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Apaiser violence et conflits 1/3

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Animalité et Humanisation

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Progrès et insuffisances

Pour savoir apaiser la violence, il est utile de mieux la comprendre. Très ancienne, elle habite l’Homme sans doute depuis ses origines. Mais en même temps, malgré cette pulsion ancestrale, il ressent la nécessité de trouver un autre mode de rapport à autrui, sans vraiment y parvenir.

Etre plus dans l’humanisation que dans l’animalité semble un enjeu majeur de son évolution, dans lequel chacun de nous navigue tant bien que mal de tentatives en contradictions successives.

Cet article permettra de mieux approcher ce phénomène et de mieux faire face aux situations de violence habituellement rencontrées. Ceux dont le métier consiste à s’occuper de ces dérapages comportementaux, y trouveront d’importants compléments à leur pratique.

Un mieux au milieu de la tempête

La violence semble très présente dans le monde actuel. Les journaux et la télévision nous le rappellent constamment, au cas où nous risquerions de l’oublier!

Pourtant, quoi qu’on en dise, d’immenses progrès se sont accomplis depuis au moins deux siècles. Abolition de l’esclavage, réglementation de la guerre et dénonciation des crimes contre l’humanité, reconnaissance des droits de l’Être Humain, plus de considération envers la femme, prise en compte du vécu des enfants, droits sociaux…

Même si cela, hélas, est loin d’être le cas partout sur la planète, même si cela est loin d’être parfait chez nous, les avancées sont importantes et ne doivent pas être ignorées.

Quand j’entends dire «c’était mieux avant…» je ne peux partager cet avis. Nous avons plutôt bénéficié de beaucoup de progrès en matière de reconnaissance des individus, mais ce n’est pas pour autant que la situation actuelle est satisfaisante.

Peut mieux faire !

Malgré ses multiples tentatives d’amélioration, il semble que l’homo sapiens peine à s’humaniser.  La violence reste une préoccupation importante et la façon de s’y prendre est trop souvent maladroite.

Rappelons nous à quel point la violence a toujours habité la plupart des cultures humaines. Elle a beau changer de visage, elle reste présente. Il semble toujours en subsister une trace discrète dans chacune des solutions envisagées, qui parfois se mêlent les unes aux autres.

Beaucoup de progrès restent à faire. Chacun de nous peut en être le modeste artisan là où il se trouve. La vraie révolution en ce domaine consiste en de petites choses en apparence anodines, qui modifient pourtant complètement le quotidien. Il ne s’agit pas de grandes idées mais de nuances fondamentales appartenant à chacun d’entre nous.

Différents visages
d’une constante historique

Barbarie initiale

Pendant des siècles, la façon de résoudre une difficulté avec un « autre » était simplement de l’anéantir. Trancher le cou du voisin indésirable ou y mettre le feu paraissait être la solution la meilleure et la plus radicale. Le plus fort faisait alors loi au détriment du plus faible.

Cette manière de vivre les rapports humains reste évidemment  dans l’animalité avec des parfums de proies et de prédateurs. L’homo sapiens, plus sapiens que jamais, utilise là son intellect uniquement pour sophistiquer ses façons de tuer et non pour s’humaniser. Sa façon de régler le problème de la violence de l’autre est alors de lui infliger une violence encore plus radicale.

Puis vient une première tentative moins extrême.

Garde-fous invisibles et détournements

Cette barbarie constituant un danger social, notre crô-magnon amélioré s’est affublé d’une menace divine pour s’auto canaliser. Les nouveaux garde-fous, à défauts de gardiens de la paix, sont désormais dans l’au-delà où siège «un Être voyant tout le monde, de partout et en tout temps». Celui-ci saura alors punir ultérieurement ceux qui manquent à la règle du respect d’autrui.

La cohabitation et la sécurité s’en trouvent un peu améliorées. Mais quand cet «Être céleste qui voit tout» se charge de détruire les «méchants», nous remarquons que la peur et la destruction restent tout de même des fondements constants. Ils ont juste changé de main.

Dans cette continuité, il n’est donc pas étonnant de trouver des groupes de personnes poussant leur idéologie jusqu’à décider de la vie ou de la mort d’autrui. Un monstrueux détournement qu’ils utilisent pour justifier l’horreur de leurs actes. C’est ainsi que nous avons vu, encore en ce début de XXIe  siècle, des fanatiques préconiser et accomplir la destruction d’innocents «en toute bonne conscience» au nom de convictions qui se veulent initialement généreuses, mais totalement détournées vers une affligeante inhumanité.

S’ajoute alors un nouvel essai d’adoucissement.

Morale… et culpabilisation

Il arrive, heureusement, que la morale évite ces dérives. Mais quand nous n’assistons plus aux excès décrits ci-dessus et quand la peur du jugement céleste a fait son travail, la violence ne fait encore que changer de nature. Elle se présente maintenant sous forme de culpabilisation. Elle se transforme alors en violence contre soi-même.

Même dans les versions les plus laïques de la morale,  le respect de l’autre est acquis comme étant une valeur juste. De ce fait, toutes les pulsions qui portent involontairement à mépriser autrui (du genre « celui-là, je lui tordrais bien le cou »), deviennent source de mépris de soi par soi-même.

Ainsi l’ennemi n’est plus l’autre, mais soi-même entraîné dans cette faiblesse de pulsion destructrice. Il ne s’agit plus alors de développer une puissance contre autrui, mais une puissance contre soi. Il est ainsi généralement recommandé de se maîtriser, de se dominer, d’être plus fort que «ce mal en soi qui nous pousse au mauvais».

La violence a alors encore changé de nature : elle devient une violence contre soi… jusqu’à parfois ne plus exister,  enfouie sous de nombreux refoulements.

Pour un peu libérer de cette culpabilisation arrive le troisième essai.

Psy, déculpabilisation et ruptures

Les refoulements de violence sont alors pistés par les psy. Plutôt que de nous laisser culpabiliser, ces derniers nous expliquent qu’il s’agit de notre inconscient.

Il s’y trouve notre enfance où nos parents ont trop fait ceci ou pas assez cela. Nous en avons été meurtri et cela explique nos pulsions (vous voudrez bien excusez ce résumé un peu réducteur).

Dans le «meilleur des cas» le nouvel ennemi est cet inconscient qu’il va falloir «nettoyer». Nous devons alors faire la chasse aux mauvais moments pour «s’en libérer», pour « résilier » tous ces « contrats d’attachement avec le  "mauvais" passé ». Cela nous conduit malencontreusement à rejeter ce que nous avons été et altère notre structure psychique.

Dans le pire des cas, les nouveaux ennemis sont devenus les parents… et notamment la mère si longtemps fustigée par des approches psy très maladroites. C’est encore hélas trop souvent le cas. 

Dans mon cabinet ou dans mes stages, j’entends de nombreuses personnes se plaindre que leur psy les ait conduit vers une telle fracture avec leurs parents (ou même vers leur culpabilisation en tant que père ou mère quand il s’agissait d’aider leur propre enfant). Naturellement, ce n’est pas toujours le cas. Mais le dérapage est hélas trop fréquent et fait un peu honte à la profession psy.

Croyant éloigner la culpabilité, ici une nouvelle violence est née : celle contre ses origines, contre ses ascendants. Or rejeter ceux dont on est issu nous laisse dans un vide douloureux et inacceptable.

Nous retrouvons ainsi la violence qui ne fait encore que changer de cible.

Verni,  polissage, ses dessous et ses soupapes

Plus ou moins immergé dans toutes ces tentatives, (mêlées ou successives), l’être humain tente de trouver ses marques. Il s’ajuste au mieux pour vivre avec ses parents, avec l’école, avec ses copains… puis, dans sa famille, dans son couple, avec ses amis, au travail où il rencontre collègues, clients, hiérarchie… et aussi avec lui-même (et ce n’est pas le plus simple).

Ses pulsions sont masquées sous un vernis de bienséance, et le polissage a fait son œuvre. L’individu étouffe alors sous ses différentes couches, derrière ses différents masques et dans ses différents conflits sans cesse déplacés mais jamais apaisés (puisqu’on ne lui parle que de maîtrise).

Quand le bouillonnement intérieur est trop fort il lui arrive d’exploser. L’humain alors décompense, il se débride, il se lâche. Nous voyons ainsi resurgir le visage de la violence. Ce n’est en fait que l’expression de douleurs trop longtemps refoulées.

Tout va bien apparemment en surface… mais quand le barrage lâche, ce qui au départ n’aurait été qu’un petit ruisseau devient une vague dévastatrice.

La violence présente est toujours le résultat  de ce qui n’a pas été entendu. La violence présente est la réponse ultérieure à une violence antérieure qui n’a pas été digérée.

Pour apaiser la violence, il sera fondamental de réhabiliter la raison de cette violence. Il conviendra de le faire sans qu’il n’y ait pour cela besoin de crises. Vous verrez dans les lignes qui vont suivre que cela concerne notre quotidien ordinaire.

Même en situation de crise, voir de crise extrême, cette considération accordée à la raison de la violence est un moyen efficace. C’est une façon de faire retomber la pression sans passer par une explosion… et même d’éteindre un processus explosif en marche.

Il n’y a rien de plus maladroit que de vouloir calmer la violence car on ne fait alors que l’attiser. Ce qui convient ce n’est pas de calmer la violence, mais d’en valider la raison. La pression diminue alors  aussitôt.

Une évolution lente

L’intellect au service de l’animalité

L’homme est debout depuis 1000 000 d’années  avec l’homo erectus. Puis il commence à savoir et penser vers -100 000 ans   avec l’homo sapiens néanderthal qui enterre ses morts, mais dont la branche s’est éteinte. Ce n’est que plus tard, 40 000 ans avant notre époque, que son esprit s’affirme avec l’homo sapiens cro-magnon qui est artiste (branche dont nous descendons). Il n’y a que 10 000 ans, avec l’homo sapiens sapiens, qu’il a abouti au penseur conscient (celui qui sait qu’il sait). Le sapien était littéralement celui qui sait. Le sapiens sapien, lui,  est celui qui sait qu’il sait.

Les processus d’évolution sont lents pour arriver à ce jour où l’intellect est encore majoritairement utilisé…surtout pour être plus fort qu’autrui.

La sophistication des moyens de détruire n’est pas une preuve d’humanisation. L’intellect est seulement là comme un nouvel outil, plus performant que les griffes et les crocs, donnant à l’animalité une certaine supériorité…

Même sans parler d’armement, des tas de stratégies sociales modernes sont basées sur ce vestige de l’évolution fondé sur un concept de proies et de prédateurs

Modernité de l’archaïsme guerrier

Etre fort, se maîtriser, développer son énergie, éliminer ce qui nous encombre, être battant et convaincant… voilà quelques préceptes apparemment modernes qui, en vérité, sont des fossiles de notre animalité.

Dans notre culture de la lutte, il peut sembler inconcevable que d’entendre la raison soit plus performant que de la combattre (que cette raison soit en nous, ou chez l’autre).

Pour une conversation, on dira qu’il faut être armé, qu’il faut aller à un entretien en ayant des munitions, qu’il faut savoir être fort, que l’on doit être convainquant (c’est à dire imposer ses idées)… Toujours la force, toujours la lutte, toujours l’énergie seront déployées contre l’autre afin de tirer avantage de la situation.

Chercher l’éradication est en effet un réflexe culturel qui nous éloigne de l’attitude efficace.

Pour gagner en performance, il ne s’agit pas de devenir plus fort ni de disposer de plus d’énergie pour mieux lutter. Il s’agit plutôt de gagner en lucidité et de mieux s’ouvrir à la raison… à la raison de la violence. 

Vers l’homo sensibilis

Voilà donc 10 000 ans que l’homme est Homo sapiens sapiens (homme qui sait qu’il sait). Il est sans doute temps de passer à l’étape suivante qu’on pourrait appeler l’homo sensibilis (homme sensible).  A ce sujet, il est important de na pas confondre l’émotivité (être embrouillé par l’imaginaire) et la sensibilité (être ouvert à la réalité). L’une nous coupe du monde, l’autre nous ouvre au monde.

L’homo sensibilis serait d’une autre nature. Il deviendrait l’homme qui sait qu’il ne sait pas. Voir à ce sujet l’article d’avril 2001  le non savoir source de compétence. Cela consiste en une grande évolution. Prendre le risque du non savoir est une source fondamentale de progression. Le véritable apprentissage passe par l’acceptation du non savoir, particulièrement en ce qui concerne les rapports humains.

Mais accepter le non savoir, c’est prendre un risque que l’animalité du sapiens sapiens ne supporte pas. L’animal sauvage est toujours aux aguets, en quête de proies ou en crainte de prédateurs. Dès qu’il dispose d’un intellect, il a besoin de se persuader qu’il sait pour échapper à ses peurs. Il engendre ainsi des excitations réflexes (style réaction de Pavlov) qui assureront des réactions de survie prédéfinies… mais souvent inadaptée à la réalité présente.

L’habitude de l’homme, soit disant évolué, est de croire qu’il connaît autrui en se mettant à sa place. Il passe ainsi plus de temps à imaginer l’autre qu’à le rencontrer. Je vous recommande à ce sujet de lire l’article de novembre 2003 le piège de l’empathie.

Acceptant de ne pas savoir, l’homo sensibilis utilise cette fois non plus son intellect mais son ouverture d’esprit, pour trouver l’attitude juste avec ses congénères.

Nous vivons certainement actuellement cette phase de l’évolution où commence à émerger une autre approche des rapports humains. Les philosophes, puis les psy s’y sont employés, tout en restant trop souvent accrochés aux écueils du sapiens sapiens, toujours empêtré dans le surdimensionnement de son intellect.

Les nouvelles nuances naissent petit à petit et il convient de savoir naviguer dans ce double monde du sapiens sapiens et du sensibilis pour trouver sa place dans la société… et surtout pour se trouver soi-même, alors que nous sommes si souvent exposés aux nombreux «bazookas» de la violence qui nous entourent ou qui nous habitent.

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