait que compenser les désirs et les manques qui marquent notre existence.  Dans la deuxième étape, quand la passion s’arrête, nous aboutissons à une ouverture où chacun n’est plus la béquille de l’autre, où la rencontre donne un sentiment de plénitude, de justesse, de complétude, de sensualité, de dialogue, de compréhension, de signification de la vie… qui est en nous, et que l’autre nous donne de rencontrer en lui.

Cependant, de la rencontre initiale jusqu’à cet aboutissement, la route est semée d’embûches qui, même si elles contribuent à nous faire grandir, peuvent parfois se révéler dévastatrices. Elles risquent d’autant plus de se trouver dévastatrices que nous sommes victimes de croyances erronées concernant la vie à deux, concernant l’individuation, concernant le bonheur et l’affirmation de soi.

Nous confondons souvent « ego » et « affirmation de soi », « machisme » et « virilité », « légèreté des mœurs » et « féminité », « individualisme » et « individuation ». Nous confondons aussi le fait « d’être distants » avec celui de simplement « être distincts »…etc. Nous ne devons pas être pareils, sinon nous ne pouvons former un couple. Nous ne faisons souvent que nous retrouver ballotés entre « illusion » et « déception », manquant simplement de rencontrer l’être qui nous est proche et, qu’au fond, nous cherchons autant que nous nous cherchons nous-mêmes (mais nous oublions aussi de nous rencontrer nous-mêmes, et l’un ne va pas sans l’autre).

Ce cheminement entre deux être est souvent parfaitement ajusté pour  une croissance intime de chacun, et il n’est pas rare que, ce qui semble s’y trouver comme inconvénient, soit justement ce par quoi la croissance se réalise. Les raisons inconscientes pour lesquelles on a été porté vers l’autre peuvent même être à l’opposé de ce qu’on souhaitait consciemment. La croissance se faisant à ce prix, un nécessaire aveuglement initial permet néanmoins la rencontre.

En effet, au départ, la conscience et la capacité d’amour ne sont pas encore assez évoluées pour rencontrer l’autre tel qu’il est, ni pour nous montrer à lui sans détours. Nous ne sommes généralement pas prêts, dès le départ, à nous apprécier chacun dans toute la splendeur de nos différences mutuelles.

Dans le mythe de Psyché et Cupidon, les deux amants devaient s’aimer dans le noir pour permettre à leur liaison d’exister. Bien avant cette liaison, la mère de Cupidon (Vénus) voulait détruire Psyché qu’elle considérait comme une rivale à sa beauté. Elle missionna son fils pour l’anéantir, en la rendant amoureuse d’un monstre. Mais, en fait, c’est Cupidon qui tomba amoureux d’elle. Alors il dut l’aimer dans le noir et dans le secret pour que cet amour soit réalisable. Le jour où psyché  fut incitée par ses sœurs jalouses à voir le visage de son bien-aimé mystérieux, elle se penchât vers lui pour l’éclairer, dans son sommeil, avec une lampe à huile. Une goutte d’huile chaude lui tomba dessus et aussitôt réveillé, il s’enfuit.

Psyché lucide et Cupidon réveillé… ils se fuient, ils se quittent. Ce n’est qu’après de longues épreuves qu’ils se retrouveront, avec en prime la bénédiction de Vénus (happy end !).

Ce mythe semble insister sur l’aveuglement initial rencontré dans une situation amoureuse. Cette cécité est ici représentée comme une nécessité transitoire, avant la vraie rencontre… celle-ci ne se réalisant qu’après quelques tourments.

Dans la vie conjugale, ce qui semble tourment n’est souvent qu’un judicieux ajustement systémique (c'est-à-dire une intrication réciproque et pertinente d’actions et de réactions) pour permettre la croissance de chacun, pour permettre à chacun de parfaire sa venue au monde encore inachevée.

L’existence du couple joue ce rôle. Le passage à l’état parental aussi. Notre conjoint nous permet de continuer notre processus de naissance… la venue de nos enfants également. Dans les deux cas, bonheurs et tourments sont mêlés, et nous ne devons pas nous laisser impressionner par les crises qui en résultent, qui ne sont le plus souvent que des crises de croissance ! Il convient de ne pas les manquer et c’est ce dont nous allons traiter ici.

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3   La rencontre initiale

3.1Une intuition d’amour

Il arrive que deux êtres se rencontrant aient l’impression de « se reconnaître » et que pour eux le fait de poursuivre leur route ensemble ne fasse d’emblée aucun doute. Cette situation idéale n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, mais quand elle se produit le couple apparaît comme une évidence et chacun est habité par une sorte de « certitude » indéfinissable où il se dit « c’est cette personne là ! ».

Quand ce n’est pas le cas, quand on se pose trop de questions du genre « Est-ce la bonne personne ? Est-ce que je ne me trompe pas ? », la situation est beaucoup moins confortable.

 Cependant, dans ce cas, nul ne peut affirmer que ce n’est pas la bonne personne, ni le contraire, car les enjeux d’un couple sont si subtils que même des difficultés non souhaitées nous sont parfois (ou souvent) nécessaires. Il y a une sorte d’impossibilité d’analyse intellectuelle de la situation pour trouver la réponse appropriée. Seule une écoute intérieure de soi peut être éclairante.

Il importe aussi de comprendre que même dans le cas le plus favorable où l’on « se reconnait », où chacun est habité par une certitude, on ne peut vraiment parler d’amour. L’amour n’y est que potentiel, quelque soit l’élan réciproque dont on a la chance de bénéficier. L’amour ne prendra toute sa dimension que quand chacun verra l’autre tel qu’il est et se montrera à lui sans détour et sans fard de séduction.

Voir l’autre tel qu’il est ne signifie pas pour autant le voir plein de défauts. Cela signifie simplement « le voir vraiment » et non plus « l’idéaliser ».

Il se trouve que la première étape est souvent une étape d’idéalisation produisant le nécessaire aveuglement déjà évoqué plus haut. « Nécessaire » compte tenu de notre maturité inachevée, ne nous permettant pas encore de vivre la différence de l’autre comme une richesse.

3.2Quand il y a des doutes

Quand il y a un doute, la première idée qui pourrait nous venir à l’esprit, c’est que ce n’est pas la bonne personne. Peut-être. Mais ce n’est pas certain pour autant. Il peut se faire que nous allions au-devant de quelques difficultés avec quelqu’un, mais que ces difficultés soient éclairantes pour nous, en même temps que celles que l’on fera vivre à l’autre le seront pour lui (ou pour elle).

Le doute n’est pas un certificat de mauvais choix, mais peut être d’intuition de la difficulté dont nous ne voulons pas… mais dont nous pouvons pourtant, inconsciemment, avoir besoin pour mieux nous construire.

L’élan réciproque source de certitude ne se produit donc pas forcément. Tout le monde n’a pas la chance d’en bénéficier.

Il se peut aussi que l’un ressente un doute, alors que pour l’autre, il y ait une certitude. Il y a là une douleur potentielle pour celui qui doute de se sentir un peu « forcé » et, pour celui qui a la certitude, de se sentir « injustement rejeté ».

Ne sous-estimons pas le fait que tout cela puisse avoir beaucoup de sens pour chacun. Nous ne saurions mettre en équation ce qui est juste et ce qui ne l’est pas car la subtilité de l’existence, et de la croissance d’un être, passe par des chemins pour lequel l’intellect ne peut pas grand-chose. On pourrait simplement dire que si l’un se sent « un peu obligé » et l’autre « un peu rejeté », ça fait déjà partie de vécus pouvant les éclairer sur de nombreuses choses qui sont en eux, et vers lesquelles ils sont sensés développer leur sensibilité.

Mais cela ne renseigne aucunement sur le « bon » ou sur le « mauvais » choix. On peut simplement dire que ce qui se passe à ce moment là a du sens et qu’il serait souhaitable de « tourner sa propre sensibilité de telle façon qu’on accède à ce sens »… mais cela se fera plus par intuition (sensibilité) que par réflexion ou raisonnement (intellect).

3.3La non rencontre

Les incertitudes peuvent faire échouer la rencontre. La solitude qui en résulte n’est alors pas vraiment souhaitée et il y aura difficulté à assumer les inconforts qui en résultent.

Que la situation soit ensuite gérée par une abondance de rencontres sans lendemains ou par un renfermement douloureux… dans les deux cas il y a rétraction de l’être. Celui-ci doit se protéger, soit dans un paraître festif de séduction, soit dans une retraite discrète et austère. Dans un cas il se rétracte au profit d’un ego surdimensionné, dans l’autre il se réfugie dans un abri de camouflage le préservant du « dangereux envahisseur ».

Le reflexe en pareil cas est fréquemment de vouloir échapper à ses ressentis inconfortables, car nous n’avons pas été (culturellement) habitués à écouter ce que nous ressentons. Ce qui est ressenti, ce qui est éprouvé, devrait pourtant ici être écouté avec sensibilité et nuance, avant de chercher à se précipiter pour rencontrer quelqu’un à tout prix, ou avant de se retirer « loin du monde amoureux ». Naturellement nous pointerons qu’avec la douleur, chacun fait pour le mieux et qu’il serait bien maladroit de reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit (y compris à soi-même). Ici, la problématique vient du fait que la « douleur de la solitude » est malencontreusement associée avec « une peur d’autrui »… ça ne rend pas l’apaisement accessible, car satisfaire l’un des côtés ne fait qu’accroître la dimension de l’autre !

Naturellement nous distinguerons tout cela de ceux qui font un choix de solitude, non par fuite, mais par convenance existentielle (cas assez rare). Ils assument alors les difficultés ou inconforts résultant de leur situation et ne mettent pas en œuvre de fuite effrénée. Ils n’ont pas besoin de se rétracter.

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4   De la passion vers l’amour

Quand la rencontre s’est faite, que ce soit par élan réciproque ou malgré des doutes, l’aveuglement finit un jour par s’estomper et des révélations surgissent. Celles-ci conduisent souvent aux reproches, car la réalité ne correspond pas à l’idéal précédemment imaginé. Or il n’est pas rare que ce qu’on reproche le plus à l’autre soit un moteur majeur de notre propre accomplissement (et réciproquement). Il se trouve même souvent que ce soit une des raisons majeures qui nous ait inconsciemment porté vers lui. Naturellement cette pertinence cachée du couple est initialement dissimulée, car notre maturité encore absente ne nous conduirait pas vers cette vie commune potentiellement si riche.

4.1Le début et l’usure

Il importe de comprendre que ce n’est jamais l’amour qui s’use. Seules les illusions peuvent s’user. L’amour ne peut qu’être stable, rester lui-même ou grandir. Par contre, tout ce par quoi on a besoin de l’autre, et tout ce par quoi on rêve l’autre plus qu’on ne le rencontre vraiment… tout cela peut s’user.

C’est une grande erreur de croire que l’amour et la haine sont deux versants d’un même sentiment… et que l’amour peut se transformer en haine. Si nous arrivons à de la  haine, c’est que l’amour ne s’était pas encore développé et qu’il  n’y avait encore qu’un stade d’illusion (ou d’intuition). L’amour restait à bâtir ou à naître… il n’y était encore que potentiel).

La « fascination », c’est quand nous nous empêchons de voir l’autre pour mieux le fantasmer et le faire correspondre à nos rêves. Cela s’use et finit par laisser place à une « répulsion » où l’on en veut terriblement à l’autre de ne pas correspondre à ce rêve qui était le nôtre. Ce n’est pas alors de l’amour qui s’est transmuté en haine, mais une « rupture fascination » qui a évolué en « rupture répulsion » (dans les deux cas il s’agit de rupture car cela nous maintient distants).

Quand je dis « évolué », ce n’est pas une simple façon de parler, car il y a vraiment évolution.  Rester dans l’illusion ne serait pas salutaire et ne permettrait en aucun cas à l’amour d’apparaître. Pour que l’amour se développe, il convient que les deux protagonistes se voient en vérité.

La sortie du rêve étant douloureuse, cela peut parfois conduire à une séparation ! Mais il peut aussi en résulter qu’en se voyant on en arrive à s’aimer vraiment, c'est-à-dire à profondément apprécier qui est l’autre et non d’apprécier seulement ce qu’on rêve de l’autre.

En fait ce qu’on croit être de l’usure, c’est le vrai départ du couple. La situation précédente n’est que la préparation de ce qui va suivre. Le problème, c’est que trop peu habitués à écouter ce qu’on ressent et d’en saisir l’opportunité pour aboutir à plus de vie, nous risquons à ce stade de nous décourager et à nous mettre à « rêver de rêves ». Nous préférons ainsi l’illusion à la réalité et nous nous mettons parfois à la regretter l’illusion avec nostalgie. Mais y revenir ne serait que régression et ce n’est pas le but d’un couple.

Dernièrement, un curieux film est passé à l’écran : « Musée haut, musée bas » (de Jean-Michel Ribes -2008). Je crois qu’il a du en dérouter plus d’un, car son thème est décapant. Il décrit comment l’homme a fini par préférer « l’image » de la réalité à la « réalité » elle-même, considérant que l’image est même bien supérieure à la réalité. Combattant ainsi la nature jugée comme inférieure, dans ce musée il promeut l’image, au point de ne trouver les êtres beaux que quand ils sont représentés, mais jamais pour ce qu’ils sont réellement, au point qu’ils sont bien plus appréciables morts sur une œuvre, que vivants, à nos côtés ! Traité sur un mode loufoque, mais très philosophique (entre Matrix et les Shadocks), c’est une remarquable satire de notre société de l’image et même du « virtuel sur disque dur ».

Nous avons la même  problématique dans le couple : Aimons-nous l’autre ? Aimons nous qui il est vraiment ? Ou lui préférons-nous la représentation que nous nous en faisons. Naturellement un tel processus n’est pas conscient. Tout l’enjeu se trouve dans la conscience de cela et dans le réveil permettant de se rencontrer vraiment. On ne peut parler d’amour qu’une fois sorti de l’idéalisation. C’est justement cette sortie qui nous fait souci !

Après un temps d’illusion, la vie reprend ses droits et la réalité des êtres tente de se faire rencontrer, de se faire reconnaître. Les idéalisations précédentes n’en ont pas pour autant été inutiles. Elles ont permis de se côtoyer en attendant que la maturité de chacun permette la rencontre qui, en réalité, est la véritable finalité du couple, accompagnée de la maturation de chacun.

4.2Un « réveil » surprenant !

N’ayant pas vraiment compris ce qu’est l’individuation ou ce qu’est l’amour, il arrive qu’on reproche aux couples leurs étapes fusionnelles, et le besoin apparemment excessif que chacun a de l’autre. Se retrouvant ainsi fustigés du reproche d’avoir des attitudes immatures ou enfantines, les couples sont alors prématurément invités à l’individuation et ne font alors que flirter avec l’individualisme revendicatif plutôt qu’avec l’existence de soi et la vraie rencontre de l’autre.

Il n’est ni nécessaire, ni souhaitable d’embêter les êtres avec de tels reproches, car dans son cheminement naturel un couple tend spontanément vers l’individuation. Cela lui occasionne d’ailleurs quelques périodes de crises (un peu comme l’ado avec ses parents ! Il ne peut vivre sans eux… mais il ne peut non plus leur être soumis).

Au départ, chacun est lié à l’autre par le besoin. Le besoin de ne pas être seul, le besoin de tendresse, le besoin de reconnaissance, le besoin d’écoute, le besoin sexuel, le besoin de se sentir utile…etc. Selon la nature des besoins, la dépendance à l’autre peut prendre des allures de jalousie aliénante pour satisfaire un besoin de sécurité ou un besoin d’importance personnel (là au moins « on a un rôle envers quelqu’un à qui on est utile » !).

Mais, comme nous le souligne Maslow (voir publication de octobre 2008 « Abraham Maslow ») le besoin principal est le besoin « ontique », c'est-à-dire celui qui touche la nature profonde de l’être et de sa réalisation (amour, harmonie, ordre, justice, reconnaissance…). Nous trouvons là une grande finalité de la vie qui ne peut pleinement s’exprimer que lorsqu’une dose suffisante des autres besoins fondamentaux se trouve  satisfaite (besoins physiologiques et besoins sociaux psychologiques). Une trop grande carence aux niveaux des ces autres besoins peut entrainer une difficulté à « toucher » la zone « ontique » et à  rendre irréalisable la quête d’amour. Il en résulte une simple quête d’idéalisation ou de manifestation égotique qui n’en sont que la parodie transitoire.

Tout cela ne peut être reproché à qui que ce soit, dans la mesure où ce n’est qu’un processus en cours. Par contre le problème commence quand il y a stagnation de la situation trop longtemps. Il est pourtant difficile de dire à partir de quand « cela dure depuis trop longtemps », dans la mesure où tout le monde ne fonctionne pas au même rythme.

De nos jours « l’indépendance » est de plus en plus la tendance, au risque de créer plus d’individualisme que d’individuation. Mais ce n’est pas mauvais non plus tant qu’on se pose des questions, tant qu’on se remet en cause et tant qu’on chemine pour mieux comprendre l’autre. Nous prendrons toujours soin de bien différencier « individualisme » et « individuation ».

Il est naturel que tout ne se réalise pas en même temps et il importera pour chacun de partir de là où il se trouve, sans avoir de jugement de valeur sur sa situation actuelle, car aucun chemin ne peut être un modèle absolu.

Quoi qu’il en soit, chaque membre du couple, par le chemin qui est le sien, en arrive à ne plus pouvoir être un autre que lui-même sans risque de s’asphyxier. Il en résulte que chacun se met à se « révéler » et donne à l’autre le « plaisir » d’être confronté à ce qu’il n’attendait pas (à ce qu’il n’attendait pas consciemment, mais qu’inconsciemment il recherchait sans le savoir pour des raisons parfaitement justes).

En effet pendant que l’un prenait des attitudes séduisantes, agréables, délicates en arrondissant les angles (n’étant donc pas du tout lui-même), l’autre était en pleine idéalisation et ne faisait que percevoir ce qu’il rêvait de rencontrer (étant parfaitement aveugle). Avec l’un invisible et l’autre aveugle (et réciproquement)… nous retrouvons bien le « noir » de Psyché et Cupidon ! (le noir n’étant pas ici l’absence de lumière, mais l’incapacité à voir).

Les besoins réciproques ont été judicieusement présents (avec l’aveuglement) pour permettre à chacun de se rapprocher de cet autre qu’il n’a pas encore vraiment découvert. Etre libre de ces besoins n’aurait pas été judicieux car le rapprochement n’aurait pas eu lieu. Grâce à eux cette proximité conjugale va permettre à la vraie rencontre de se réaliser ultérieurement. Ces besoins, même s’ils sont le reflet d’une immaturité, ne sont pas le reflet d’une erreur, mais celui d’une incroyable pertinence.

L’aveuglement cesse quand le « besoin d’être » l’emporte sur « l’illusion du paraître ». Ce paraître a permis la promiscuité jusqu’à ce moment de « révélation » où chacun réalise l’autre.

4.3Quand la passion s’arrête

La passion qui caractérise ainsi la première étape du couple prend fin et la rencontre devient enfin possible. Il ne s’agit plus alors d’une promiscuité forcée par des besoins, ni d’une cohabitation produite par une idéalisation, mais d’une véritable rencontre.

En réalité la rencontre ne se produit généralement pas en un éclair. Il y a toujours une phase… de déphasage ! Il y a toujours un moment de vide, où l’idéal disparaissant, les repères anciens se volatilisent. Cela engendre une stupeur et  un tel inconfort que la sensation peut être que « l’histoire d’amour » s’arrête là. Ce n’est en fait que la phase passionnelle qui se termine. L’amour, lui, va au contraire enfin pouvoir commencer à s’exprimer, à se manifester, à vraiment émerger.

En fait ce n’est que l’étape de passion qui s’arrête pour laisser place à la naissance de l’étape d’amour ; mais entre les deux, le vide peut être si douloureux qu’on peut avoir la sensation qu’il ne reste rien et que tout est fini.

C’est dans cette période de fragilité qu’un couple peut se trouver en danger. Ne pouvant réactiver un état passionnel qui fut si motivant, l’un des deux (ou les deux) peut être tenté d’aller le (re)chercher auprès d’un (ou d’une) autre.

Le processus est de même nature que quand on a maladroitement tendance à vouloir aider un déprimé en stimulant son intérêt (alors que l’intérêt –pour les choses- a diminué chez lui « spécialement pour » développer une nouvelle capacité d’attention –pour les êtres- [voir publication de juin 2001 « Dépression et suicide »]).

Le vide surgissant à ce moment de cessassion de la passion ne doit pas de nouveau être compensé mais être enfin comblé. Dans la phase précédente d’idéalisation, il n’y avait pas encore rencontre et celle-ci restait à réaliser. Le vide de la perception de l’autre était avec justesse compensé par l’idéalisation de l’autre et assurait ainsi un confort de vie suffisant mais transitoire.

Le besoin fondamental de rencontrer l’autre et d’exister soi-même devient cependant un jour plus fort que cette simple compensation et c’est là que nous trouvons la crise du couple. Cette crise n’est pas sa fin, mais plutôt son début, son vrai commencement. Il s’agit de ne pas le manquer et pour ne pas le manquer, il convient de comprendre à quel point les qualités et les « défauts » de chacun sont subtilement intriqués avec pertinence pour permettre à chacun des deux de plus exister soi-même, pour permettre à chacun de parfaire sa venue au monde, pour permettre à chacun d’offrir le meilleur de lui-même à son compagnon ou à sa compagne.

Cette intrication subtile et pertinente des qualités et des défauts de chacun se nomme « interactions systémiques ». Nous trouverons ainsi que les « défauts » de l’autre (ce qu’on a envie de lui reprocher) sont généralement exactement la chose dont nous avons besoin pour, nous-mêmes, parfaire notre croissance, parfaire notre place au monde, parfaire nos racines intimes.

Il peut ainsi se faire que nous découvrions chez notre conjoint justement ce que nous ne supportions pas chez l’un de nos parents. Cette désagréable sensation d’une histoire qui recommence encore et encore dans notre vie peut paraître comme un manque de chance. Nous qui  pensions justement avoir échappé à cet inconfort de jeunesse ! Et bien c’est tout le contraire ! Ce n’est pas une malchance mais une opportunité pour donner vie en soi à « celui que nous étions autrefois » et qui n’a jamais été entendu par qui que ce soit (pas même par soi-même) ! Cette part de soi fait partie de notre structure psychique et doit trouver sa place en nous pour conforter  notre base.

Il en va de même du parent à qui nous avons passé notre vie à reprocher son attitude : aimer un conjoint qui lui ressemble est une façon inconsciente d’apprendre à ne plus rejeter ce parent (car il constitue aussi une base de notre structure psychique intime). Il ne s’agit pas là de voir la manifestation d’un Œdipe manqué, mais simplement le fait que nous avons besoin que nos deux parents aient leur place en nous pour disposer de la base nécessaire à notre stabilité intérieure.

Ce qui émerge à ce moment semble constituer de sérieux inconvénients ! Ce n’est en fait que la manifestation par laquelle chacun poursuit sa croissance… grâce à l’autre (et réciproquement).

Nous avons là une sorte de couple de forces qui agissent en sens contraire… pour qu’enfin ça tourne rond !

La passion est ce qui nous libère de l’ego. Grâce à la passion, nous cessons de penser à nous et ne nous consacrons plus qu’à « l’objet de notre passion ». Cela a l’immense avantage de nous détourner de notre ego (aussi utile qu’il ait pu être jusque là).  Mais dans la passion l’autre, idéalisé, n’est encore perçu que comme un objet (l’objet de notre passion). Encore incapable de voir vraiment l’autre, à ce stade nous ne faisons que soigner l’idéal que nous en percevons. Nous ne savons pas encore être attentionnés. Nous ne faisons que satisfaire une idéalisation et non prendre soin de quelqu’un qu’on aime.

Au bout de la « passion », nous trouvons heureusement la « désillusion » qui, une fois détournés de notre paraître, nous permet de constater notre vide d’être pour enfin le remplir, au lieu de simplement le compenser. C’est cette conscience du vide qui nous permet de « remplir » là où ça doit être remplit. Ce vide est généralement la manifestation d’une part de soi que nous avons jadis rejetée, faute de pouvoir l’intégrer. Ayant grandis en maturité (quoi qu’encore très imparfaits et ce n’est pas un problème) nous contactons ce vide pour enfin le remplir vraiment. Nous avons là une judicieuse façon de parfaire notre venue au monde.

Le couple est l’inestimable creuset permettant à ces enjeux de se réaliser avec subtilité. Naturellement, nous sommes bien loin des conseils primaires affirmant « tu dois faire ceci,  tu devrais faire cela » !

4.4L’amour commence

Même si la conscience initiale est aveuglée par l’idéalisation, il y a tout de même dès le départ une intuition d’amour qui,  lorsque la passion cesse, peut enfin prendre son envol.

Pourtant, quand le fait d’idéaliser l’autre s’estompe, la rencontre n’est pas forcément instantanée. Nous pouvons commencer par assister à un besoin de distance. La différence entre l’idéal imaginé et la réalité est trop surprenante pour se jeter spontanément dans les bras l’un de l’autre.

Chacun doit s’être un peu trouvé lui-même (exister) pour rencontrer l’autre et être rencontré par lui. Cela se réalise progressivement… et l’on remarque que cet amour de l’autre passe par l’amour de soi. Cet amour de soi ne consiste pas en un développement de l’ego, mais en une rencontre de soi. L’ego n’est que « paraître », alors que le Soi c’est « être » (si ces  notions ne sont pas claires je vous invite à lire ma publication de novembre 2005 « ça, moi, surmoi et Soi ».

 L’amour de soi ne passe pas par un égoïsme où on ne  pense qu’à son plaisir et à son image, mais par l’accueil de ce qui nous constitue. Cela est d’autant plus important que ce qui nous gène le plus chez l’autre est généralement ce qui nous ramène le mieux à nous-mêmes… et même au plus profond de nous-mêmes.

Nous arrivons ainsi à une subtile maturation de chacun des êtres constituant le couple.

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5   Subtile maturation des êtres

5.1Délicate intrication d’enjeux réciproques

Loin des idéalisations aveuglantes de l’autre dans un élan de rêve délicieux, et loin de la soumission éteinte de soi dans un projet de séduction, chacun commence à découvrir son compagnon ou sa compagne. Ce qu’il découvre le malmène en ce sens que cela le rapproche de ce qu’il n’avait pas l’habitude de voir en cet autre, jusque là perçu avec tant de fascination.

Le premier reflexe est de penser que le mal être ressenti en soi vient de ces « inadéquations » de l’autre qui surgissent, et la tentation pourrait être de lui en faire le reproche, puis de l’inviter à plus de vigilance pour changer ses travers.

Commencent alors les remarques invitant l’autre à « faire un effort », à changer, à s’améliorer un peu. Comme cela est souvent réciproque, il se produit « quelques » tensions.

Or il se trouve que si l’autre est tout à fait responsable de ce qu’il fait (et de ce qu’il ne fait pas), nous sommes nous-mêmes responsables de ce que nous ressentons. L’autre n’est responsable que de son acte, pas de notre ressenti.

Cela peut sembler curieux car il est inhabituel de considérer les choses sous cet angle. La « faute de l’autre » est bien plus facile à envisager ! Et même quand nous abandonnons ce point de vue, ce n’est généralement que pour examiner notre propre faute à nous ! Nous oscillons ainsi entre reproches et culpabilisation et cela peut prendre du temps pour sortir de cette ornière.

Voilà le problème : Nous raisonnons toujours en termes de « faute » et non en termes de « pertinence ». Nous avons là une base culturelle qui encombre notre perception. Il se trouve que d’envisager une situation sous l’angle de la pertinence permet d’aller plus loin que de l’aborder sous l’angle des erreurs à corriger.

Si nous avons une réticence à aller dans ce sens, c’est qu’il convient de l’envisager avec subtilité. Comprendre que le ressenti vient de nous ne conduit pas pour autant à tout supporter de l’autre sans rien dire. Notre difficulté est que nous avons des raisonnements absolus, sans nuances, où c’est « soit tout l’un », « soit tout l’autre ». Or là, il convient de comprendre que si nous sommes responsables de nos ressentis, ce n’est pas pour autant qu’il est acceptable de tout permettre à l’autre s’il nous manque de respect.

Quand on commence à envisager ce qui se passe sous l’angle de la pertinence, quand chacun décide d’être sensible à ce que cela évoque en lui, quand chacun s’ouvre à lui-même et veut bien assoir ses bases et poursuivre la construction de soi, alors émerge un nouveau type de partenariat.

Chacun peut découvrir, là, combien l’autre est exactement celui (ou celle) qui convient, et une avance réciproque vers soi et vers l’autre se met en marche de façon plus effective.

5.2Ce qui nous dérange

Ce qui nous dérange chez l’autre se révèle alors souvent comme étant exactement ce qui nous permet de mieux accéder à nous-mêmes. Naturellement, de façon tout aussi pertinente, de telles choses étaient imperceptibles au départ, grâce à l’aveuglement passionnel. Sans cet aveuglement initial nous n’aurions pas su rester suffisamment proches pour en arriver là, et bénéficier d’une telle opportunité de réalisation de soi.

Par exemple, l’un trouve qu’il (ou elle) ne reçoit pas assez de considération ou d’écoute, que les reproches qui lui sont faits sont injustes. Il (ou elle) trouve cet autre trop aveugle, trop insensible à ses remarques. Il (ou elle) ressent une sorte « d’abandon » de la part de cet autre qui décidément ne comprend rien, et pour lequel (ou laquelle) il (ou elle) fait tout pour le (ou la) rendre heureux (ou heureuse).

Le ressenti en est douloureux, d’abord refoulé pour faire bonne figure, puis un jour il explose. Cela se produit souvent de façon inattendue et surprenante pour l’autre qui s’en défend et argumente spontanément le contraire… puis en profite pour lui-même (ou elle-même) lancer ses propres griefs jusque là passés sous silence !

Si chacun regarde (ou écoute) en lui, il trouvera des choses surprenantes. Si nous reprenons les premières remarques, évoquant le manque de considération et d’écoute de l’autre, et si nous examinons la nature précise du ressenti qui l’accompagne, nous trouvons un sentiment d’injustice, de solitude, d’abandon… avec justement tout ce que le couple aurait dû permettre d’éviter… puis en regardant avec plus de précisions nous découvrons que ce sont des choses déjà ressenties par le sujet quand il était enfant. La couple aurait dû lui permettre d’en finir avec ce type d’inconfort (ou même de douleur). Il se trouve que l’apaisement n’a duré que le temps de l’illusion passionnelle et que l’inconfort ressurgit de façon inattendue, là où l’on pensait enfin en être définitivement préservé.

Cela, qui semble un terrible inconvénient, amène le sujet à ressentir de nouveau ce que l’enfant qu’il était a un jour éprouvé. Comme lui avec son conjoint, l’enfant tentait d’attirer l’attention du parent par d’infructueuses délicatesses. Contrairement à ce qu’on croit, il ne s’agit pas là d’une histoire qui se répète, mais d’une opportunité permettant de donner enfin une place et une écoute à l’enfant qu’on a été et qui n’a jamais été considéré dans son ressenti par personne (pas même par soi car nous avons tout fait pour l’oublier, pour prendre de la distance d’avec cette « encombrante » part de soi). Quand je dis « écouté par personne » je ne signifie pas ici que ses parents furent des montres d’indélicatesse. Ils n’étaient que de simples adultes peinant à entendre vraiment l’enfant.

Le sujet qui éprouve ce ressenti n’est alors pas invité à éviter cet inconfort grâce à un changement de l’autre (et encore moins en changeant « d’autre »), mais plutôt à accueillir et considérer en lui l’enfant qu’il fut, l’écouter, le reconnaître, lui donner une place tendre et délicate. Je ne donnerai pas ici le détail d’un tel cheminement (que vous trouverez dans la publication d’avril 2004 « communication thérapeutique ») mais, pour résumer, il peut s’en suivre une réhabilitation de soi, ainsi qu’une réhabilitation des parents qu’on a eus, de l’homme qu’était notre père et de la femme qu’était notre mère. Nous leur en avons voulu pour leurs manquements et, de ce fait, cette distance mise avec eux, quoique nous préservant de notre douleur d’enfant, nous a amputé de la base incontournable qu’ils constituent en nous.

Être tombé amoureux de quelqu’un qui leur ressemble ou qui nous les rappelle ne doit pas être interprété comme une manifestation Œdipienne, mais simplement comme une tentative de les comprendre et de leur donner leur juste place en nous. En « aimant » quelqu’un qui leur ressemble peut-être parviendrons nous ainsi à les comprendre enfin ! Nous avons donc là un double phénomène : d’une part réhabiliter l’enfant que nous avons été, puis d’autre part donner leur place à l’homme que fut notre père et à la femme que fut notre mère.

Je viens de proposer en exemple une situation anodine car il s’agit, le plus souvent de telles circonstances ordinaires de la vie. Mais nous trouverons la même chose avec du mensonge, de l’alcoolisme, de la violence et de nombreux travers sources de grands tourments. Heureusement, tout le monde n’a pas vécu de tels drames. Pourtant dans de nombreuses familles il y a eu des souffrances souvent restées insoupçonnées, et qui sont bien plus grandes qu’il n’y paraît !  Nous devons bien nous rappeler que ce ne sont pas les circonstances objectives qui ont fait les douleurs, mais le vécu subjectif qu’on en a eu. Souvent nous nous contentons de considérer les circonstances pour juger de la gravité d’un vécu, mais ce n’est pas la circonstance qui fait la douleur : c’est ce qu’on a ressenti. En ce domaine, la seule réalité qui compte, c’est la réalité subjective.

Quand les faits ont été graves ou les souffrances intolérables, les réhabilitations peuvent s’avérer délicates et le sujet n’y est porté que par la douleur récurrente qui jalonne sans cesse sa vie. Dans de tels cas nous devons comprendre qu’il ne s’agit pas de pardonner aux parents qui ont été source de souffrances… pas plus qu’il ne s’agit de leur en vouloir et de garder de la rancune. Il ne s’agit pas de leur pardonner, mais plutôt de les comprendre. Pour y parvenir il sera nécessaire de ne plus se limiter aux faits, mais d’approfondir vers les raisons qui ont conduit l’être qu’ils étaient à ce moment là à produire ces faits (si vous le souhaitez, vous pouvez consulter à ce sujet la publication de novembre 2004  « Ne plus induire de culpabilisation »).

L’auteur des faits a toujours une raison. Celle-ci ne constitue pas une excuse et ne le dédouane pas de sa responsabilité, mais celle-ci explique et permet de comprendre. Il se trouve que, quand il y a compréhension, il y a apaisement… alors que quand il y a rancune, la douleur persiste (et la répétition de circonstances analogues au cours de la vie est alors fréquente). Nous remarquerons qu’il ne s’agit aucunement ici d’une « gentillesse charitable » envers un « méchant », mais d’une compréhension permettant d’accéder à plus de paix et plus de réalisation de soi.

S’il est nécessaire d’être libre de la rancune ou de la haine pour être en paix, ce serait pourtant une erreur de forcer cette compréhension tant qu’elle n’est pas mûre. Il ne s’agit pas d’avoir de la haine, mais il serait cependant maladroit de la refouler quand il y en a. Nous devons toujours considérer celle-ci comme la juste expression de notre douleur qui doit, dans ce cas, d’abord être considérée avant de se tourner vers une compréhension de l’autre.

De telles considérations ne concernent pas que le vécu de notre enfance, mais peut aussi s’étendre à des vécus transgénérationnels qui n’ont pour projet inconscient que de réhabiliter nos racines là où elles n’ont jamais été validées par personne. Il importe de comprendre que nous ne trainons pas là les « casseroles de notre passé », mais des interpellations précieuses, permettant une réhabilitation de soi ou de ses racines.

5.3Ce qui nous attire

Ce qui nous attire consciemment vers l’autre est ce qui, en lui, nous est agréable. Nul ne songerait à contester une telle évidence.

Mais il est un autre enjeu qui échappe à notre conscience : ce qui nous attire, en fait, est surtout inconscient et concerne surtout ce qui nous dérange. Cela ne se révélera que plus tard.

Il est difficile de dire si nous sommes attirés vers l’autre à cause des travers que nous lui reprocherons après la phase de passion, ou si c’est nous-mêmes qui prenons une attitude telle que ces travers se développeront chez lui à notre contact. Nous pouvons dire, en tous cas, qu’il s’agit là de choses qui nous touchent et c’est sans doute pour cela que nous les remarquons particulièrement quand la phase d’aveuglement s’achève.

Quoi qu’il en soit, ce que nous reprochons à l’autre concerne des attitudes ou des comportements qui ne nous sont pas inconnus. Nous retrouvons généralement là des situations analogues à celles vécues antérieurement, le plus souvent auprès de nos parents, parfois dans d’autres situations familiales, scolaires ou autres.

L’autre devient ainsi, à son insu, l’artisan d’un chemin que nous faisons vers nous-mêmes. Il ne s’agit pas alors de revivre de vieilles douleurs, mais seulement de donner un soin tout particulier à celui que nous fûmes, et qui a jadis souffert. Une sorte d’histoire d’amour entre le soi d’aujourd’hui et cette part de soi d’autre fois.

Bien des situations sont rebelles à toute tentative de changement à cause de tels enjeux : nous voulons que l’autre change (car il nous dérange), mais en même temps nous faisons tout pour qu’il reste pareil car nous avons inconsciemment besoin qu’il soit ainsi.

Naturellement le phénomène est réciproque et cela explique pourquoi une aide conjugale ne peut se résumer à quelques conseils ou à quelques corrections comportementales, mais doivent prendre en compte des enjeux systémiques.

Je considère ici le quotidien conjugal de la plupart des couples. Naturellement nous pouvons aussi  trouver des personnes vivant des épreuves inqualifiables (violences graves, escroqueries, mise en danger de la vie) n’entrant pas dans ce champ et devant généralement être traitées comme une douleur première et non comme la répétition d’une antériorité (mais cela est plus rare).

Le leurre de la passion est une judicieuse stratégie pour nous conduire vers celui ou celle qui, nous dérangeant, nous permettra de poursuivre notre croissance. Les croissances de chacun s’accomplissant, l’intuition d’amour peut alors prendre toute sa dimension et le couple se retrouver avec une vie quotidienne particulièrement riche et délicieuse.

Les « différences y deviennent « complémentarités » et, même si chacun se doit de poursuivre encore sa maturation (qui dure toute la vie), les choses deviennent beaucoup plus simples (voir la publication de aout 2008 « Eloge de la différence »).

Le plus douloureux, c’était cette immaturité du couple où chacun ne pense encore qu’à changer l’autre. Arrivés à cette phase, au contraire, l’absence de perfection n’est plus un problème. Non plus à cause de l’idéalisation telle que nous l’avons rencontrée au départ, mais parce qu’il y a rencontre de l’autre dans une attitude communicante et sincèrement aimante.

N’imaginez pas pour autant que tout est confortable en permanence, mais la qualité de la vie y est considérablement accrue.

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6   Le quotidien

6.1L’apprentissage de la communication

Tous ces enjeux étant présents, il n’en demeure pas moins qu’il reste à réaliser un apprentissage essentiel : celui de la communication. Vivre à deux, ça ne peut se résumer à assurer l’intendance. Deux êtres en présence l’un de l’autre, ce sont deux mondes qui se rencontrent et parfois qui s’affrontent.

Le fait de comprendre tous les points ci-dessus ne sert à rien tant qu’on n’a pas compris qu’il s’agit de développer une qualité de la communication de soi avec l’autre et de soi avec soi-même. Seulement, dire que « il faut communiquer » ne sert pas non plus à grand-chose si on n’explicite pas ce qu’est « communiquer ».

Vous avez sans doute entendu dire que « un couple qui ne se dispute pas n’a que peu de chance de réussir ». Ceci est bien-sûr faux… mais aussi partiellement vrai ! Nous devrions plutôt préciser « Un couple qui ne communique pas et qui ne se dispute jamais a peu de chance de réussir » car chez ceux qui ne se disent rien, la dispute est au moins une opportunité d’échange. Chez ceux qui communiquent, il n’est par contre, pas nécessaire d’arriver à une dispute pour avoir un échange.

Comme cependant la communication est un phénomène rare, les disputes sont fréquentes, et c’est là qu’une nouvelle richesse conjugale peut intervenir.

Il y a de nombreuses années que la communication est à l’honneur dans de nombreux séminaires mais ce thème reste pourtant à la fois obscur et rabâché. C’est qu’en fait l’on confond généralement « communication »  et « information ». Or il ne suffit pas de parler pour être communicant.

Pour plus de détails sur ce thème, je vous invite à lire ma publication de septembre 2001 sur « l’assertivité ». Je reprendrai néanmoins ici quelques points fondamentaux.

Si le terme « communication » a été maladroitement galvaudé, il en est autrement du terme « assertivité ». Ce mot a moins d’un siècle d’existence et désigne, en psychologie, une attitude dans laquelle on est en même temps dans l’affirmation de soi et dans le respect d’autrui. Vous remarquerez sans peine que l’on est souvent dans l’affirmation de soi au détriment de l’autre ou dans le respect de l’autre au détriment de soi ! Et bien l’assertivité est une attitude dans laquelle rien n’est au détriment de qui que ce soit, un peu comme dans les sociétés à synergie forte dont nous parle Abraham Maslow (Notions de synergie). Dans de telles sociétés, ce qui profite à soi profite aux autres et ce qui profite aux autres profite à soi… rien n’y est au détriment de qui que ce soit.

Dans le couple l’assertivité est une attitude souhaitable. Les autres attitudes (moins souhaitables !) sont la manipulation, le conflit, la fuite.

Si vous lisez mon article sur l’assertivité ou mon ouvrage « l’art d’être communicant » (Dangles 2008) vous y verrez que je différencie avec grande précision « être communicant » et « être relationnel ». « Être communicant » c’est « être ouvert à l’autre » et faire plus cas de l’être que du propos (nous y trouvons le respect, la considération, la chaleur humaine). « Être relationnel » c’est « être relié par l’objet information » et faire plus cas du propos que de l’être (nous y trouvons l’affectivité, la manipulation, le conflit, la fuite, l’évitement…).

Voici deux attitudes tellement différentes ! Nous voyons sans peine que « communicants » nous disposons d’une ouverture d’esprit permettant de vraiment nous rencontrer alors que « relationnels » nous ne disposons que d’un « attachement » pour ne pas nous perdre sans toutefois nous rencontrer (que cet attachement soit de l’ordre de la fascination ou de l’ordre du rejet, car ce que nous rejetons occupe notre esprit bien plus que nous le croyons !)

6.2La mise en œuvre

Comprendre ce qu’est la communication est une chose, la mettre en œuvre en est une autre.

Notre difficulté est ici de différencier trois zones où la communication est sensée être améliorée : « entre l’autre et soi », « entre soi et soi », « entre l’autre et l’autre  lui-même ».

C’est ce point qui embrouille passablement la mise en œuvre, même quand on a bien compris ce qu’est la communication. S’ouvrir à l’autre peut s’avérer insuffisant quand l’enjeu est plutôt de s’ouvrir à soi-même. De la même façon, n’envisager que de s’ouvrir à soi, alors qu’il convient de s’ouvrir à l’autre, ne fonctionne pas non plus.

Notre attention doit ainsi rester en éveil et jouer sur les trois tableaux de « soi avec l’autre », « soi avec soi » et « l’autre avec lui-même ».

Pour ne pas s’enfermer dans un schéma trop préfabriqué et garder la fraicheur d’esprit nécessaire à la communication, nous pouvons, en situations délicates, utiliser une tournure d’esprit bien précise : nous demander « Là que se passe-t-il de juste ? Pour qui ? », et non « Où est le problème ?, Qui a le problème ? ».

Aborder une situation sous l’angle de la justesse est beaucoup plus performant que de l’aborder sous l’angle d’un problème à résoudre ou d’une erreur à corriger. Vous en trouverez de nombreux exemples dans la publication de décembre 2007 « Le positionnement du praticien » où ceci est explicité en situation d’aide ou de thérapie. Mais cela reste vrai en situation conjugale.

Nous avons culturellement l’habitude de chercher « ce qui ne va pas afin d’y remédier » et non de se demander « ce qui va très bien, mais ne parvient pas à s’exprimer, afin d’en accompagner l’accomplissement ».

Maslow est un des rares a avoir considéré que le problème d’un être ne consiste généralement pas en quelque chose de trop, en lui, qu’il devrait éliminer, ou de mauvais qu’il devrait résoudre, mais en quelque chose de précieux lui manquant (carence) qu’il devrait enfin trouver.

Il s’agit donc de ne jamais poser la situation en termes de « qu’est-ce qui ne va pas ? », mais en termes de « Qu’est-ce qui tente de s’exprimer de juste ? ».

Pour cela nous garderons, en situation conjugale, notre attention sur les trois pôles « soi-avec l’autre », « soi avec soi », « l’autre avec l’autre »… la justesse pouvant concerner soit seulement l’un des trois pôles, soit plusieurs à la fois.

6.3Ce qui est dit « tous les jours »

Prenons un exemple typique : celui où des mots reviennent sans cesse... si bien qu’on n’y fait même plus attention (on le gère donc par la fuite). Tout est là ! Ce qui est répété depuis toujours n’est pas l’œuvre d’une personne qui radote, mais celle de quelqu’un qui ne peut s’empêcher de répéter ce qui n’a jamais été pris en compte.

Par exemple, régulièrement lors de conversations le même propos revient. Voici quelques exemples possibles :

« A l’école, ce n’était pas si facile pour moi »
« Avec mon père il ne fallait pas broncher »
« De toute façon, dans mon enfance on ne m’écoutait pas »
« Il n’y en avait que pour mon frère »
« De toute façon tu ne me comprends pas »
« Déjà enfant j’avais peur de tout »
« J’aurai tellement aimé faire de la musique »
« Quand j’étais puni dans le noir c’était terrible »
« Quand je me suis fait(e) opérer j’ai bien cru y passer »
« Je ne savais pas si je devais me marier »
« De toute façon je n’ai jamais pensé qu’on pourrait m’aimer »
« Je ne me suis jamais remise de cette IVG »
« J’aurai tellement aimé une vie différente »
« De toute façon ça ne sert pas à grand-chose de parler »
« ça a quand même été dure quand le dernier enfant est parti de la maison »
« La ménopause c’est pas marrant »
« Je ne peux plus faire de sport comme avant »

Nous pourrions trouver à l’infini de tels exemples de répétitions qui sont, au début, gérées par l’opposition « Mais non, il ne faut pas dire ça », «  Tu te fais des idées », « Tout ça c’est du passé, maintenant ça va bien, tu ferais mieux de ne plus y penser, tu te fais du mal pour rien », « Mais non, au fond tu t’en es bien sorti » …etc. Toutes ces remarques « débordant de gentillesse » tendent à vouloir nier ce qui est exprimé, afin de faire taire ce que l’autre tente régulièrement de dire.

La première tentative est généralement une opposition directe « Tu ne devrais plus penser à cela, c’est ancien, maintenant tout va bien » (gestion par le conflit, même si c’est un « gentil conflit »), suivie par des tentatives de rassurer « mais ce qui compte c’est que tu t’en sois sorti » (gestion par la manipulation, même si c’est « pour son bien ») pour finir avec l’ignorance, comme si on n’avait rien entendu (gestion par la fuite « pour ne plus subir cette répétition »).

Tout serait tellement simple si l’assertivité remplaçait la manipulation, le conflit ou la fuite. Mais notre propension à adopter une attitude relationnelle (manipulation, conflit ou fuite) plutôt que communicante (assertivité) vient du fait que nous considérons toujours la « chose dite » (problème à résoudre) plutôt que « celui qui dit » (quelqu’un simplement en attente de reconnaissance).

Cette reconnaissance est toute simple et consiste juste à reformuler ce qui vient d’être exprimé. Nous devons cependant bien nous entendre sur ce qu’est la reformulation. Ce n’est en aucun cas la simple répétition de ce qui est dit. Il ne s’agit ni d’un écho ni d’un miroir, mais d’une profonde reconnaissance d’un être ayant un ressenti. Quand la personne dit « C’était vraiment dur à l’école », la reformulation sera « c’était si dur que ça ? » avec un ton chaleureux, profondément reconnaissant et juste légèrement interrogatif.

Je ne vais pas traiter en détail ce thème ici car je l’ai déjà fait dans un autre document : pour bien cerner mon propos concernant le couple, il est impératif de lire aussi ma publication de novembre 2002 sur la « reformulation ».

6.4Ce qui est dit « à l’occasion »

En rentrant du travail : « Je suis épuisé ce soir ! ». En revenant d’amener l’enfant à l’école pour la première fois « C’était vraiment dur de le laisser et de le voir pleurer ! ». Juste avant un évènement important « Tu sais je suis inquiet(e) rien qu’à l’idée d’y aller ! ». Après une rencontre difficile où il a eu un conflit « ça m’a laissé une mauvaise impression, je n’arrête pas d’y penser »…

Ces remarques spontanées ne trouvent généralement pas d’accueil chez l’interlocuteur. Dans le meilleur des cas le propos est tourné en dérision dans le projet maladroit de rassurer « Ne te prends pas la tête pour ça,  ça n’en vaut pas la peine ! ».  Dans le pire des cas il y a, en retour, un reproche « De toute façon tu te plains tout le temps ». Et quand ce n’est ni l’un ni l’autre il y a un silence de fuite « comme si on n’avait rien entendu ». Dans ce trois cas de figure il n’y a pas de communication, car il n’y a reconnaissance  ni de l’autre  ni de ce qu’il tente d’exprimer. Être rassuré, critiqué ou ignoré ne constitue pas un moment de communication et de reconnaissance mais un moment relationnel dans l’affect (« gentil » ou dur) conduisant au déni ou à l’ignorance.

Il en résulte, sans que personne n’en ait vraiment conscience (ni celui qui le fait ni celui qui le subit), une tension invisible qui va aller grandissant si cela se répète.

Face à « Je suis épuisé ce soir ! » il y aurait pu avoir « Tu as eu une journée difficile ? ». Face à « C’était vraiment dur de le laisser et de le voir pleurer ! » il y aurait pu avoir « ça t’a vraiment été trop insupportable ? ». Face à « Tu sais je suis inquiet(e) rien qu’à l’idée d’y aller ! » nous aurions pu avoir « ça t’inquiète tellement ? ». Et enfin, face à « ça m’a laissé une mauvaise impression, je n’arrête pas d’y penser » la réponse aurait pu être « Ce qui s’est passé t’a marqué à ce point ? »…

Il ne s’agit que de reformulation, mais nous devons bien noter que le non verbal tient ici une place principale. Avec un ton trop interrogatif, la phrase est absolument ridicule et avec un ton trop affirmatif elle est totalement envahissante. (Pour comprendre la subtilité de ces nuances, je vous invite de nouveau à approfondir le sujet en lisant la publication de novembre 2002 sur la reformulation).

Pour faire simple nous dirons que pour avoir le ton juste, il ne faut surtout pas mettre notre attention sur le ton que nous utilisons pour dire notre propos. Il suffit d’avoir avant tout notre attention sur notre interlocuteur (et non sur son propos ou sur son problème) et n’avoir pour projet que de reconnaître son ressenti et non de l’apaiser ou de le résoudre. Cette simple attitude d’attention et de projet suffit à positionner notre non verbal de façon satisfaisante.

6.5Ce qui est dit suite à un choc

Les moments de chocs restent bien heureusement de moments plus rares, à caractère exceptionnel. Ils peuvent concerner un deuil, une intervention chirurgicale, un conflit majeur, une IVG, un licenciement, une menace de rupture…. Mais aussi un déménagement, une embauche, un mariage, un accouchement…etc. Il s’agit de moment représentant un changement de vie auquel le sujet ne se sent pas prêt.

Dans chacun de ces cas, outre le besoin d’être accompagné dans cette difficulté majeure de la vie, le comportement du conjoint est très important. Là, plus que partout ailleurs, il convient de savoir reconnaître l’ampleur du vécu.

Sans dérision ni dramatisation le conjoint devrait pouvoir offrir sa reconnaissance et donner à l’autre la possibilité de vivre son émotion en toute tranquillité, en toute sécurité. Toute banalisation dans une maladroite tentative de rassurer serait douloureusement perçue comme un déni et toute dramatisation ou effarement laisserait penser que celui (ou celle) qui doit apporter son soutien est si fragile qu’on ne peut rien lui dire. Celui qui ressent une souffrance ne doit en aucun cas être empêché de l’exprimer, sans toutefois être abandonné à une auto dramatisation. Celui qui ne ferait que « laisser dire » sans accompagner l’expression de son conjoint lui donnerait un sentiment d’abandon (il est souvent difficile de nommer ses ressentis et nous avons souvent besoin d’accompagnement pour nous exprimer).

Tout cela ne peut en aucun cas se réduire à une histoire de paroles. Nous envisagerons surtout la capacité à se sentir concerné et touché par l’autre et son vécu, sans pour autant être affecté. D’une part on est touché quand on considère l’être, on est affecté quand on se tourne vers le problème exposé ; d’autre part on est efficace quand on a pour projet de reconnaître, et on n’aboutit à rien quand on veut rassurer ou résoudre !

Même si ici les situations les plus lourdes peuvent nécessiter l’accompagnement d’un professionnel psy, le conjoint peut jouer un rôle majeur. Pour bien comprendre ces enjeux et ces attitudes, je vous invite à lire la publication de décembre 2007  « Le positionnement du praticien » et celle de septembre 2008 « Validation existentielle ».

6.6La famille de chacun

Nous ne pouvons occulter l’aspect que représente la famille de chacun. Il se peut que les beaux-parents fassent vivre quelques inconforts à leurs enfants ainsi qu’à leurs gendres ou leurs brus, et induisent ainsi chez ces derniers un besoin de distance ou de jugement. Pourtant, quelque soit la propension à porter des jugements envers les parents de son conjoint, nous ne devons jamais oublier que les parents constituent les racines de la psyché d’un individu et que rejeter les parents de son conjoint revient un peu à rejeter le conjoint lui-même (même quand celui-ci est aussi en colère contre eux !).

La structure psychique d’un individu est constituée de « celui qu’il est », de « tous ceux qu’il a été » et aussi de « tous ceux dont il est issu ». C’est ce qui donne sens au transgénérationnel. Différentes situations douloureuses dans l’histoire familiale peuvent faire que l’on se trouve amputé d’une part de ses racines. Dans ce cas, nous n’avons de cesse que de les retrouver, afin de les remettre à leur place. Il se peut que cette démarche soit consciente, mais le plus souvent elle n’est qu’inconsciente. Nous trouvons même là des enjeux conjugaux majeurs qui peuvent rester sources de conflits, tant qu’on ne comprend pas cet aspect de l’être avec qui l’on vit, et même cet aspect de sa propre vie à soi.

Bien des tensions conjugales ne visent qu’à des réhabilitations transgénérationnelles, comme nous l’avons vu plus haut dans le paragraphe « Ce qui nous attire ». Nous y avons vu que nous recherchons inconsciemment ce qui nous rappelle ce que nous avons à retrouver en nous, alors que nous tentons consciemment de le fuir.

Quoi qu’il en soit, il est difficile de prétendre aimer quelqu’un et, en même temps, de mépriser ses racines. Une personne dont on rejette ou critique les parents se sent elle-même un peu rejetée ou déracinée et, quelque soit l’amour qu’on lui donne, elle ne peut alors se sentir vraiment épanouie. Un jour ou l’autre cela doit se pacifier.

Pour plus de détails sur cette notion je vous invite à lire ma publication de novembre 2004 « Ne plus induire de culpabilisation ».

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7   La vie sexuelle

La sexualité est un aspect important de la vie du couple. Freud n’a pas manqué de remarquer le rôle de cet aspect de la vie. Nous lui devons beaucoup sur ce point, même si d’autres comme l’aliéniste Philippe Pinel (1745-1826) en ont parlé avant lui. Pourtant Freud nous a un peu égarés en sexualisant toute la psyché. Il a manqué les notions du Soi développées par Jung ou celles des aspects ontiques de l’individu (ce qui concerne l’être) développées par Maslow. D’autre part il ne nous a pas apporté  grand-chose concernant la sexualité elle-même. Nous aurons plus été éclairés par des personnes comme William Howell Masters, gynécologue  (1915-2001) et Virginia Eshelman, Johnson, psychologue (1925), qui ont réalisé, aux USA, des recherches approfondies sur le sujet.

En matière de sexualité il est cependant bien délicat de dire ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Naturellement il y a quelques règles incontournables et des statistiques, mais il appartient à chacun de trouver un équilibre qui lui correspond et qui est dans le respect de l’autre. Pour ce qui est de l’aspect concret de la sexualité notre contemporain le docteur Gérard Leleu, sexologue, apporte quelques utiles éclairages. Dans ses différents ouvrages, il traite avec précision et sans détours de nombreux aspects du corps, du plaisir, du partage corporel,  dans un langage direct, parfois un peu cru, mais souvent assez poétique (par exemple : Traité du désir, Flammarion, 1997 -   Traité de l’orgasme , Editions Leduc.S, 2007).

Il peut sembler utile aussi de remarquer que la sexualité s’exprime à plusieurs niveaux et que, selon le niveau où celle-ci s’exprime, les enjeux ne sont pas les mêmes. C’est sur ce dernier point que j’apporterai des précisions complémentaires.

7.1La sexualité et les besoins pointés par Maslow

Si nous prenons les besoins repérés par Maslow, nous remarquerons que la sexualité peut se situer sur différents niveaux : elle peut ne pas dépasser les besoins physiologiques (ceux du corps), elle peut s’étendre jusqu’aux besoins socio-psychologiques (ceux de l’ego et de la vie sociale), elle peut aussi se trouver dans les besoins ontiques (ceux concernant l’accomplissement de l’être ou la réalisation du Soi).

Notons que Maslow distingue d’une part les besoins fondamentaux et d’autre part les besoins ontiques. Le premiers comprennent les besoins physiologiques et les besoins sociaux-psychologiques, les seconds sont ceux qui nous rendent humain et nous portent vers la beauté, l’harmonie, la justice, la cohésion, la générosité, l’amour, la réalisation de soi.

Considérant l’ensemble des besoins de façon systémique Maslow précise que nous ne devons pas penser que les besoins physiologiques doivent être totalement satisfaits pour que les besoins socio-psychologiques surgissent, ni que ces derniers doivent entièrement trouver satisfaction, pour que les niveaux ontiques apparaissent. Il nous dit que les besoins sont tous partiellement satisfaits et partiellement insatisfaits, et que l’être humain assure sa croissance dans ce contexte.

« Si un besoin est satisfait, alors un autre émerge. Cette affirmation peut donner l’impression erronée qu’un besoin doit être satisfait à 100% avant que le besoin suivant émerge. Dans la réalité, la plupart des individus normaux dans notre société sont en même temps partiellement satisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux et partiellement insatisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux » (Maslow, Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolle 2008, p.74).

Il ajoute, et cela est particulièrement intéressant, que des satisfactions sur le plan ontique permettent de mieux gérer des frustrations sur le plan physiologique ou socio-psychologique.

Je vous propose d’examiner la sexualité sous cet angle des trois catégories de besoins.

7.2La sexualité dans la catégorie des besoins physiologiques

Nous trouvons ici l’expression de la libido freudienne. Ce niveau ne vise que la satisfaction personnelle et pulsionnelle de la sexualité et ne considèrera l’autre que pour mieux profiter soi-même de la satisfaction tant attendue. Il importe de comprendre que le mécanisme de la libido n’a rien à voir avec l’amour, mais consiste seulement en l’impérieuse nécessité d’un profit au dépend de l’autre. Je ne rentrerai pas dans les détails du moi (ego) se construisant pour arriver à ses fins égoïstes tout en étant régulé par le surmoi (sorte de prothèse de conscience) permettant un minimum de cohésion sociale (J’invite ceux qui veulent en savoir plus sur ce point à lire ma publication de novembre 2005  « ça, moi, surmoi et Soi »).

A ce niveau des besoins physiologiques, la sexualité ne vise que l’accomplissement d’un plaisir personnel sans trop se soucier de ce qui se passe pour l’autre. Si le besoin est réciproque en permanence, il n’y paraît rien, mais quand les besoins ne sont pas équivalents (en rythme ou en quantité) cela peut engendrer de grandes souffrances si c’est le seul enjeu de la vie sexuelle du couple. C’est là que nous trouverons frustration de l’un et saturation de l’autre. Heureusement, comme le souligne Maslow tous les besoins sont un peu là, partiellement satisfaits et partiellement insatisfaits et c’est la dose, si minime soit elle, de l’expression des besoins ontiques qui permet de traverser cette phase délicate.

7.3La sexualité dans la catégorie des besoins sociaux-psychologiques

Ici ce ne sont plus les besoins physiologiques qui sont le principal moteur. Nous y trouvons d’abord le besoin de faire partie de « ceux qui savent faire comme ceci ou comme cela » (besoin d’appartenance) et puis surtout un besoin de performance (besoin d’estime) dans lequel il faut se distinguer comme étant le meilleur, comme étant celui ou celle qui fait le plus ou qui fait le mieux.

Moins axés sur le besoin physiologique, nous trouverons là des hommes et des femmes envisageant toutes sortes de raffinements concernant le plaisir. Ici, même le plaisir de l’autre tient une place qu’il n’avait pas dans les besoins physiologiques. Être celui (ou celle) qui permet à l’autre d’accéder au plaisir rapporte une petite gloire qui ne correspond pas encore au niveau ontique de l’amour, mais qui est tout de même déjà une prise en compte d’autrui. Cependant, il ne s’agit pas vraiment d’amour ici, puisque le but plus ou moins conscient est d’avoir une sorte de « pouvoir sur le plaisir de l’autre » et non de se rencontrer dans l’élan d’un partage corporel.

Ce besoin d’avoir une influence sur l’autre, aussi délicate et habile soit-elle, peut finir par  donner à celui-ci (ou à celle-ci) un sentiment de soumission insupportable finissant par le (ou la) suffoquer, et même faire chuter la libido. La réaction d’éloignement pour s’en dégager qui en résulte, donne à celui (ou celle) qui s’est tant investit « pour l’autre » (mais en réalité pour soi) un profond sentiment d’injustice et d’ingratitude. Nous trouvons là une source de nombreux conflits conjugaux, de souffrances si grandes qu’elles conduisent parfois à la rupture (pour plus de détails sur ces catégories de besoins vous pouvez lire la publication d’octobre 2008 sur Maslow à « Les besoins fondamentaux ».

Heureusement, le plus souvent, le physiologique, le socio-psychologique et l’ontique sont plus ou moins mêlés, tous partiellement satisfaits et partiellement insatisfaits dans des proportions variables. Cela permet au couple de tenir malgré tout en attendant une maturation suffisante pour trouve son équilibre.

7.4La sexualité dans la catégorie de besoins ontiques

A ce niveau, les besoins à satisfaire ne sont ni physiologiques ni socio-psychologiques. Même si ces derniers existent aussi en même temps, ce ne sont plus eux qui sont dominants. Les nouveaux besoins que nous trouvons ici concernent ceux de l’accomplissement de soi, de l’amour, du partage, de l’équilibre, de la considération, de la reconnaissance. Maslow nous fait remarquer qu’à ce niveau « La sexualité peut être la source  d’un plaisir extrême, plus intense que pour un individu moyen, tout en ne jouant pas un rôle prépondérant dans leur philosophie de la vie » (Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolle, 2008, p.242).

L’enjeu n’y est plus ici un seul plaisir personnel, ni une performance quelconque quant au plaisir de l’autre qui serait une petite gloire personnelle. Le nouvel enjeu devient un partage, une communication corporelle dans un élan réciproque de rencontre intime. Il n’y s’agit plus d’une manifestation de l’égo, mais de celle d’un Soi offrant à l’autre son existence tout en se réjouissant de l’existence de l’autre. L’expression corporelle qui accompagne ces attitudes s’ajuste spontanément pour optimiser le plaisir de chacun. Je me souviens des propos d’un acteur évoquant, dans une interview, trois points clés de l’évolution de sa vie sexuelle. Il racontait que le premier moment remarquable de sa vie sexuelle fut (bien évidemment) la première fois qu’il fit l’amour, puis que le second surgit quand il donna du plaisir à une femme, et enfin que le troisième se produisit de façon bien plus grande quand il fit l’amour avec quelqu’un qu’il aimait d’amour. Cet acteur évoquait ainsi, sans le savoir, les trois niveaux que nous abordons ici : physiologiques, socio-psychologiques, ontiques.

Ce niveau ontique ne s’affranchit pas forcément des conseils tels que ceux du Dr Gérard Leleu, car notre culture ne nous pas appris à connaître notre propre corps ni celui de l’autre. Nous devons à des personnes comme lui de remédier à cette carence culturelle, ainsi qu’aux précurseurs comme  William Masters et Virginia, Johson.

Nous voyons ainsi que la sexualité touche l’ensemble de l’être corporel et psychique. Le couple résulte de l’intrication du corps et de la psyché, pour deux êtres sachant autant être chacun soi-même, que de rencontrer et apprécier l’autre. Sa sexualité se réalise d’autant mieux que les êtres se rencontrent et communiquent, et les êtres se rencontrent et communiquent d’autant mieux que leur sexualité va bien.

Le but ne peut être la perfection correspondant à quelques règles ou critères que ce soit. Elle doit simplement être une rencontre, une réalisation, une croissance de chacun vers un sentiment de justesse et de plénitude dans lequel l’autre est l’accompagnant qui nous correspond et réciproquement. Pour cela nous prendrons soin d’avoir un regard systémique allant au delà de l’apparence immédiate. Toute tentative de simple « correction d’erreur », comme nous l’avons vu plus haut peut même s’avérer malsaine dans ce sens ou ce qui parait être erroné en surface peut s’avérer juste en profondeur dans un réciproque projet de réalisation de soi.

7.5Besoin, désir, et élan d’avoir un enfant

Chacun sait depuis longtemps que la sexualité n’a pas pour seul but la procréation et que le plaisir qui s’y rattache en est une composante majeure, jouant un rôle de partage et de rencontre entre deux êtres.

Si certains puritains ont voulu cantonner la sexualité dans la reproduction et nier le plaisir (c’est une vieille histoire culturelle), ceux qui ont œuvré pour réhabiliter ce plaisir ont cependant commis aussi un excès : ils ont oublié ce que représente pour une femme (et aussi pour un homme) le fait de reconnaître en l’autre celui (ou celle) avec qui l’on souhaite avoir un enfant. La pulsion sexuelle en tant que besoin, peut ici particulièrement se différencier de celle qui est composée de désir. Le besoin consiste seulement à aboutir à une satisfaction, alors que le désir consiste en la reconnaissance de l’autre comme étant la juste personne, comme si on avait l’intuition que l’autre est bien « notre étoile » (désirer vient du latin desiderare signifiant « manquer d’étoile »). Même si après avoir rencontré une telle personne il ne s’agit pas de faire sans cesse des enfants (bien évidemment !), cette reconnaissance de l’autre, psychique et corporelle, donnera des élans sexuels plus généreux, plus intimes, plus réjouissants, où le plaisir et la plénitude en seront grandis par cette reconnaissance pleinement charnelle et corporelle de l’autre.

Cela est souligné par Danièle Starenkyj dans son ouvrage « Les cinq dimensions de la sexualité féminine » (Orion, 1980) où nous trouvons que la maternité est l’une des dimensions de la sexualité de la femme. J’ajouterai que sa réalisation se passe aussi sur les trois niveaux cités précédemment et peut être purement pulsionnelle, ou aussi socio-psychologique, ou encore ontique. Il importe de comprendre qu’elle peut aussi donc aussi être purement pulsionnelle, autant que toucher les niveaux ontiques. Il en découle que sa non réalisation peut être source de grandes douleurs souvent mal comprises par l’entourage. Le côté pulsionnel peut même être si fort qu’il peut conduire à renoncer à l’autre (ou même à soi) en tant que géniteur et à recourir à des dons d’ovules ou de sperme… pourvu qu’il y ait un enfant ! Naturellement tout le monde ne ressent pas cela de la même façon, de même que tout le monde n’a pas les mêmes besoins sexuels, mais cette composante mérite d’être examinée et prise en compte dans la vie corporelle d’un être (et pas seulement dans sa vie psychique, même si les deux sont intimement liées).

La reconnaissance de « l’autre » comme étant celui (ou celle) à qui l’on veut s’unir corporellement pour avoir un enfant  (chez l’homme, comme chez la femme) représente bien évidemment un des aspects de la sexualité qu’il est essentiel de ne pas négliger dans l’accomplissement du couple. Même à son niveau purement pulsionnel, ce besoin est différent de la composante purement libidinale évoquée plus haut, mais fait partie intégrante de l’élan corporel nous conduisant vers un être plutôt que vers un autre.

Nous trouverons chez l’homme, comme chez la femme, cet élan qui peut reconnaître en l’autre celui (ou celle) avec qui il (ou elle) souhaite profondément avoir un enfant. Nous avons là une réalisation qui, même quand elle n’est que  pulsionnelle, dépasse le simple cadre du plaisir (qui ne manque cependant pas de se produire).

Concernant le vécu de la parentalité, vous trouverez, sous un autre angle, d’importantes précisions dans ma publication de décembre 2001  « La mère et l’enfant »

7.6La sexualité et les vécus antérieurs

Naturellement il convient aussi de prendre en compte que la sexualité s’exprime aussi en fonction des vécus antérieurs. La vie d’un être ne se résume pas à l’instant présent, mais à l’ensemble de son existence où tout influe sur tout !

Qu’il s’agisse de simples faits d’éducation dans lesquels ce qui concerne le sexe aurait été jugé comme malsain et culpabilisant, ou qu’il s’agisse de traumatismes tels que des expériences sexuelles imposées (dans l’enfance comme dans l’âge adulte) ou qu’il s’agisse d’une « première fois » douloureuse ou décevante dans l’adolescence,… tout cela laisse des « marques » pouvant sérieusement influencer la sexualité présente du sujet.

Il ne s’agit alors plus de simplement mieux comprendre la sexualité, mais surtout de donner un soin tout particulier à l’être qu’a été le sujet dans ce passé douloureux, afin de lui rendre une place d’honneur, de le réhabiliter, de ne plus l’occulter. Je ne développerai pas en détails ce sujet dont vous trouverez toutes les nuances dans mes publications d’avril 2004 « Communication thérapeutique », de décembre 2007  « Le positionnement du praticien », de septembre 2008  « Validation existentielle » ou même  d’avril 2008 « Psychopathologie ». Chacun de ces articles indique clairement comment ces antériorités peuvent être abordées pour apporter le mieux être attendu.

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8   Le point de maturité

8.1Le rôle de la communication

Il serait bien illusoire de croire qu’il n’y a qu’à faire ceci, ou faire cela, pour que le couple soit dans une paix permanente. Le couple est constitué de deux êtres chacun en croissance et en accomplissement de soi. Les enjeux réciproques et systémiques produisent les nécessaires tumultes pour réveiller chacun, là où il doit regarder en lui pour se trouver et se réaliser.

Les différents moments de crise se produisent au fil des circonstances de la vie, et sont tous sources de richesse pour un couple où il y a de la communication.

Par contre, sans communication, si chacun vit ses douleurs sans pouvoir les exprimer à l’autre, ou si les exprimant il ne se sent pas compris, il en résulte des souffrances refoulées conduisant, à plus ou moins long terme, à une crise plus forte ou même à la rupture.

Les moments de crise se trouveront déjà dans les circonstances naturelles de l’existence : grossesse,  maternité et paternité, maturité (entre 40 et 50 ans), ménopause, retraite, parents vieillissants, deuil des parents etc., puis dans les circonstances exceptionnelles : difficultés professionnelles, chômage, grossesses non désirées, IVG, maladies de l’un des deux ou d’un enfant, interruption thérapeutique de grossesse…etc.

Il peut se produire toutes sortes de choses qui viennent perturber le déroulement de la vie et qui  nécessitent une grande qualité de la communication pour les surmonter.

La qualité de la communication ne garantit cependant pas un bonheur permanent car les complexités de l’existence sont imprévisibles et fluctuantes, mais sans cette qualité de la communication, il y a très peu de chance pour que le couple trouve le bonheur dans la durée.

S’il y a un point où l’on peut apporter une amélioration, c’est bien celui-ci. Améliorer la qualité de la communication permet de trouver l’équilibre qui nous correspond et de traverser les différents moments de la vie avec un sentiment d’être vraiment ensemble. Le couple constitue alors là une richesse et non une lourdeur, en dépit des tourments auxquels on peut être confrontés.

La qualité de la communication passe par une juste reconnaissance de ce qui se passe en soi (communication avec soi-même) et par une profonde reconnaissance de ce qui se passe en l’autre (validation existentielle).

C’est sur ce point que je propose des stages pour les couples qui souhaitent mieux ajuster leur qualité de communication.

8.2Validation existentielle  de l’autre

La validation existentielle, c’est la reconnaissance de l’autre dans le vécu qui est le sien. C’est « être touché de voir l’autre », sans jamais prétendre le connaître par avance, même si on le connait depuis plusieurs décennies. C’est, quand il nous confie un ressenti, être capable d’en prendre toute la mesure et de le reconnaître sans tenter de le minimiser, mais aussi sans le dramatiser.

C’est adopter une attitude de reconnaissance dans laquelle on est touché et non affecté. On est touché par la confidence, par cette confiance et cette expression de l’autre, par cette intime rencontre de lui-même qu’il nous offre en se confiant… et non affecté par le problème évoqué.

De cette reconnaissance il résulte déjà un apaisement qui peut être suivi d’une réflexion sur les décisions à prendre, les actions à envisager, les solutions à mettre en œuvre. Mais le premier moteur est d’être touché par l’être, et non de se précipiter sur le problème.

Nous retrouvons ici l’art de la reformulation, évoqué plus haut, qui ne consiste pas en la répétition des propos mais en la reconnaissance du sentiment exprimé. Il convient, autant que faire se peut, de ne jamais banaliser une expression intime en pensant « cela, il (ou elle) me l’a déjà dit ». Il s’agit d’avoir toujours présent à l’esprit que si ça se répète, c’est que ça exprime quelque chose qui n’a jamais été entendu. Il convient alors de ne pas manquer de valider cela par une reconnaissance à sa juste mesure.

Le reflexe qui tend à nous faire minimiser une douleur pour apaiser le ressenti de l’autre doit être abandonné car il ne fait qu’augmenter la blessure en y ajoutant le sentiment d’être incompris. Naturellement il convient aussi de ne jamais dramatiser en montrant un effarement. Cela serait tout autant néfaste en donnant le sentiment qu’on est quelqu’un de trop fragile pour recevoir une confidence, et surtout qu’on a plus son attention sur le problème que sur l’être qui a le problème. De ce fait, l’individu ne se sent pas reconnu.

8.3Reconnaissance de son ressenti à soi

Cette validation existentielle de l’autre ne doit pas nous conduire à nier ce que nous ressentons en nous, ni à nous empêcher de l’exprimer. Il n’y a ni à se taire, ni à tout dire, mais il convient de ne pas se dérober devant l’autre. L’autre a besoin que nous existions et nous n’existons que si nous sommes authentiques. Peut être n’est-il pas toujours juste de dire aussitôt tout ce qui se passe en nous, mais il n’est pas correcte non plus de le taire.

Tout ceci ne peut que s’accomplir avec bon sens, sans s’attacher à aucune règle, car il n’y a que la personne en situation qui soit capable de savoir ce qui est juste pour elle (et pour l’autre) à ce moment là. Nous devons cependant considérer que, trop souvent, le fait de refouler ce qu’on ressent (afin de préserver l’autre, ou, moins glorieusement par crainte personnelle des conséquences) nous fait accumuler une douleur grandissante, nous fait paraître ce que nous ne sommes pas, et nous conduit à priver l’autre de notre présence authentique.

De tels refoulements, masquant des choses dont nous voulions ainsi préserver l’autre, ne font que les lui faire ressortir en pleine figure à travers milles occasions qui n’ont rien à voir, mais qui sont d’incontournables et involontaires exutoires : irritabilité sans raison, reproches pour des peccadilles, attitudes ignorantes inexpliquées, désinvestissement de l’autre ou même extinction ostensible de soi pour « montrer néanmoins à l’autre à quel point nous souffrons ».

Je vous invite à ne pas voir dans toutes ces éventualités de graves erreurs. Ce ne sont que des choses habituelles qui ne manquent pas de se produire à un moment ou à un autre dans tout couple.

Le problème n’est pas qu’elles se produisent. Le problème, c’est quand nous n’en avons pas conscience et ne faisons que rester à maugréer dans d’interminables reproches envers l’autre ou dans une culpabilisation de soi.

Une écoute attentive de ce qui se passe en soi permet d’éviter de faire subir à l’autre d’inutiles tourments, et d’être en paix avec soi-même. Eugène Gendlin nous en montre un brillant exemple dans son ouvrage « Focusing ». Dans ma publication de juillet 2007 consacrée à sa démarche, je décris son exemple d’une femme se surprenant à avoir une forte réaction pour la circonstance anodine d’un plat cassé :

Cette personne pique une colère contre son compagnon. Elle-même fut surprise par la force de sa propre réaction. Plutôt que de continuer sa colère ou, au contraire, de la refouler, elle décida de mettre en œuvre le focusing sur ce ressenti. Ne se laissant pas envahir par des fausses causes, elle découvrit, en étant à l’écoute de son « sens corporel » que finalement tout cela n’avait rien à voir avec le plat cassé (même si elle y tenait beaucoup), ni avec son compagnon (même si elle était contrariée par sa maladresse). Elle en arriva à réaliser que c’était la bonne humeur de son compagnon qui la contrariait… et qu’elle ressentait une « jalousie ». Là aussi, en dépit de l’apparence, ce n’était pas le compagnon qui était en cause. Elle ne chercha pas d’ailleurs à le mettre en cause. Elle alla, plus simplement, préciser son ressenti, et aboutit au fait que « c’était l’impression d’être laissée derrière »… puis, plus exactement, « la peur d’être laissée derrière ». Ce qu’elle examinait était désormais bien au delà du plat cassé et elle produisit ainsi en elle un « mouvement corporel » quand elle vérifia « La peur de rester derrière… est-ce toujours ce que j’éprouve ? Oui. La voilà… C’est bien ce que je ressens » (p.57). Ce moment de focusing lui permis ensuite d’aborder ce sujet sereinement avec son compagnon. [Focusing au centre de soi -Editions de l’Homme 2006]

8.4Partage des ressentis

La clé est de savoir partager ses ressentis avec son conjoint, de savoir grandir ensemble, de comprendre que les deux êtres du couple sont en évolution existentielle, et que cela se produit durant toute la vie.

Il s’agit de comprendre que le couple est un inestimable creuset dans cette quête de réalisation de soi, et que quand nous y sommes malmenés, ce n’est le plus souvent que pour mieux nous faire croître.

Naturellement je n’oublie pas les situations extrêmes où les douleurs ou violences (physiques ou psychiques) incommensurables peuvent justifier une séparation salutaire. Je ne me permettrai pas de poser des règles ou des limites à ce sujet car elles appartiennent à chacun. Partout où il y a manque de respect, la situation doit être considérée d’abord pour comprendre, accompagner, permettre un échange constructif pour chacun. Quand cela n’est pas possible, soit du fait de l’un des deux, soit du fait des deux, la poursuite du couple peut se trouver compromise.

Mais en dehors de situations extrêmes justifiant souvent la séparation, dans tous les cas où se trouve une « volonté d’y arriver », le sens du couple doit être considéré dans tout ce qui fait sa richesse, conduisant à la croissance de chacun, en dépit des multiples inconforts apparents.

Il se peut cependant qu’en cas de conflits une médiation soit nécessaire. Il est alors parfois utile de se faire aider par un tiers ayant une compétence pour cela.

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9   Vers une croissance conjugale

9.1Libre de la nostalgie

Il se peut que, dans un couple, on soit habité par une nostalgie. Nous voyons en l’étape passionnelle antérieure une réponse au bonheur. Y retourner semblerait pouvoir solutionner les douleurs d’aujourd’hui. Un peu comme dans le film de Gérard Juniot « Casque bleu » (1994), où celui-ci joue le rôle de Patrick qui, en rupture avec sa femme Alicia (Victoria April), tente de réparer leur couple en refaisant un voyage dans les Balkans, exactement là où ils firent leur voyage de noce. Or, ils ne se retrouvent pas avec les similitudes, bien qu’ils retournent aux mêmes endroits, mêmes restaurants, en prenant les mêmes menus. Ils se rapprochent plutôt, de façon inattendue, à cause des évènements particulièrement différents qui se produisent (la guerre des Balkans) les conduisant à montrer un autre aspect d’eux-mêmes.

Espérer une réparation conjugale par un « retour au départ »,  c’est ignorer les phases de maturation du couple. Quand une phase de maturation bloque, ce n’est pas en essayant de restaurer la passion initiale qu’on peut remettre le couple en marche vers son accomplissement. Il lui faut autre chose. Toute nostalgie concernant l’aveuglement antérieur est vaine. Quand  Cupidon est révélé et ne peut plus « aimer dans le noir », il n’y a pas restauration de l’aveuglement, mais toute une succession d’épreuves pour Psyché qui conduiront à l’amour lucide, en pleine lumière, aux yeux de tous.

Comme nous l’avons vu précédemment, il s’agit d’aller vers plus d’amour lucide et non de restaurer la passion aveugle. Pour arriver à plus de bonheur, le couple se doit d’aller de l’avant et non de retourner en arrière.

Revivre une situation antérieure délicieuse peut avoir du charme, mais ne peut trouver sa place pour « réparer » ce qui n’a pas été entendu après. Ce ne serait qu’une façon d’occulter ce qui a fait souffrir, et le résultat en est forcément décevant. Si par contre cela se vit en mémoire d’un grand moment auquel on rend hommage, alors ça peut trouver sa place. Mais pour occulter et faire « comme s’il n’y avait pas eu de problèmes » ça ne fonctionne pas.

9.2Une subtile complémentarité

Un couple grandit, évolue, se construit. Les êtres qui le constituent croissent chacun selon leur propre humanité à l’œuvre. Les différents chaos qui jalonnent la vie conjugale ne sont que les crises de croissance, et de même que l’adolescent n’aime pas toujours la nouvelle apparence qui lui  est donnée au sortir de l’enfance, le couple n’aime pas toujours ce qu’il semble être devenu. Il doit apprendre à continuer sa vie nouvelle à chaque instant.

Il est extraordinaire que ce qui nous gène chez l’autre soit si souvent ce dont nous avons besoin pour mieux accéder à soi. Loin de changer l’autre (ou pire encore de changer d’autre), il convient alors de ne pas manquer ce qui, en nous, à cette occasion, tente de trouver sa juste place pour nous permettre une plus grande complétude.

Pour cela il convient d’être attentif à une bonne qualité de communication avec soi-même. Curieusement, c’est cette paix avec soi-même qui permet, ensuite, de mieux rencontrer l’autre. J’ai écrit mon deuxième ouvrage en ce sens « Chaleureuse rencontre avec soi-même – Le plus court chemin vers l’autre » (Dangles, 1996).

Il arrive alors fréquemment que l’autre lui-même se mette à spontanément à adopter des comportements différents, car son comportement est lié aux nécessités de notre cheminement et les nôtres aux nécessités du sien. Quand quelque chose change en soi, il se produit spontanément un changement chez l’autre (alors que quand on veut changer l’autre, tout se verrouille).

Il ne s’agit donc ni de changer l’autre, ni de se changer soi, mais « d’accéder à soi » (sans pour autant être individualiste). Il en découle de façon naturelle une nouvelle façon d’être ensemble (d’être vraiment ensemble sans pour autant être fusionnels). Les deux êtres se retrouvent ainsi ouverts l’un à l’autre et ne manquent rien de ce que cela apporte à chacun.

9.3Enfin communiquer

Pour traverser au mieux ces différentes étapes, la qualité de la communication est une base assez incontournable. Il se peut cependant qu’à certains moments, nous n’ayons pas du tout envie d’être communicants. Or, cela ne peut se forcer, car être communicant ne peut qu’être authentique ou ne pas être  pas du tout. Dans ce cas,  il s’agit, comme nous l’avons déjà vu à maintes reprises, d’ouvrir une communication avec soi, à défaut d’avoir l’élan de l’ouvrir avec l’autre.

Mais il se peut également qu’avec soi-même il y a ait une fermeture et que le seul élan disponible soit un élan de fermeture ou de fuite généralisées.

Cela ne se réalise pas toujours aisément et pourtant rien ne peut s’accomplir en force (ni contre soi, ni contre l’autre).

Il importe d’être attentif au point suivant : tant qu’on s’acharne à croire que c’est difficile « à cause de l’autre »,  rien de favorable ne peut se produire. Rien ne peut s’améliorer non plus en pensant que « tout est de notre faute ». Il ne s’agit pas pister des fautes ou des erreurs (que ce soit chez soi ou chez l’autre), ni de dénoncer des coupables, ni  en fait de redresser des torts. Il s’agit plutôt d’accéder au sens, à la justesse, qui se cache derrière ce qui a l’air si gênant.

Pour mettre en œuvre une réelle qualité de la communication, il ne suffit pas de bonne volonté. Il convient de s’y arrêter un peu, et de considérer de quoi il s’agit vraiment. En effet, notre culture ne nous a pas habitués à la communication. Le terme n’a fait qu’être maladroitement galvaudé, sans discernement. Nous n’avons que rarement vu parler de « vraie communication ». Les meilleurs discours sur le sujet ne se sont généralement arrêtés qu’au relationnel. Pour bien comprendre la différence entre les deux je vous invite à lire la publication de septembre 2001sur « L’assertivité »).

Rappelez-vous que la communication c’est quand l’être compte plus que l’information et que la relation c’est quand l’information compte plus que l’être. Contrairement aux idées reçues, la communication se préoccupe de « l’être » alors que le relationnel ne se préoccupe que de l’objet. Dès que l’on argumente et qu’on veut prouver quoi que ce soit, il ne s’agit plus que de relationnel où notre information compte plus que notre interlocuteur. Or pour que ce dernier nous entende il convient d’abord qu’il existe, et pour qu’il existe, il doit se sentir reconnu dans ce qu’il  ressent et non se trouver assailli d’arguments venant nier ce qu’il tente de nous faire comprendre (même s’il s’explique maladroitement).

La communication est quelque chose qu’il est toujours possible d’améliorer pour mieux satisfaire des besoins ontiques qui sommeillent en chacun de nous. C’est là que se tiennent les principaux éléments qui peuvent consolider un couple et lui assurer la juste maturation qui est la sienne.

9.4Des temps précieux

Le couple, pour son équilibre, se doit de ne pas manquer de s’offrir des temps précieux. Naturellement nous devons avoir la sagesse et la prudence de ne pas énoncer une sorte de « mode d’emploi du bonheur », car nous ne devons jamais oublier qu’il appartient à chacun de trouver ce qui lui convient. Or ce qui lui convient n’est pas forcément ce qu’un autre lui propose. Néanmoins, cette notion de « moments précieux » mérite d’être considérée. Ces temps sont au moins de trois ordres :

1/ Un temps pour chacun : il convient que chacun puisse avoir des moments où il met en œuvre des choses qui lui conviennent à lui et qui le ressourcent, même si elles ne correspondent pas à ce qu’aime l’autre. Pourtant, même si cela est important, il est souhaitable, particulièrement ici, de ne pas confondre individuation et individualisme. Le fait que chacun existe dans sa propre nature et s’autorise à vivre ne peut se concevoir au détriment de l’autre. Cette notion de temps pour chacun n’aura de profit que si elle s’exerce sans égoïsme, avec respect de l’autre, mais aussi avec respect de soi. On ne peut éternellement se priver de ce qui nous ressource simplement pour ne pas déranger l’autre, mais il ne convient pas non plus de ne faire que ce qui nous plait sans tenir compte de lui. C’est là toute la subtilité d’êtres qui trouvent une certaine maturité et ne sont ni fusionnels ni distants. Peu importe de quoi il s’agit concernant l’usage de ce temps : jardinage, danse, peinture, bricolage, concerts, sport, médiation, rencontres d’amis, lecture, moments de solitude… etc. De quoi qu’il s’agisse, c’est quelque chose qui ressource l’un et qui ne correspond pas forcément à l’autre, et même dans le cas où cela le ressourcerait aussi, ce peut être simplement le besoin de le vivre seul, comme un instant spécialement pour soi, une sorte de délicatesse avec soi-même (mais toujours dans le respect de l’autre).

2/Un temps d’activité commune : il se trouve aussi des choses qu’on peut avoir le bonheur de faire ensemble. Nous pouvons retrouver ici toutes les « activités » citées ci-dessus (la liste n’est bien sûr pas exhaustive !), mais avec l’élan de les faire ensemble. Faire des choses ensemble qui plaisent aux deux est également important pour un couple. Il convient ici de ne pas être pour autant dans le fusionnel, mais juste dans le fait de savoir éprouver un plaisir, un épanouissement, dans une activité commune. Aussi simple ou aussi sophistiquée que soit celle-ci, du moment qu’elle offre ce moment de vie ensemble où l’on se tourne l’un et l’autre dans une même direction avec bonheur, c’est l’essentiel. Cela donne une connivence, un délice, un sens au fait d’être ensemble. Pourtant ce sens ne trouve vraiment sa place qu’avec le troisième type de temps précieux : le temps de rencontre.

3/Un temps de rencontre : Les activités que l’on fait pour soi, ou celle qu’on fait ensemble, ne sont rien en terme d’épanouissement si l’on n’a pas aussi des temps ensemble où il n’est pas question d’activité quelle qu’elle soit. Il s’agit là de moments privilégiés où l’on n’a pas besoin d’activité, ni d’autres présences, pour se distraire. Des moments où l’on n’a pas besoin de compensations pour masquer un vide. Il s’agit de vrais moments de communication où chacun s’ouvre à l’autre, tant pour l’entendre que pour se laisser voir. Ce sont des moments d’intimité exceptionnels qu’il convient de savoir s’offrir, et sans lesquels l’épanouissement du couple peut être compromis. Or il arrive souvent que ne sachant pas se retrouver face à face dans cette ouverture de cœur, le couple se perde dans un activisme de distractions ou d’invitations d’amis, qui quoi qu’importants aussi, les fasse se manquer. Ce temps de rencontre est celui qui permet souvent de vivre la richesse de la différence. Ce partage des vues sur la vie, de ce qui tient à cœur, de ce qu’on ressent de l’autre ou de ce qu’on ressent en soi, de ce qui nous touche dans l’existence… tout cela se réalise dans de tels moments d’exceptions qui peuvent se dérouler lors d’une promenade, d’un repas au restaurant, ou simplement dans n’importe quel endroit confortable où ce qui compte c’est cette présence de l’autre et de soi dans un élan de rencontre et de reconnaissance. La circonstance n’est ici que l’écrin dans lequel se produit la rencontre, mais elle ne peut en aucun cas être l’essentiel. Il importe cependant que ce soit un moment de tranquillité. Il peut arriver que ces moments  d’exception produisent épisodiquement quelques tumultes, car ces partages sont aussi l’occasion de clarifier des zones douloureuses du fait des différences révélées. Cela ne doit en aucun cas les faire redouter car c’est justement ce qui permet aussi de goûter le meilleur de la « substance conjugale » permettant à chacun de grandir grâce à l’autre et avec l’autre. C’est ce qui permet de ne rien manquer de la saveur de vie qui, ainsi, s’offre à nous.

Pour conclure nous pointerons aussi que ces trois types de moments doivent se vivre dans le respect et l’écoute des enfants  (avec qui il convient aussi d’avoir une profonde qualité de communication). Ces moments doivent aussi trouver leur place au milieu des activités contraignantes du quotidien (les courses, les réparations ou l’entretien de la voiture ou de l’habitat, le repassage, la cuisine, la vie professionnelle, …etc.). Gardant juste à l’esprit que les être comptent plus que les choses, nous aurons donc la délicatesse de nous accorder de nombreuses imperfections pour ne pas nous mettre de pression insurmontable. Il convient seulement, avec modestie, de trouver l’équilibre qui nous convient. Ces quelques lignes n’ont d’autre prétention que de nous interpeller et non de nous donner des leçons.

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Thierry TOURNEBISE

NB. N’hésitez pas à communiquer vos impressions à propos de cet article à tournebise.thierry@maieusthesie.com. Un projet  de stage "Vivre son couple", concernant la qualité de la communication dans le couple, est en cours. Si cela vous intéresse, vous pouvez le faire savoir à cette même adresse émail et vous serez informé des dates.

 

 

Les propos de cette publication

 

Saint Valentin 2009

Saveurs conjugales

La rencontre de deux êtres
Ayant une intuition d’amour
Entre séduction et paraître
Oscille au fil des jours

L’invisibilité et l’aveuglement
Leur permettent de se côtoyer
Pour à ce monde naître patiemment
Au-delà de l’image idéalisée

 Quand ils s’éveillent ils se découvrent
Avec stupeur ou déception
Et c’est enfin « là » que chacun s’ouvre
A l’amour plus qu’à la passion

Les feux initiaux si flamboyants
N’étaient que les clinquantes prémices
De cet inattendu jaillissement
Libre des artifices

Le lumineux premier éclat
N’était que petite flamme
Comparé à ce qu’ils voient
Quand ils ouvrent leurs âmes
 

La véritable rencontre s’accomplit
Pour goûter l’inestimable saveur
De deux êtres révélés et unis
Dont les différenc(es) caressent le cœur

Thierry Tournebise
02/02/2009

© copyright Thierry TOURNEBISE