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Stress et travail

La joie et la blessure

Octobre 2009     -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

 

Mieux comprendre les  Risques Psycho Sociaux

 

Sommaire

1 De la joie à la blessure 
-Sources de bonheur
-Sources de blessures

2 Producteur, production, productivité
-Le sujet et l'objet
-Le producteur et la production
-De l'objet vers lhumain
3 Le management
-La peur source d'inefficacité
-La non considération source de stress
-La considration artificielle
-La possible authenticité

4 La communication

-Le lien et l'ouverture
-Saveurs, fadeurs et fadaises
-La validation source de compétence
-Validation même en situations d'erreurs
-Une finaité humaine

Le stress au travail
-Les souffrances
-Les conséquences
-Le suicide
-Le stress
6 Les formations sur le stress
-Ne pas se tromper de cible
-Une remlise en cause valorisante
-De la remise en cause à la mise en œuvre 

Bibliographie

 

 

1   De la joie à la blessure

1.1Sources de bonheur

Concernant le travail, nous pouvons parler de joie, car qui a manqué d’avoir un emploi peut dire le bonheur éprouvé quand il en trouve enfin.

Pourtant, une fois cet élan d’enthousiasme passé, après quelques années, ou même parfois seulement quelques mois, il s’installe souvent un sentiment de morosité… sauf pour ceux qui ont eu le bonheur de se trouver là où leur profession leur donne un sentiment d’accomplissement.

Le travail, qui représente toute la vie durant une certaine pénibilité, conduit parfois à espérer le doux temps de la retraite… et pourtant, une fois arrivé, ce moment de liberté déroute nombre de séniors qui, dépourvus d’un statut professionnel, peinent à trouver leur place dans cette nouvelle situation sociale.

Avoir une activité professionnelle comporte donc une ambivalence, car d’un côté il est évident que nous en avons besoin (et pas que pour des raisons financières), mais d’un autre côté, nous verrons un peu plus loin comment le sentiment agréable se désagrège, pour aboutir à une situation confuse où il arrive même parfois (ou souvent) qu’on se mette à détester ces 35 heures hebdomadaires de sa vie.

Un enseignant en médecine du travail, Philippe Davezies*, nous donne quelques éléments indiquant ce qui fait que l’homme aime le travail :

*Enseignant à l’Université de Lyon I
chercheur associé au laboratoire de psychologie du travail du CNAM

« Il n'y a de travail qu'humain. La machine est capable d'exécution. L'homme seul travaille, et jamais comme une machine. Travailler impose de sortir de l'exécution pure et simple. Il n'y a pas de travail d'exécution. Il ne suffit jamais de faire comme on a dit. Il ne suffit pas d'appliquer les consignes. Il ne suffit pas de mobiliser l'intelligence théorique. Il faut interpréter, improviser, ruser, tricher... il faut faire appel à l'intelligence pratique, à l'intelligence de l'action. » (Extrait de "Éducation permanente n°116/1993-3 page 37")

C’est cette créativité à l’œuvre dans le travail que Monsieur Davezies pointe comme source principale d’attrait chez l’homme. Dès qu’on veut faire de l’homme un exécutant, il se met à ne plus aimer ce qu’il fait… où alors il faut que ce soit à petite dose.

Naturellement comme nous le verrons un peu plus loin ce n’est pas la seule cause loin s’en faut. Cependant, je pointe ici que des études ont montré que l’homme aime le travail dans la mesure où on lui permet d’y exprimer une certaine créativité. Remplacer un homme par une machine conduit à constater que, lui, gérait une foule de paramètres que la machine ne prend pas en compte... car, elle, n’a aucune créativité, alors que l’humain est capable d’improviser, de s’ajuster, d’adapter.

D’autres points rendent le travail source de vie et de bonheur. Si nous examinons les besoins selon Maslow (voir en détail ma publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow »), nous constatons que faisant partie d’une entreprise et d’une équipe, le travail satisfait le besoin d’appartenance (être accueilli et se fondre dans la masse). Quand il y a une promotion ou une valorisation de la tâche et des résultats, le travail satisfait le besoin de reconnaissance (développement de l’ego). Il s’agit là d’un besoin de se distinguer dans le groupe. Puis quand il y a conscience de l’utilité et de la justesse de ce qu’on fait pour satisfaire d’autres personnes, il y a satisfaction au niveau des besoins ontiques (ce sont les besoins concernant l’accomplissement, la justesse, l’harmonie, l’amour…etc.). Nous arrivons là à un sentiment d’accomplissement de Soi.

Ce sentiment d’accomplissement de Soi est à ne pas confondre avec le développement de l’ego. Le Soi concerne le niveau ontique des besoins (l’existentiel) alors que le moi, l’ego, concerne les besoins socio psychologiques (Maslow). Ceux qui veulent mieux cerner cette nuance capitale entre le Soi et l’ego, c'est-à-dire entre le Soi et le moi, peuvent lire ma publication de novembre 2005 « Le ça, le moi, le surmoi et le Soi »).  

Maslow n’a jamais parlé de pyramide des besoins, contrairement aux propos de nombreux ignorants à son sujet, mais de hiérarchie des besoins, soulignant qu’ils sont tous là simultanément, en proportion plus ou moins grande, tous partiellement satisfaits et partiellement insatisfaits. Il souligne aussi surtout qu’une satisfaction au niveau ontique permet de mieux supporter des frustrations aux niveaux des autres besoins.

1.2Sources de blessures

Un être humain qui met en œuvre sa créativité, qui fait partie d’une équipe qui l’accueille, qui peut s’y distinguer en y trouvant une reconnaissance, et qui sait que sa production sert à d’autres êtres humains… un tel individu se trouvera en situation favorable pour aimer son travail et s’y sentir bien, même si sa tâche comporte certaines pénibilités.  En effet, dans ce cas, les pénibilités ne seront plus pour lui que quelques défis de l’existence venant renforcer son sentiment de réussite. Il n’en éprouvera que de saines fatigues et non un épuisement irrécupérable.

Il n’échappera à personne que cette situation idyllique est bien rare et que le plus souvent, il n’est pas facile d’être bien accueilli dans une équipe, qu’il est encore plus délicat de s’y distinguer (ou alors au détriment d’autrui… et comme chacun fait ainsi ça ne renforce pas la cohésion), et que le sens et l’utilité de ce qu’on fait, sont dilués dans le brouillard d’un organigramme où les fonctions sont à la rigueur perceptibles (et encore !), mais pas les êtres qui occupent ces fonctions. Nous en reparlerons plus loin dans le chapitre « Le sujet et l’objet » où le manque de distinction entre « le quelqu’un » et « le quelque chose », même s’il est involontaire, est source de bien des désinvestissements professionnels.

Il est vrai que pour être efficace, il convient d’objectiver (mesurer des objets) un certain nombre de paramètres, pour dégager ce qu’on appelle le fameux « tableau de bord » dont la lecture permet de mieux conduire l’entreprise ou le service.

Au niveau national, nous avons ainsi par exemple le fameux PIB (produit intérieur brut) faisant partie de données du tableau de bord permettant de conduire l’économie d’un pays. Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie remet pourtant actuellement en cause ce PIB, car celui-ci peut être « bon » sans pour autant laisser apparaitre un disfonctionnement économique majeur. Il nous invite même à davantage tenir compte de paramètres de bien être et non plus seulement de paramètres économiques (les deux étant plus intriqués qu’il n’y paraît). Nous en avons eu un excellent  exemple avec la fameuse crise actuelle qui aura au moins eu pour mérite de nous interroger au sujet de nos vieilles croyances et de nous conduire à plus de lucidité... Rappelons nous que des indicateurs (chiffres objectifs résultant de mesures) peuvent masquer la réalité que pourtant ils sont sensés révéler. http://www.letlegramme.com  cite un exemple donné par la commission Stiglitz « une circulation perturbée fait augmenter la consommation d'essence des voitures, et par conséquent, le PIB. Pourtant, elle n'améliore pas la qualité de vie ». 

Dans cette frénésie de vouloir tout objectiver, tout mesurer, afin d’optimiser les performances et de ne rien gaspiller, nous arrivons souvent à des contre performances. Cela a particulièrement bien été pointé par l’économiste Maya Beauvallet  dans l’ouvrage qu’elle nous propose : « Les stratégies absurdes – Comment faire pire en croyant faire mieux » (Seuil, 2009). Nous y voyons de nombreuses situations où les mesures de certains paramètres nous ont éloigné de l’essentiel et ont saboté gravement la qualité de la production, tout en maintenant l’illusion que « ça devrait aller mieux ». Nous y voyons que cela touche la politique, l’éducation, l’hôpital, l’entreprise, le sport… etc. Aucun secteur ne semble épargné.

La créativité source d’accomplissement et de joie pour l’homme est mise à mal par la rigueur des protocoles visant à préserver certains indicateurs « objectifs » dûment choisis. Ces indicateurs, devenant sans qu’on s’en aperçoive plus importants que la production elle-même, nous éloignent progressivement de la réalité (que pourtant ils sont sensés représenter) et sabotent à la fois la qualité de ce qui est produit et la motivation de celui qui produit, car il ne produit plus que des indices.

La tâche du cadre ou du directeur dans ce contexte n’est pas aisée, car il finit par plus regarder le tableau de bord que la réalité et devient pareil à un chauffeur qui, par peur des radars, surveille plus l’aiguille indiquant la vitesse que ce qui se passe sur la route. Tout le monde sait que la vitesse est un fléau, mais nous ne devons pas perdre le bon sens et continuer à regarder la route ! Les chiffres, sensés représenter la réalité, nous conduisent ainsi insidieusement dans un monde virtuel et nous coupent progressivement de celle-ci.

Naturellement je me garderai bien de dire qu’il ne faut pas de chiffres. Il est absolument nécessaire d’objectiver un certain nombre de paramètres… mais nous devons être vigilant à ne pas quitter la réalité des yeux (et même du cœur) au risque d’aboutir à de fâcheuses contre productions et, pire encore, à d’insoutenables blessures

Tout cela conduit en effet à des blessures. Blessure de ne pas se sentir suffisamment accueilli dans l’équipe, blessure de ne pouvoir s’y distinguer ou de ne s’y distinguer que maladroitement au détriment d’autrui, blessure de faire quelque chose qui ne sert à rien d’autre qu’à des chiffres, blessure ne pas avoir le sentiment d’exister aux yeux de l’autre… cela conduit à une désespérance qui, si elle vient en plus s’ajouter à quelques soucis de la vie personnelle, peut aller jusqu’à envisager de se donner la mort… Nous en avons de tristes exemples dans certaines entreprises ou dans certains secteurs de la fonction publique, où dépression alcool et suicide sont trop présents. La médecine du travail ne peut que s’en désoler car il ne s’agit pas simplement de l’individu à soutenir (même s’il est souhaitable de ne pas manquer de le faire), mais d’un système à revisiter.

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2   Producteur, production, productivité

Le producteur c’est celui qui « est » (c’est quelqu’un), la production c’est ce qu’il « fait » (c’est quelque chose) et la productivité est ce qu’il fait en un temps donné (rapporté à des notions de quantité et de temps). Celui qui manage doit urgemment retrouver ce qui est la véritable source.

2.1Le sujet et l’objet

Les notions de sujet et d’objet sont au cœur de nombreuses réflexions en philosophie et en psychologie, mais elles le sont aussi implicitement dans la vie sociale ordinaire et même dans nos multiples rapports humains et dans notre communication de tous les jours. Nous les retrouvons de façon très aigue dans le monde professionnel.

La question est « qu’est ce qui mobilise notre attention prioritairement : est-ce le quelqu’un ou le quelque chose ? »

Il est évident que la qualité des objets joue un rôle dans notre vie et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles ce qui est objectal et objectivable (ce qui a trait à l’objet, ce qui est objectif) a progressivement pris tant de place…. Pour ne pas dire quasiment toute la place !

Une maison, un pont, un hôpital, des vêtements, des voitures… chacun de ces objets (et bien d’autres) doivent être fiables et nous rendre dans la vie les services que nous en attendons. Pour optimiser leur qualité, il convient de mesurer un certain nombre de paramètres et de vérifier que leurs valeurs sont correctes. Dans ces domaines, la subjectivité n’a pas trop de place ! C’est ainsi qu’on peut les produire et en bénéficier.

Nous ne devons cependant pas oublier que pour les fabriquer, il faut des êtres humains. Depuis le concepteur jusqu’au plus modeste ouvrier, chacun contribue à sa réalisation, sans oublier le commercial, l’encadrement, les directions …etc.

La question est de savoir à partir de quand l’« objet qui était au service de l’humain » bascule dans un système où cela devient l’« humain qui est au service de l’objet ».

2.2Le producteur et la production

La confusion s’est progressivement installée. Dans sa jubilation objectale, et dans sa quête d’objectivabilité, l’humain en est même arrivé à recommander de « savoir se vendre » pour réussir dans son métier et trouver une bonne embauche… il s’est lui-même fait « objet de transaction ». Comme un caméléon se fondant dans la masse des objets… il devient ainsi lui-même objet !

Nous relèverons que celui qui achète devient propriétaire  de son achat et qu’une telle terminologie est inacceptable concernant l’être humain. Personne ne peut être propriétaire de qui que ce soit. Avec ces quelques mots en apparence inoffensifs et si longtemps martelés comme une « vérité », l’homme s’est rendu objet sans s’en rendre compte. Une sorte de Pinocchio à l’envers : l’humain devenant pantin.

Naturellement ce ne sont là que des mots, mais il y a aussi les attitudes et les choix d’orientation. Nous retrouvons ainsi les professionnels rivés sur des mesures, sur des chiffres et des tableaux de bord ! Pareils à des adolescents victimes d’un excès de jeux virtuels, la réalité de la vie a fini par se dérober à leur regard.

Il est curieux que pendant si longtemps l’idée de « savoir se vendre » ait été promue et que si peu de monde n’ait relevé qu’un être ne se vend pas, mais qu’il vend seulement ce qu’il produit.

Un employé vend ce qu’il produit à son employeur (qui est alors le propriétaire de la production) mais l’employé, lui, ne se vend pas. D’autre part il loue sa compétence car l’employeur n’est aucunement propriétaire, non plus, de la compétence, il n’en est que le locataire. Il s’agit là d’une transaction correcte où la compétence est louée et où la production est vendue, mais où le producteur reste propriétaire de lui-même et n’est jamais à vendre. Certains rétorquerons « oui, mais on comprend ce qu’on veut dire par là ! »… mais ces mots ne sont tout de même pas heureux et reflètent un effritement de la conscience envers l’humain.

Ce point est particulièrement intéressant à considérer dans le management. Pour un cadre ou un directeur, il y a un objectif de production à atteindre. Pour atteindre cet objectif de production (quelque chose) il lui faut au moins un producteur (quelqu’un). Il est très clair que sans producteur il n’y aura pas de production et que le producteur est ce qui précède la production.

Celui qui manage devra donc tenir compte du producteur en priorité par rapport à la production. Il devra remarquer attentivement le séquençage du processus : Le producteur existe avant la production, et pour exister, il doit d’abord se sentir considéré. Ainsi pour obtenir « l’objet production » celui qui manage devra commencer par de la considération envers le « sujet producteur ». Recevoir de la considération ne consiste pas ici en le fait de recevoir les honneurs ou des récompenses, mais  juste en le fait d’être considéré comme un être humain à part entière.

Une grande partie du stress au travail n’est pas dans le travail lui-même, mais dans les rapports humains où l’individu n’a plus l’impression d’être quelqu’un. Comme certains le disent « on est des pions ! ».

Autrefois on était sensé gagner de l’argent avec le travail, maintenant les gains sont obtenus par des économies de stock ou de personnel que l’on déplace sans égards. Au lieu d’avoir une économie basée sur une dynamique de travail, on a une économie basée sur la rétention, le resserrement et le réassemblage.

Naturellement tout participe à l’efficacité, et la notion de gestion aussi est très importante. Le seul point qui fâche, c’est que gérant prioritairement l’objet, on a fini par oublier l’humain… tout en parlant pourtant abondamment de ressources humaines.

2.3De l’objet vers l’humain

Nous pouvons déjà pointer que le défi est de rendre à l’humain la place qu’il mérite. Et pour simplifier le propos sans pour autant être simpliste, nous remarquerons que l’humain se trouve à tous les stades. Nous avons vu qu’en premier il y a le producteur en tant qu’individu. En bout de chaine nous constaterons qu’il y a le client aussi en tant qu’individu. Même si la production est généralement un objet ou un service, qui sont mesurés pour être satisfaisants, la finalité c’est toujours la satisfaction d’un client qui finalement est lui aussi un individu.

Cela nous amène également à considérer la politique commerciale de l’entreprise : celle-ci envisage-t-elle  de réaliser son chiffre d’affaire grâce à la satisfaction des individus que sont les clients, ou bien en les leurrant avec des produits qui ne sont pas ce qu’ils prétendent.

Là où il y a de l’humain considéré, le fonctionnement se fait en synergie forte, c'est-à-dire que ce qui profite à l’un profite en même temps à l’autre. Là où il n’y a que de l’objet, le fonctionnement se fait en synergie faible, c'est-à-dire que ce qui profite à l’un dépossède plus ou moins l’autre. Abraham Maslow a parfaitement développé ces notions de synergie et des études ethnologiques en ont étudié les rouages. (Publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow », chapitre « Notions de synergie »)

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3   Le management

Ainsi, trop souvent, le management se préoccupe plus de gestion que de ressources humaines. D’ailleurs le mot « gestion des ressources humaines » comporte une ambigüité (qui n’est cependant pas gênante  quand l’humain reste au cœur des motivations). Qui dit « ressources humaines » n’est pas sensé sous-entendre « matériaux humains ». La ressource humaine, c’est l’adaptabilité, la créativité, l’initiative, l’esprit d’équipe, de service… etc. Pour que ces ressources soient opérationnelles il convient de ne pas les éteindre.

Or il semblerait que ces petites lumières du monde professionnel se soient éteintes les unes après les autres par la priorité objectale omniprésente.

3.1La peur source d’inefficacité

Une croyance rependue est que pour obtenir ce qu’on veut il est souhaitable d’obtenir une soumission. Affaiblir, diviser, rendre craintif, sont ainsi des moyens d’y parvenir.

J’ai vu des directeurs prendre de graves sanctions « pour l’exemple » afin qu’ensuite « tout le monde se tienne bien ». Situation doublement grave puisque, souvent, les sanctions étaient plus justifiées par ce besoin de management par la peur, que par la réalité de la faute de la personne sanctionnée.

Cette soumission de personnes tremblantes ne peut en aucun cas conduire à une production de qualité. Tout ce qui fait l’humain, son sourire, sa créativité, la bonne ambiance qu’il met dans un service, sa collaboration, ses improvisations, ses ajustements, sa solidarité… etc. …tout cela disparait et le producteur ne devient plus que l’ombre de lui-même. Il se trouve qu’une ombre, ça ne produit pas grand-chose ! Celui qui devient (dans le meilleur des cas) « sage comme une image » ne produit plus rien, car une image ça ne produit rien. Le cadre ne se retrouve alors qu’à encadrer une image… était-ce le but ?

Un tel management va tout simplement contre le bon sens le plus élémentaire. Mais comme nous l’avons vu, la quête objectale des choses et des mesures a fini par nous rendre aveugle à l’humain et à substituer le virtuel au réel.

Ceux qui se sont fourvoyés dans un tel management se doivent de recontacter la réalité. Il est urgent pour eux de réaliser que toute atteinte à l’intégrité de quelqu’un par un propos désobligeant, ou par une injustice, conduit celui-ci à effondrer son énergie et son potentiel de productivité. Dans le meilleur des cas, quand il lui reste malgré tout de l’énergie, ce ne sera que pour se rebeller. Ainsi cette énergie n’est plus à la disposition de la production, mais à celle de la colère (contagieuse) qui peut n’être que verbale ou latente, mais qui peut parfois aller jusqu’à éclater dans la violence et produire des actes regrettables. Quand cette violence ne peut même pas s’exercer envers autrui, elle peut alors s’exercer contre soi-même et nous retrouverons ces fameux suicides dont nous parlons tant aujourd’hui.  

3.2La non considération source de stress

L’absence de considération, ou même le dénigrement, sont des éléments majeurs dans la souffrance professionnelle. Un travail pénible, quand il se fait dans une atmosphère de reconnaissance, de considération et de gratitude, est bien plus supportable que s’il se fait dans l’indifférence ou le dénigrement.

Cette déshumanisation du management conduit les membres des équipes à se désinvestir progressivement de leur travail, qu’ils continuent à faire sans âme, sans bonheur, avec l’amertume au cœur.

Maslow avait bien pointé qu’un être dont les besoins ontiques (besoins existentiels) sont satisfaits, supporte beaucoup mieux les frustrations au niveau des autres besoins. Ces besoins ontiques ne doivent pas être considérés comme une cerise sur le gâteau, juste en bout de chaine des satisfactions. Il faut se rappeler que tous les besoins sont partiellement satisfaits et partiellement insatisfaits et que la satisfaction des besoins ontiques doit toujours être présente à l’esprit de toute personne en rapport avec des humains (voir en détail ma publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow » aux chapitres « les besoins fondamentaux » et « les besoins ontiques »)

Là où nous ressentons de la considération, nous éprouvons moins de pénibilité que là où nous n’en ressentons pas.

Ce besoin humain a tout de même été perçu par quelques uns, mais entre le percevoir et le satisfaire, il y a un grand pas qu’il est difficile de franchir quand on est focalisé sur l’objectal.

3.3La considération artificielle

Naturellement, cette considération ne peut se feindre. Elle est ou elle n’est pas. Certains managers plus astucieux ayant remarqué l’importance de ce aspect, ont tenté de proposer une considération « fabriquée » avec de la gentillesse de surface, des compliments surfaits, des récompenses désuètes.

Tout cela, non seulement ne fonctionne pas, mais risque de causer un sentiment insupportable de manipulation ou de trahison. L’effondrement ou la révolte n’en sont que plus grands.

Carl Rogers nous avait interpellés sur la notion de congruence, c'est-à-dire sur le fait que ce que nous disons soit en harmonie avec ce que nous pensons. Si ce n’est pas le cas, c’est ressenti par l’interlocuteur (quand bien même ça l’est inconsciemment) et génère un malaise.

Même si l’on n’est pas conduit à dire tout ce qu’on pense, il semble juste de ne dire que des choses qu’on pense vraiment et notre attention se doit d’être plus mobilisée par les individus que par les choses.

3.4La possible authenticité

Comment l’attitude juste surgit-elle pour le manager en quête de qualité ? Elle ne peut être fabriquée, elle ne peut être que spontanée pour être juste. La question est de savoir comment on peut acquérir une telle spontanéité, si toutefois cela est possible !

Nous constaterons qu’elle surgit naturellement quand l’attention se porte prioritairement sur l’individu et non sur l’objet. Le paradoxe qu’il convient ici d’intégrer, c’est que plus l’objet à produire est important et subtil, plus il est nécessaire de considérer l’individu qui le produira, prioritairement par rapport à cet objet.

L’objectif c’est le produit, mais pour atteindre celui-ci, la priorité doit être l’individu, celui qui produit, celui qui a des idées, celui qui ressent, celui qui a envie de mettre en œuvre un travail dans lequel il ressent qu’il existe. Donc, alors que l’objet à produire doit être clairement défini, ce n’est cependant pas lui qui est sensé mobiliser l’attention du manager (vous remarquerez que l’objet à produire n’est pas négligé pour autant, c’est juste une question de premier et de second plan).

Un peu plus loin, dans « Une finalité humaine », nous verrons même comment les objectifs des uns et des autres peuvent se recentrer pour optimiser la production, la productivité, la qualité du  travail et le management. Au bout du compte, la finalité est toujours un ou des êtres humains (depuis le producteur jusqu’au client).

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4   La communication

4.1Le lien et l’ouverture

Une des clés du management c’est la communication. Faut-il encore s’entendre sur ce qu’est la communication. L’habitude est de confondre l’information et la communication. Or même s’il y a un rapport entre les deux, il importe de les distinguer clairement. En effet la confusion est telle que souvent ce que dans une structure on appelle « service de communication », ne fait que traiter de l’information et ne s’occupe pas du tout de communication.

Etre communicant, c’est être ouvert. Un état d’ouverture est quelque chose de différent de l’idée d’information. On peut être ouvert à quelqu’un sans pour autant échanger d’information, mais si nous voulons en échanger, cette ouverture d’esprit est un préalable incontournable. Le fait d’être communicant ne consiste pas en l’échange, mais dans cet état d’ouverture. Trop souvent les informations circulent sans que personne ne soit ouvert à personne. Elles circulent… mais n’aboutissent pas !

Dans le cas d’information sans état communicant, nous parlerons plutôt d’état relationnel. « Être Relationnel » signifie être relatif, être relié (ce qu’on y est, dépend de l’autre du fait de ce lien). Contrairement à ce qu’on croit habituellement il ne s’y trouve pas de l’humanité mais de l’affectivité. Dans le relationnel, les objets informations échangés ont même plus d’importance que les êtres qui les échangent, et nous y trouvons des enjeux d’intérêt produisant soit des fascinations et anesthésies, soit des rejets et conflits.

Nous pouvons nommer « communicant » l’état dans lequel les interlocuteurs (les êtres) comptent plus que les informations (les objets), et « relationnel » celui dans lequel les informations (les objets) comptent plus que les interlocuteurs (les êtres).

Dans les deux cas l’information circule, mais elle ne parvient à destination que quand il y a « état communicant ». Dans le relationnel, l’information est imposée d’un côté et subie de l’autre. Dans le communicant elle est proposée d’un côté et accueillie de l’autre. Les résultats sont donc forcément forts différents selon qu’on sera communicant ou relationnel.

Les attitudes communicantes correspondent à ce qu’on appelle « assertivité ». L’assertivité désigne le fait qu’on s’affirme sans porter atteinte à l’intégrité de l’autre et qu’on respecte l’autre sans porter atteinte à l’intégrité de soi. Nous y trouverons même une idée de synergie forte (voir Maslow cité ci-dessus) où tout ce qui est avantageux pour l’un profite à l’autre et réciproquement.

Les attitudes relationnelles correspondent, elles, à trois attitudes qu’on appelle « manipulation », « conflit » et « fuite », qui ont en commun que ce qui profite à l’un se fait toujours au détriment de l’autre (ou réciproquement). Cela correspond à un système de synergie faible, coûteux en énergie,  qui ne produit pas de résultat, ou alors seulement à court terme.

(Pour plus de précisions sur ce sujet, vous pouvez lire ma publication de septembre 2001 sur « l’assertivité »)

4.2Saveurs, fadeurs et fadaises

Savoir et saveur ont la même source étymologique (publication de février 2007 « Pédagogie, art du savoir et de la saveur »). Pourtant, nous avons trop souvent des énoncés insipides de ce qui devrait être dégusté avec délice. 

Les notions existentielles, si importantes, ne sont pas passées inaperçues, mais elles ont souvent été mal comprises. Elles se sont retrouvées véhiculées sans âme par des personnes ne faisant que répéter ce qu’elles n’avaient pas encore intégré. Elles les ont ainsi réduites au rang « d’objet de connaissance ». D’une délicate gastronomie de la psyché on a fait un vulgaire fast-food de l’intellect !

C’est ainsi qu’on a répété qu’il faut de l’empathie, une juste distance, du savoir être… La trilogie du « savoir, savoir faire et savoir être » a souvent été énoncée comme une vérité sensée nous éclairer, mais si inhabitée par la conscience, qu’elle en devient insupportable à entendre.

Les quelques « crédos du parfait communicant », étant ainsi rabâchés sans âme, ont fini de se vider de leur substance, puis par provoquer plus d’agacement et de nausées, que de lucidité.

Ces quelques fadaises de pseudo-humanistes reposent cependant sur des réalités existentielles. Il convient alors de rendre un peu d’âme à tout cela, qui a été véhiculé sans nuances et sans subtilités.

Concernant l’empathie, il ne s’agit pas de se mettre à la place de l’autre, mais d’en être proche. Concernant la distance, il ne s’agit pas d’être distant, mais d’être distinct. Si on assemble les deux, il s’agit donc simplement d’être distinct sans être distant. Il s’agit d’oser le contact (il n’y a pas de contact quand il y a distance). Ce contact est une ouverture, c’est l’état communicant où l’être compte plus que l’objet. C’est une situation de sensibilité sans vulnérabilité (pour plus de précisions vous pouvez lire la publication de novembre 2000 « Le piège de l’empathie »).

Avec une distance, nous n’avons que les objets comme liens, et il s’en trouve de l’affectivité et de la vulnérabilité. En effet, nos réactions sont alors étroitement liées à la nature des objets échangés.

Ceux qui expliquent toutes ces choses ont une responsabilité. En effet s’ils se contentent de rabâcher des pseudos vérités dont ils n’ont rien intégré, et dont ils sont incapables de percevoir les nuances subtiles, ils ne font qu’agacer et décevoir. Ils finissent même par rendre les gens méfiants de ce qui pourtant pourrait les aider à mieux vivre.

Quand des choses essentielles semblent fadaises c’est qu’elles ont été mal communiquées et qu’il en reste des blessures, des agacements ou des colères. Le mieux-être promis en « trois mots et quatre trucs » énoncés trop rapidement est un leurre, quand on sait qu’il s’agit de remises en cause, de réajustements profonds, de regard sur soi autant que de regard sur l’autre… et que le plus souvent les remises en cause qui en découlent, bien que simples et évidentes, nécessitent une mise en conscience progressive, sensible et volontaire. C’est normalement ce que nous sommes sensés apporter en tant que formateur quand une entreprise, un établissement, une administration, nous demandent d’intervenir.

4.3La validation source de compétence

La façon dont on est perçu influe sur la façon dont on se sent, et aussi sur la façon dont on est. Naturellement comme cela est réciproque, la façon dont on est influe sur l’autre aussi. Chacun peut ainsi se sentir validé ou nié par autrui. Nous avons ici des interactions réciproques qui font les rapports humains. Les rapports humains sont en quelque sorte systémiques. Chacun influe sur l’autre, sans même en avoir conscience. C’est sans doute pour cela que nous parlons de « relations humaines » car nous sommes tous « reliés » de cette façon.

Le fait d’être communicant (ouvert) permet justement, d’une part d’être moins vulnérable aux frasques de notre environnement et d’autre part de produire sur cet environnement un effet favorable à la qualité des échanges.

Naturellement, pour être communicant, un minimum d’affirmation de soi est nécessaire. Nous prendrons soin de bien différencier l’« affirmation de soi » (ouverture à soi-même et confiance) de la « maîtrise de soi » (combat contre soi-même et défiance). L’affirmation de soi est fondée sur l’accueil de soi et sur la confiance qu’on a dans les bases qui nous habitent. Dans cette situation, aucune remise en cause n’est source d’inquiétude, mais est plutôt vue comme une opportunité de croissance et de développement. Quand un être est face à un autre, l’affirmation de soi qu’il a lui-même, donne aussi à cet autre une tranquillité et une satisfaction potentielle qui l’apaise et lui permet de s’ouvrir sans crainte, sans avoir besoin de se mettre continuellement sur la défensive.

Cette notion de liens, qui peut sembler un inconvénient, devient alors là un avantage : il suffit que nous soyons communicants pour que l’autre tende à le devenir également.

Ce qui est paradoxal, c’est que plus nous nous mettons sur un mode de protection et de prudence, plus nous engendrons chez l’autre ce que nous ne voulions pas. Celui-ci se raidit, se protège également, et l’échange se transforme vite en joute stérile. C’est ce que produit la maîtrise de soi, tout en croyant faire l’inverse.

Face à une attaque, la clé est de s’ouvrir et non de se protéger. Naturellement cela n’est pas notre réflexe premier et nous faisons pour le mieux, même en le sachant. Mais il importe de le savoir.

Une des conséquences premières de cette ouverture (qui ne se doit en aucun cas béatement niaise) est la validation.

Face à quelqu’un qui produit ce que nous ne voulons pas, ou qui nous gène dans ce qu’il nous dit, si nous sommes animés par l’élan de comprendre la raison juste pour laquelle il dit ce qu’il dit, ou pour laquelle il fait ce qu’il fait, l’échange se calme instantanément (ou presque).

Cela suppose que nous sommes d’accord pour accepter l’idée que quoi que fasse ou dise l’autre il a une raison pertinente. Considérer que sa raison est pertinente ne signifie pas « penser qu’il a raison dans l’absolu », mais simplement « être assuré qu’il a raison par rapport à ses fondements » et que nous sommes disposés à reconnaître ceux-ci. Une fois l’autre reconnu dans sa raison à lui, il peut alors plus volontiers entendre la notre.

Exemple

Un employé ne respecte pas un protocole de qualité, qui consiste à mettre en œuvre l’opération dans un ordre précis. Normalement son employeur ne se contente pas de lui rappeler comment faire (sauf si le collaborateur n’avait tout simplement pas eu l’information). Il va plutôt lui demander en quoi le séquençage qu’il met en œuvre lui semble plus pertinent que celui qui est normalement préconisé.

Si celui-ci lui répond que c’est plus commode pour lui, l’employeur devra passer par la phase de validation « si cela vous semble plus commode, je comprends que vous procédiez ainsi. » Il ira aussi explorer la source de cette commodité. Ce n’est qu’après qu’il poursuivra par exemple par « savez-vous pour quelle raison le processus est prévu dans un autre ordre ? ».

Si l’employé dit qu’il ne voit pas pourquoi, ici, et ici seulement, l’employeur donnera l’explication du protocole normal.

Si l’employé dit que oui, mais que ça lui semble moins juste, l’employeur devra repasser par la clarification, puis la validation, de cette nuance concernant la justesse optimum du point de vue de son employé, avant de revenir à l’explication du protocole normal (si cela reste justifié).

Nous noterons ici que ce type d’écoute peut même parfois aboutir à un protocole plus pertinent, tenant compte en même temps de ce qui avait été prévu, et de ce que l’employé a découvert. Nous avons là une excellente façon de respecter les ressources humaines et de leurs donner leur meilleur potentiel. Pour cela, point de conflits, point d’énergie… que de la fluidité, de la simplicité, de la reconnaissance, du travail d’équipe, de la créativité… etc.

Cette notion de validation est un point clé pour exister. Nul ne se sent exister s’il n’existe pas dans le regard de quelqu’un. La validation, ne tient pas tant dans les mots que l’on dit, que dans la façon dont on « regarde » autrui.

Quand cette considération est présente, elle s’exprime souvent par une reformulation. Attention la reformulation ne peut être assimilée à une technique de communication. Ce n’est aucunement un reflet de ce que dit l’autre (contrairement à ce qui est trop souvent cru). La reformulation est en fait une reconnaissance de l’autre en train d’exprimer ce qu’il exprime (lire à ce sujet ma publication de novembre 2002 « Reformulation »).

De plus, ce qu’il exprime n’est pas forcément ce qu’il dit. Il peut dire une chose, et en non verbal en exprimer une autre. Quand son cadre lui donne un travail, un employé peut verbalement dire « oui » et cependant montrer une attitude qui dit « non ». C’est ce « non » exprimé en non verbal qui dans ce cas devra être reformulé. Cette reformulation se fera par une phrase du genre « ça ne vous convient pas ? » ou « ça pose une difficulté ? » ou « vous n’êtes pas vraiment d’accord ? » selon le contexte. Le non verbal de la reformulation est franc, honnête, sans malice et dépourvu de toute suspicion.

L’employé sera ainsi reconnu dans son existence par la reconnaissance de ce « non », en lui accordant que celui-ci est juste, pour lui, et qu’il a une raison. Les questions qui suivent (guidage non directif) permettent d’accéder à la raison de ce non (validation cognitive) et de gérer la situation réelle.

Cette validation du « non » est ici source de compétence et de collaboration efficace, bien mieux que de l’ignorer, ou de le reprocher.

Comme vous le voyez, la notion de validation n’a rien à voir avec celle de récompenses, de compliments ou de félicitations, mais simplement avec celle de reconnaissance. Les compliments flattent l’ego (le paraitre) et n’amènent rien de bon alors que ces validations rehaussent l’être et lui restaurent son potentiel. Seule la validation permet de vraiment parler de ressources humaines au sens noble du terme.

Quand au lieu de valider on contredit, cela revient à traiter son interlocuteur d’imbécile (même si ce n’est qu’implicite et involontaire). Contredire par exemple son « non » en lui soulignant qu’il n’a pas à refuser ce qu’on lui demande, que c’est son travail, c’est lui montrer « qu’il est mauvais », « qu’il fait mal », « qu’il se trompe », «qu’il est inacceptable ». La logique veut que si on traite quelqu’un d’imbécile suffisamment longtemps il ne gagne pas en compétence, mais perde le peu dont il disposait. La validation au contraire permet à son potentiel de se développer. On ne peut parler de ressources humaines sans avoir clairement intégré cela.

4.4Validations même en situation d’erreurs

Valider les réussites, nous savons à peu près le faire… encore que j’entende de nombreux employés avoir l’impression que, quoi qu’ils fassent de bien, tout le monde s’en fiche. Il se peut qu’il ne s’agisse que de négligences de la part de son responsable, mais il arrive aussi que certains dirigeants se méfient de faire des compliments, craignant que l’employé ne se sente trop bon et ne fasse plus d’efforts. Nous retrouvons là le fameux, mais désolant, « peut mieux faire » de l’école, qui a si souvent été source de découragement.

Si la validation de ce qui est réussi est rare, alors que dire de la validation en situations d’échecs ! Valider dans les situations d’échecs ou d’erreurs, cela est plus délicat, et le moins qu’on puisse dire est que cela n’est pas dans nos mœurs ! C’est pourtant fondamental.  Tout dirigeant devrait mieux comprendre cela dans les fameux entretiens d’évaluation, mais aussi à chaque instant de management si son projet est de disposer des meilleures ressources humaines possibles

Comprenons bien tout d’abord qu’il ne s’agit jamais ni de minimiser, ni de nier l’erreur ou l’échec. Au contraire sa nature, et même quand c’est le cas sa gravité, doivent être clairement énoncées sans détours. Il se trouve que le vrai problème n’est ni l’erreur ni l’échec, mais la raison pour laquelle c’est arrivé… car c’est à ce niveau qu’il convient surtout d’agir. Or la raison pour laquelle c’est arrivé, pour laquelle c’est ainsi, ne sera que rarement accessible avec des reproches. Par contre, elle le sera presque toujours avec une validation.

C’est ce qui fait qu’en management, il importe pour le cadre ou le directeur de savoir donner cette validation, non seulement pour favoriser le fait que les membres de son équipe existent vraiment, mais aussi pour en faire des partenaires de réflexion sur les meilleurs modes opératoires, sur l’optimisation du fonctionnement avec les circonstances réellement existantes.

S’appuyer sur une connaissance de la réalité du terrain est en effet plus judicieux que de s’appuyer sur des données ne reflétant que les circonstances d’un rêve idéalisé, que l’on s’obstine à imposer sans tenir compte de « ce qui est vraiment ». Paradoxalement ici, c’est l’objectivation qui maintient le rêve. En effet, la réalité devant correspondre à ce qui a été mesuré (objectivé) antérieurement, on devient aveugle aux nuances pertinentes de tout ce qui s’écarte de la prévision.

De façon tout à fait inattendue, nous tombons dans un piège de prétendue objectivité. A force d’objectiver et de mesurer, on se sent en sécurité, car ce qui est objectivé est indiscutable. Pourtant, si l’on est un peu observateur, on se rend vite compte que les chiffres dont on dispose ne mesurent pas tout, et que cette fausse assurance que nous donne l’objectivité nous éloigne de la réalité (lire « Les stratégies absurdes –Comment faire pire en croyant faire mieux » de Maya Beauvallet - Seuil, 2009).

Quand je parle de validation, même en situations d’erreurs ou d’échecs, il s’agit de deux types de validations :

1/Validation du process (processus) qui a conduit à ce résultat insatisfaisant, afin de le repérer et de ne plus tomber dedans après en avoir cerné les fondements. Ici l’idée de validation signifie « la reconnaissance que, compte tenu du fait qu’il y ait eu ceci, on comprend qu’en conséquence il y ait eu cela » – c’est une validation cognitive, révélant une logique.

2/ La validation de l’auteur de ce process, sur le plan existentiel. Cela reconnaît un vécu, un ressenti, un positionnement.  L’interlocuteur reste un partenaire tout au long de cette réflexion et de ce réajustement.

C’est ce qui permet un vrai travail d’équipe, de disposer de personnel motivé qui, même face à des tâches ingrates, se sentant exister, a l’élan de s’investir. C’est la validation existentielle qui fait que l’individu se sent avoir une place aux yeux de son interlocuteur.

Avec la validation nous prenons soin de la source et nous assurons la promotion de la qualité et de la quantité de la production.

4.5Une finalité humaine

Nous venons de voir à quel point la validation de la source (de l’humain) est fondamentale. Il se trouve que cette notion de validation dépasse le cadre du collaborateur pour aller jusqu’au client (de l’entreprise) ou à l’usager (du service administratif). Je reviendrai un peu plus loin sur l’attitude du commercial à ce sujet, mais ici nous nous contenterons de remarquer que la réalisation d’une tâche, même pénible, est bien mieux acceptable si l’on sait qu’on la fait pour quelqu’un à qui cela rend un service, que si on le fait juste pour quelque chose (pour la performance chiffrée des fameux objectifs !).

Trop souvent, l’objectivation de la production a fait que cette production s’est déconnectée de ses composantes humaines, c'est-à-dire que le quelque chose produit devient plus important que le quelqu’un à qui il est destiné. Or si l’on perd de vue le destinataire, non seulement on devient incapable des ajustements de qualité nécessaires, mais en plus, toute motivation à produire cette qualité s’évanouit rapidement.

La source est humaine, la finalité est humaine aussi. C’est la conscience de cela qui permet d’ajuster les process (l’action) et les protocoles (modes opératoires).  Cela permet aussi de garder une motivation signifiante car il n’y a motivation stable que là où il y a de l’humain.

Si nous revenons au commercial, son rôle est extrêmement important puisqu’il joue un rôle de médiateur entre les clients, la direction et les équipes de production. Pour lui aussi il doit y avoir de l’humain à tous les niveaux. Même s’il convient de mesurer et d’avoir des objectifs, nous pouvons déplorer que trop de directeurs commerciaux malmènent leurs équipes en ne pensant durement qu’en termes d’objectifs. Même s’il faut des objectifs chiffrés, l’humain doit toujours rester la priorité : l’humain qu’est le vendeur, l’humain qu’est le client, l’humain qu’est le producteur. Cela représente un système en synergie dans lequel l’information doit circuler avec fluidité afin d’atteindre les optimisations souhaitées.

L’économie actuelle est plus basée sur une gestion des objets (stocks, argent, objectifs) que sur la prise en compte des sujets (producteurs, commerciaux, et clients en tant qu’individus). On pourrait même être un peu effrayé quand la bourse conduit des êtres humains à ne gérer que l’objet argent, totalement déconnectée des composantes humaines. Cela ne remet en cause ni l’argent, ni la bourse (qui ont chacun leurs rôles), mais seulement cette attitude dans laquelle l’humain a disparu dans une sorte de virtualité du travail.

Les choses se sont installées ainsi progressivement sans qu’on s’en rende compte (peut être aussi un peu sans qu’on veuille le voir) pour aboutir à une situation dont nous découvrons soudain qu’elle est catastrophique. Un peu comme dans cette émission de télévision « C’est du propre » où l’on voit des personnes qui se sont progressivement laissées envahir par le désordre et la saleté et qui, dépassées par l’énormité de la situation quand ils s’en rendent compte, sont obligées de faire appel à une aide extérieure pour s’en sortir. Les situations que montre l’émission sont à peine croyables. Il se peut que notre système économique ressemble un peu à cela. Nous avons non seulement la crise financière qui révèle globalement que le système, tel qu’il est, est un peu vermoulu... mais aussi des symptômes  multiples, et plus anciens, tels que le stress au travail, les suicides trop nombreux, les nombreuses somatisations causant des arrêts maladie (et autant de perturbations familiales), les démotivations qui viennent saboter la qualité et la production..etc.

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5   Le stress au travail

Si les conditions de travail doivent être revisitées, ce qui doit être revisité en premier, c’est la considération de l’humain. Là où il y a considération de l’humain, non seulement les conditions (même mauvaises) sont mieux supportées, mais en plus elles s’organiseront progressivement et naturellement de façon plus convenable. En effet là où l’humain est considéré, chaque amélioration possible des conditions se réalise spontanément.

5.1Les souffrances

Les souffrances ne viennent pas que de la quantité de travail ou de l’insuffisance financière (même s’il ne faut pas ignorer ces facteurs). Les souffrances viennent essentiellement d’avoir l’impression de ne compter pour personne. Non seulement l’employé ne compte pas pour sa hiérarchie qui ne s’occupe que de gestion et d’objectifs, mais il ne compte pas non plus pour ses collègues, qui sont pris dans une spirale de concurrence pour garder leur place, et sont désinvestis de toute solidarité.

On n’a jamais tant parlé de communication, mais il se trouve qu’on ne communique pas plus (voir beaucoup moins). Tout simplement parce qu’on n’a pas clarifié ce qu’est la communication. Nous avons vu la confusion entre « gérer de l’information » et « communiquer ».

Les souffrances résultant de cette déshumanisation sont immenses. On a pointé que des enfants recevant les soins physiques dont ils ont besoin, mais ne recevant ni paroles, ni expression de tendresse, ni considération, dépérissent rapidement (Spitz, 1968). On a pointé que des personnes âgées en maison de retraite se portent d’autant mieux qu’elles sont considérées, et non vues comme des malades séniles (voir ma publication d’aout 2007 « Bientraitance »). Nous devons aussi considérer que cela ne touche pas que le début ou la fin de la vie, mais aussi toute l’existence.

Là où un être ne reçoit pas de considération il dépérit. On aura beau le soigner, lui donner des vitamines, des formations ou du repos… rien ne saurait combler ce qui lui manque. Maslow avait eu la bonne intuition de considérer que la principale source de psychopathologie n’est pas quelque chose qui nous habite et dont il faudrait se débarrasser ou se protéger, mais plutôt quelque chose qui nous manque. Notre souffrance est avant tout d’ordre carentiel. La carence qu’il pointe comme étant la plus grave est la carence au niveau ontique, c'est-à-dire au niveau de notre besoin d’humanité.

 « Nous pouvons utiliser les concepts d’˝atrophie ou diminution de l’humanité˝ au lieu de recourir aux termes d’immature, de malchanceux, de malade, de né avec des défauts, de défavorisé. La ˝diminution de l’humanité˝ les recouvre tous » (Maslow 2006, p.317).

« La privation des besoins fondamentaux est susceptible, on le sait, de créer des maladies à ranger dans la catégorie des maladies " carentielles» (Maslow 2006, p.43)

Il tente d’en pointer la cause :

« Pour d’obscures raisons que seul l’historien des idées est capable d’élucider, la civilisation occidentale a généralement cru que l’animal en nous est un animal mauvais et nos pulsions les plus primitives sont néfastes, jalouses, égoïstes et hostiles ». Il ajoute que « Darwin était si imprégné de cette théorie qu’il ne voyait dans le monde animal que compétition, ignorant totalement la coopération pourtant aussi rependue, comme Kropotkine l’a facilement remarqué » (Maslow 2008, p.105).

(C’est moi qui ai souligné ici les points remarquables)

5.2Les conséquences

Le problème est que l’être humain se retrouve alors avec des souffrances qu’il peine à nommer. Elles sont profondes, bien réelles, mais elles concernent un besoin d’humanité qui ne figure pas dans les priorités généralement énoncées dans son environnement. C’est tout juste si on a prévu un vocabulaire approprié pour nommer de tels ressentis.

Alors quand on se sent mal sans vraiment savoir pourquoi, on se met à se plaindre de tout. Puis quelques soient les remèdes apportés à nos plaintes, n’y trouvant aucun apaisement (forcément car ce ne sont pas les vraies causes) les plaintes continuent, jusqu’à une désespérance telle qu’on peut se détourner de la vie.

Il en résulte un stress de plus en plus fort pouvant conduire au burn-out… ou même au suicide.

L’individu en souffre, et les répercussions rejaillissent tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie familiale… l’entreprise en pâtit, mais aussi la société qui doit financer le coût astronomique des conséquences qui diffusent ainsi dans l’environnement de l’individu en souffrance. Il est difficile de dire jusqu’où se produit cette diffusion en tâche d’huile, mais on peut observer qu’elle envahit progressivement l’entourage et crée une morosité générale.

Il ne s’agit aucunement de dénoncer le moindre coupable. Nous devons admettre que nous nous sommes progressivement et insidieusement laissés emportés dans un désordre croissant au niveau humain, sans nous en rendre compte. Il se peut probablement que chacun d’entre nous y ait plus ou moins contribué. Il ne s’agit pas tant de dénoncer des coupables que de reprendre en main cette dimension oubliée, dont on a fini par la croire désuète, alors qu’elle est en réalité fondatrice de nos performances.

5.3Le suicide

L’oubli de cette dimension génère tant de souffrance qu’un individu peut finir par souhaiter mettre un terme à sa vie. Certes des êtres particulièrement solides et équilibrés peuvent sans doute mieux faire face, mais on aurait tort de penser que le malaise conduisant au suicide ne concerne que des sujets fragiles ou déséquilibrés.

Le plus souvent il suffit de mettre quelqu’un en situation de carence existentielle suffisamment longtemps pour l’amener à dépérir.

Naturellement, il convient de se préoccuper des conditions de travail, de l’organisation, des locaux, des méthodologies, de l’outillage et du matériel… mais la considération est le point le plus négligé alors que c’est le plus important. Là où il y a de la considération et ou le but est l’humain (qu’il s’agisse de produits ou de service, où il y a une conscience du client comme finalité), les inconforts divers sont mieux surmontés (naturellement dans une certaine mesure).

Mettre fin à sa vie, c’est d’une part échapper définitivement à une insupportable souffrance existentielle, mais c’est aussi affirmer par un message fort « à quel point on ne se sent pas exister ! ». Une façon de dire « et si je suis mort tu vois la différence ? ».

D’un côté porté à vouloir soulager sa détresse en disparaissant, de l’autre envoyer un message fort dans une ultime tentative d’être vu par l’autre et d’exister à ses yeux.

J’ai déjà eu en consultation des personnes qui, enfant, ne se sentaient pas vues par leurs parents. Ils se cachaient toute une journée pour voir comment ceux-ci réagiraient. Le moyen utilisé n’est pas ici le suicide, mais nous y  retrouvons la composante qui consiste à rechercher désespérément une place aux yeux d’autrui. Il est arrivé que des parents ne s’en aperçoivent même pas ! Naturellement cela laisse une grande douleur.

Le besoin d’exister est une sorte d’élan naturel. L’individu utilise toutes sortes de stratagèmes pour y parvenir. Certains coupent la parole pour donner leurs propres idées, d’autres développent un autoritarisme, d’autres manipulent leurs interlocuteurs en douceur… Tout cela ne donne pas de résultats à long terme, mais tout le monde se débrouille comme il peut pour remédier à cette inquiétude existentielle et à cette frustration. Le meilleur moyen de couper cours à tout cela est de donner de la considération. La validation et la communication (assertivité) sont d’excellents moyens pour y parvenir.

Ceux qui veulent en savoir plus sur le suicide peuvent lire la publication de juin 2001 sur ce sujet « Dépression et suicide ». De nombreux lecteurs concernés me disent y reconnaître clairement ce qu’ils vivent et ce dont ils ont besoin.

5.4Le stress

Bien avant d’arriver au burn-out ou au suicide, il y a le stress. Les conséquences du stress peuvent être d l’agressivité, de l’épuisement ou des somatisations.  Comme il en résulte une production insatisfaisante (conflits, manque d’implication, absentéisme) le stress est tout de même quelque fois visé par les employeurs comme une problématique à résoudre.

Nous voyons ainsi fleurir des formations « gestion du stress » ou « gestion des conflits »  qui sont sensées répondre à cette problématique. En espérant que ces formations ne soient pas mises en place comme de simples formalités pour calmer les esprits (voir pour les faire taire) mais soient empruntes d’un vrai projet, nous aurons quand même encore un écueil possible : il ne s’agit pas de résoudre quelque chose mais de donner de la considération à quelqu’un. Apprendre à avoir des relations sans conflits, à se relaxer ou à se ressourcer, permet des vécus moins douloureux, mais peu durables si au quotidien on ne se sent toujours pas considéré. L’absence de conflits ne signifie pas la paix (ce n’est parfois que de la soumission stérile), et le calme obtenu par des astuces de relaxation ne reflète pas non plus forcément l’équilibre intérieur (ce n’est parfois qu’une négation plus forte de soi et de ce qu’on ressent).

Il y a une vraie politique globale à mettre en place à ce sujet, en se rappelant que le stress ne doit ni être calmé ni évacué, mais écouté, en ce sens que celui-ci souligne simplement là où une qualité d’attention fait défaut, là où la considération a manqué, que ce soit envers autrui ou envers soi-même.

(Pour plus de détails  sur les notions de stress et sur les façons de l’aborder lire ma publication de novembre 2001 de « Stress et mieux être »

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6   Les formations sur le stress

6.1Ne pas se tromper de cible

Découvrant que le personnel est stressé, des formations sur le stress sont engagées pour l’aider à ne plus être dans ce funeste état. Comme nous venons de le voir il lui sera enseigné comment s’apaiser, s’organiser, se détendre, se ressourcer.

Même quand la formation est de qualité, elle ne sera efficace qu’à deux conditions :

1/ Il ne sera pas reproché ensuite à la personne formée de ne pas savoir gérer son stress en argumentant qu’elle vient de suivre un stage à ce sujet.

2/ Il ne sera pas oublié d’ajouter la considération venant rendre efficace ce qui a été enseigné.

Il est souvent dommageable qu’on forme le personnel stressé sans s’occuper suffisamment des ressources managériales (cadres, directeurs). Il se trouve même que les cadres et directeurs eux-mêmes reportent leur propre stress sur les équipes.

S’il parait judicieux de former les équipes à une meilleure approche du stress et de ce qui peut nous ressourcer, il parait tout aussi important, sinon prioritaire, de former les cadres et la direction aux subtilités qui font qu’il y a stress ou pas.

Ayant eu l’occasion de former de nombreux cadres ou directeurs, j’ai pu constater à quel point les difficultés ne viennent en aucun cas d’un manque d’humanité chez eux (même si ça peut arriver comme chez quiconque), mais de croyances ou de choses apprises qui vont dans le sens opposé de la bonne direction.

Les notions « objet/sujet », « distance/humanité », « relation/communication », « Vie/énergie », « Producteur/production », sont autant de domaines où ce qui est généralement admis est l’inverse de ce qu’il faudrait. Si bien qu’avec la meilleure des volontés l’axe choisi est mauvais… et donc le résultat obtenu est désespérant, compte tenu de l’effort inutilement investi. Nous croirons trop souvent qu’il faut être plus fort là où il convient d’être plus ouvert, d’être plus laxiste là où il convient de mieux accompagner, de résoudre un problème là où il s’agit juste d’entendre, de convaincre là où il convient simplement de faire passer une information, d’argumenter là où il serait souhaitable d’accéder à la raison de l’autre, de corriger là où nous devrions accéder à la pertinence de ce qui a été fait…etc.

Autant de situations qui conduiront le cadre ou le dirigeant à obtenir l’inverse de ce qu’il souhaite avec ses collaborateurs.

Nos pouvons donc proposer au personnel des formations sur le stress, le mieux être, l’apaisement des conflits. C’est très utile. Mais nous devons en même temps nous consacrer aux dirigeants qui ne demandent qu’à mieux faire mais manquent pour cela des bases énoncées ci-dessus… et s’enlisent douloureusement dans ce qu’ils voudraient améliorer.

6.2Une remise en cause valorisante

La difficulté est que cela nécessite une remise en cause des pratiques managériales et des dirigeants eux-mêmes. Or une remise en cause quand on est en situation de responsabilité peut faire peur, du fait que cela peut être assimilé à un échec, à une incompétence ou à une faiblesse.

Je vous propose ici de renverser la proposition. Celui qui se remet en cause est plus « glorieux » en ce sens qu’il montre une tranquillité face au changement, une stabilité intérieure suffisante pour ne pas en avoir peur, un désir d’ajustement permanent et subtil, une curiosité dans la recherche de ce qui permet d’optimiser. A l’inverse, celui qui ne veut pas la remise en cause, montre sa fragilité face au changement, son instabilité intérieure le conduisant à rigidifier ses pratiques contre toute nouveauté. Il montre là son incapacité à s’occuper de ressources humaines dignes de ce nom. Celui qui ne veut pas se remettre en cause,  affiche involontairement sa faible capacité à conduire des équipes, à diriger des personnes, à travailler ensemble… il affiche, sans s’en rendre compte, son insuffisance managériale.

Celui qui accepte la remise en cause peut relever la tête (cependant sans orgueil et sans mépris envers ceux qui ne le peuvent pas). Ils sont ceux par qui nous pouvons aboutir à des améliorations. Quant aux autres, ils ont particulièrement besoin de formation. Mais avant les formations (ou dans les formations) ils ont, eux aussi, particulièrement besoin de considération. Paradoxalement, plus on leur reprochera de mal s’y prendre… plus ils continueront à mal s’y prendre.

6.3De la remise en cauase à la mise en oeuvre  

La joie vient d’un travail réalisé ensemble, avec le projet d’apporter quelque chose à quelqu’un. Les objets ne sont que faiblement source de motivation, même s’il peut aussi y avoir le « bonheur de la chose bien faite » (mais si personne n’apprécie cette chose bien faite, son auteur peut aussi se décourager).

Le cheminement, depuis le producteur jusqu’au client, doit être considéré comme sorte de « chaine humaine » où la vie circule et s’exprime (le moindre maillon affaibli affaiblit toute la chaine). C’est elle qui donne la ressource humaine. Certes, il s’y trouve de multiples difficultés (elles aussi sources de stress), mais celles-ci sont surmontées quand l’humain est au cœur  de la préoccupation.

Mettre l’humain au cœur de la préoccupation peut sembler gentillet et éloigné des impératifs économiques. Même Carl Rogers était taxé d’angélisme par ses détracteurs quand il parlait d’humanisme (« Rogers fut pris à partie pour ses conceptions qualifiées "d’angéliques" », [de Peretti, 1997, p.116]). Comment en sommes nous arrivés à une sorte d’ignorance de l’humain, tout en parlant de ressources humaines ? Comment tenir compte de l’humain a-t-il finit par ressembler à une faiblesse.

Ce n’est pourtant pas ce que dit le rapport de la commission de Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie. Il nous interpelle en nous disant que le PIB n’est pas une donnée fiable pour avoir une perception de la réalité économique et qu’il s’agit aussi de tenir compte de l’humain et de la qualité de vie. Il ressort de cela que tout est intriqué et que de simplement faire émerger quelques chiffres simplistes (aussi sophistiqués soient-ils, ils restent simplistes) peut nous leurrer.

Même les économistes s’en mêlent pour nous réveiller !

Les suicides en entreprise ne sont que les symptômes d’un mal plus profond : une conscience insuffisante de l’humain. On a trop longtemps cru ces données humaines comme accessoires par rapport aux données chiffrées. Comme je l’ai mentionné de nombreuses fois dans cette publication, l’idéalisation de l’objectivité et le mépris pour la subjectivité nous ont quelque peu égarés. Ce fléau, qui tient en ce moment le haut de l’actualité, n’est hélas que l’aspect médiatisé d’une souffrance plus discrète, mais tellement présente, y compris économiquement : épuisement, démotivation, maladies, dépressions (surmédications), arrêts de travail… si on pouvait chiffrer avec précision les conséquences financières globales de ce manque de bonheur, nous verrions avec effarement le coût de la blessure !

Le remède n’est pas aisé, mais pas impossible. Et ce n’est même peut être pas si complexe que nous le croyons. Développer de la considération, de l’assertivité, de la communication (dans son sens noble et non juste informationnelle) sont des réponses.

Si vous voulez approfondir ce sujet, je vous invite à parcourir sur ce site les publication mentionnées en bibliographie. Vous y découvrirez que la blessure n’est pas la seule possibilité et qu’il s’en faut de peu pour que cette joie refasse surface.

Comme le disait Philippe Davezies, « l’homme seul travaille et jamais comme une machine ». Il ajoute que l’homme aime le travail, pourvu qu’il s’agisse vraiment de travail.

Revenir vers l’humain, ce n’est pas se tourner vers de la niaise guimauve idéologique. C’est enfin réaliser où se trouve le véritable pillier, le roc sur lequel bâtir. La ressource, l’assise véritable se trouve dans le sujet et non dans l’objet.

Après la révolution industrielle, nous assistons désormais à une révolution existentielle. Nous réalisons à quel point c’est le sujet qui est source de l’objet et non l’inverse. Nous réalisons que quand l’humain se met au service de l’objet et le vénère, les saveurs de la vie s’effondrent là où elles semblaient prometteuses. Sans doute fallait-il passer par ces étapes douloureuses, car la conscience ne s’acquière hélas souvent qu’à ce prix, tant nous rechignons à y ouvrir notre sensibilité. Je suis pourtant convaincu qu’on aurait pu engendrer moins de détresse.

Responsables, dirigeants, cadres, chefs d’équipe peuvent prendre tout cela en compte, et se débarrasser des vieilles croyances, non seulement pour le plus grand bien de leurs collaborateurs, mais aussi pour le leur… et pour la santé de leur entreprise.

Je sais, pour en avoir formé beaucoup, qu’ils n’en sont pas si loin. Ils manquent simplement de données justes pour une saine remise en cause. Rappelons-nous que la remise en cause n’est pas signe de faiblesse, au contraire !

La blessure a eu lieu. Veillons à ce qu’elle n’enfle pas plus. Faisons que ceux qui en ont été victimes ne l’aient pas été en vain. Ayons envers eux la gratitude que nous leur devons de nous avoir réveillés. Tâchons de retrouver la joie que peut nous donner notre travail en ne nous éloignant plus de la vie, en ne nous éloignant plus de l’humain, en ne nous éloignant plus de nous-mêmes ou d’autrui.

Faisons en sorte qu’il y ait aussi de la vie au travail.

 Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Davezies, Philippe
-Éducation permanente- n°116/1993-3

De Peretti André
-Présence de Carl Rogers – Erès, 1997

Beauvallet, Maya
Les stratégies absurdes –Comment faire pire en croyant faire mieux - Seuil, 2009.

Joseph Stiglitz
http://www.letlegramme.com

Spitz, René Árpád
-De la naissance à la parole. La première année de l'enfant - PUF 1968

Maslow Abraham
-Etre humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Tournebise Thierry
-L'art d'être communicant -Dangles, 2008
site www.maieusthesie.com
-La bonne distance dans le management (janvier 2001)
-
Assertivité (septembre 2001)
-
Les pièges de l’empathie (novembre 2000)
-
Reformulation (novembre 2002)
-
Le danger de convaincre (juin 2002)
-
Stress et mieux être (novembre 2001)
-
Abraham Malsow (octobre 2008)
-
Apaiser violence et conflits (Juin 2003)

   

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