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Sexualité
l’intime et l’universel

Septembre 2015    --    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Hommage à William Masters et Virginia Johnson
ainsi qu’à Abraham Maslow  

Vidéo associée à cette publication sur le site "Mon couple et moi"

Cet article s’inscrit à la suite des publications « La passion » (février 2001) et « Vivre son couple » (février 2009) traitant du lien, de la communication, de l’amour et de la systémie conjugale. Si la sexualité y était mentionnée elle n’y était pas explicitement développée. Or un couple vit sa sexualité naturellement, parfois simplement, parfois difficilement pour des raisons personnelles ou sociales. Notre société lui en propose de multiples évocations, depuis les plus subtiles, jusqu’aux plus grivoises, en passant par les plus scientifiques. Depuis longtemps, cet aspect naturel de la vie peine à trouver la place simple qui lui revient. Au cours des siècles, l’Être Humain l’a sacralisée, diabolisée, banalisée, vulgarisée, scientifiquement étudiée.

Le thème reste délicat car la façade sociale s’affiche comme si personne ne faisait l’amour, alors que cela préoccupe tout le monde. En notre époque, les évocations multiples abondent mais sont pudiquement extérieures à chacun, comme si elles n’appartenaient pas au monde de  la réalité, mais seulement à celui du rêve, du fantasme, du spectacle, du discours ou de l’étude. A la fois présente en chacun de nous, mais discrète, la sexualité est si intime, si personnelle… et en même temps si commune, si universelle.

Ces quelques pages en proposent une modeste découverte où, bien évidemment, les travaux de Masters et Johnson, auront une grande place (physiologie, sensualité et communication). Nous aborderons aussi les composantes purement psychologiques qui sous-tendent la sexualité (humanité, délicatesse, douleurs, détresses, traumas). Naturellement, rien ne doit invalider les options qui conviennent à chacun : ces quelques lignes ne visent qu’à proposer un éclairage possible, en évitant soigneusement tout dogme qui abîmerait qui que ce soit. 

 

Sommaire

1 Une source inestimable
 – Origine du monde – A la fois intime et universel

2 Une rencontre d’autrui
-De l’objet vers le sujet – La psychanalyse et la « récolte d’objets » - La rencontre des Êtres

3 L’Être et son corps
-Recherche innovante – Avec un grand nombre de sujets – Problématique de l’objectivation

4 Une psychologie subtile
-Un binôme de praticiens – Il ne s’agit pas du problème de l’un des deux – Il ne s’agit pas non plus de pathologies – Le précieux « non savoir » des praticiens

 

5 Une situation indicible
-Ni pour soi, ni pour l’autre – Le champ de la sensualité – Sans buts ni performances – Assertivité et synergie forte

6 L’aspect communicationnel
-L’indispensable acceptation d’un non savoir – Se découvrir réciproquement

7 Accompagnements thérapeutiques
-Ce que propose Masters et Johnson – La psyché et ses clivages – Sans oublier la psychologie du corps – Le naturel et la déviance – Absence de sexualité

8 Une école de considération et de respect
-Valeurs fortes et paradoxes – De l’intime à l’universel

Bibliographie  
Bibliographie du site

1   Une source inestimable

1.1 Origine du monde

On pourrait commencer en rappelant que nul n’est venu au monde sans passer par le sexe. Une évidence oubliée qui fait que tout dénigrement de la sexualité reviendrait à un dénigrement de notre origine et rendrait par là même l’ensemble de notre vie peu glorieux. Nous ne pouvons, de toute évidence, nier que cette zone corporelle de notre anatomie est « source du monde » en ce sens où, déjà bien avant l’humain, elle a permis aux Êtres vivants de pérenniser leur existence sur la planète. Puis, avec l’Homme,  d’y déployer ce que nous connaissons de cultures, de sciences et d’arts. En première instance, on ne peut qu’être touché par ce qui a permis à la vie d’être là, et faire que nous-mêmes soyons ici. Toute considération négative à propos du sexe, revient à souiller la vie, à altérer ce à quoi nous devons notre naissance, et à engendrer implicitement une grande ambivalence quant à notre existence.

Les végétaux « ont eu l’idée » de placer leur sexe dans des fleurs. De ce fait, ils n’ont jamais souffert d’indécence en dépit de leur luxuriance colorée. Quant à nous humains, cette zone anatomique sera discrète : non pas du fait qu’elle soit honteuse d’une quelconque manière, mais du fait qu’elle soit infiniment précieuse et doive être respectée. Le plaisir qu’il nous est donné d’y trouver est en proportion de cette valeur inestimable, comme une délicate récompense qui nous est accordée pour le fait de participer à la vie. Avoir vulgarisé ou diabolisé le sexe revient à avoir souillé nos origines, mais d’un autre côté, lui donner toute la place au détriment du reste revient à l’avoir instrumentalisé en le déconnectant de sa finalité existentielle, sociale, humaine.

1.2 A la fois, intime et universelle

Chacun est en intimité avec sa propre sexualité, de telle façon que chacun imagine mal celle d’autrui. Un univers à la fois connu et ignoré, surtout fantasmé. Beaucoup d’analogies entre les Êtres, mais aussi une multitude de différences. Chacun se construit un espace intime riche de ce qu’il a rencontré, et développe quelque chose qui  lui convient, dans lequel son équilibre est satisfaisant ou acceptable, parfois épanoui, parfois douloureusement frustré. Chacun fait au mieux avec cela qui est à la fois universel et intime.

En dépit d’innombrables nuances propres à chacun, de nombreux aspects sont en effet communs à tous les Êtres. Ce fut la découverte de William Masters et Virginia Johnson qui, étudiant la sexualité en laboratoire avec 790 volontaires (vers les années 1950), ont découvert non seulement une grande similitude entre tous les Êtres, mais même entre les hommes et les femmes. Sans aucunement nier les différences, ces similitudes sont une signature de la vie qu’on leur doit d’avoir mise en évidence.

« Les similitudes plus que les différences ont été accentuées par la présente investigation » (M&J-1968, p.301)

Un travail de laboratoire exigeant, avec éthique, respect, considération, et cependant beaucoup de mesures scientifiques et de chiffres, puis de statistiques, a permis à Masters et Johnson d’étayer ce fait des similitudes. Ils ont dû pour cela braver l’opinion publique, mais surtout celle de la médecine de l’époque, dont le puritanisme avait fait de ce sujet un mystère quasi sulfureux (vécus intimes et pas toujours glorieux de chacun caché en arrière plan, et façade choquée voire faussement « immaculée » mise en avant). Qu’ils soient remerciés pour avoir osé un tel travail à la fois dans la rigueur scientifique et dans le respect des Êtres, en dépit d’un environnement peu favorable. Ils ont permis aussi de venir en aide aux Êtres dont les souffrances en ce domaine sont multiples.

Au moins depuis 1886, plusieurs chercheurs et auteurs ont déjà tenté d’aborder ce thème, chacun selon ses données théoriques.

Michel Meignant (1936), psychothérapeute, sexologue contemporain, enseignant universitaire à Paris VIII, nous en propose un historique sur son site d’Amourologie*: En 1886, Richard von Krafft-Ebing publie en Allemagne « Psychopathia sexualis ». En 1898 Havelock Ellis publie aux USA « Studies in the psychololy of sex ». En 1905 Sigmund Freud publie en Autriche trois essais sur les théories de la sexualité. En 1919, Magnus Hirschfeld crée à Berlin son « Institut ». En 1926, Théodoore Van de Velde en Hollande décrit « Le mariage parfait », qui prône le bonheur à la place du devoir conjugal qui bénéficiera d’une cinquantaine d’éditions dans le monde jusqu’en1965.

*http://www.meignant.com/mamethode.html  Masters et Johnson citent aussi Theodoor Van de Velde (1873-1937), mais également Robert Dickinson (1861-1950),  ainsi que Alfred  Kinsey (1894-1956), qui ont abordé la sexualité avant eux. (M&J –1968, p.13)

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2   Une rencontre d’autrui

2.1 De l’objet vers le sujet

La notion de sexualité fait intervenir la notion de « rencontre d’autrui ». C’est même un des grands soucis lors de l’adolescence. Mais avant que la maturité ne fasse que ce soit vraiment « autrui » que l’on rencontre et non l’idée que l’on s’en fait, que celui-ci soit vraiment rencontré et non « instrumentalisé » à des fins de satisfactions personnelles (sexuelles ou sociales) un cheminement de conscience est nécessaire.

Sans se permettre le moindre jugement envers les différentes options prises par un individu au cours de sa vie, il n’en demeure pas moins que rencontrer un Être dans une réelle considération, ou simplement rencontrer l’idée qu’on s’en fait et l’instrumentaliser pour une satisfaction personnelle (sexuelle ou sociale)  ne relève pas de la même situation.

2.2 La psychanalyse et la « récolte d’objets »

La psychanalyse fut une révolution dans l’étude de la psyché, jusqu’alors méconnue, même si de nombreux philosophes avaient eu quelques riches idées à ce sujet bien avant. Sigmund Freud développa une certaine idée du développement psychosexuel. Il prit son premier appui sur les travaux de Charcot à la Salpêtrière, structura une approche spécifique de la psyché basée sur, d’une part deux topiques, et d’autre part des stades du développement.

Première topique : conscient (perception du monde), inconscient (zone de refoulement où la pensée n’a pas d’accès), préconscient (ni refoulé, ni accessible directement par la pensée).

Deuxième topique : le ça (pulsionnel), le moi (stratégique), le surmoi (plus ou moins « gardien social »).

Stades du développement : oral (0 à 1 an) avec la préoccupation buccale de la succion, le stade  anal (1 à 3 ans) avec la préoccupation des sphincters à maîtriser, le stade phallique (3 à 5 ans) avec une préoccupation de la différence anatomique fille/garçon, une crainte de la castration et un Œdipe qui arrive en force. Une période de latence (de 6 ans à 12 ans) qui met ce souci en veilleuse, jusqu’à son émergence à l’adolescence en préoccupation d’investissement de sa libido vers un « objet extérieur » (libido objectale). Que les psychanalystes me pardonnent ce résumé lapidaire car bien des praticiens y ont ajouté de fines précisions et des chercheurs d’autres précisions.

Naturellement la psychanalyse ne se résume pas à cet aspect purement objectal, mais il y tient une grande place. D’autre part, cette période de latence ne semble pas toujours être aussi rigoureuse :

Par exemple, Tordjman Gilbert (Gynécologue, pédiatre, sexologue – 1927-2009) dans son ouvrage « Réalités et problèmes de la vie sexuelle –Adolescents » (Hachette, Paris, 1978, page 25) pointe des rapports sexuels se produisant parfois entre enfants dès l’age de 6 ans, donc pendant la période de latence.

Nous voyons, comme toujours, que les catégorisations strictes ne permettent pas de rendre compte de toute la réalité et les fluctuations peuvent concerner bien des aspects.

Nous pouvons aussi opter pour le fait que les enjeux libidinaux identifiés par Freud, conduisant selon lui l’enfant à l’Œdipe*, sont plus des enjeux de besoin (spécifiques au moi), que des enjeux sexuels.

*Enfant désirant sa mère et voulant éliminer son père.

La libido est une énergie de besoin, dont la sexualité fait partie, mais la libido n’est pas la sexualité. Il est maladroit de les identifier l’une à l’autre car cela brouille la compréhension des enjeux. Il importe de comprendre que le lien libidinal mère/enfant est un lien de besoin non sexuel (l’un a besoin de l’autre), par lequel ces deux Êtres sont « attachés » en attendant de savoir se « rencontrer » (se rencontrer de plus en plus au-delà de leur imago [statut d’enfant et de mère], de plus en plus en tant que « les Êtres qu’ils sont »). Ils tendent vers la satisfaction de leurs besoins ontiques de « reconnaissance » (re-co-naissance) où ils se sentent conjointement être au monde.

Le besoin de reconnaissance (ontique), est à ne pas confondre avec le besoin d’estime (psychosocial). Le premier est une quête d’existence (reconnaître c’est accorder une place au monde à ce qui est inestimable), le second est une quête de valeur (l’estimation, c’est accorder une valeur à un objet). La reconnaissance concerne le Soi, l’estime concerne le moi.

2.3 La « rencontre des Êtres »

L’apparition du Soi dans la psychanalyse de Carl Gustav Jung apporte une nuance importante : « l’individuation » (devenir qui l’on a à être) et la prise en compte d’autrui qui en résulte, non plus en tant qu’« objet », mais en tant que « sujet. ». Freud  envisage surtout une entité stratégique (il la compare même à  l’hydre qui, avec ses pseudopodes urticants, attrape des proies et chasse des prédateurs –Freud,1985, p55-56) ; Jung propose une entité ontique*, portée par l’accomplissement de Soi et la rencontre d’autrui. L’ego (le moi) se développe dans un projet narcissique tourné vers lui-même, alors que le Soi se déploie dans un projet d’accomplissement ouvert au monde. Le moi est « captatif » (notion de profit), le Soi est « oblatif » (don, générosité, reconnaissance).

En d’autres nuances, mais de façon analogue, Abraham Maslow, place les besoins ontiques* comme fondement majeur de la stabilité d’un individu. Il  nous présente  l’humain cherchant à devenir de plus en plus humain, de plus en plus qui il a à être, tout ce qu’il a à être. Implicitement, il parle ici du Soi en quête d’individuation.

*Besoins ontiques : besoins de l’Être, besoins existentiels..

Abraham Maslow a parlé de hiérarchie des besoins  (et non de « pyramide » contrairement à ce qu’on lui attribue à tort) : il considère les  besoins physiologiques (manger, boire, respirer, etc.), les besoins psychosociaux (sécurité, appartenance, estime), et les besoins ontiques (reconnaissance, amour, justice, harmonie…etc). La première catégorie concerne le corps, la seconde concerne le moi et la troisième concerne le Soi. Ce qui est clairement évoqué par Maslow et hélas mal connu,  c’est que seule une satisfaction des besoins ontiques permet de supporter sans dommages des frustrations sur les autres besoins. Il précise que si les besoins ontiques sont insatisfaits, tout supplément d’apport au niveau des autres besoins laisse malgré tout le sujet désespérément insatiable.

De ce fait, les trois catégories sont très intéressantes à considérer concernant la sexualité : les besoins du corps purement pulsionnels et sans discernement  (proches du « ça » freudien), les besoins psycho-sociaux purement dans la performance et le profit stratégique (proches du moi freudien), les besoins ontiques  de l’Être en quête de rencontre subtile et d’état paroxystique* (proche du Soi Junguien). La sexualité, selon le niveau où elle est vécue, n’apporte pas le même type de satisfaction. Nous y retrouvons la règle selon laquelle tout supplément de satisfaction au niveau du corporel ou du psychosocial laisse insatiable, et que seule une satisfaction au niveau ontique laisse un sentiment de satiété durable.

*Paroxystique : Les expériences paroxystiques sont des pics de « révélation », de bonheur, de sensations profondes et indicibles, qui ressemblent à une sorte de déréalisation de soi temporaire (Maslow, 2004, p.151) assimilables paradoxalement à une sorte de « petite mort ». « Les expériences paroxystiques peuvent être en effet si merveilleuses qu’elles s’apparentent à l’expérience de mourir, une mort enthousiaste et heureuse » (ibid, p.132) « j’ai pu comparer métaphoriquement l’expérience paroxystique à une visite à un paradis individuel d’où la personne revient ensuite sur terre » ou « d’un paradis qui existe en permanence tout autour de nous, toujours là pour que nous y entrions, pour un petit moment au moins » (ibid, p.133) « Le paroxystique revient plus aimant et plus tolérant, et ainsi plus spontané, plus sincère, plus innocent » (ibid, p.134)

La sexualité vécue au niveau ontique apporte une satisfaction qui dépasse celle qui est éprouvée au niveau biologique ou même au niveau psychosocial (même si ces deux niveaux méritent aussi d’être considérés). « Tout » connaître sur la physiologie de la sexualité peut être utile, mais ne renseignera pas sur sa dimension ontique : L’appétit biologique ne renseigne pas sur l’appétit ontique.

« Il est évident que nous ne pourrons jamais comprendre totalement le besoin d’amour, aussi étendu que soit notre savoir sur le moteur de la faim » (Maslow, 2008,  p.43).

Selon Abraham Maslow, au niveau ontique :

« La sexualité peut être la source  d’un plaisir extrême, plus intense que pour un individu moyen, tout en ne jouant pas un rôle prépondérant dans leur philosophie de la vie » (Maslow, 2008, p.242).

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3   L’Être et son corps

Alors que la sexualité apparaît dans la psychologie d’une façon soutenue avec Freud (1836-1939), celle-ci reste néanmoins dans une sphère de concepts et de théorisations.

Quelques décennies plus tard, William Masters (1915-2001) et Virginia Johnson (1925-2013) vont aborder la réalité psychobiologique de la sexualité en prenant des options plus expérimentales. Considérant que « La fonction sexuelle est une fonction physiologique comme les autres » (1971, p.20). Leur premier ouvrage (« Les réactions sexuelles ») donne des éléments anatomiques, physiologiques et statistiques d’une très grande précision, le second (« Les mésententes sexuelles ») témoigne en plus d’une grande subtilité psychologique concernant le vécu des patients concernés.

3.1 Recherche innovante

William Masters, médecin gynécologue renommé, se donne pour projet de découvrir et comprendre ce qu’est la sexualité humaine, non pas sur un plan conceptuel, mais sur le plan réaliste d’une analyse scientifique en laboratoire. Virginia Johnson le rejoignit dans cette recherche qu’ils mèneront ensemble jusqu’à publier plusieurs ouvrages rendant compte de leurs travaux.

Le cursus de sociologie de Johnson ne la mènera pas à un diplôme, mais sa compétence en psychologie et en humanité ont rendu une telle expérience réalisable, permettant de trouver des sujets acceptant d’être « cobayes ». Les expertises conjointes de Masters et Johnson ont permis une étude rigoureuse de la sexualité, défaisant de multiples tabous ou idées reçues. Leur étude ne fut pas seulement une collecte de chiffres et de statistiques : elle permit de proposer des thérapies réalistes aux patients en souffrance dans leur vie sexuelle (« 80% de réussites », qu’ils présentent modestement en « 20% d’échecs »).

La compétence en psychologie de Virginia Johnson (même si elle n’était pas psychologue) fut dans cette recherche un atout majeur. En effet, traiter un tel sujet de manière scientifique est une chose, la façon d’aborder les volontaires qui acceptent d’être les sujets de cette recherche en est une autre. Il fallait beaucoup de tact et de délicatesse pour rendre possibles de tels travaux de laboratoire.

3.2 Avec un grand nombre de sujets

L’ensemble de leur étude a porté sur les hommes, les femmes, les couples, les hétérosexuels, les homosexuels, et sur des sujets de différentes races ou cultures.

En 1966 ils disposent de mesures sur 7500 cycles* de réponses sexuelles enregistrées chez des hétérosexuels (1980, p.100). Il est intéressant de constater que leurs mesures ne concernent pas que quelques cas isolés.

*Master et Johnson appellent « cycle » l’ensemble des étapes qu’ils ont identifiées : phase d’excitation, phase en plateau, orgasme, résolution.

Naturellement il convient de bien prendre en compte que la sexualité, vécue en laboratoire, était observée et mesurée, et que le manque d’intimité dans une circonstance aussi personnelle ne peut qu’en modifier certains paramètres.

Cependant les mesures ont été objectivées tant au niveau de l’électroencéphalogramme, que de l’électrocardiogramme, que des modifications de couleurs cutanées, que des diverses modifications de tailles (sur différentes parties corporelles de l’homme et de la femme), que de temps, de durées, etc. L’ouvrage « Les réactions sexuelles » (1968) foisonne de mesures de toutes sortes, plus précises les unes que les autres, dans les diverses phases du cycle sexuel pour l’homme et pour la femme : aussi bien des mesures sur ce qui se passe à l’extérieur du corps qu’à l’intérieur du corps

Nous remarquerons aussi que l’étude et le traitement des dysfonctionnements* porte sur 790 patients (1971, p.323). Il en résulte le constat de 20% d’échecs seulement, suite à une cure brève de 15 jours, dont les résultats obtenus ont été suivis durant 5 années. Ces cures se déroulent selon une éthique et un protocole précis.

*Les troubles traités sont : impuissance primaire ou secondaire, éjaculation précoce, incapacité d’éjaculation, pour les hommes et dysfonctionnement orgasmique primaire et secondaire, défaut de lubrification, vaginisme, pour les femmes, dyspareunies (douleurs aux rapports) chez les hommes et les femmes.

3.3 Problématique de l’objectivation

Le mérite de Masters et Johnson est d’avoir mis la sexualité en laboratoire et d’en avoir mesuré de multiples composantes de façon objective. Cela n’avait jamais été fait avant eux.

Cependant, nous ne pouvons manquer de noter qu’il s’agit de sujets volontaires et que les autres sont exclus de l’étude (l’éthique interdirait qu’il en soit autrement). Les mesures objectives ne concernent donc que ce public spécifique dont, de façon incontournable, les autres restent absents… et donc inconnaissables. D’autre part, si les mesures révèlent ce qu’elles révèlent, nous ne devons pas oublier que l’on mesure ce qu’il se passe quand on observe, et qu’il reste bien difficile de savoir objectivement ce qu’il se passe quand on n’observe pas. De plus, les câbles d’encéphalogramme et autres outils scientifiques n’ont rien de glamour ni d’aphrodisiaque et ne permettent pas d’accéder à une situation totalement naturelle.

Masters et Johnson sont parfaitement conscients de ce fait :

« Ni les sujets de laboratoire ni les patients de l’extérieur ne sont assez représentatifs de l’ensemble de la population pour permettre de donner des conclusions définitives […] on admet toutefois qu’une connaissance, même faussée, est d’une grande valeur pour l’étude du comportement sexuel humain »  (M&J-1968 p, 24, 25)

Ceci étant précisé, il n’en demeure pas moins que de multiples réactions sexuelles ont été objectivées, là où personne n’avait pu jusque-là poser une réalité précise. Une telle démystification, loin de dénaturer l’aspect communicationnel et subtil de la sexualité a permis de lui donner une réalité physiologique venant la sortir de l’ombre, des suppositions malsaines, des tabous réducteurs, des fantasmes désobligeants.

D’autre part, même si les techniques comportementalistes de la thérapie mise en œuvre par Master et Johnson sont assez directes, elles comportent maintes subtilités où les Êtres et les couples sont profondément respectés et accompagnés avec délicatesse sur le plan psychologique.

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4   Une psychologie subtile

4.1 Un binôme de praticiens

Quand un couple consulte, William Masters et Virginia Johnson se sont rendus compte qu’il importait qu’aucun des deux membres du couple ne sente (ou même ne suppose) une alliance du praticien avec le conjoint. Quand le praticien est un homme, la compagne peut éprouver comme une alliance entre celui-ci et son époux, quand le praticien est une femme, c’est le conjoint qui risque d’éprouver cette possible alliance entre la thérapeute et sa compagne. Afin d’éviter cet inconvénient, ils posèrent dans le protocole de consultation qu’il y ait comme thérapeutes un homme et une femme agissant conjointement pour accompagner un couple.

« Lorsqu’un couple a recours à un conseiller unique pour résoudre ses problèmes, l’un des époux peut avoir l’impression de se retrouver seul contre deux. » (M&J-1971, p.16)

Il se trouve aussi que le praticien homme ne recevra de la patiente femme que certains types de confidences et que la praticienne femme ne recevra elle aussi du patient homme que certaines révélations. Les informations émises étant plus ou moins inconsciemment auto filtrées en fonction de la sexuation de l’interlocuteur (p.17).

De plus un praticien homme ne saura pas toujours bien appréhender  ce qui est éprouvé par une femme et une praticienne femme ce qui est éprouvé par un homme. La mise en œuvre de la thérapie par une équipe mixte permet d’éviter ces écueils.

 « Les travaux de laboratoire avaient donc rapidement démontré la nécessité pour chaque chercheur d’avoir à ses côtés un interprète de l’autre sexe. Nous en avons conclu que les équipes mixtes seraient également plus efficaces en thérapeutique » (M&J-1971,p.16)

Les deux chercheurs ont aussi insisté sur le fait qu’il importe dans cette consultation de couple de ne pas s’appuyer sur le transfert (comme c’est le cas en psychanalyse)… et même de faire en sorte que celui-ci ne se produise pas. La thérapie, mise en œuvre ici, priorise le couple et ne souffrirait pas  le moindre risque d’ambiguïté.

« dès l’établissement du programme, nous avons adopté une position particulière et affirmé que la technique du transfert n’avait pas sa place dans un stage de quinze jours destiné à faire disparaître les troubles sexuels et à établir, rétablir ou améliorer la communication entre mari et femme » (M&J-1971, p.19)

« Le thérapeute n’a pas à rechercher l’établissement d’un courant affectif entre lui et le sujet, surtout si celui-ci n’est pas exempt d’implications sexuelles. C’est entre les époux que doit s’établir le courant venant renforcer les liens qui les unissent » (M&J-1971, p.18)

Le protocole de consultation fut encore affiné en ce sens où le premier jour chaque membre du couple est entendu (entretien de 2h) par le praticien du même sexe que lui, puis le deuxième jour par le praticien de sexe opposé (entretien de 1h30). Enfin, le troisième jour se réalise ce que M&J nomment « table ronde » où le couple est interrogé et entendu par les deux praticiens (p.40 à 41, et p.69)

4.2 Il ne s’agit jamais du problème de l’un des deux

La plus grande délicatesse (et sans doute la plus grande révolution) dans l’approche de William Masters et Virginia Johnson est d’avoir découvert qu’une difficulté sexuelle dans un couple, quelle qu’elle soit, n’est jamais le fait de l’un ou de l’autre, mais résulte de l’entièreté du couple et de sa relation. Ce qui fait qu’ils se sont toujours refusés à recevoir en thérapie uniquement le sujet qui manifestait le symptôme (dyspareunie, impuissance, éjaculation précoce, anorgasmie, vaginisme, …etc.) mais toujours les deux conjointement. Extraordinaire intuition de l’aspect systémique, où ce qui se manifeste chez l’un n’est jamais sans rapport avec ce qui se passe chez l’autre.

«[…] les problèmes sexuels sont les problèmes de la cellule conjugale et, en aucun cas, ce ne sont les problèmes de l’un ou de l’autre époux » (M&J -1971, p.15).

« Il y a toujours deux partenaires responsables des insuffisances sexuelles qui troublent la vie d’un couple » (ibid., p.40).

« Ce ne sont pas les époux qui sont en cause, mais leur relation » (ibid., p.70).

 « Or il faut le répéter encore, il n’existe pas, dans un couple, d’incompétence sexuelle à laquelle le partenaire soit étranger. L’incompétence sexuelle est un problème de couple ; ce n’est pas un problème particulier à un homme ou à une femme » (ibid., p.183).

Le conjoint qui se plaint du « problème sexuel » de son compagnon ou de sa compagne ne doit pas conduire au fait que l’on s’occupe exclusivement de celui qui manifeste le symptôme. Il ne doit pas conduire non plus au fait qu’il se retrouve lui-même culpabilisé de quoi que ce soit. C’est vraiment une prise en compte du couple, avec du sens et un grand respect pour chacun. Le travail du praticien consiste à permettre cette prise en compte systémique, sans qu’aucun des deux ne soit « chargé » d’une quelconque faute ou insuffisance.

4.3 Il ne s’agit  pas non plus de pathologies

Bien plus encore, Masters et Johnson ne partent pas du principe d’une psychopathologie venant engendrer le trouble sexuel qui se manifeste, mais du reflet pertinent qu’il représente concernant la relation du couple.

 « L’interrogateur ne doit pas se laisser emporter par la déformation professionnelle et voir partout un arrière plan psychopathologique […] Imprimer une notion d’"anomalie sexuelle" dans l’esprit des patients risque donc de créer une situation psychopathologique là où il n’y avait que méconnaissance d’une fonction naturelle et/ou absence de communication » (M&J -1971, p36).

Ils insistent même sur le fait qu’un discours pathologisant pourrait avoir des répercussions néfastes sur les patients. Cette dédramatisation et cet accent mis sur une vraie communication entre les conjoints, où chacun va apprendre à mieux connaître l’autre, est tout simplement extraordinaire. Ils font de cette « dépathologisation » un paradigme fondamental qui, au-delà des situations sexuelles dont ils s’occupent, devrait concerner bien des thérapies.

« Et insistons de nouveau sur ce principe fondamental selon lequel les époux doivent se convaincre profondément que personne, à la Fondation, ne les considèrent, ni l’un ni l’autre, comme des malades, quelle que soit la nature de leurs déficiences sexuelles. Le couple doit bien comprendre que les thérapeutes ont pour mission de soigner une relation conjugale chancelante et que c’est seulement en arrière plan de ces soins qu’ils s’intéressent aux problèmes personnels des individus en présence » (ibid., p.72)

Le couple à l’honneur, les Êtres dans leur ouverture l’un à l’autre, accompagnés vers cette possibilité de rencontre et de découverte de son conjoint et de soi-même… Nous avons là des praticiens d’une extrême délicatesse qui ont sans doute affiné leur approche du fait de l’intimité extrême de ce dont souffrent leurs patients. Ils l’ont fait avec tact et subtilité dans une zone jusque-là inexplorée. Leur thérapie, à tendance comportementale, est ainsi accompagnée d’humanité et de prise en compte très respectueuse des valeurs sexuelles de chacun.

4.4 Le précieux « non savoir » des praticiens

Masters et Johnson mettent en garde contre un savoir « suffisant » pour ne pas dire « pédant », qui ne prendrait pas en compte les multiples ajustements spécifiques à chaque individu :

« Sorti de son contexte un récit sexuel n’a pas plus de sens qu’un récit sur le cœur ou l’estomac » (M&J – 1971, p.33)

Ils invitent même les praticiens à accepter une remise en cause par leurs patients, car finalement, eux seuls ont l’expertise de ce qu’ils éprouvent.

« Il faut répéter constamment que chaque détail peut être repris, explicité, complété ou supprimé lorsqu’un des époux est à même de démontrer ou simplement de signaler une erreur ou un manque d’information chez les thérapeutes […] Ces remises en cause ne font aucunement obstacle à l’autorité des thérapeutes lorsqu’il s’agit pour eux de montrer aux époux l’ignorance dont ils font preuve et les mythes dont ils sont victimes dans leur façon de concevoir les rapports sexuels ». (ibid., p.70)

Les systèmes de valeurs des patients doivent être respectés. Ainsi, M&J vont même jusqu’à solliciter ces recentrages de la part de leurs patients :

« Il serait absurde de s’imaginer pouvoir recueillir en deux jours les éléments suffisants non seulement à reconstituer l’histoire du couple mais aussi à interpréter les attitudes qu’ils adoptent vis-à-vis de la société et de la vie sexuelle. C’est pourquoi on recommande, à plusieurs reprises, aux époux qui consultent, d’intervenir dès qu’ils remarquent quelque confusion dans l’esprit des thérapeutes. » (ibid., p.61) [mis en gras pour la citation]

Ils ne se posent en aucun cas en « donneurs de leçons » et sont en réelle collaboration avec leurs patients. Certes ils amènent une expertise, mais celle-ci ne prétend jamais se substituer à celle des patients concernant leurs ressentis et leurs systèmes de valeurs.

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5   Une situation indicible

5.1 Ni pour soi ni pour l’autre

La difficulté essentielle, parfaitement pointée par Masters et Johnson, est qu’en matière de sexualité une amélioration ne vient, ni de ce que l’un fait pour l’autre ou à l’autre, ni de ce qu’il fait pour lui-même, mais de ce que les deux font ensemble.

Une posture égoïste où l’un des deux ne pense qu’à son plaisir chosifie l’autre et désinvestit rapidement celui-ci (ce qui semble évident), mais aussi une grande générosité portant à « tout faire pour l’autre » afin qu’il soit bien, en s’oubliant soi-même, ne fonctionne pas non plus (ce qui est beaucoup plus subtil).

La générosité autant que l’égoïsme peuvent  bloquer le partenaire. Si avec l’égoïsme il peut se sentir instrumentalisé, avec la générosité il peut se sentir sous le pouvoir d’une injonction de plaisir imposé qui risque tout autant de le chosifier et de le désinvestir.

« Ni l’un ni l’autre des partenaires ne doit prétendre connaître les besoins de son conjoint, ni chercher à les contrôler. » (M&J - 1975, p.35)

M&J insistent sur le fait qu’un moment sexuel épanoui ne se décrète pas, qu’il ne peut s’inscrire dans le profit ou le pouvoir, et qu’il résulte d’enjeux subtils où de multiples facteurs (parfois contradictoires) sont intimement intriqués.

 « Elle [l’intervention des praticiens] doit aussi parvenir à convaincre de ce qu’il ne faut pas désirer une relation sexuelle pour l’obtenir alors que celle-ci vient d’elle-même après de multiples approches, érotiques ou non, souhaitées par les partenaires. » (M&J -1971, p.81)

L’enjeu tellement délicat est que si l’on ne fait rien il ne se passe rien, mais que si l’on fait quoi que ce soit avec trop de « je veux » (pour soi ou pour l’autre) il ne se passe rien non plus, du moins « rien » en termes de la qualité attendue ou, en cas de symptômes indésirables, rien en termes d’amélioration.

Cette posture « ni pour soi, ni pour l’autre…mais ensemble » mérite bien des précisions que nous allons tenter d’approcher dans les lignes qui vont suivre.

« La réussite des relations sexuelles est une chose qui émane de deux personnes. L’efficacité dépend de la collaboration. Chaque partenaire fait quelque chose avec l’autre, mais ni à l’autre, ni pour l’autre. » (M&J - 1971, p.28 et p.35).

5.2 Le champ de la sensualité

La sensualité n’est pas la sexualité. Ces deux mots se sont parfois confondus alors que la sensualité est la capacité à vivre ce que nous offrent nos sens de façon générale, et non spécifiquement sexuelle. La sensualité est une sorte d’interface permettant de faire l’expérience du monde grâce à nos sens. Dans la sexualité, la sensualité joue un rôle important, mais l’une n’est pas réductible à l’autre. Dans le cas spécifique de la sexualité, ce type particulier de sensualité permet de faire une expérience de soi et de l’autre dans un « nous » extatique, une expérience paroxystique, une sorte d’état modifié de conscience plus ou moins important et plutôt indicible, même si les artistes et les poètes se sont assidûment  employés à l’évoquer de multiples façons, parfois avec de belles trouvailles.  Si on ne peut avoir de sexualité épanouie sans sensualité, on peut très bien avoir une sensualité subtile sans sexualité.

C’est même une des accroches de la thérapie de M&J, qui proposent aux couples une découverte de leur sensualité avant d’envisager la moindre sexualisation de leurs actes. Chacun est invité à « donner » puis, dans une autre phase, à « recevoir » des perceptions sensuelles de son partenaire, sans aucun projet sexuel.

« Les "exercices" sensoriels marquent le début d’un processus d’éducation qui permet une modification graduelle des réactions négatives à l’égard des stimuli ; de cette façon la découverte est le fruit d’une expérience positive. » (M&J -1971, p.83)

« Les conjoints apprennent ainsi qu’un besoin instinctif de caresser n’est pas nécessairement une invite à faire l’amour. «  (ibid, p.90)

La situation n’est pas toujours aisée pour certain sujets chez qui la sensualité n’a pas eu l’opportunité d’être mise en œuvre ou d’être validée au cours de sa vie. Il s’agit pour de tels sujets d’un véritable apprentissage, dans lequel peut œuvrer par exemple une thérapie comportementale, mais aussi la sophrologie ou même la pleine conscience.

« Prendre conscience de sa sensualité et faire jouer celle d’autrui peut être extrêmement difficile à quiconque n’a pas eu l’occasion de développer progressivement ses sens dans des circonstances où ses expériences étaient valorisées, encouragées, ou du moins tolérées. » (ibid., p.83).

5.3 Sans buts ni performances

La sensualité doit être aidée par l’absence de but ou d’idées de performance. Tel le supplice de Tantale, vouloir ne permet pas d’obtenir, mais éloigne de soi ce que l’on voulait. Ce mythe grec ne parlait pas de sexualité, mais semble bien l’illustrer. Celui qui « veut » n’obtient pas et voit disparaître ce qu’il convoitait. Souhaiter quelque chose sans être dans « je veux », sans pour autant ne rien faire, mais en étant libre des buts et des performances… afin d’aboutir à ce qui était souhaité. « Vouloir sans vouloir », « faire sans faire », « réussir sans chercher »… ces quelques contradictions viennent perturber ici notre intellect, dont la rationalité ne supporte pas ces dialogiques (éléments contraires qui s’étayent l’un l’autre).

De ce fait la mise en mots d’une telle posture peine à être formulée, et encore plus à atteindre notre intellect. La difficulté qu’ils tentent d’énoncer est que plus le focus se met sur le but à atteindre, plus celui-ci s’éloigne, s’évanouit, s’efface. C’est un peu comme si « plus je regarde, moins je vois », comme si l’attention qui se focalise faisait disparaître ce qui avait été entraperçu. Rien n’est plus contrariant !

« le meilleur moyen d’écarter cette peur de l’acte sexuel est de ne jamais présenter celui-ci comme un but à atteindre […] Il est donc indispensable de ne jamais parler du but  vers lequel tendre » (M&J, 1971, p.23).

« Il ne doit pas fixer d’objectifs à sa compagne, ni essayer de forcer la sensibilité de cette dernière. Il doit garder une attitude conciliante, sans pour autant se montrer désintéressé au point que sa compagne ou lui-même en oublie son propre plaisir. » (ibid., p.278)

Être ni intéressé (avidité) ni désintéressé (indifférence). En fait on pourrait dire qu’il s’agit surtout d’être attentionné (envers soi comme envers l’autre) et surtout concerné (se sentir impliqué dans quelque chose de juste et d’important)… mais tout en restant libre soi-même et en laissant l’autre libre également.

 Nous avons là une bien curieuse équation. S’il s’agit d’une simple satisfaction pulsionnelle, celle-ci ne se pose pas tant de questions et ne se soucie pas de tels problèmes... mais elle en pose d’autres, car à se satisfaire soi sans respecter autrui… une avalanche de conséquences surgissent pour tout le monde, et l’humanité ne peut qu’en être lourdement altérée pour chacun. S’il s’agit plutôt  d’une idée de performance qui est, de façon moins pulsionnelle, plus raisonnée et stratégique, avec un but psychosocial d’objectif glorieux à atteindre, cela reste encore assez simple… mais en termes de résultats, chaque performance en appelle une autre plus forte. Je me souviens ainsi de ce patient qui avait eu près d’un millier de partenaires sans jamais trouver pour autant une satisfaction sexuelle à la hauteur de son intuition.

Si l’on se rappelle des trois catégories de besoins (physiologiques, psychosociaux et ontiques), seule la satisfaction des besoins ontiques apporte une paix durable… et cela semble aussi concerner la sexualité. Le tantra est souvent évoqué dans notre culture comme une spiritualité ancestrale de la sexualité (vers le troisième siècle après JC).  En vérité, sexe et tantra ne sont pas ancestralement associés, il se trouve simplement que le tantra propose de ne pas lutter contre les émotions et donne une grande place aux sens et à la sensualité. De ce fait, sexualité et tantra ne sont pas sans lien mais ce n’en est pas le fondement majeur. Le mot « tantra » dont la racine évoque l’idée d’expansion (tanoti) et de libération (travati) désigne implicitement la trame d’un tissage où la chaîne se déroule, recevant les allers et retours de la navette qui donne à l’étoffe une expansion. Le mot tantra contient l’idée d’intrication (tissage) et de prolongement ou de déploiement (continuité de l’étoffe qui apparaît sous le métier).

Loin de dire que l’un (l’homme ou la femme) serait le fil de chaîne et l’autre le fil de navette, nous y verrons plutôt l’intrication de l’Être (la continuité du fil de chaîne) et de son corps (fil de navette qui réalise le tissage). De même que le Yoga (étymologiquement venant de « joug ») permet d’atteler l’Être et le corps dans un partenariat existentiel vers une vie accomplie, le tantra propose une telle intrication source de déploiement. Le tantra envisage la transformation intégrale de l’Être Humain en passant par ses sens.

Quoi qu’il en soit, la formule populaire évoquant le fameux 7e ciel pour l’extase sexuelle a bien intégré (souvent sans en prendre la mesure) la dimension ontique qui devrait accompagner cette précieuse intimité.

La problématique des buts est dans ce cas bien obsolète car ce « fameux ciel » ne peut être un « projet » : pro-jeter, c’est « jeter devant » puis courir après. Si une telle démarche purement objectale (quête d’objet) se produit bien dans la sphère psychosociale de la sexualité de performance (laissant un appétit insatiable), cela ne peut être dans la sphère ontique de la sexualité, où il s’agit plus de rejoindre un endroit transcendé… où les deux Êtres se retrouvent intriqués dans une sorte d’état modifié de conscience où leur « tissage » existentiel les conduit à une expansion de Soi habitée par l’Autre (autant qu’une expansion de l’Autre habitée par Soi).

M&J insistent vraiment sur ce piège du « vouloir » ou des « buts à atteindre » et placent dans leur cure ce paradoxe d’une « réussite qu’on ne cherche pas », d’un « aboutissement qui surgit naturellement d’un état libre de toute attente », dans lequel on se garde bien d’évaluer, mesurer, observer ce que l’on fait, ce que fait l’autre, ce que ça nous fait, ou ce que cela fait à l’autre. L’enjeu est de ne pas être observateur, tout en étant très attentionné, tout en étant profondément investi dans une communication, une rencontre et une sensualité conduisant, sans le chercher, vers un subtil état modifié de conscience.

« Ils ne doivent pas se soucier de provoquer l’orgasme de la femme ou l’éjaculation du mari. Quand on arrive au paroxysme pendant le coït, c’est par hasard, involontairement, naturellement, mais jamais parce qu’on l’a décidé. » (M&J -1971, p.194)

La mise en mots d’un tel défi est très délicate et ne semble que difficilement pouvoir en rendre compte. Il importe de comprendre que se laisser porter dans une telle trajectoire, où il ne s’agit jamais de performance, comporte des moments meilleurs que d’autres et que justement cela n’est jamais vu comme un problème ou un échec. Au-delà de leur étude technique du sexe en laboratoire qui n’a rien d’existentielle, M&J ont su approcher une psychologie de l’humain très subtile. Ils étaient déjà sur une version profondément humaniste des TCC.

5.4 Assertivité et synergie forte

Les notions de communication, de tact et de générosité ne suffisent pas à situer notre propos. Naturellement, l’« assertivité » (affirmation de soi dans le respect d’autrui) nous en rapproche par sa notion de réciprocité, mais nous devons aussi recourir à la notion de « synergie forte », où nous trouvons une équivalence de bonheur aux deux pôles.

La notion de synergie est abordée hors du champ de la sexualité par Ruth Benedict (1898-1936, professeur d’anthropologie à l’université de Columbia). Des éléments de ses travaux nous sont rapportés par Abraham Maslow dans son ouvrage « Humain » (2006- p.223 à 236). Pour résumer, ses recherches multiculturelles, la conduisent à identifier des sociétés à synergie forte et des sociétés à synergie faible. Parmi les principales caractéristiques, en synergie forte ce qui profite à l’un profite à tous et ce qui profite à la communauté profite à chacun ; quand un membre de cette société commet une erreur, il lui est toujours donné un moyen de la réparer ; quant à la religion, leur  Dieu y est toujours amical. En synergie faible, au contraire, ce qui profite à l’un dépossède les autres et ce qui profite à la communauté dépossède chacun ; quand un sujet commet une erreur il est banni ainsi que sa descendance ; quant à leur Dieu, il est vindicatif et terrorisant. La synergie forte semble correspondre dans l’évolution au stade humain dont Charles Darwin disait qu’arrivé à l’humain, le mieux adapté est celui qui sait prendre soin du plus faible… car la coopération est plus fructueuse que la compétition. Il plaçait la compétition dans la zone préhumaine. Ces données méconnues sont rapportées par Patrick Tort, spécialiste de Darwin.

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73)

La notion de synergie forte nous intéresse particulièrement au niveau de la sexualité, en ce sens où ce qui profite à l’un doit profiter à l’autre (et réciproquement) et qu’une erreur ne doit pas être sans possibilité d’être réparée.

La réciprocité en sexualité est très difficile à énoncer car elle se situe bien au-delà de la notion de générosité. Un don de Soi qui n’enlève rien à l’autre, qui n’impose rien à l’autre. Le « donner » ne peut se concevoir sans le « recevoir », au point que Masters et Johnson invitent à « être le réceptacle des réactions de l’autre », sans pour autant chercher à les produire, tout en étant à son écoute dans un indicible don de Soi, dans lequel cependant on ne s’oublie pas… l’intellect peine à appréhender ces nuances apparemment opposées, qui cependant s’étayent réciproquement et apportent toute la grâce d’un tel vécu.

« Il faut insister sur le fait qu’il ne sert à rien de donner du plaisir dans le but de recevoir une excitation en retour. Il faut qu’un homme donne de lui-même pour le plaisir de sa partenaire et qu’il s’oublie pour s’abîmer dans la contemplation de celle-ci, cessant d’être un spectateur pour devenir un réceptacle des réactions féminines. C’est seulement en s’abandonnant dans le geste qu’il fait vers l’"autre" qu’il s’ouvrira aux réactions physiques et psychiques que l’"autre" lui renvoie ». (M&J -1971, p.185) [mis en gras pour la citation]

Cette réciprocité et ce « désintéressement attentionné » indicibles, sont mis en mots par M&J dans le cas du trouble orgasmique :

Face à la difficulté orgasmique de sa compagne le conjoint « s’estime obligé de faire quelque chose et s’inquiète de ce qu’il peut faire au lieu de rechercher pour lui-même un plaisir qui, finalement, s’emparerait aussi de sa femme, mettant fin à ses problèmes » (ibid, p.28)

Cela concerne l’entièreté de la sexualité où une intrication des ressentis est bien délicate à démêler, si ce n’est qu’il ne peut s’agir de pouvoir.

« Plus de la moitié du plaisir de chaque expérience sexuelle dépend de la réaction du partenaire. » (M&J -1975, p.128).

« Mais il ne doit évidemment pas s’agir de méthodes subtiles et intéressées visant à ressusciter un désir chancelant. » ( ibid., p.129).

Ils ont parfaitement identifié cette intrication multiple, si vaste que seule une confiance attentionnée sans but, mais investie et concernée, peut permettre à cette manifestation (dont la source est multifactorielle) d’émerger.

« […] les réactions sexuelles naissent souvent dans le sillage d’autres émotions intenses fondées sur le donner et  le recevoir. » (ibid, p.86).

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6   L’aspect communicationnel

6.1 L’indispensable acceptation d’un non savoir

Concernant l’autre, nul ne peut savoir à sa place. Tous rapports humains devraient s’accomplir dans le respect de ce fait. En avril 2001 j’ai publié « Le non savoir source de compétence » afin de préciser cette notion selon laquelle pour exercer un métier en matière de thérapie ou de communication, l’on devrait se former au « non savoir » et apprendre à ne pas penser à la place de l’autre.

En matière de communication, c’est une  base essentielle. L’Être (individu) est au premier plan, et l’information (objet) au second plan, en ce sens où seul celui qui s’exprime est détenteur de sa justesse personnelle et peut expliciter  la raison pour laquelle il dit ce qu’il dit (voir les publications : « non directivité et validation » 2012-01 et « relation et communication » 2014-10). Cette règle générale est tout aussi impérieuse dans le domaine de la sexualité. Croire savoir pour l’autre, sans qu’il ne nous éclaire à son sujet, constitue une belle illusion et produit bien des déboires, même chez des sujets sexuellement expérimentés.

« La première erreur regrettable des hommes et des femmes de nos sociétés consiste à croire que les hommes, guidés par Dieu et par un instinct infaillible, sont capables de discerner à tout moment les besoins sexuels d’une femme. La seconde consiste à faire tout reposer sur la dextérité de l’homme. » (M&J, 1971, p.91).

Masters et Johnson insistent sur cette communication, sur cet éclairage mutuel de l’un par l’autre.

« Le partenaire n’est pas obligé de deviner ce qu’éprouve l’autre et d’ailleurs il se trompe en général. » (M&J -1975 p.85)

D’où l’importance extrême de la communication en matière de sexualité. Cependant, celle-ci ne consiste pas en un bavardage superficiel, mais en une réelle curiosité réciproque l’un envers l’autre, un goût de se découvrir et de se rencontrer, de se révéler.

« La communication ne se limite pas à la parole et discuter n’est pas toujours synonyme de communiquer. » (M&J -1975, p.85)

Sans oublier qu’ici, les locuteurs doivent faire face à une difficulté purement sémantique : les mots de la sexualité sont peu utilisés dans le langage courant et risquent maladroitement d’osciller entre une ridicule préciosité scientifique et une vulgarité dévalorisante, ou se perdre dans des métaphores plus ou moins judicieuses.

« Leur réticence, en outre peut s’expliquer par un manque de vocabulaire approprié. La terminologie clinique peut glacer et les mots vulgaires choquer […] » (M&J -1975, p.86)

Le couple, riche de considération l’un envers l’autre, devra trouver un langage dans lequel chacun des deux éprouvera une justesse qui lui correspond, osera les mots utiles à leur expression. Que le langage soit à tendance « clinique » ou à tendance « châtié », mixte ou autre, il leur appartient de trouver une expression qui leur permet de ne glisser dans aucun irrespect par rapport à ses propres valeurs ou celles de son conjoint. Encore une fois cela ne s’invente pas mais se découvre à deux.

6.2 Se découvrir réciproquement

Il est bon d’avoir la curiosité de l’autre, de ne jamais prétendre savoir à sa place pour ce qui le concerne. Avoir le goût de le découvrir avec soin (curiosité vient de « cure » signifiant  « soin »).

Croire connaître l’autre sans passer par lui est non seulement une illusion mais un peu une offense, et dans tous les cas entrave la bonne marche des échanges. En ce qui concerne la sexualité, Masters et Johnson expliquent l’importance d’un tel partage qui évite l’illusion de « toujours bien faire » alors que l’autre ne fait que « tolérer ».

« […] les divers moyens qui permettent à un homme d’éviter le piège fréquent où il tombe lorsqu’il donne à sa femme non les caresses qu’elle aime vraiment mais seulement celles qu’elle lui autorise. » (M&J -1971, p.275)

« L’homme ne doit pas essayer d’aller au-devant des désirs de sa femme ni avoir recours à des stimuli de son choix. L’expérience antérieure de l’homme n’a pas de place dans l’apprentissage. » (ibid., p.276)

Ils insistent sur le fait que « Les réactions sexuelles ne peuvent jamais être prévues et encore moins imposées. » (ibid., p.280), que rien n’est définitivement établi. Ces réactions fluctuent en fonction de multiples paramètres et ne peuvent être pensées de façon préfabriquée. Ce « non savoir » constant concerne également les praticiens qui se doivent de toujours être à l’écoute d’une nouveauté inattendue chez leurs patients. C’est sans doute cette ouverture d’esprit qui a permis la qualité du travail de M&J.

« L’humeur, l’intérêt, et le désir se modifient constamment suivant des rythmes propres à chaque individu. Leurs variations sont donc impossibles à prévoir du jour au lendemain par les thérapeutes, et il revient à chaque partenaire de reconnaître le moment où une simple attention sera pour la femme plus importante qu’un geste tendre, pourtant tellement agréable et indispensable en d’autres temps. » (ibid., p.280)

« Être communicant » signifie « être ouvert » et ne se mesure pas en termes de flot de paroles (remarquez que des pièces qui communiquent ne se parlent pas et ont simplement une porte entre elles, qui permet de passer de l’une à l’autre). Des Êtres communicants sont comme on le dit « open », ouverts l’un à l’autre, et peuvent échanger aussi bien des mots que du non verbal, qu’ils ajusteront subtilement du fait de cette ouverture, sans choquer, ni être choqués. Dans la communication, il y a une sécurité et aucun jugement de valeur.

« Le mari et la femme  doivent surtout être présents l’un pour l’autre, pas seulement se voir, mais se regarder ; pas seulement s’entendre, mais s’écouter ; pas seulement parler, mais communiquer dans un dialogue. » (M&J -1975, p.146)

« Le désir d’adresser et de recevoir est capital dans la communication sexuelle, comme toujours quand il s’agit de communiquer. » (ibid., p.35)

L’exigence communicationnelle, en matière de sexualité, est très subtile en ce sens où la synergie forte (réciprocité du bonheur de chacun) y est fondamentale. Rien n’y est fait pour soi (égoïsme) ni pour l’autre (générosité) et encore moins « à l’autre » (pouvoir). Tout y est générosité envers un « nous » hors des buts et des projets, où l’intime et l’universel se rejoignent, où la présence réciproque touche un état modifié de conscience dans lequel chacun se déploie en toute sécurité.

Naturellement la sexualité peut se vivre de diverses façons, avec toutes sortes de fulgurances non attentionnées, dans lesquelles parfois se passent tout de même quelques miracles. Cependant l’absence de cet état communicationnel inspira le chanteur Georges Brassens qui nous offrit une statistique empirique dans sa chanson intitulée« Quatre-vingt-quinze fois sur cent ». Il y déroule dans l’humour et la « crudité » de son langage : « Quatre-vingt-quinze fois sur cent. La femme s'emmerde en baisant. Qu'elle le taise ou le confesse. C'est pas tous les jours qu'on lui déride les fesses ». Ce que M&J évoquent également de façon moins crue :

« En effet, s’il n’y a pas participation totale de l’individu la sexualité peut devenir ennuyeuse, peu stimulante, voire inexistante. » (M&J -1971, p.91)

Chacun fait ce qu’il veut… ou ce qu’il peut. Chacun est libre de ses choix et de ce qui lui convient, pourvu que cela lui convienne et que cela soit suffisamment dans le respect d’autrui. Sans doute tout le monde a pourtant l’intuition de quelque chose qui devrait se surpasser. Chacun fantasme et imagine une transcendance plus ou moins implicite. Mais en l’absence de considération, de reconnaissance, de communication et de synergie forte suffisantes, il se retrouve au pire dans une simple satisfaction pulsionnelle du corps, au mieux dans la réalisation d’une performance flattant l’ego. Les sensations de vide qui s’en suivent le laissent alors insatiable et un peu triste*. La plénitude ontique, implicitement rêvée, lui échappe alors dans une quête sans fin, qu’aucune quantité ne peut combler.

*Tristesse post coïtal énoncée dans la célèbre formule des philosophes : « omne animal post coitum triste est » (Tout Être vivant est triste après le coït)  

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7   Accompagnements « thérapeutiques »

7.1 Ce que proposent Masters et Johnson

Masters et Johnson ont pris une option comportementale dans leur thérapie. Ils l’ont fait avec une subtilité humaniste et un souci d’apporter un soulagement des patients surpassant toute volonté d’accréditer des suppositions théoriques.

Mesurer les résultats et les suivre sur cinq années, sans concession, les exprimant en pourcentage d’échecs (20%) et non en pourcentage de réussite qui serait plus flatteur (80%).

Une durée de deux semaines est adoptée depuis 9 ans quand l’ouvrage est écrit (1971, p.26). Tout est mis en oeuvre pour un isolement social favorisant un rapprochement des deux personnes concernées : vacances, communication (p26-27). De plus ils proposent chez les praticiens une disposition d’esprit telle que les patients gardent toujours leur esprit critique :

1/La communication et le respect avant tout ; 2/la présence de praticiens des deux sexes travaillant en binôme ; 3/l’absence de but et l’avancée en étapes naturelles, une démystification de ce qui est universel afin que l’intime trouve une place paisible ; 4/une acceptation de ne pas savoir à la place de l’autre, tant de la part des praticiens envers les deux membres du couple qui consultent, que pour les deux membres du couple chacun l’un envers l’autre.

« Et les thérapeutes doivent veiller à entretenir l’esprit critique des époux. […] Et une obéissance aveugle de leur part [de la part des époux] ne faciliterait ni leur tâche, ni celle des thérapeutes. » (M&J- 1971, p.76).

A l’incontournable absence de buts s’ajoute aussi le fait très important que toute erreur ne soit jamais un problème mais source de compétence à venir :

« Ce sont ces erreurs qui sont à la base de l’apprentissage » (ibid., p.28).

« Si l’on peut encourager les deux partenaires à rire de leurs propres faiblesses et à compatir mutuellement à leurs erreurs, une importante percée est faite. » (ibid., p.90).

Ils proposent aussi de savoir jongler avec des paradoxes, car l’amélioration ne vient pas d’un effort acharné avec des techniques méthodiquement appliquées, mais d’une posture attentionnée (tant envers soi qu’envers son partenaire), accompagnée de lâcher prise, de rencontre, de communication, de considération, d’acceptation de sa propre ignorance concernant l’autre et de celui-ci comme source éclairante. Un lâcher prise d’avec le projet de progrès, pour privilégier la présence et l’existence de l’autre et de soi-même.

« Chaque fois qu’un individu se met à jauger sa performance sexuelle ou celle de son partenaire, il détruit les conditions naturelles de l’acte sexuel. » (ibid., p.184).

Toute autoanalyse des progrès et des buts place le sujet en « observateur ». Masters et Johnson dénoncent cette posture de celui qui observe et s’observe comme une des plus néfastes à l’avancée de la cure. Ainsi ils ont envisagé une cure progressive, mais néanmoins rapide, d’abord fondée sur la communication et l’humanité, puis sur la découverte de la sensualité (différenciée de la sexualité).

-1er jour : entretien de chacun avec le thérapeute du même sexe que lui (2h)
-2e jour : entretien avec le thérapeute de sexe opposé (1h30)
Les durées des interviews sont  abordées p.69
3e jour : table ronde, les deux patients avec les deux thérapeutes p.40-41
Entre le 3e et le 4e jour : exercices de sensibilisation (sensualisation) p.78.
4e et 5e jour : exercices physiques identiques quelles que soient les difficultés en cause. p.77

C’est au 4e jour que les parties corporelles génitales sont abordées dans les « exercices » de caresses, qui ne visent qu’à découvrir la sensualité de cette zone physique, tout en considérant tout de même l’entièreté du corps dans sa sensualité, et surtout sans qu’un acte complet ne soit sollicité. p.91, 92. Un temps de découverte où :

« Chaque partenaire prend à tour de rôle l’inititative pendant un temps dont la durée n’est pas spécifiée. » (ibid., p.94)

Puis progressivement les initiatives peuvent prendre de l’ampleur, jusqu’à oser solliciter le partenaire dans ce qui est le mieux pour soi.

« On crée une nouvelle forme de communication en prescrivant au partenaire qui reçoit le plaisir de prendre plus d’initiatives que la veille ; alors qu’il s’était contenté jusque-là d’interrompre les gestes qui étaient franchement désagréables, on lui demande au quatrième jour de saisir la main de l’autre et d’indiquer comment il veut être caressé . »  (ibid., p.91

Dans ces protocoles tout est très précis, et en même temps très souple et très respectueux. De telles choses seraient totalement impossibles en simples réalisations techniques péremptoires. Les praticiens respectent scrupuleusement les subtiles avancées ou gènes des patients, et leur accompagnement ne va jamais plus loin que ces derniers ne le peuvent.

« L’interrogation ne doit jamais se poursuivre en dépit du malaise du patient » (ibid., )p.41

Il s’agit pour Masters et Johnson de permettre aux patients d’accéder à une sensibilité subtile et attentionnée, qui ne se pense pas mais qui s’éprouve dans une délicatesse et un respect qui leur laisse une empreinte naturelle.

« Dans notre programme de traitement, nous nous fondons uniquement sur l’expérience sensorielle des individus car il nous est apparu que la réminiscence du plaisir lié à une sensation quelle qu’elle soit, est la seule constante psychique qui se retrouve dans toute relation sexuelle, sans être hautement personnalisée. […] En utilisant ces réminiscences, on fournit à tous les individus la possibilité de faire évoluer leur vie sexuelle en faisant comprendre l’universalité des sensations qu’ils éprouvent. On leur permet aussi d’estimer éventuellement après l’avoir développée, leur capacité de concentration sensitive. » (ibid., p.78)

« Le premier exercice de concentration sensorielle du troisième jour a été une source de délices pour nombre de patients et de patientes. Pour la première fois peut-être de leur vie commune, ils ont pu échanger du plaisir sans être hantés par la nécessité réelle ou implicite d’aller jusqu’au bout de l’acte sexuel. » (ibid., p.90)

[mis en gras pour la citation]

Gérard Leuleu, médecin français, sexologue contemporain, qui a écrit plusieurs ouvrages sur la sexualité, les caresses, l’orgasme, etc., adopte un langage à la fois cru, direct et poétique. Dans sa quête d’absolu, il décrit une intéressante façon de prendre son temps pour vivre ce moment d’exception en distinguant entre l’orgasme et la jouissance :

« Si l’orgasme est un feu d’artifice, la jouissance est un bain de lumière » (2007, p19)

Il évoque ainsi ces « délices » proches de ce que les patients de M&J découvrent le troisième jour. Ses descriptions détaillées montrent aussi judicieusement l’universel de la sexualité. Elles pourraient cependant mettre certains lecteurs face à une difficulté : au-delà des découvertes qu’elles permettent, elles risquent de le conduire vers une idée de performance, dont M&J ont bien identifié le danger. D’autre part l’aspect communication, non savoir, découverte de l’autre qui se révèle, en acceptant de ne rien savoir à sa place, n’y est pas suffisamment mis en exergue, au point que le lecteur peut se sentir soudain investi d’un savoir qui pourrait le mettre en illusion ou en tentation de pouvoir.

Masters et Johnson mettent en oeuvre une approche de type comportementaliste, contenant de nombreux éléments de respect, de considération, et de prise en compte du vécu des patients, ainsi qu’une vigilance à propos de la qualité de la communication chez les patients entre eux et chez les praticiens avec les patients. L’information y tient aussi une grande place avec l’idée de leur montrer le côté naturel, à la fois universel et intime, de leur sexualité. La qualité des résultats qu’ils obtiennent nous conduit à saluer leur travail avec gratitude. Il nous reste à aborder quelques éléments dont ils n’ont quasiment pas parlé : la psyché des patients, les clivages psychiques, la façon d’aborder d’éventuels traumas en lien avec les troubles sexuels qu’ils rencontrent.

7.2 La psyché et ses clivages

Masters et Johnson, tout en respectant le vécu de chaque patient avec beaucoup de délicatesse, se sont peu préoccupés de clivages de la psyché suite à des traumas. Ils avaient déjà fort à faire pour ajuster l’innovation de leur thérapie… à la faire admettre dans une société qui, à l’époque, était peu ouverte à ce domaine. Or, d’autres recherches peuvent rejoindre leurs travaux, dans une démarche intégrative où chaque technique de l’une peut enrichir celle de l’autre.

Ainsi, en maïeusthésie, nous savons qu’un symptôme est souvent ce qui permet au patient de rester en lien avec ce qu’il a clivé au cœur de sa psyché (voir publication de  mai 2015 sur la « Psychologie de la pertinence »). Ce clivage fut engendré par souci de survie, face à une charge émotionnelle trop forte pour que le vécu soit intégré sans dommages. Ce dont disposait le patient à l’époque du trauma ne lui permettait pas de gérer la situation différemment.

Suite à ce clivage, la répétition du symptôme balise une sorte de chemin permettant de retrouver ce qui jadis a été clivé. Il est important de ne pas perdre ce qui a ainsi été séparé de Soi, en ce sens où cela fait partie de Soi. La plénitude ou le processus d’individuation, ne peuvent  s’accomplir qu’en le retrouvant, puis en l’intégrant grâce aux possibilités d’une nouvelle conscience, riche de plus de maturité. Il ne s’agit pas d’intégrer ce qui s’est passé (qui reste une chose pénible, voire inacceptable), mais d’intégrer celui que nous étions quand cela s’est passé. Celui que nous étions doit retrouver sa qualité d’Être inestimable, distinct de la circonstance.

Le processus salutaire de clivage

Par exemple, une femme souffrant de vaginisme aboutit en accompagnement psychologique au fait qu’elle a subi une agression sexuelle dans l’enfance. La réhabilitation de l’enfant qu’elle était rend inutile la poursuite du clivage (jadis protecteur dans la psyché). Le symptôme de contraction vaginale interdisant toute pénétration disparaît également, car il ne faisait qu’indiquer le chemin vers ce qui a été clivé. Initialement ce clivage a permis de protéger le sujet d’une charge émotionnelle trop intense pour permettre une intégration de celle qui a éprouvé cela.

Naturellement, rien ne permet d’affirmer avec certitude que son symptôme est un lien réel vers cette zone de vie, si ce n’est le résultat immédiat obtenu.

Il apparaît que l’enfant qu’elle était n’a jamais été entendue à propos de son vécu, quand bien même l’événement a déjà été abordé avec des proches ou même avec des praticiens. Celle qu’elle fut avec son ressenti est restée absente de toutes les communications.

Le piège est de donner une importance excessive aux faits et peu de place à l’Être qu’elle était avec son ressenti, dont on lui propose plus de « se libérer » que de la « rencontrer et l’intégrer ». Il en résulte un renforcement du clivage dont le « cloisonnage » est d’autant plus fort que personne n’ose plus évoquer l’Être qu’elle était, avec ce qu’elle a éprouvé. Les « écoutants » se sont ici contentés de ressasser ou faire ressasser les faits avec horreur, comme pour exorciser (catharciser) un surplus de charge émotionnelle.

 Or, par la reviviscence, on ne fait que multiplier ou renforcer les clivages protecteurs au lieu d’accomplir la médiation attendue.

Les processus salutaires des symptômes et de la répétition

La répétition de son mal-être face à l’homme, et surtout de sa manifestation somatique de contraction vaginale involontaire (au point qu’aucune pénétration, même en examen gynécologique ne soit possible) permet de garder un lien avec cette enfant jamais entendue, ni reconnue, ni rencontrée avec la vérité de son ressenti éprouvé. Plus on veut l’éliminer, plus le symptôme est nécessairement fort !

 L’identification rendue possible

L’écoute de ce symptôme et de sa répétition, tant dans sa nature (quel type de ressenti) que dans sa mesure (avec quelle importance) permet rapidement d’identifier cette enfant qui vécut un traumatisme lorsqu’un garçon força son intimité. Il importe que l’écoute du symptôme ne consiste pas à dire de façon savante « vaginisme », mais revienne plutôt à identifier par exemple la « peur éprouvée », le « corps qui tremble de façon involontaire », l’« impression d’un danger imminent », « un irrépressible besoin de se protéger ». La dénomination du symptôme n’apporte rien en termes d’accompagnement, alors que la précision du ressenti dans sa nature et dans sa mesure est essentielle. C’est elle qui permet d’identifier l’enfant qui, un jour éprouva cela. Le symptôme présent est comme un écho lointain de ce qu’elle éprouva jadis, afin de ne pas perdre la trace de ce Soi oublié.

L’invitation à la reconnaissance à accomplir

Arrivé ici, le piège est de mal distinguer entre l’événement (qui est inacceptable) et l’enfant (qui reste un Être de qualité). C’est cette enfant que l’on rencontre et non l’événement qui doit être revécu*. Quand cette enfant est rencontrée, il reste à ne pas tenter de l’apaiser ou de la libérer (ce qui reviendrait à la nier et à la perdre définitivement). Elle a simplement besoin d’être rencontrée avec le vécu qui fut le sien, par quelqu’un qui reconnaît sa dimension existentielle et est heureux de la retrouver. C’est la capacité du praticien à éprouver cette réjouissance de la rencontre avec cette enfant, qui rend celle-ci fréquentable pour la patiente elle-même, et permet à celle-ci de l’intégrer sans dommages.

*Le psychanalyste Sandor Ferenczi avait parfaitement observé que de revivre la situation en « reviviscence » ne menait à aucun apaisement, voire aggravait la situation du patient en lui refaisant de nouvelles blessures, ainsi que nous le rapporte Nathalie Zajde.

Lors du trauma « Une partie de l’être reste en éveil tandis que l’autre, la partie sensible, disparaît littéralement sous le choc […] il est devenu deux, […] » (Nathalie Zajde , 2012 - p.180,181). Lors de la thérapie « A quoi bon réveiller les vécus douloureux si c’est pour leur conférer une nouvelle recrudescence » (ibid, p.182,183).

La libération du symptôme

Dès que cette enfant est intégrée, le symptôme disparaît. Il ne s’agit pas d’une guérison, mais simplement d’un appel qui cesse d’être nécessaire après que l’intégration est réalisée. Le balisage est devenu obsolète quand le chemin a été parcouru et la réhabilitation accomplie.

Un symptôme ne se combat pas, ne se guérit pas, il s’écoute avec sensibilité, avec acuité, comme le « délicat message » grâce auquel le patient va pouvoir retrouver, au plus profond de lui-même, celui qui ne fut jamais entendu, jamais reconnu. Celui qui est resté (pour lui, et parfois aux yeux des autres) associé au drame et maintenu à distance, retrouve sa dignité et sa juste place au cœur de la psyché.

Le symptôme ne disparaît pas suite à un combat mené contre lui, mais simplement parce que son œuvre tournée vers la réhabilitation de Soi est accomplie.

Du plus anodin au plus dramatique

Depuis la petite fille qui a dit à sa maman qu’en s’asseyant sur la balançoire ça lui faisait du bien, en montrant sa zone sexuelle avec candeur, et s’est entendue répondre « petite vicieuse » (conséquence pour elle : une fois adulte, difficulté à montrer sa sensualité à son compagnon et apparente indifférence sexuelle).

Jusqu’à celle dont la mère, peu après sa naissance, était avec son amant qui s’est suicidé dans le lit d’un coup de fusil dès qu’elle tourna le dos. Conséquence pour la petite fille : une fois adulte, elle déteste son corps et est obsédée par le fait que sa mère a eu de nombreux amants dont le bruit des ébats a rempli ses oreilles enfantines… au point de somatiser des saignements et des douleurs aux rapports (dyspareunie), médicalement inexplicables. Ces symptômes se trouvent rapidement apaisés du simple fait de donner enfin une écoute et une reconnaissance à cette enfant qu’elle fut, mais aussi à la mère ne pouvant se passer d’aventures, mais ayant été elle-même choquée par le suicide inattendu de son ami en situation intime (« bain de sang » dans le lit).

Enfin, cette femme qui ne peut avoir de relations intimes avec son nouveau compagnon, qu’elle a rencontré après avoir réussi à quitter un mari qui pendant 15 années l’a violée et frappée jusqu’au sang tous les soirs. Bien que son corps en restait endolori par la fibromyalgie, un accompagnement psychologique permit de redonner une dignité à la femme violentée qu’elle fut, à moins souffrir aujourd’hui, et à trouver enfin une intimité possible avec son nouveau compagnon.

Désintérêt sexuel dans le premier cas et dyspareunie dans le second, phobie sexuelle dans le troisième… ces mots ne disent pas grand chose. Mais l’écoute des ressentis de chacune permet d’aller rapidement vers une réhabilitation de ce Soi très subtil qu’elles avaient dû mettre à distance pour assurer leur survie.

La gravité de la douleur ne se situe pas toujours dans la gravité de la situation. Par exemple, une femme, quand elle était enfant,  souffrait de n’être pas vue de ses parents. Elle trouva un refuge d’attention auprès d’un voisin qui cependant lui demandait ou faisait des choses dont elle avait bien l’intuition qu’elles ne sont pas correctes. Mais comme c’était le seul endroit où elle recevait de l’attention et de la douceur, elle y allait volontiers, tout en se sentant coupable d’en avoir besoin, sans identifier clairement la nature de son besoin. La douleur venait de la confusion entre l’existentiel et le sexuel. D’un autre côté, un homme simplement rabaissé dans son enfance, dénigré dans ses capacités intellectuelles considérées comme inutiles par un entourage peu cultivé, se trouve par la suite être un adulte manquant d’assurance. Il rencontre une femme qui ne lui donne pas beaucoup de sexualité. Cela donne une continuité implicite au dénigrement, qui cette fois-ci touche l’homme qu’il est devenu. En fait, son ressenti actuel lui permet de rester en lien avec cet enfant nié qu’il était. Cette situation systémique, du fait de son attitude involontaire, engendre le symptôme de sa compagne (désintérêt sexuel)  qui renforce son attitude et son ressenti de dénigrement… etc. Plus que jamais nous comprenons ici à quel point ni l’un ni l’autre ne doivent être considérés comme porteur d’un pathologie sexuelle (ici encore moins la femme), mais qu’ensemble, ils tentent inconsciemment une mutuelle restauration de Soi grâce au symptôme de l’épouse. En ce sens Masters et Johnson avaient plus que raison de ne vouloir stigmatiser aucun des deux époux et de considérer qu’il ne s’agit pas du problème de l’un ou de l’autre, mais de leur relation, des deux ensembles qui doivent se rencontrer. Dans le cas énoncé ci-dessus reste pour le couple à trouver un praticien qui les fera avancer en ce sens, qui ne les perdra pas en considérations pathologiques à propos de l’un ou de l’autre, qui les accompagnera dans leur judicieux déploiement à la fois systémique et profondément existentiel.

7.3 Sans oublier la psychologie du corps

Naturellement, si la psychologie est essentielle en matière de sexualité, le corps y est aussi un élément majeur. Le tout est de savoir comment ce corps est considéré. Masters et Johnson ont bien identifié combien le réveil des sens joue un rôle essentiel, comme une redécouverte hédoniste où l’on apprend à s’ouvrir au monde par le canal sensoriel.

L’hédonisme, prôné dans l’antiquité par les philosophes Démocrite et Épicure, est souvent faussement identifié à la quête des choses agréables en vue d’une jouissance effrénée. En réalité, la sagesse qui s’y trouve envisage plutôt de trouver ce qui est agréable en chaque chose qui se présente à Soi, et de s’en réjouir sans ego, avec humilité, subtilité, profondeur et gratitude. Il s’agit bien plus d’une capacité à recevoir qu’à prendre. L’hédoniste ne « prend » pas de plaisir mais il « reçoit » tout ce que lui offre la vie avec une expertise du bonheur (aussi bien dans un repas que dans un jeûne). L’investissement sensoriel permet alors une découverte du monde où tout peut être source de bonheur, de réjouissance, de plaisirs nobles, simples, sans jamais « être un voleur » insatiable… parce que toujours comblé.

Platon n’aimait pas l’hédonisme, et encore moins Démocrite. Il prônait le fait que les sens nous leurrent et mettait en exergue une réalité subtile, plus noble qui échappe sans cesse à notre conscience (allégorie de la caverne). Quel dommage que Platon et Démocrite n’aient pas œuvré ensemble, car le corps et la subtilité ne sont pas ennemis. Le stoïcien Marc Aurèle (121-180) nous propose même de faire confiance en la vie et de s’y ouvrir :

« Il ne faut jamais s’irriter contre les choses […] Moissonner la vie comme un épi chargé de grains » (Pensées pour moi-même,  Livre XI – VI ou  1992- p.157).

La richesse de la vie ne peut se contacter en méprisant le corps. Nous pourrions même envisager que le corps a une psyché qui lui est propre ! En effet, un Être peut se trouver très paisible, alors que son corps peut éprouver une grande émotion. Nous trouvons un tel phénomène par exemple quand un sportif se réjouit de sa performance, alors que son corps souffre. Alors que l’individu est heureux, son corps est émotionnellement en peine, voire en danger. Nous avons aussi des situations d’EMI (expérience de mort imminente) où le sujet se trouve totalement en paix, alors que son corps éprouve parfois des peurs, parfois une émotion d’abandon face à cet Être qui « part ». Naturellement nous sommes ici dans des situations aucunement objectivables (purement phénoménologiques). Mais il se trouve que quand un symptôme conduit le praticien vers un vécu émotionnel éprouvé par le corps du patient, et que ce corps est reconnu dans ce qu’il a éprouvé… le symptôme disparaît. C’est ce que nous dit la situation clinique. Je pense par exemple à cette femme qui, lors du viol qu’elle a subi, se retrouve dans un état modifié de conscience « au-dessus de son corps » parfaitement paisible, juste habitée par une tristesse à l’égard de « ce pauvre homme qui n’en est que là, à faire de telles choses… ». Elle est en paix, puis découvre que son corps, lui est en souffrance. Une double souffrance du corps : celle du viol, puis celle d’être abandonné par elle qui ne le considère pas et qui a même une compassion plus spontanée envers celui qui l’agresse.

Rien n’étant objectivable sur ce point, on peut seulement dire que « tout se passe comme si » il y avait les émotions de l’Être et les émotions du Corps et que l’un peut être tourmenté quand l’autre est paisible. Comme si l’Être avait sa propre psyché et le Corps la sienne. D’ailleurs les grecs désignaient par « psukhè » l’âme animale et par « noos » l’âme spirituelle. Est-ce de cela dont ils parlaient déjà ?

Sans chercher à théoriser l’impossible, prenons simplement en compte qu’un vécu corporel doit être reconnu, et que le corps éprouvant ce vécu peut être reconnu comme « un Être à part entière », comme un interlocuteur réclamant attention et reconnaissance*.

*Voir sur ce site la publication de janvier 2013 « Le corps comme interlocuteur »

Si l’on peut avoir l’esprit en paix et le corps tourmenté, l’inverse se produit également, par exemple dans certains cas d’abus sexuel où l’Être vit une agression indicible qui le détruit psychiquement, alors que son corps éprouve un plaisir que l’Être rejette violemment. Cette dichotomie des vécus du corps et de la psyché peut plonger le sujet dans un grand trouble, avec une sorte de double peine : celle de l’agression qui l’anéantit, plus celle d’avoir éprouvé corporellement un plaisir qui le plonge dans une honte profonde, y compris à ses propres yeux. En thérapie il découvre que le vécu du corps est une réaction naturelle, et que ce qui est inacceptable c’est ce que l’auteur lui fait, mais en aucun cas le plaisir éprouvé qui n’est que la réponse physiologique normale d’un corps qui fonctionne bien. Il aboutit à une réconciliation qui jusque-là lui semblait impossible. Sa sexualité retrouve une paix qui semblait ne jamais pouvoir se produire.

Le corps, comme interlocuteur à part entière ne somatise pas forcément au nom de la psyché blessée, mais aussi par rapport à ses propres émotions.

Barry Long (1926-2003), initialement journaliste australien, se tourna vers une vie spirituelle loin des pouvoirs ou des dogmes. Respectant sa propre liberté et celles des autres, il rencontra une femme qu’il aima profondément. Son amour pour Dieu et pour sa femme trouvèrent une unité si profonde qu’il en vint à écrire l’ouvrage « Faire l’amour de façon divine » (ALTESS, 2012). Il y propose de mettre simplement les corps en présence sans chercher une excitation particulière :

« Vous n’avez pas à vous soucier d’avoir envie ou non de faire l’amour. C’est une diversion émotionnelle. Les corps aiment faire l’amour » (2012, p.41)

Selon lui, la mise en conscience et le partage sont au premier plan :

« Échangez constamment, mettez en mots les sensations corporelles que vous ressentez » (p.36) « Découvrez ensemble, soyez à l’écoute l’un de l’autre » (ibid., p.43) «  Ne pensez pas. Sentez. Gardez les yeux ouverts. » (p.45) « […] mettez vos corps ensemble et faites l’amour […] tenez votre imagination à distance. Ne dérivez pas dans vos pensées. » (ibid., p.49).

La spiritualité ne l’empêcha nullement de donner au corps un statut d’Être à part entière. Qu’une personne soit portée vers une quelconque forme de spiritualité ou profondément matérialiste n’empêche aucunement ce phénomène de « psyché du corps », d’émotion quasi cellulaire ou organique, de vécu distinct entre le corps et la psyché. Le corps est au minimum une « part de Soi », au même titre que le bébé, l’enfant ou l’adolescent qu’on a été, et peut être visité en thérapie de la même façon que tous ceux qu’on a été ou tous ceux dont on est issu. C’est du moins ce qui se trouve cliniquement.

7.4 Le naturel et la déviance

A travers les auteurs cités, l’on peut trouver l’intime et l’universel, le sacré (spirituel ou laïc), la considération, la rencontre, le respect… etc. Toutefois, il est évident que la sexualité  comporte aussi des déviances. Il est bien difficile de les circonscrire, car en la matière chacun fait ce qui lui semble juste, pourvu que ce soit dans le respect d’autrui et de soi-même. Pourtant, même en situations ordinaires, combien de pouvoirs, d’instrumentalisations, de simulations, de saturations ou de frustrations, conduisent des Êtres à des états douloureux, voire, en réaction, à des excès qui les dépassent… qui parfois les dominent.

Masters et Johnson ont eu le mérite, non pas de banaliser la sexualité, mais de la rendre naturelle. D’où venions-nous à leur époque ? D’une société puritaine où le simple fait de mettre son attention sur cette partie de sa propre anatomie nous donnait la certitude soit d’une damnation (pour le spirituel), soit de la névrose ou d’une dégénérescence neurologique (pour le médical). L’Être Humain était cerné des deux côtés. Les jeunes gens et jeunes filles en pensionnat devaient dormir avec les mains sur leurs draps, afin d’assurer leur surveillant qu’ils ne s’égareraient pas en attouchements personnels. Le corps médical avait même inventé pour les garçons le « psychrophore* » (Onfray- 2010, p.504) que Freud lui-même prescrivit à l’un de ses patients.

*tiges métalliques introduites dans le canal du pénis. Elles étaient réfrigérées par circulation d’eau pour empêcher les érections intempestives et décourager la masturbation.

Or, outre que « La manipulation génitale survient dès la plus tendre enfance pour les deux sexes » (M&J - 1968, p.219), celle-ci se poursuit tout au long de la vie de diverses façons, en différents contextes. Masters et Johnson en ont étudié la présence et les processus utilisés par chacun pour produire son propre orgasme. Ceci a permis à nombre de personnes de ne pas se sentir sous la menace d’une « anormalité dangereuse ».

L’ingéniosité visant à maîtriser la sexualité n’a fait que la déplacer. Elle se retrouva à surgir de biais, là où on ne l’attendait pas, de façon plus ou moins sombre et le plus souvent irrespectueuse d’autrui, jusqu’à la délinquance. L’ouvrage du Pr Ronald Nossitchouk « L’extase et la blessure – Crimes et violences sexuelles de l’Antiquité à nos jours » (Plon, 1993) montre bien comment cette ingéniosité a échoué, même en étant aussi barbare que ce qu’elle prétendait combattre (par exemple ce qui est infligé aux fautifs, p.94 : auto émasculation imposée au rival, faire dévorer l’infidèle par les chiens, jusqu’à l’antropohagie « réparatrice »).  On arriva alors bien loin de cette « pureté » artificielle et illusoire. De nos jours la délinquance sexuelle est une réalité qui se combat avec moins de puritanisme, et surtout moins de violence. Mais elle est bien présente et la source des déviances reste à comprendre, car la lutte pure et simple ne semble pas pouvoir faire baisser de tristes constantes : L’HAS nous rapporte 5.900 abus sexuels intrafamiliaux sur enfants  en 2001*. Chez les adultes 540.000 personnes par an sont victimes de violences conjugales (certainement souvent en lien avec des problématiques sexuelles), et aussi 75.000 personnes sont victimes de viols (tous ces chiffres ne reflètent que les situations connues).  Julie A. Lipovsky (Professeur de psychologie à The Citadel, collège militaire de Caroline du Sud), estime même qu’aux USA une femme sur trois et un homme sur six ont subi un abus sexuel dans leur enfance**. Une chaîne sans fin puisque l’abusé(e) comporte un risque de devenir abuseur ultérieurement (soulignons tout de même que ce n’est pas systématique).

*HAS Repérage et signalement des violences sexuelles intrafamiliales chez l’enfant   (p. 5)

** « Prevalence rates, obtained from studies of adults indicate that as many as one in three women and one in six men have experienced sexual abuse in childhood » (Treatment of Child Victims of Abuse and Neglect)

Comment en est-on aussi arrivé à tant de maltraitance ? L’une des sources est probablement corrélée au dénigrement  officiel de cette zone corporelle associé à son idéalisation officieuse. Si les « justiciers » de l’ancien temps ont abîmé le sexe par leur mépris, leurs tabous, leurs interdits et leurs menaces (spirituelles ou médicales), l’instrumentalisation qui en est faite aujourd’hui avec la médiatisation d’une sexualité qui n’en est pas une, pose aussi beaucoup de problèmes en cas de première expérience chez les jeunes. Elle sème une illusion de la performance, du savoir, du pouvoir, sans marque de respect ni de considération, ni de rencontre, ni de communication. Faudrait-il au moins que celles-ci montre des situations naturelles et riches d’humanité, qui leur seraient  vraiment didactiques. La problématique de cette diffusion  n’est pas de montrer la sexualité (sauf pour un public vraiment trop jeune), mais de montrer du sexe dépourvu de sexualité, laissant croire qu’il s’agit de sexualité. Le problème est de montrer quelque chose qui ne la reflète pas, produisant chez ceux qui ne l’ont pas encore découverte, ou mal découverte, des représentations erronées.

La sexualité a donc été bafouée jadis par le mépris, aujourd’hui elle l’est par la dérision ou l’instrumentalisation. Il est sans doute possible de lui rendre sa réelle dimension et cela devrait faire partie de la fameuse « éducation sexuelle » proposée dans les collèges.

La sexualité ne peut être une finalité exclusive dans la vie d’une personne car cela serait obsessionnel. Elle y tient cependant une place signifiante, d’autant plus grande quand on ne lui a pas donné celle qui lui revient avec sa juste qualité. La psychologue Terry Fischer (« The Journal of Sex Research »  Université de l’Oahio) a « mesuré » que entre 18 et 25 ans les hommes pensent au sexe 18 fois par jour et les femmes 10 fois par jours. Mais elle a pointé des résultats analogues sur divers besoins physiologiques, tels que la nourriture ou le sommeil (avec un échantillon de 280 étudiants). Il serait intéressant de réaliser une autre étude mesurant, non pas combien de fois par jour l’on pense au sexe, mais combien de fois l’on pense à la sexualité (encore faut-il clairement les différencier).

L’auteur Sheridan Simove publia en 2011 « What Every Man Thinks About Apart From Sex » (à quoi pensent les hommes à part le sexe). Il réalise avec humour un best seller composé de 200 pages blanches… qui prétendent ainsi donner la réponse ! Il se peut toutefois que le sexe en abondance (et même en surabondance) laisse une sexualité aussi vide que les pages du livre de Simove. Il convient de différencier « le sexe » (purement pulsionnel) et « la sexualité » (subtilement ontique). Les choses ne sont pas simples pour autant, car ces nuances ne visent certainement pas à énoncer de façon péremptoire ce qui est bien ou ce qui ne l’est pas. Il ne s’agit pas ici de donner des règles de « bon comportement », mais juste d’offrir quelques compréhensions et réflexions permettant à chacun de trouver ce qu’il y a de plus juste pour lui, et de se sortir de situations parfois très douloureuses. Que celles-ci soient pulsionnelles, psychosociales ou ontiques, toutes les expériences sexuelles sont respectables  et peuvent être sources de grands plaisirs pour chacun (tant qu’il y a respect d’autrui). Il n’en demeure pas moins que seule l’expérience ontique laisse en plénitude, et mérite un regard privilégié. Quand il y a des déviances, elles viennent généralement de frustrations sur ce plan.

Est-ce la qualité de la sexualité qui contribue à une vie épanouie ou bien une vie épanouie qui contribue à la qualité de la sexualité ? L’interaction est telle qu’elle ne permet pas de répondre avec certitude, ni en termes de sources, ni en termes de qualité, ni de quantité. Les « déviances » sont des choses très difficiles à circonscrire en dehors des extrêmes. On peut tout de même être certain que celles-ci commencent au moins là où le respect d’autrui disparaît.

7.5 Absence de sexualité

Par choix, dans le cadre d’une vie religieuse (par exemple prêtres, moines, moniales) des personnes trouvent un équilibre spirituel en suivant une règle de vie sans sexualité (abstinence). La situation est plus ou moins aisée selon la personne qui fait ce choix. L’épanouissement spirituel de la vie religieuse peut être source d’une grande paix. Cependant, pour quelques-uns, la frustration sexuelle ne se vit pas sans souffrance et peut même être à l’origine de tourments et d’actes inadaptés (c’est un euphémisme !), dont la presse a tant parlé.

Ou par nature, certaines personnes se sentent asexuelles, sans aucun choix de leur part, et même le revendiquent dans des forums sur internet. Peut-être en partie en réaction à l’hypermédiatisation d’une sexualité qui n’en est pas une. Mais déjà dans les années 50, Alfred Kinsey (1894-1956) chiffrait des sujets asexuels dans ses recherches : 1,5 % de la population masculine. Plus précisément chez les hommes : 3 à 4 % des hommes non mariés, 0 % des hommes mariés, 1 à 2 % des hommes qui étaient mariés* . Et chez les femmes : 14 à 19 % des femmes non mariées, 1 à 3 % des femmes mariées et 5 à 8 % des femmes qui étaient mariées.**

*Kinsey, Alfred C. (1948) : Sexual Behavior in the Human Male. W.B. Saunders. 
**Kinsey, Alfred C. (1953) : Sexual Behavior in the Human Female. W.B. Saunders.
 

Ou par obligation, il y a aussi toutes celles et ceux  qui en ressentent le besoin et ne peuvent le vivre. Ce peut être pour de « simples » raisons psychosociales rendant les rencontres difficiles. Dans ce cas, internet vient quelquefois à leur secours pour réaliser une belle rencontre. Mais pour certains, la raison est bien plus incontournable : un handicap physique ou mental particulièrement invalidant ne leur permet aucune rencontre amoureuse.  De telles personnes souffrant de handicap particulièrement invalidant n’ont pas accès à la vie sexuelle, dont pourtant ils ressentiraient l’élan. Les Pays-Bas furent le premier pays à s’en émouvoir, permettant la création d’une nouvelle profession sociale : « assistant sexuel ». Puis le Danemark, l’Allemagne  et la Suisse ont suivi cette initiative. L’assistant sexuel accompagne la sexualité des sujets handicapés qui en font la demande. Métier bien subtil qui n’est pas sans poser de questions, qui suppose une éthique sans faille. Décrié par certains comme une sorte de « prostitution », il n’en demeure pas moins que de s’être interrogé sur cette situation et d’avoir tenté d’y apporter une réponse est d’une grande humanité. Même si nous sommes ici loin des situations amoureuses ou de l’intimité conjugale, elles ne sont pas pour autant dépourvues de dimension ontique. Les questions qui en résultent n’ont pas de réponses simples et encore moins simplistes.

La sexualité apparaît comme un espace de notre vie dans lequel le respect, la considération existentielle et notre humanité sont très sollicités. Cet espace intime nous interroge et ne souffre pas de réponses « à peu près » ou de déni. Cest espace particulier est une opportunité de conscience.

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8   Une école de considération et de respect

8.1 Valeurs fortes et paradoxes

La sexualité comporte des valeurs fortes : la communication, la notion de « donner recevoir », de ne pas faire « à l’autre », ni « pour l’autre », ni « pour soi », mais pour le « nous » du couple que l’on forme, dans un contexte où cependant chacun existe pleinement.

Savoir être sensible au fait que l’autre reçoit notre propre plaisir lorsque nous lui offrons notre attention, notre sensualité, notre bonheur éprouvé. Mais pour être recevable, ce bonheur que nous éprouvons ne doit pas être un bonheur que l’on cherche à prendre, mais un bonheur dont on est le simple réceptacle. On l’éprouve en donnant , en donnant sans imposer, en laissant l’autre libre d’éprouver ou non, en ne sachant pas à sa place, en acceptant de se faire éclairer par lui, que ce soit de façon non verbale implicite ou de façon verbale explicite. C’est la découverte d’une communication des corps accompagnée par les consciences.

Il est très touchant que la sexualité soit si exigeante en matière de communication, de respect et de considération, de désintérêt sans désinvestissement, d’attention libre des projets, de disponibilité généreuse qui sait recevoir. Elle est pareille à une indicible capacité à offrir à l’autre son propre bonheur à soi, sans rien ne lui prendre pour autant. Indicible capacité également  à recevoir celui de l’autre sans pourtant jamais le lui imposer ! Ne rien « prendre à l’autre », mais simplement « recevoir » ce qu’il y a de plus beau en lui et le lui témoigner. Si seulement de telles valeurs étaient offertes aux jeunes, afin de leur donner le moyen de se rencontrer vraiment, de ne pas se manquer entre eux, ni de se manquer eux-mêmes.

Abraham Maslow : « Je laisserai de côté l’éducation sexuelle, en discuter serait prématuré – bien que j’aie la certitude que nous cesserons un jour de glousser à ce seul mot pour le prendre au sérieux et enseigner aux enfants qu’à l’instar de la musique, de l’amour, de la fulgurance intuitive, de la beauté d’une prairie, d’un adorable bébé ou de tant d’autres choses, le sexe est une des voies menant au paradis.. » (Maslow - 2006, p.200)

Il s’agit d’une leçon d’humanité, riche d’expériences paroxystiques qui n’ont pas échappées à l’attention de Maslow. Nous y trouvons la dimension existentielle et le dénuement, l’extase et l’émerveillement, la sensation de toucher l’indicible :

« Mon attention et mon intérêt pour cette question ont d’abord été éveillés par certains de mes sujets qui décrivaient leur orgasme en des termes vaguement familiers, dont je me suis souvenu qu’ils avaient été utilisés par divers écrivains pour décrire ce qu’ils appelaient l’expérience mystique. On y retrouvait les mêmes impressions d’horizons sans limite s’ouvrant sur une vision, le sentiment d’être à la fois plus puissant mais aussi plus démuni que jamais auparavant, le sentiment d’immense extase et d’émerveillement et de crainte mêlée de respect, la perte de notion du temps et de l’espace, avec, finalement, la conviction que quelque chose d’extrêmement important et précieux était survenu […] ». (Maslow - 2008, p.222)

8.2 De l’intime à l’universel

De l’intime à l’universel, nous trouvons l’amour, la considération, la reconnaissance, le tact et la capacité à se réjouir de la rencontre de l’autre :

«  car les personnes qui ne peuvent aimer ne retirent pas le même type de frisson de l’acte sexuel que celles qui sont capables d’amour et de romantisme » (Maslow - 2004, p.181)

William Masters et Virginia Johnson ont eu le mérite d’explorer ce champ auparavant inconnu, pour y révéler toute la générosité naturelle qui s’y trouve. Ils ont su le faire dans le respect des valeurs de chacun, comme un hommage à l’humanité qui nous habite. Ils ont su sortir la sexualité de l’ombre pour lui donner une place légitime, permettre aux couples de restaurer leur communication verbale et sensuelle, de retrouver ce que la nature leur offrait de vivre. Ils l’ont fait de façon humaine, mais aussi scientifique, ce qui rend leurs travaux exceptionnels.

Il se trouve que bien des hommes ou des femmes souffrant d’une sexualité qui ne les satisfait pas s’interrogent, digèrent parfois leur blessure en silence. S’il est vrai que des traumas sexuels vécus par le passé peuvent lourdement entraver une sexualité épanouie dans le présent, bien des troubles sexuels n’ont pas de telles origines, mais viennent plus simplement  de diverses difficultés face au monde, venant impacter leur vie intime. Avoir manqué d’amour dans son enfance peut par exemple donner la conviction de ne pas être aimable et assombrir la vie amoureuse ultérieure, avoir été moqué par des copains d’école peut effondrer une assurance qui aurait permis les rencontres galantes, avoir été mis en échec dans diverses circonstances ou sévèrement critiqué peut anéantir la confiance qui peut naturellement nous porter vers autrui et donc vers une compagne ou un compagnon.

« D’ordinaire, le comportement sexuel est multi déterminé, c'est-à-dire qu’il est aussi déterminé par d’autres besoins que le besoin sexuel, au  premier rang desquels les besoins d’amour et d’affection. Ne négligeons pas non plus que les besoins d’amour impliquent à la fois de donner et de recevoir de l’amour » (Maslow - 2008, p.65)

Face à ces blessures intimes chacun trouve « son remède » en attendant de comprendre, d’accomplir une restauration en lui, ou qu’un praticien sache l’accompagner. Les aspects de la sexualité qui en résultent ne méritent aucun jugement, ni prétention de leçon concernant les personnes qui choisissent d’autres options et y trouvent un bonheur acceptable, pourvu que ce soit dans le respect d’autrui.

De l’intime à l’universel, ce que l’on croit éprouver d’unique appartient ainsi à tous les Humains : des Hommes et des Femmes en quête d’humanité, de déploiement, de considération, de rencontre, de communication, de tact et de délicatesse. L’humain a besoin d’une tendresse respectueuse, autant de la recevoir que de la donner. Il a besoin d’une harmonie entre son corps et sa psyché et que ces deux aspects de sa nature soient en amitié : que le corps ne domine pas l’esprit et que l’esprit ne domine pas le corps, que, même au sein de ce qu’il a de plus secret, la vie puisse vibrer en toute liberté, en amour d’autrui et de soi-même.

Ces quelques pages sont une simple réflexion, une modeste information offerte à tous ceux qui ont l’intuition que ce bonheur mérite de se vivre dans le couple, et qui ne l’ont pas complètement trouvé. Elles peuvent aussi conforter ceux qui l’ont déjà trouvé et leur permettre d’oser le déployer naturellement riche de nouvelles nuances qu’ils n’avaient pas envisagées (nous apprenons durant toute la vie). Elles peuvent également accompagner les praticiens qui reçoivent en consultations des hommes et des femmes leur rapportant ce type de difficultés conjugales, afin de les accompagner au mieux vers plus de bonheur car, en ce domaine, il y a de douloureuses détresses.. 

Carl Rogers disait « Ce qui est le plus personnel est aussi ce qu’il y a de plus général. » (2005, p.22). Cela concerne aussi la sexualité. S’il est juste qu’elle reste intime et discrète, il l’est tout autant qu’elle se déploie avec générosité auprès de l’Être aimé, et que chacun éprouve en Soi, en toute tranquillité, non pas une fierté, mais une source précieuse dont il peut se laisser sensuellement et ontiquement émouvoir.

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Biographie de William masters et Virginia Johnson

Pour ceux que cela intéresse, la série américaine « Masters of sex » (deux premières saisons disponibles en français) est une belle biographie de Williams Masters et Virginia Johnson, ainsi qu’un historique de leurs travaux dans le contexte social de l’époque. Le scénario a été réalisé en partenariat avec Virginia Johnson elle-même vers la fin de sa vie. Vous trouverez facilement sur le net de nombreuses informations sur cette série.

Aurèle, Marc
-Pensées pour moi-même- GF Flammarion 1992

Freud, Sigmund
- Le narcissisme – Tchou Sand 1985

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Kinsey, Alfred
-Sexual Behavior in the Human Male. W.B. Saunders  -1948
-Sexual Behavior in the Human Female.
W.B. Saunders - 1953

Leuleu, Gérard
-Le traité des orgasmes- Leduc. S Éditions, 2007

Long, Barry
-Faire l’amour de façon divine – ALTESSE, 2012

Masters William, Johnson Virginia
-Les réactions sexuelles – Robert Laffont, 1968
-Les mésententes sexuelles - Robert Laffont  1971
-L’union par le plaisir – Robert Laffont, 1975
-Les perspectives sexuelles – Médecine et sciences internationales, 1980

Maslow, Abraham
-Être humain - Eyrolles 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008
-L’accomplissement de soi - Eyrolles 2004

Nossintchouk, Ronald
-L’extase et la blessure, Crimes et violences sexuelles de l’antiquité à nos jours-  Plon, 1993

Onfray, Michel
-Le crépuscule d’une idole – Grasset, et Fasquelle 2012

Rogers, Carl
-Le développement de la personne – Interédition Dunod 2005

Tordjman Gilbert

-Réalités et problèmes de la vie sexuelle –Adolescents - Hachette, 1978

Tort Patrick
-Darwin et le darwinisme –Puf, 2009

Zajde Nathalie- Nathan, Tobie
-Psychothérapie démocratique – Odile jacob 2012  

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