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Psychologie et violence
dans le grand âge

juillet 2005    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Sommaire

1 Psychologie du sujet âgé

2 Les violences

Entre sérénité et violence

La sénescence n'implique pas la sénilité

Évolution de l'individu et de sa personnalité

Performances et compétences du sujet âgé

Des plus répréhensibles aux plus anodines

Les sources de violence

Violences envers les sujets âgés

Violences envers les familles

Violences envers les soignants

Le dépistage

Les remèdes et l'action

 bibliographie

1

Psychologie du sujet âgé

retour

Entre sérénité et violence

Maturité et fragilités

La dernière étape de la vie (à partir d’environ 80 ans), qui se veut traditionnellement une période de plénitude et de sagesse, se révèle le plus souvent une zone de douleurs, d’interrogations, d’incompréhension, de réactions de violence… ou de dépression.

Les réactions de l’entourage familial ou soignant peuvent comporter des violences. Celles-ci sont la plupart du temps involontaires, mais elles sont tout de même là. Plus rarement, la violence peut être volontaire, pour des raisons conscientes ou inconscientes qui appartiennent à leurs auteurs.

Le sujet âgé peut aussi être cette source de violences. Soit que cela ait été une habitude dans sa vie de gérer les situations de cette manière, soit que cela apparaisse dans ce moment de vie, en réaction à ce que représente à ses yeux cette dernière étape de son existence.

Le suicide à l’honneur !

Arrivé à cette étape de son parcours, chacun gère ses ressentis comme il peut. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir construit un psychisme solide ayant une assise suffisamment stable pour que ce moment de la vie continue d’être une progression. Pour beaucoup, c’est le moment de l’émergence de fragilités psychologiques dont les raisons seront évoquées plus loin dans ce document.

 Il est tout de même à noter que les études de l’INSERM et de L’OMS indiquent que c’est à partir de 70 ans qu‘on trouve le plus grand nombre de cas de suicide (proportionnellement au nombre de personnes concernées). C’est donc une période de vie remplie d’un vécu le plus souvent mal compris.  

Robert HUGUENOT nous rapporte les données du Dr italo SIMONE, psycho gériatre : « Le taux de suicide chez les plus de 60 ans est estimé à plus de 25% du nombre total des suicides réussis, alors que les sujets de cet âge ne constituent qu’environ 9% de la population générale » « La vieillesse maltraité » Robert HUGUENOT Dunod  2003 p12

Le suicide (à tous les âges) est un mal social qui tue plus que les accidents de la route et le sida réunis. C’est un des principaux problèmes de santé publique non résolu depuis de nombreux gouvernements successifs, qui ont discrètement tenté d’y amener des solutions infructueuses. Si la compréhension des individus suicidants reste difficile, celle des sujets âgés l’est d’autant plus… même celle des sujets âgés non suicidants. J’ai déjà proposé sur ce site une publication concernant le suicide et la dépression

Le « non savoir » comme fondement pour l’aidant

La difficulté, pour comprendre les sujets âgés, est qu’ils traversent une période de vie que tous ceux qui s’occupent d’eux n’ont jamais traversée eux-mêmes. Là, plus que dans toutes autres circonstances, les soignants ou accompagnants doivent faire preuve d’humilité et considérer que le « non savoir » est une base essentielle pour ajuster la qualité de leur aide psychologique.

Naturellement il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut rien savoir, car de nombreuses connaissances tant psychologiques que physiologiques sont essentielles. Il s’agit  juste de ne jamais prétendre savoir à la place du sujet âgé, qui a une perception de la vie qui échappe à notre champ d’expérience et pour lequel il est notre ressource principale.

Nous remarquerons que cette notion de « non savoir source de compétence » ne touche pas que ceux qui s’occupent d’aider les sujets de grand âge. J’y ai consacré une publication sur ce site dans laquelle j’explicite à quel point cela touche tous les métiers de communication dans tous les secteurs de vie, mais naturellement tout particulièrement les secteurs s’occupant de l’aide psychologique. Voir « non savoir source de compétence », publication du 17/04/2001.

La sénescence 
n’implique pas la sénilité
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Nous avons déjà là une première violence. Quoi que discrète, celle-ci n’est pas anodine car il en découle spontanément des attitudes et des regards dévalorisants envers le sujet âgé. Socialement admise comme un axiome indiscutable, l’assimilation de la vieillesse à la dégénérescence, à la pathologie et à la sénilité est une insulte aux vieux. Même si les maladies sont fréquentes à ce moment de la vie, elles ne peuvent en constituer la définition.

Distinguer vieillesse et pathologie

La vieillesse n’est pas une maladie. Siinoon, comme nous en « amusait » l’humoriste Pierre DESPROGES on pourrait simplement comparer la vie à une maladie mortelle dont tout le monde serait atteint sans avoir l’idée de s’en plaindre.

Nous préférerons remarquer que la sénescence est la période de vie du grand âge alors que la sénilité est au contraire un état de pathologie rencontré dans le grand âge, mais qui n’est pas systématique et qui ne peut en aucun cas y être identifié. Toute identification de la vieillesse à la pathologie est fausse et irrévérencieuse. Pour s’approprier cette nuance nous pourrons rapprocher la notion de sénescence de celle d’adolescence : ce sont deux mots désignant une période de vie et non un état de santé.

La sénescence procède d’une évolution de l’individu alors que la sénilité procède d’une dégénérescence de l’individu. Dans un cas le processus d’individuation se poursuit, dans l’autre il régresse.

De nombreuses nuances, toutes aussi inestimables, sont énoncées dans l’excellent ouvrage « Psychogérontologie »1 de  Jaques RICHARD2 et Erlijn MATEEV-DIRKX3. Les auteurs y sont extrêmement méticuleux quand à l’emploi des mots justes.

Nous trouvons dans leur ouvrage à la page 12 : « La sénilité n’est pas l’étape obligée de la sénescence »… … « La notion d’un déclin lié à l’âge introduit, soutient ou est soutenu par la notion d’une involution, qui serait biologiquement déterminée. Il ne s’agit là, en fait, que d’un postulat. Ce dernier n’a eu pour effet que de propager et perpétuer l’idée que la déchéance intellectuelle est le sort habituel du vieillard. Outre le fait qu’il soit possible d’ériger l’amélioration des capacités intellectuelles en postulat, les données psychométriques pour prouver le déclin intellectuel ont fait l’objet de critiques sévères (B.P. Baltes, 1974) » p12.

Naturellement ces auteurs ne sont aucunement dans le déni de la diminution de certaines facultés de cognition ou de mémoire venant s’ajouter à un déclin sensori-moteur et physiologique de l’organisme. Ils l’abordent et l’étudient cependant avec cette préoccupation de ne pas tout mélanger trop hâtivement.

1 « Psychogérontologie » Jaques RICHARD et Erlijn MATEEV-DIRKX- édité chez MASSON 2004  
2
Jaques RICHARD professeur à la faculté de médecine et à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation – Genève  
3
Erlijn MATEEV-DIRKX  Docteur en psychologie de la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève

Evolution d’un individu 
et de sa personnalité
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S’il est indéniable que l’avance en âge expose de plus en plus à des risques de pathologies, celles-ci ne sont donc pas systématiques. Quand les capacités physiques ou physiologiques s’amenuisent, il serait vraiment abusif d’en déduire qu’il en est de même pour l’individu. L’état corporel suit une courbe de déclin à partir d’un certain moment de l’existence,  mais il n’est pas juste d’affirmer qu’il en est de même pour le sujet.

Le déclin corporel n’est pas celui de l’individu

Le système classique de la courbe concave (schéma ci-après) concerne surtout les aptitudes corporelles. Sans aller dans les détails des âges concernés, il est évident que le corps suit une courbe ascendante le conduisant depuis la naissance vers une maturité, pour ensuite suivre une courbe descendante le conduisant depuis la maturité vers sa disparition. Même si la façon dont cela se passe pour chacun peut montrer de nombreuses nuances très différentes, la ligne générale reste celle-ci. Cependant il serait abusif d’identifier l’état psychique de l’individu à cette maturation et ce déclin corporel.

Cette courbe concerne le faire (capacité d’action) et le paraître (image de soi) mais pas l’individuation  (la capacité d’être) plus ou moins aboutie de l’individu. Pour comprendre le sujet âgé, il convient de séparer la notion de croissance de l’individu de celle de ses composantes physiologiques.

 

Développement de l’individu tout au long de sa vie

La notion de développement évoque une notion positive de croissance, d’organisation en train de s’édifier alors que la notion de vieillesse a plutôt une connotation péjorative. Or, si le vieillissement du corps suit la courbe ci-dessus, il n’en est pas forcément de même pour l’individu. Les auteurs de l’ouvrage  « Psychogérontologie » attirent notre attention (notamment p6) sur le fait qu’on peut envisager une courbe ascendante.

En abordant, ainsi qu’ils nous le proposent, la notion de développement comme « organisation en train de s’édifier », nous remarquons aussitôt que cela concerne le processus d’individuation du sujet depuis sa naissance jusqu’à la fin de son parcours. J’ai déjà abordé ce thème dans ma publication d'avril 2003 « humaniser la fin de vie » où je développe l’idée qu’un individu tente, même (et surtout) à ce moment de son existence, de continuer à se construire en rassemblant les « bouts de vie » qu’il avait laissés de côté.

Nous pouvons alors trouver une courbe qui s’inverse par rapport à celle de l’état corporel. Mais nous allons voir que celle-ci ne correspond pas tout à fait à la réalité et mérite des précisions supplémentaires pour refléter ce qui se passe.

Remarque : Les courbes illustrant mon document ne sont pas celles de l’ouvrage « psychogérontologie ». Elles sont une synthèse de ma propre observation clinique.

Du Moi au Soi, de l’ego à l’individu

Cela correspond à un cheminement depuis un état de paraître vers un état de plus d’être. Nous avons tous remarqué que plus un individu est encore immature, plus il aura tendance à chercher des modèles auxquels s’identifier pour acquérir une fausse assurance. Tel un fragile bernard-l’hermite en quête de coquilles protectrices, il tardera à vraiment être lui-même (les manipulateurs et les sectes savent hélas en jouer).

L’enfant au début de sa vie, manquant de repères, aura tendance à croire qu’il est ce qu’on dit de lui (stade du miroir de Lacan) et fera provisoirement de cette image son identité. Je tendrai même à décrire cette phase comme une baisse de l’individuation, une perte de ce qu’on est. Cela donne alors une courbe nouvelle dans laquelle nous voyons la courbe de l’ego (paraître) croître alors que (provisoirement), celle de l’individuation décroît. A partir de ce moment, l’enfant qui aurait pu commencer à être lui, voit décroître sa courbe d’individuation (à peine ébauchée) au profit de celle de son ego.

Pour simplifier nous remarquerons que, quand un sujet croit qu’il est ce qu’il paraît, il y a un déclin de l’individu qui perd de l’affirmation de soi au profit d’une certaine maîtrise de soi. Il fabrique ainsi une image qui n’est qu’un ersatz d’être. Cette image  n’est qu’un leurre, mais un leurre utile en attendant d’avoir la capacité à trouver ses propres marques, ses propres bases, ses propres fondements.

Nous remarquerons alors que les courbes de l’ego (paraître et maîtrise de soi) et de l’individuation (être et affirmation de soi) suivent un sens contraire, comme si l’une reflétait l’autre dans un miroir.

 

Mais des précisions doivent être ajoutées pour mieux refléter le phénomène.

1-     Au début de l’existence l’enfant suit un processus d’individuation croissant, jusqu’au moment où l’environnement lui « dit ce qu’il est » et le fait ainsi temporairement et involontairement « disparaître » en l’amenant à devenir « l’image qu’on lui montre ».

2-     A partir de là, il s’en suit un fort développement de l’ego jusqu’à l’adolescence.

3-     Entrant dans l’âge adulte, l’individuation croît toujours, mais le paraître devient moins prégnant (sauf si l’adolescence s’est mal passée).

4-     Si le processus de maturation fonctionne, vers le milieu de vie, la volonté de paraître s’amenuise fortement pour faire place à une volonté de plus d’être. Ici, les courbes de l’ego et de l’individuation se croisent. Le sujet y est habité par une volonté de plus de vie et de plus d’authenticité. C’est une phase délicate souvent accompagnée de moments dépressifs car les repères y changent, sans que l’environnement ne propose le moindre accompagnement en ce sens. En effet nous trouvons plus de conseils pour améliorer le paraître ou la maîtrise de soi que pour accroître l’être et l’affirmation de soi (concepts différents au point d’être opposés, même si, trop souvent ils sont identifiés l’un à l’autre) (voir le document « un quelqu’un en habit de personne » du 20/03/2001).

5-     Si tout se passe correctement, le processus d’individuation commence son ascension vers une sénescence épanouie. S’il échoue, animé par un nouvel élan de paraître (insufflé par un environnement privilégiant à l’excès cette attitude), il ira plus vers la sénilité que vers la sénescence, car les moyens de paraître diminuent de toute façon et suivent, eux, la courbe classique « croissance, maturité, déclin ». Les possibilités de compensations s’évanouissant progressivement, le sujet ne peut plus jouer au « bernard-l’hermite et se trouve soudain dans une inconfortable nudité. Si un tel moment est mal accompagné il peut y avoir effondrement (d’où le taux de suicide) ou violence, nous y reviendrons plus loin.

 

 

Cas du déclin de l’individuation

Il peut donc se faire, malheureusement, que le processus de maturation échoue et qu’en milieu de vie il y ait une grande énergie investie pour développer, construire ou maintenir un « culte du paraître » ou un « culte de la performance et du faire ». Un tel « culte » est généralement  insufflé par la pression de l’environnement et nous pouvons alors pratiquement parler d’un deuxième stade du miroir où l’individu croit qu’il ne peut exister qu’en étant ce qu’on attend de lui. Malgré un début prometteur (mais insuffisant) de son individuation, il se met alors à sacrifier  ce qu’il est réellement, au profit  d’images toutes faites…jusqu’à ne plus être qu’un leurre.

Au moment du déclin corporel, quand le leurre s’efface, quand l’ego s’effondre, si l’individu ne s’est pas construit, il se trouve alors confronté à un rien, dont le vide le conduit à la sénilité. Si des personnes particulièrement compétentes l’accompagnent pour réparer ce manque d’être, plutôt que de le pousser dans d’inutiles et néfastes prolongements du paraître, l’individuation peut reprendre. S’il n’y a pas cette réparation, nous avons des courbes différentes du schéma précédant, dans lesquelles surgit la sénilité au lieu de la sénescence :

 

Dans ce dernier schéma, nous voyons que sans accompagnement, l’individu ne s’est pas construit. Alors, l’ego et les compensations s’effondrant, le sujet s’éteint sans être ni paraître. Pourtant, dans cette phase, des soignants bien accompagnants peuvent accomplir des réanimations ressemblant à des « résurrections » tant l’individu semblait s’être éteint à tout jamais. Nous trouvons là l’idée d’humanisation de la fin de vie.

Un gériatre que j’avais eu en formation me disait combien de nombreuses personnes âgées se raniment, remangent, se relèvent, parlent de leur vie et de leur vécu quand l’attitude envers eux change. Bien souvent, l’extinction psychique est loin d’être irréversible.

Le drame est que quand les phases de maturations ont été insuffisantes ou que la vie les a trop malmenés, les sujets âgés semblent si éteints qu’on entend dire qu’ils sont comme des « légumes ». Il s’agit ici d’un vocabulaire d’une grande violence car le sujet n’a ici même pas le statut d’animal (ce qui serait déjà désobligeant) mais celui de végétal.

Une telle violence du vocabulaire souligne certainement  l’expression de l’impuissance dans laquelle se trouvent de nombreux soignants et les médecins face à cette phase de vie qu’ils peinent tant à comprendre et accompagner pour les raisons évoquées ci-dessus : difficulté avec le non savoir, être face à une étape de vie non vécue par soi-même, incapacité à entendre l’autre sans se référer à soi… Naturellement nous ne devons pas occulter que certaines atteintes neurologiques rendent les progrès impossibles. Mais dans bien des cas il ne s’agit pas de cela et les extinctions ont une autre source : celle de la non reconnaissance ou de l’infantilisation.

La bonne volonté et la gentillesse de l’entourage familial ou soignant n’y change rien. Pour réellement s’affranchir de toute violence, il y a réellement un autre regard à avoir. Il s’agit de développer une autre façon de dispenser les soins et les accompagnements. Nous allons y consacrer la suite de ce document

Performances et compétences 
du sujet âgé
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Différencier performances et compétences

Jaques RICHARD1 et Erlijn MATEEV-DIRKX2 soulignent dans leur ouvrage « Psychogérontologie » que les facultés ne décroissent pas autant qu’on le croit dans le grand âge. Elles seraient même améliorées sur certains points. Ce qui diminue, c’est plus la rapidité, que les capacités. Entre outre, il se développe une capacité à privilégier le vécu par rapport à l’événement, le ressenti par rapport aux faits, c’est à dire par rapport aux informations neutres.

Le problème est que les tests psychométriques mélangent performances et compétences. Dans leur ouvrage, les auteurs de « Psychogérontologie » expliquent que la psychologie expérimentale (psychométrie) mesurant les faits psychiques dans des situations standardisées, se veut objective, mais fait trop l’impasse sur le fait qu’une observation clinique est toujours la résultante de l’interaction entre l’observé et l’observateur.

Les auteurs soulignent que « la performance devient de manière abusive le témoin des capacités du sujet »…. « L’affinement des méthodes statistiques ne put combler le fossé qui existe entre la performance et la compétence. L’une n’est nullement le témoin de l’autre. Les moyens de transduction de l’une à l’autre sont encore inconnus »3 (P19).

Malgré d’incontestables altérations de la mémoire (mais pas de tous les types de mémoire) chez les sujets âgés, les auteurs nous font remarquer que « Certaines stratégies d’adaptation de l’âgé pourraient même limiter les effets de l’âge et permettre de conserver une compétence élevée dans les tâches de la vie quotidienne, en particulier en compensant les capacités sensori-motrices par une meilleure anticipation des mouvements à effectuer »

Sensibilité accrue aux informations émotionnelles

Rapportant une recherche de LL. CARTENSEN (1994) les auteurs soulignent que, par opposition aux informations neutres, « Les sujets âgés allouent davantage leurs ressources cognitives au traitement des informations émotionnelles. » Si le sujet âgé privilégie l’information émotionnelle, c’est peut être que le vécu compte plus pour lui que les faits. C’est une qualité qu’on aimerait voir plus souvent chez les praticiens de l’aide ou de la psychothérapie : privilégier le ressenti par rapport aux faits ou aux idées. Dès 1940 Carl ROGERS interpellait le psychologue sur le fait qu’ « …il doit être préparé à répondre, non pas au contenu intellectuel de ce que dit la personne, mais au sentiment sous jacent. »1

Nous sommes ici dans une donnée fondamentale si souvent développée dans ce site : dans une aide ou une thérapie, les questions pertinentes du guidage non directif doivent porter sur le vécu de l’individu (celui qu’il était dans cette circonstance) plus que sur ce qui s’est passé (données purement circonstancielles). Voir le document d'avril 2004  communication thérapeutique

Cette capacité du sujet âgé procède plus d’une évolution que d’une involution. Le sujet jeune aura, lui,  tendance à privilégier l’événementiel par rapport à l’existentiel, c'est-à-dire le détail des circonstances par rapport au vécu de celui qui s’y trouvait.

Je soulignerai que, quand bien même nous connaîtrions tous les événements de la vie d’un sujet et de sa famille (ça fait vraiment beaucoup de données !), nous ne saurions pourtant toujours rien d’essentiel. En effet,  ce qui compte ce n’est pas ce qui est arrivé, mais comment cela a été vécu… et à ce sujet, la connaissance des circonstances ne nous renseigne pas.

1  Relation d’aide et psychothérapie Carl ROGERS (Counseling and psychotherapy-1940) - traduit aux éditions ESF 1970 - p51

 

Exigences d’adaptation sans compensations

Robert HUGUENOT4, dans son ouvrage « LA VIEILLESSE MALTRAITEE » 5 p78, nous interpelle sur un fait : « On dit classiquement que la vieillesse entraîne une réduction de la motricité par atteintes musculaires, articulaires, cardiorespiratoires, et une réduction de l’agilité intellectuelle et de la mémoire, alors que plus que tout cela ce qui domine, c’est la réduction de l’adaptabilité…. » … justement à un moment de la vie où le changement demandé est particulièrement monumental, surtout  quand il s’agit d’aller en institution.

Nous trouvons apparemment là une contradiction avec les propos de Jacques RICHARD et Erlijn MATEEV-DIRKX qui font remarquer à quel point l’adaptation, chez le sujet de grand âge, compense les pertes de facultés sensori-motrices.

Au-delà de ces considérations, nous remarquerons, par simple observation, que la personne âgée fait au contraire preuve d’une grande capacité d’adaptation, mais pas à la façon des jeunes. Un jeune, quand il doit s’adapter, dispose de nombreuses possibilités de compensations pour gérer ses frustrations (activités, sorties, projets, vie amoureuse, nourriture, boisson, voyages…).

Une personne âgée, au contraire, n’a que peu de possibilités de compenser. Et au moment de la maison de retraite, ces possibilités se réduisent au minimum, là où le changement demandé est au maximum. Quand le sujet de grand âge parvient à s’adapter, il a donc réalisé une bien plus grande performance que celle dont des individus plus jeunes ne seraient capables.

Mais pour faire face au changement, un sujet de grand âge doit avoir construit sa vie intérieure. Sans cela, en l’absence de compensation, il ne lui reste que l’anesthésie par la démence pour échapper à sa douleur morale. Au lieu d’aboutir à la sénescence, il tombera dans la sénilité.

1 Jaques RICHARD professeur à la faculté de médecine et à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation – Genève  

2 Erlijn MATEEV-DIRKX  Docteur en psychologie de la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève  
3
« Psychogérontologie » Jaques RICHARD et Erlijn MATEEV-DIRKX- édité chez MASSON 2004

4 Robert HUGUENOT. Médecin gérontologue ayant contribué à la fondation du centre pluridisciplinaire de gérontologie de Grenoble  

5 « La vieillesse maltraitée » Robert Huguenot - DUNOD  2003 - Première édition primée par l’académie de médecine en 1999

 

Pertinence des désordres apparents

J’ai rencontré par exemple les cas ci-dessous, témoins d’une adaptation mise en œuvre  par des sujets âgés. Il est à remarquer que ces ressources sont rarement validées comme positives, mais plutôt consignées comme des états pathologiques.

Une dame Alzheimer, me dit ne pas se souvenir de son âge. Puis elle argumente en me disant que de toute façon elle vit au jour le jour. Plus tard elle me confie « vous savez… après…. Ça fout la trouille ». Cette femme diagnostiquée Alzheimer par médecins et psychologues (sûrement avec justesse car 10 mn après elle ne se souvient plus de vous avoir parlé) fait cependant preuve ici d’une remarquable faculté d’adaptation pour gérer sa peur de la fin… malgré la profonde détérioration de ses facultés intellectuelles.

Une autre dame âgée ayant un geste compulsif extrêmement répétitif me confie qu’elle aime bien faire cela. Quand je lui demande en quoi cela lui est agréable, elle me répond « ça compense ».

Un monsieur très âgé et dépendant, jugé comme ayant perdu ses facultés mentales, a soudain le regard qui change quand on évoque une période importante de sa jeunesse, quand il était avec son épouse. Le manque est géré par une absence de présence qui peut se réparer quand l’être qui compte est évoqué.

Une femme âgée veut aller chercher son petit fils à l’école pour ne pas qu’il soit seul. Ce moment de confusion (car le petit fils est adulte depuis longtemps) est rapidement éclairci quand elle peut nous confier que, jeune femme, elle a eu sa belle fille qui a été assassinée et son fils qui est mort de maladie peu après… le petit fils est resté seul. Ce qui parait un moment de démence est en fait une tentative de restaurer et soigner une part de vie douloureuse oubliée. Dans un tel cas, les accompagnants ne doivent pas manquer l’occasion.

   

 

2

Situations de violence

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Des plus répréhensibles 
aux plus anodines
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Les violences graves

Quand le thème de la violence est évoqué, il s’agit la plupart du temps de s’occuper des cas extrêmes. Or les cas de violences graves (répréhensibles par la loi) ne représentent qu’une infime partie de la violence. Les cas graves posent un réel problème, mais dans la mesure où la loi les a identifiés, ils ont le mérite d’être pris en compte, au moins sur le plan théorique (car nous verrons que les problèmes d’éthiques complexifient les situations et les signalements).

Dans les violences extrêmes nous trouverons viols ou sévices sexuels, tortures, meurtres (la justice sait très bien s’en occuper). Mais aussi, quoi que moins graves, mais tout de même sources d’une immense détresse : sévices psychologiques (cruauté mentale), exploitation financière (vol, héritage détourné), médicaments (excès de neuroleptiques, ou privation de remèdes), négligence active (enfermement, entraves des mouvements), nourriture donnée « le repas tout mélangé » dans un seul bol (entrée-plat-dessert) pour éviter la vaisselle (le personnel de l’institution ayant pris cette option pour « gagner du temps ! »).

Les « violences douces »

Le plus délicat, ce sont toutes les « violences douces » ordinaires (souvent involontaires) qui ne peuvent pas être répertoriées par la loi (et c’est certainement mieux ainsi) mais qui constituent une usure profonde et prématurée du sujet âgé. Si ces « violences douces » étaient répertoriées par la loi, cela pourrait conduire à d’autres types d’abus, cette fois-ci envers l’entourage familial ou envers les soignants qui seraient sans cesse susceptibles d’être attaqués. Légiférer est toujours un problème de mesure entre le « ni trop - ni trop peu »… l’absolu étant un piège souvent pire que le mal.

Pour traiter du sujet de la violence il serait pourtant illusoire de se contenter de ne parler que des cas extrêmes… nous ne ferions qu’utiliser un arbre pour cacher la forêt ! Peut être cela suffirait-il à nous donner bonne conscience, mais le vrai problème de la violence est plus subtil et touche vraiment au développement de l’individu de grand âge. Ce développement se doit d’être accompagné, mais il est souvent contrarié au point parfois d’en être anéanti.

Les violences lourdes ne concernent que 10% des situations familiales (Robert HUGUENOT « La vieillesse maltraitée » p 50), c'est-à-dire que 90% des familles ont des comportements de qualité qui ne peuvent pas entrer dans les statistiques de violence. Pourtant, cela n’empêche pas les « violences douces » du quotidien d’exister et de participer au déclin du sujet âgé. Quand un adulte dit à un enfant qui  pleure pour le rassurer « ne pleure pas, ce n’est rien », c’est une violence car c’est un déni de son ressenti. Quand dans les soins un agent hospitalier tente de rassurer un patient inquiet « ne vous inquiétez pas, ça va aller !» c’est aussi une violence par déni du ressenti du patient... Vous avez là deux exemples ordinaires de « violences douces » qui ne font pas partie des statistiques, ni des plaintes, mais qui doivent être prises en compte pour l’épanouissement du sujet âgé.  Vous avez de nombreux exemples de ce type dans ma publication de mai 2001 « personnes âgées ». J’en aborderai quelques autres plus loin.

Dans les « violences douces » nous trouverons la non reconnaissance, la non écoute, la non confiance, les mensonges par omission (on ne lui dit pas que son placement est définitif, on ne lui dit pas sa pathologie) ou les mensonges absolus « allez, ça va aller ! », ou pour un cancer « vous avez un polype », ou par détournement d’attention quand le sujet demande pour combien de temps il lui reste à vivre : « allez nous allons bien vous soigner ! »

Les sources de violence retour

La violence initiale

Robert HUGUENOT, dans « Vieillesse maltraitée » p74 nous révèle des chiffres impressionnants : 79% des personnes âgées n’ont pas été prévenues que leur placement est définitif. D’autre part, la mortalité à été remarquée supérieure de 10 à 12 % dans un groupe de personnes refusant leur placement par rapport à un autre groupe l’ayant accepté (P73)

En plus,  de multiples  « violences anodines » rongent quotidiennement un peu plus la conscience de la personne âgée. Si l’ouvrage de Robert HUGUENOT liste un grand nombre de violences graves existantes, la plupart d’entre elles restent rares, qu’elles viennent des proches ou des institutions (vol, viol, coups, dénutrition, abandon des soins) et sont punissables par la loi. En réalité, la « violence douce » est beaucoup plus fréquente pour ne pas dire généralisée, et la plupart du temps, totalement inconsciente chez leurs auteurs, qui parfois même pensent bien faire. Ainsi on ne dira pas au sujet âgé qu’il est placé « pour ne pas le choquer ». En vérité, dans ce dernier cas, on fait  surtout l’économie d’un accompagnement dont on se sent incapable… et dont l’absence va pourtant considérablement aggraver la situation du sujet âgé, ainsi dépossédé de sa vie dès le départ.

Comme si le vieux était déjà sous tutelle, l’entourage (soignant et familial) pense pour lui, décide à sa place de sa capacité à se savoir placé … En réalité il en découle surtout la démonstration de l’incapacité des accompagnants, face à ces perturbations émotionnelles qui peuvent résulter d’une annonce difficile. L’individu abordant la dernière étape de sa vie devra alors s’en débrouiller tout seul… il lui est ainsi implicitement et involontairement demandé une faculté d’auto adaptation phénoménale ! S’il n’y parvient pas, on le taxera de fragilité ou d’insuffisance, venant de façon perverse conforter le choix initial d’avoir pensé pour lui !

Il semble quasiment impossible de légiférer sur un tel état de fait. C’est plus un problème de conscience qu’un problème de loi.

Répartition par types et par sources

Concernant les statistiques, nous n’avons bien sûr des chiffres que sur les violences les plus graves, car les « violences douces » ne sont pas répertoriées. Le plus souvent, elles ne sont même pas conscientes, alors qu’elles sont majoritaires et particulièrement invalidantes pour l’intégrité du sujet âgé.

Les chiffres ne rapportent que les situations extrêmes, cadrées par la loi et ayant fait l’objet de plaintes. Nous y trouvons les maltraitances évidentes, qui généralement choquent toute personne ayant un tant soit peu de délicatesse. Ces violences ne sont ni les plus difficiles à pointer, ni les plus répandues. Bien que leurs nuisances soient majeures, elles sont les plus rares. Il convient donc de s’en préoccuper, mais que cela n’occulte pas les « violences douces » qui causent encore plus de dégâts. Cette fois, les dégâts ne viennent plus de la gravité de la violence, mais de sa généralisation et de sa répétitivité, malgré des trésors de bonne volonté et de gentillesse (elles en sont d’autant plus « invisibles »)

A propos des violences dures, institutionnelles, en 1986, une commission en Flandre nous donne les chiffres suivants1 : (nous noterons qu’il y a 1123 plaintes, mais nous ne savons pas, par rapport à combien de personnes qui ne se sont pas plaintes)

Sur 1123 plaintes :
45% maltraitances psychologiques,
29% maltraitances physiques,
26% maltraitances financières

Pour les sources de ces maltraitances institutionnelles, selon la commission, plus le personnel est ancien, moins il commet d’actes de malveillances. Les sources sont réparties de la façon suivante :
32,5% infirmiers,
31,5% aides soignants,
19% administration.

En France, ALMA2 souhaite pouvoir jouer le même rôle que cette commission. ALMA relève que les victimes ont une moyenne d’âge de 79 ans.

Les maltraitants sont en majorité :
56% des membres de la famille
20% des amis et voisins
12% des professionnels soignants (infirmiers, aides soignants, aides ménagères,etc.)3

Robert Huguenot précise de nombreux chiffres. Il ne s’agit là que de quelques exemples, car nous trouverons dans son ouvrage de nombreuses autres références chiffrées4:

Institution :  
violences par négligences  50% des cas -
violences psychologiques 17% des cas –
violences physiques 15% des cas...
Domicile :
violences psychologiques 30% des cas
violences financières (23% des cas)
violences physiques 17% des cas...

1 « La vieillesse maltraitée » Robert Huguenot - DUNOD  2003 p86
2 http://www.alma-france.org  mais aussi http://www.apa.asso.fr/alma.htm
       
3 « 
La vieillesse maltraitée » p172
4 « La vieillesse maltraitée » p176

Violences envers les sujets âgés retour

Les exemples sont plus parlants que les chiffres

Il importe de sortir des chiffres et des généralisations pour étudier la violence. Si les travaux de mesures et de statistiques ont leur importance sur le plan de l’étude de la situation sociale, ils n’apportent rien sur la compréhension du vécu quotidien de chacun. Nous devons donc les accompagner d’exemples illustrant ce que peut être le ressenti d’un individu particulier.

Avant de citer les exemples que j’ai moi-même rencontrés (repas, toilettes, animations, dénis des ressentis, agressions des familles, pressions sur les soignants…), je souhaite partager avec vous l’un des exemples que nous propose Robert HUGUENOT (p99 de son ouvrage) sur l’enchaînement de circonstances vécues par une vielle femme. Cet exemple nous montre bien qu’il ne s’agit pas de mauvaises volontés mais d’une cascade de circonstances qui, s’ajoutant les unes aux autres, font de chacun un participant au résultat final catastrophique, tant pour le sujet qui en est victime, que pour la société qui devra en supporter le coût.

Enchaînement de circonstances

Une femme  âgée tombe. Pour lui porter secours les pompiers enfoncent la porte (car la voisine qui a la clé n’est pas là). Ils emmènent la patiente à l’hôpital. Dans la précipitation, ni l’appareil auditif, ni le dentier, ni les lunettes n’ont été emportés. Comme elle n’a pas de blessures graves la dame âgée reste longtemps en attente (des heures) pendant que le service d’urgence s’occupe de patients plus lourds. La dame ne voit pas, n’entend pas, et parle mal sans son dentier. Elle veut se lever pour uriner, mais ne la comprenant pas, la trouvant agitée, des soignants lui mettent des barrières, puis lui donnent des neuroleptiques pour la calmer. Elle souille donc son lit et ses vêtements. Elle se retrouvera ensuite dans un lit d’hôpital, considérée comme grabataire « démente incontinente », mais sans pathologie particulière. Après plusieurs jours, astasie (ne peut plus tenir la position verticale), dénutrition, escarres sont des affections induites par l’hospitalisation (nosocomiales), venant dégrader quelqu’un qui n’a eu que le tort que de tomber, et de demander de l’aide, alors qu’il n’avait aucune maladie. Nous constatons ici une suite vertigineuse de circonstances qui conduit le sujet valide à une invalidité purement nosocomiale.

Pourtant, si nous regardons l’enchaînement de circonstances, nous remarquons que chacun des intervenants a fait pour le mieux dans le contexte où il se trouvait.

Naturellement, il est facile après coup, de dire que les pompiers auraient dû s’inquiéter de ne pas oublier, lunettes, dentier et appareil auditif ; qu’aux urgences, juste un peu plus d’attention au sujet plutôt qu’ à sa pathologie aurait été salutaire ; que dans le service de médecine, le médecin (non gériatre) aurait dû être plus attentif à l’individu qu’il avait en face de lui qu’aux données purement médicales.

Certes le médecin n’a pas mis en œuvre ce que je décris dans ma publication de avril 2001 « Le non savoir source de compétences » permettant de ne pas passer à côté de l’essentiel. Sans cette capacité à ne pas savoir, chacun ne perçoit que ce qu’il s’attend à voir et est aveugle à tout le reste. Nous avons ainsi des successions de dérives involontaires, mais très pernicieuses.

Conséquences : Grave atteinte à l’intégrité d’un individu. Accroissement considérable et inutile du coût des prises en charges. Occupation longue et injustifiée d’un lit qui aurait pu être disponible pour une autre personne qui en avait plus besoin….

A cela s’ajoutent les innombrables situations « ordinaires » qui chaque jour laminent le sujet sans que personne ne s’en rende compte (parfois pas même lui). Les mini séquences qui vont suivre montrent  comment le quotidien est parsemé de dialogues de sourds, volontaires ou involontaires, qui constituent autant de mini violences. Elles sont si fréquentes qu’elles constituent presque une norme. Ces petites violences ordinaires  « fréquentes et normalisées » en deviennent invisibles… seules leurs conséquences sont apparentes : des sujets âgés démotivés, éteints, perdant petit à petit les facultés d’élan, de conation (désirs, projets), de réflexion, de dialogue.

Exemples au moment de la toilette

Aide soignante : « Monsieur, je viens faire votre toilette »

1er cas  
Sujet âgé : « laissez moi tranquille »
AS : « ne vous inquiétez pas ça va aller vite » répond-elle pour le « rassurer » ! En fait il s’agit ici d’une ignorance totale de ce qu’il a voulu exprimer.

2e cas  
Sujet âgé : « je ne suis pas sale ! »
AS : « mais vous sous sentirez mieux ! » Il s’agit simplement d’une argumentation pour convaincre, sans prise en compte de son propos.

3e cas
Sujet âgé : « Vous n’êtes qu’une vicieuse ! »
AS : « Mais il faut bien faire votre toilette ! » Ici la soignante n’entend pas (ou ne veut pas entendre) l’allusion du sujet âgé et se contente de donner une information sur le bien fondé de son soin. Néanmoins nous remarquons qu’ici la soignante est agressée et ce sujet sera abordé plus en détail dans la suite.

4e cas  
Sujet âgé : « Non ! »
AS : « que se passe-t-il ? » avec un ton un peu excédé (fatigue), l’air de dire « que se passe-t-il encore ! »  
Sujet âgé : « J’aime pas ça. Vous savez, je suis pudique ! »
AS : «  Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude ! » Ici la soignante parle d’elle (j’ai l’habitude) à un patient qui exprimait son ressenti (ça me gène). C’est donc totalement hors sujet et peut être vécu comme un déni.

5e cas
Sujet âgé : « ça sert à rien ! Vous m’avez déjà lavé hier ! »
AS : « Mais il faut se laver tous les jours ! » Ici la soignante se contente de donner une information, sans tenir compte de l’absurdité que représente pour le patient une toilette quotidienne.

Ces exemples sont des situations si anodines que personne ne songe à les considérer comme des violences. Pourtant  le fait qu’elles soient innombrables (c’est le principe du « lavage de cerveau ») leur donne un poids non négligeable dans le déclin des personnes déjà fragilisées. Les raisons en ont été évoquées dans la première partie de ce document (psychologie du sujet âgé) dont le point majeur est la réduction ou même l’absence des possibilités de compensations. Un sujet jeune est tout autant confronté à de telles mini-agressions (bien sûr, sur d’autres thèmes que la toilette). Mais il peut facilement en compenser l’impact par une quelconque distraction.

Ces attitudes en apparence anodines touchent toutes les activités d’une institution et aussi la vie familiale. Les exemples ne peuvent être exhaustifs (mais donnent une idée de l’ampleur). Nous comprenons cependant plus aisément comment un sujet âgé peut décliner dans un syndrome de glissement, à causes de ces violences anodines, discrètes, souvent involontaires… mais tellement répétitives.

Exemples aux moments des repas

Aide soignante : « Voici votre repas »

1er cas  
Sujet âgé : « Je n’ai pas faim ! »
AS : « Mais il faut manger un peu » répond-elle pour l’ « encourager » ! En fait il s’agit d’une ignorance total de ce que le sujet âgé tente d’exprimer .

2e cas
Sujet âgé : « ça sert à rien de manger ! »  
AS : « Faut pas dire ça. C’est important si vous voulez être en forme quand vos enfants vont venir vous voir ! » Répond-elle pour le « stimuler » ! En fait il s’agit d’un total déni de ce que le sujet âgé tentait d’exprimer. Au lieu de le stimuler cela lui montre qu’il est dans un monde où, de toute façon, personne ne l’entendra (pas même les « gentils »).

3e cas  
Sujet âgé : « ça sert à quoi de manger ? Vous avez vu comment je suis ? Vivement que ça finisse (évoquant l’idée de mourir) ! »
AS : « Mais il ne faut pas dire ça ! Vos enfants seraient tristes ! Ils vous aiment ! Mangez au moins un peu pour eux ! » répond-elle pour le « motiver » ! En fait il s’agit là encore d’un déni absolu de ce que le sujet âgé tente d’exprimer.

4e cas  
Sujet âgé : « Vous appelez ça de la cuisine ! »
AS : «  Il faut quand même manger ce qu’on vous donne. On ne peut pas faire une cuisine pour chacun. Puis regardez, il y a quand même un bon dessert aujourd’hui ! » Le début est très dur, lui cinglant qu’en collectivité il faut cesser d’avoir des exigences, puis la suite plus douce tente de « rattraper le coup » avec l’attrait pour le dessert. C’est encore un déni absolu, suivi d’une dérobade manipulatrice.

5e  cas  
Le sujet âgé n’a pas touché à son plateau quand la soignante revient:
AS : « Mais vous n’avez rien mangé ! » s’exclame-t-elle avec une « indignation » légèrement réprobatrice. « Si vous continuer à ne rien manger (car ça fait plusieurs fois) on va vous mettre une sonde » menace-t-elle enfin dans l’espoir que le vieux, touché par la peur, va céder. Nous commençons là à toucher des violences plus évidentes.

Exemples dans les  soins médicaux

1er cas  
Médecin : « Vous allez passer une endoscopie mardi prochain »
Sujet âgé : « C’est vraiment nécessaire ? » avec inquiétude
Médecin : « oui car il faut vérifier…-explication médicale -…. » Le médecin répond donc à la question qui en fait n’était pas une question mais une manifestation d’inquiétude. De ce fait, le médecin, beaucoup plus à l’aise sur l’explication médicale de la nécessité de l’examen que sur la gestion émotionnelle de la situation, se précipite sur l’explication et laisse son patient avec son malaise.

2e cas  
Infirmière : « Je viens vous faire votre prise de sang ! »
Sujet âgé : « Encore ? » avec exaspération
Infirmière : « oui car il faut suivre l’évolution du traitement…-explication médicale -…. » Ici aussi, l’infirmière répond à la question qui en fait n’était pas une question mais une manifestation de raz le bol.  Elle aussi, beaucoup plus à l’aise sur l’explication médicale que sur la gestion émotionnelle de la situation, se précipite sur l’explication et laisse son patient avec son malaise. Celui-ci va subir le soin sans avoir été écouté. Il devra simplement apprendre à se soumettre à l’autorité.

3e cas  
Médecin : « Vous allez avoir une intervention abdominale » Le médecin explique l’intervention, sa nécessité et le résultat qui en est attendu.
Sujet âgé : « Oui, mais vous pensez que c’est vraiment utile de m’opérer ? » avec lassitude et peur.
Médecin : « Je vais vous expliquer…-nouvelle explication médicale -…. » Même dans le cas où le médecin reprend calmement et patiemment son explication, il ne répond pas à la demande du sujet âgé. Qu’est-ce que le patient veut dire quand il exprime « Oui, mais vous pensez que c’est vraiment utile de m’opérer ? ». Il attend qu’on l’aide à dire ses peurs, ses souvenirs médicaux, ses espoirs, la façon dont la vie lui semble précieuse ou insupportable… en fait pour savoir ce qu’il cherche à dire, il faudrait tout simplement…. le lui demander ! Des reformulations comme « Vous pensez que ce n’est peut-être pas si nécessaire ? » « Qu’est-ce qui vous fait douter de l’utilité de l’intervention ? »….. « Que voulez vous me dire ? »… seraient une aide plus pertinente pour le sujet âgé .

4e cas  
Le sujet âgé : « Dites docteur, vous savez, je ne vois plus très bien, je distingue mal, même le paysage par la fenêtre…. moi qui aime tellement les fleurs…vous savez j’avais un si beau jardin, je ne vois même plus celui là (désignant le parc par la fenêtre) »
Médecin : « Avec l’âge, c’est normal que votre vue baisse. Vous allez tout de même consulter l’ophtalmo » Le médecin énonce une évidence sur l’âge et donne une solution. Il ne relève pas ce que le sujet âgé dit de son vécu à propos de sa vieillesse, de sa vue déclinante et de sa nostalgie sur son jardin.

5e cas  
Infirmière : « Je viens changer votre pansement »
Sujet âgé : « Vous allez encore me faire mal ! » avec exaspération.
Infirmière : « Mais non. Ce n’est rien. Faut bien changer votre pansement ! Je vais faire attention » L’infirmière pensant rassurer le patient ne fait que nier son inquiétude et lui couper tout moyen d’expression.

Exemples du déni des ressentis

1er cas  
Sujet âgé (à un soignant) : « Je suis trop vieux, ce n’est pas une vie. Je voudrais mourir »
Soignante : « Mais il ne faut pas dire ça. Vos enfants tiennent à vous »
Sujet âgé (dont l’épouse est décédée): « Oui mais si je m’en allais, je retrouverais ma femme »
Soignante : « Mais votre épouse est partie ! Il faut penser à vos enfants » Tentant de le tourner vers la vie en mettant son attention vers ses enfants, la soignante tente de « faire disparaître » l’épouse qu’il a perdu et qui lui manque. Cette maladresse ajoute du deuil au deuil et loin de l’apaiser, le porte vers encore moins d’envie de vivre.

2e cas  
Sujet âgé (parlant seul, ayant des larmes) : « maman, maman….maman !»
Soignante : « Quel âge avez-vous ? » la soignante tente de ramener le sujet âgé dans le présent afin qu’il  s’oriente mieux dans le temps. L’idée est de lui faire réaliser que sa mère est morte depuis longtemps. En réalité le sujet âgé parle d’un manque de sa mère, que personne n’entend et prend pour un délire systématique. Or le sujet âgé n’est pas en train de perdre la raison mais de la retrouver… la raison de son ressenti est le manque de sa mère, qu’il n’a pas eu l’occasion d’évoquer comme il en aurait eu besoin. Au lieu de l’aider dans ce sens, celui de l’émergence de sa raison, le déni étouffe cette raison et tend à la lui faire perdre. Ceci est une violence involontaire, mais très dommageable pour la santé mentale, déjà fragile, du sujet.

3e cas  
Sujet âgé (à un soignant) : « Je me sens tellement seul. Mes enfants ne reviendront pas avant la semaine prochaine. »
La soignante : « Mais une semaine ce n’est pas si long. Puis vous avez la chance de les voir toutes les semaines. C’est déjà bien. Vous savez ils sont très occupés…. » La soignante, tentant de le rassurer ne fait que nier ce qu’il tente de faire comprendre. Toute cette argumentation n’a pour but que de faire taire le sentiment de solitude que le sujet âgé aurait au contraire besoin qu’on entende. C’est un peu comme si on bâillonnait quelqu’un qui a quelque chose d’important à dire. C’est là aussi une violence involontaire qui produit l’inverse de l’effet souhaité.

4e cas  
Sujet âgé (à un soignant) : « Je pourrais avoir un autre dessert ? »
Soignante : « Vous savez très bien qu’il ne vous faut pas de sucre ! » La soignante l’infantilise en lui faisant la leçon. Espérant ainsi le ramener à la raison, elle contribue involontairement à la lui fait perdre. Le sujet n’a plus droit à ses ressentis ni à ses désirs. Le problème n’est pas qu’il ait le droit de reprendre un dessert, mais qu’il ait le droit d’en avoir envie et que cela soit reconnu, même si on ne peut lui en donner. Une validation du genre « ça vous manque trop d’avoir des douceurs en fin de repas ? » serait la bienvenue. Nous aurons les mêmes types de situations pour les demandes de tabac, d’alcool …

Exemples de situations d’animations et de démotivation

Par les animations, les soignants tentent de remotiver et de restaurer la conation (terme désignant la faculté d’avoir des projets et des désirs). Ceci est une grande préoccupation des soignants et animateurs. Stimuler, motiver, donner un plaisir de vivre y sont à l’honneur. Nous entendrons ainsi souvent parler de projet de vie comme moyen de maintenir le cap. La question est de savoir ce qui représente plus de vie du point de vue d’un sujet âgé, car pour lui, évidemment,  les critères ne sont pas les mêmes que ceux du « gamin de 25 ou 50 ans » qui s’occupe de lui.

Le risque est de garder l’image du plan de carrière de l’adulte ou des jeux enfantins des petits, pour construire le projet de vie des vieux. Or nous avons vu au début de ce document que la dynamique du jeune porte sur une construction de l’ego (performances dans un but de paraître) alors que la dynamique du sujet âgé est une construction de l’individu (sensibilité dans une quête d’être), une réappropriation de sa vie, une poursuite du processus d’individuation (hors ego), une continuation de son développement. Il importe de comprendre que l’effondrement de l’ego est nécessaire à la poursuite de l’individuation. Réintroduire de l’ego à cette étape, brise cet élan de vie. Le projet de vie ainsi pris à l’envers risquerait de se transformer en chemin létal… et ce d’autant plus violemment quand beaucoup d’énergie y est investie dans le mauvais sens.

Le sujet âgé a besoin de « rassembler ses esprits », de réunir les parts de vie qu’il a laissé s’éparpiller. Il a plus besoin de cette réalisation de soi par rassemblement de soi, que de faire de l’occupationnel flattant son ego et venant compenser ses manques. Il arrive à un moment de l’existence où il importe plus de remplir ses vides que de seulement les masquer. Néanmoins, les compensations peuvent tout de même exister et être salutaires… pourvu que cela ne constitue pas l’essentiel de la démarche et n’occulte pas le processus d’individuation.

J’ai déjà donné cet exemple (publication de mai 2001 « personnes âgées ») de la vieille dame Alzheimer qui réalise un coloriage et semble agacée par cette activité. Je vois l’animatrice tenter de l’encourager en lui disant que « c’est très beau ». La dame se refermant face à cette affirmation, l’animatrice ajoute « les couleurs sont très belles et celui que vous avez fait l’autre fois était très joli aussi ». La dame grimaçant un peu plus, je m’approche et lui demande (par une reformulation) : « ça n’a pas l’air de vous plaire ? ». Elle me répond aussitôt « Ah non ! ça ne me plait pas. J’étais institutrice. Regardez j’en fiche partout, mes couleurs débordent. Les gamins, dont je m’occupais, faisaient mieux que moi ! ». Nous remarquons que face à la personne qui « l’encourage » en niant ce qu’elle exprime elle se tait et se contente de grimacer, alors que face à quelqu’un qui l’entend, elle s’exprime, elle s’anime, elle vit ! Elle se sent plus exister quand on reconnaît son ressenti que quand on le nie (même si c’est avec de bonnes intentions).

Ce sont de telles attitudes qui éteignent la motivation, qui éloignent la vie et qui induisent, de façon nosocomiale, certains syndromes de glissement tout en croyant mettre en œuvre ce qu’il faut pour y remédier.

Les sujets âgés entre eux

Des violences apparaissent aussi entre les personnes âgées. Dans ce cas, les soignants se doivent d’être médiateurs. Prendre parti n’amène rien. Faire comme si on ne voyait rien non plus.

Il importe de partir du principe, non pas que les torts sont partagés, mais que chacun des deux a sa raison. Un véritable médiateur doit être capable de faire émerger la raison de chacun et les valider toutes les deux. Généralement, quand la raison a été pointée et reconnue, il y a apaisement. Le soignant se doit néanmoins de comprendre que dans le processus de développement (individuation) l’individu âgé a besoin de rassembler sa vie. Cela doit le conduire à rechercher les raisons ailleurs que dans l’environnement immédiat, même quand les arguments avancés sont dans l’actuel.

Il importe de partir du principe que, quand il y a de telles tensions, elles expriment quelque chose d’important qui n’a jamais été entendu (parfois de très ancien).

On se doit, bien sûr, de protéger un sujet âgé victime des brimades, des coups ou des insultes d’un autre sujet âgé. Mais il est essentiel de ne pas se positionner dans un regard « victime/bourreau » et, en même temps, d’oser aborder la gravité de la situation. Pour y parvenir, le soignant tâchera alors de clairement distinguer les actes (qui sont des choses) de leurs auteurs (qui sont des êtres). J’ai particulièrement développé ce thème dans ma publication de juin 2003 « Apaiser violence et conflits » et dans celle de novembre 2004 « Ne plus induire de culpabilisation »

Nous retrouverons cette difficulté dans le cas de violences familiales, avec une complexité augmentée puisque l’auteur de la violence (faisant partie de la structure psychique du sujet) ne peut être rejeté sans dégâts. Le regard « victime/bourreau » y est donc encore plus dangereux. J‘aborderai ce point en détail dans le prochain paragraphe.

Violences envers les familles retour

Violence de la personne âgée elle-même  envers ses proches

La personne âgée peut être violente envers ses proches. Elle peut même parfois les persécuter de ses exigences ou de ses contradictions et les culpabiliser en permanence. La plupart du temps ce n’est que la continuation d’une attitude qui existe depuis longtemps et il y a derrière cela une longue histoire personnelle et familiale. Certaines fois il s’agit juste de l’expression d’un mal être actuel dû au placement, dû à cette étape de la vie qui est mal acceptée.

Dans tous les cas, le piège est de vouloir soulager les proches en s’indignant de la conduite de la personne âgée à qui on se met à faire des « remontrances ». Celui qui aide tentera plutôt de comprendre que le sujet âgé a une raison de se conduire ainsi, que sa raison soit actuelle ou très ancienne.

Il est particulièrement néfaste de se liguer avec le proche contre la personne âgée par des attitudes du genre « vous avez raison, elle est très difficile à vivre » ou « je comprends que vous ne puissiez plus la supporter, elle est infernale » ou « Ah si vous saviez ! Elle est tyrannique » ou « Vous avez raison, elle est vraiment méchante ! » Il importe de comprendre que le proche a besoin qu’on entende sa douleur à lui, mais pas qu’on casse son aïeul. Ces mêmes remarques, peuvent prendre une autre tournure si on adopte une attitude plus emplie de considération pour chacun. Par exemple : « C’est vraiment trop difficile pour vous ? » pour reconnaître la douleur du proche sans détruire l’image de son aïeul.

On s’occupe ensuite de permettre l’expression de cette douleur chez le proche, sans oublier la raison (potentielle) du sujet de grand âge.

Violence des soignants envers la famille

A l’inverse il peut arriver que ce soit la famille qui tyrannise la personne âgée. Dans ce cas ce serait une violence que de prendre parti, avec elle, contre son proche.

Si le sujet âgé dit  « Quand même ! J’ai élevé mes enfants et maintenant, regardez… ! ils ne viennent que pour me demander de l’argent. Ils ne veulent qu’une chose : c’est que je vende ma maison pour me déposséder. Quand je pense à tout ce que j’ai fait pour eux… ! » Si le soignant répond « vous avez raison ce n’est quand même pas gentil. Ils se moquent vraiment de vous. Vous devriez ne pas vous laisser faire » il critique alors l’enfant, contre qui il prend parti, avec le vieux. Mais ce dernier n’a jamais demandé qu’on lui dise que son enfant est un « vaut rien ». Il veut juste qu’on entende que ça lui fait mal.

Nous avons dès le plus jeune âge ce genre de réaction : dans une cour de récréation, un enfant critique crûment son père. Un autre, croyant lui être agréable, appuie ce jugement par une insulte envers le père. L’enfant alors se révolte et lui jette à la figure « t’as pas intérêt à répéter ça ! » L’enfant avait besoin d’exprimer son malaise, mais pas qu’on casse ses parents. Ce sont des éléments à prendre en compte aussi dans l’enfance maltraitée. Nous les trouvons à l’autre bout de la vie de la même façon : un être humain ne veut pas qu’on détruise ses ascendants ni ses descendants, quand bien même lui, a besoin de s’en plaindre et en souffre beaucoup.

« Histoires de familles » complexes

Rober Huguenot insiste souvent sur le fait que les enfants maltraitants (de leur parent âgé) ont souvent été des enfants maltraités. Ils ne feraient alors que suivre des modèles ou régler des contentieux.

Mais si nous résolvons le fait de ne pas incriminer l’enfant maltraitant en évoquant le fait que c’est en réalité la faute des parents, qui ne font que subir un juste retour des choses, nous risquons de tomber dans un psychologisme dangereux. Nous induirions ainsi une indésirable culpabilisation des parents, nuisant même à l’enfant (comme nous venons de le voir plus haut).

Le dilemme est que les enfants ont besoin d’être entendus sur leur douleur, mais aussi, qu’ils ont besoin que leurs parents ne soient pas « détruits » car ceux-ci doivent trouver leur place dans leur structure psychique. Il s’agit là d’une approche fine de soutien psychologique (et même de thérapie) car les enfants peuvent néanmoins avoir, eux, une pulsion destructrice envers leurs ascendants. S’il est important de ne pas leur permettre leurs actes, il est essentiel de ne pas leur reprocher leurs pulsions et de ne pas non plus culpabiliser leurs parents.

Même si le phénomène de reproduction existe, il importe d’abord de savoir qu’il n’est pas systématique. D’autre part, quand ce qu’on a vécu explique ce qu’on fait, c’est une explication, pas une excuse. Enfin, il est aussi à considérer que des enfants peuvent être devenus maltraitants sans avoir eux-mêmes été maltraités (il y a à cela des tas d’autres raisons possibles). Dans tous les cas, l’impact restant de la souffrance vécue autrefois vient plus de ce qu’on en a fait que de ce qui s’est passé (et ce qui s’est passé n’est pas forcément venu des parents). Pour affiner ces concepts vous trouverez de nombreux détails dans ma publication de avril 2004 « Communication thérapeutique » et dans celle de novembre 2004 « ne plus induire de culpabilisation chez les patients ou parents »

Il y a bien un rapport entre le passé et le présent, mais ce rapport ne se situe pas au niveau de ce qui est arrivé. Il se situe au niveau de ce qu’on en a fait. La manifestation résurgente dans le présent n’est pas quelque chose qui apparaît à cause de ce passé, mais spécialement pour que celui qu’on était (et qui s’est positionné d’une certaine façon dans ce passé) soit enfin entendu, reconnu, réhabilité. Pour obtenir un apaisement, il ne s’agit pas d’élimination d’un mauvais souvenir, mais de réhabilitation de celui qu’on était dans cette circonstance. Pour plus de détails sur ces notions, vous avez également disponible sur ce site une publication faisant la synthèse entre les approches thérapeutiques cathartiques (visant à éliminer) et les approches intégratives (visant à réhabiliter). Il s’agit du document publié en mars 2005 «  Libido, amour et autres flux » dans lequel je vous invite à bien repérer la différence entre le flux libidinal qui est un flux d’énergie et le flux existentiel qui est un flux de vie. Nous retrouvons ici la distinction entre paraître et être, évoquée dans la première partie.

Violences envers les soignants retour

Violences des sujets âgés

S’il importe de parler des violences (graves ou douces) subies par les sujets âgés, il ne faut cependant pas négliger les violences infligées par les résidents sur les soignants. Certes, celles-ci sont fréquemment la conséquence d’indélicatesses préalables de la part du personnel de l’institution, ou de l’institution elle-même. Mais il ne faut surtout pas oublier que ces indélicatesses, sont généralement involontaires et ne méritent pas un tel acharnement.

Les violences du sujet âgé envers les soignants sont dans tous les cas la manifestation d’un mal-être profondément ressenti par le résident. Il importe de comprendre que cette violence est éprouvante pour le personnel et que celui-ci, s’il ne sait pas y faire face, met en œuvre une rétroaction, elle-même emprunte de violence.

Quand le sujet âgé dit à l’aide soignante qui vient faire sa toilette « casse toi salope ! » c’est pour elle une épreuve (la grossièreté n’est par rare chez  certains résidents). Quand l’infirmière s’entend dire « t’as fini de m’empoisonner avec tes cochonneries (médicaments). Tu veux donc me faire crever ! », c’est également perturbant. Quand le soignant s’approche pour l’aider à se lever du fauteuil  et prend un coup de canne… c’est aussi plutôt inconfortable.

A cela s’ajoutent des tas de situations qui ne sont pas des violences en soi mais qui font violence aux agents de service, aux aides soignantes, aux infirmières, aux médecins, aux animateurs, aux kinésithérapeutes….

Ce sont toutes les remarques du genre « je me sens seule », « je voudrais mourir », « je voudrais retourner chez moi », « mes enfants me manquent », « je n’ai plus envie de vivre depuis que mon conjoint est mort », « de toutes façons j’ai raté ma vie, je n’ai pas eu d’enfant ». Ces situations d’expression directe d’une détresse percutent parfois violemment le soignant qui ne sait pas vraiment quoi en faire.

Nous avons aussi des expressions de détresse moins directes. Ce sont les situations de délire : « attends, je dois aller donner à manger à mes cochons », « d’accord, mais il faut t’occuper du petit, là ! (montrant à côté d’elle un emplacement où l’on ne voit rien) », « je veux bien manger, mais il faut en garder pour lui. Tu sais il a faim (désignant un endroit dans la pièce où il n’y a personne »… Dans ce cas le sujet âgé fait généralement allusion à quelque chose d’important, mais l’absence de rapport apparent avec le présent, déroute le soignant et le met en porte-à-faux.

Nous avons aussi les hurlements continuels, les appels plaintifs et désespérés, les coups de sonnette intempestifs… et surtout les décès de pensionnaires qui, étant là depuis longtemps, avaient suscité des attachements dans l’équipe. Celle-ci s’en trouve alors particulièrement éprouvée.

Naturellement, le sujet âgé n’y est pour rien dans ces derniers cas, mais c’est tout de même une violence vécue par ceux qui s’occupaient de lui. Nous verrons plus loin le rôle de l’institution pour aider le personnel dans ce cas.

Violences des familles

Naturellement il n’y a pas que le sujet âgé qui peut être source de violence envers l’équipe soignante. Nous trouverons également les familles. Là aussi il y aura des violences directes et des violences indirectes.

Parmi les violences directes le soignant s’entendra dire « c’est comme ça que vous vous occupez d’elle ? On a le temps de mourir dix fois avant que vous arriviez ! », « C’est inadmissible, vous ne lui avez même pas donné à manger ce matin ! » (alors que c’est la personne âgée qui avait refusé de se nourrir,  la famille aurait envie qu’on la force davantage… mais elle aurait alors reproché notre violence), « si vous ne vous occupez pas mieux d’elle je vais porter plainte ! Il est inadmissible qu’elle ne se lève pas plus souvent ! Vous ne fichez vraiment rien ici ! »… Parmi toutes ces remarques, certaines peuvent être justifiées par le fait que le personnel manque de temps, car il est peu nombreux, et n’apporte pas tous les soins comme il le devrait. Mais cela ne justifie pas le ton envers une équipe qui fait de son mieux. Il importe de comprendre ici que toutes ces violences ne sont que des messages « apparents » derrière lesquels se cache souvent un message réel : la souffrance de la famille.

Là aussi nous avons des situations qui ne sont pas des violences en soi, mais qui font violence tout de même : « vous êtes sûr qu’il est bien. Je le trouve vraiment très fatigué. Vous savez j’ai tellement peur de le perdre. Je ne m’en remettrai pas ! », « Je ne supporte pas de l’avoir mis ici, avec tous ces vieux. Quelle déchéance. Je ne me le pardonne pas. Je sais que vous faites ce que vous pouvez, mais je me sens tellement coupable ! ». Ici la violence ne vient pas d’un propos désobligeant, mais dans l’expression directe du message réel… que le soignant ne sait pas gérer.

Le vrai problème est que la famille, envoyant son agression envers le soignant ne fait qu’exprimer son propre malaise. Si le soignant n’est pas préparé à cette distinction entre le message apparent (agressivité) et le message réel (souffrance difficile à exprimer), il vivra douloureusement ces critiques ou même parfois ces insultes. Pourtant, l’expérience montre que même quand le message réel (expression explicite de la souffrance) est directement exprimé, c’est aussi une violence, car le plus souvent le soignant se trouve très démuni.

Que ces violences viennent du sujet âgé lui-même ou de son entourage familial, le soignant a tendance à ne pas distinguer le message réel du message apparent. C’est le premier point expliquant sa fragilité dans ces cas. Cela produit en lui un impact qui accroît son stress et son usure professionnelle.

Mais quand le message réel est clairement exprimé, le soignant souffre aussi, car trop démuni face à  la douleur d’autrui. Même si nous avons la chance de vivre une époque où l’on tente de mieux prendre en compte la douleur, l’on est plus adroit sur la douleur physique que sur la douleur psychique. Il arrive même que la douleur psychique soit traitée comme une douleur organique avec des médicaments psychotropes, là où il aurait seulement fallu une écoute et une reconnaissance.

Violence de l’institution

Le soignant subit aussi une certaine violence de l’institution par le fait que celle-ci n’a pas la possibilité d’avoir un personnel suffisant dans ses équipes, par le fait du respect d’une réglementation de plus en plus exigeante, mais qui ne tient pas assez compte de la réalité du terrain, par le fait que les directions et encadrements, craignant les remontrances de leur propre hiérarchie et les plaintes de familles, ont une exigence qui ne tient pas compte des possibilités réelles des agents sur le terrain.

La plupart du temps sans préparation en formation initiale, les soignants sont confrontés aux aspects psychologiques des patients en fin de vie, aux aspects physiologiques de la douleur et aux décès. A cela s’ajoute le fait d’être confronté la première fois à la toilette mortuaire sans l’avoir envisagée en formation initiale (comme si la mort n’arrivait jamais en institution).

Quand le soignant tente de mettre de l’ « humanité dans ses soins il lui sera reproché souvent d’être trop sensible et il lui sera vertement conseillé d’apprendre à mettre de la distance. « Vous devez être professionnel »  lui lancera-t-on. Mais quand il met de la distance, on lui reprochera son manque d’humanité et il recevra l’injonction de mettre un peu plus d’empathie dans ses contacts avec les patients « il faut humaniser l’hôpital » s’entendra-t-il dire cette fois -ci.

Pour bien comprendre cette ambivalence nous remarquerons que l’aide psychologique fait partie du soin et que cela est enseigné en formation initiale  sous le nom de « relation d’aide ». Ce soin, pourtant reconnu à part entière comme un soin, est le seul soin pour lequel l’institution n’a prévu aucun temps pour le réaliser. C’est peut être aussi parce que son enseignement reste insuffisant sur le plan pratique. La vraie question n’est pas de connaître un panel de psychopathologies, mais de vraiment aborder « quand le malade fait ou dit cela, je continue comment, concrètement ? en verbal et en non verbal ! » Vous trouverez de nombreux détails sur l’aide psychologique dans ce site à « Communication thérapeutique (relation d’aide) » (42 pages - publication d’avril 2004), « Personnes âgée » (19 pages - publication de mai 2001), « Humaniser la fin de vie » (31 pages - publication d’avril 2003)

D’autre part, quand le personnel est en souffrance du fait des éléments exposés ci-dessus, il est rare qu’il reçoive une écoute dans l’équipe ou de la part de sa hiérarchie. Tout le monde étant sous pression, il s’en débrouille seul. Combien de soignants ai-je vu vivre un décès, puis continuer les soins auprès des autres patients comme si de rien était, et rentrer chez eux comme ça. Certains services, ayant plus de chance, ont un psychologue assurant des réunions de soutien. Mais ce n’est pas que de la chance, c’est surtout grâce à un choix du cadre et de l’institution au niveau des priorités… quand les moyens le permettent.

Violence de la législation et des risques de procès

Le progrès est que la violence est mieux prise en compte aujourd’hui. Pour remédier aux abus il y a des lois. Mais le problème, est que quand on remédie à un manque de conscience par des lois, on ne fait parfois que déplacer les problématiques. Si certaines violences inadmissibles sont mieux cadrées (et c’est heureux qu’il en soit ainsi), il se produit en même temps nombre de plaintes pour un oui ou pour un non.

Par exemple, il est une bonne chose que les victimes de pédophilie soient enfin mieux entendues et que la justice protège ceux qui risquent d’en pâtir. Mais je pense aussi à ce monsieur qui  s’est retrouvé en prison parce que sa fille, à la maternelle, a dit à l’institutrice en montrant son ventre « papa a fait bobo là ». L’institutrice a fait un signalement.  Le monsieur a du passer par la prison avant qu’on comprenne que la petite fille ne faisait que relater le moment où son père ayant fait une chute s’était lui-même fait mal au ventre. Cela avait impressionné la petite fille qui a éprouvé le besoin d’en parler. Cette situation a donc conduit l’institutrice à dénoncer une faute imaginaire. Quand la loi commence à vouloir remplacer la conscience, nous allons même jusqu’à ces cas d’enfants nés handicapés qui peuvent faire un procès à leurs parents qui n’ont pas avorté de lui. Enfin, et c’est sans doute le plus grave,  un enfant peut porter plainte contre un parent pour lui nuire dans un moment de colère (sans qu’il n’ai rien fait de répréhensible à ce point). Naturellement tout cela s’accompagne d’expertises psychiatriques pour démêler le vrai du faux. En théorie, cela est juste, mais en pratique il y a un traumatisme pour tous. Comme pour les médicaments, il s’agit d’être attentif à l’équilibre entre les effets bénéfiques souhaités et les incontournables effets secondaires. Il s’agit que les effets néfastes ne produisent pas plus de dégâts que le mal qu’on cherche à éradiquer ! En la matière les réponses simplistes n’existent pas.

La loi, qui est garante d’une certaine sécurité, quand elle devient trop omniprésente induit de l’insécurité, pour ne pas dire de la peur et parfois même de la terreur, car tout le monde peut un jour ou l’autre être pris en défaut face à des exigences draconiennes. Une forme de « dictature douce » s’installe alors et met tout le monde sous pression, avec au dessus de la tête une épée de Damoclès qui risque de lui trancher le coup à chaque instant, pour un oui ou pour un non.

S’il faut évidemment des lois pour sécuriser la vie sociale, trop de lois tuent la sécurité. Il est illusoire de croire que remplacer la conscience par une législation excessive se fera sans dommage pour la qualité de vie. C’est une question d’équilibre entre une absence de législation qui serait néfaste et un excès de législation qui l’est aussi. Le vrai remède étant de favoriser, à chaque fois que cela est possible un plus de conscience ou d’humanité.

S’il est bon que le monde médical ait perdu la toute puissance dans laquelle il était et dont il a certainement abusé, il est tout aussi néfaste que médecins et soignants, pour bien travailler, vivent dans la terreur du procès.

Le dépistage retour

Le dépistage est souvent, en grande partie, ce qui fait monter les statistiques. Les situations existaient généralement auparavant, mais n’étaient pas connues. Pour que les chiffres soient un réel reflet de ce qui se passe, il faut comparer ce qui est comparable.

Les médias, les effets de mode, la sensibilisation éthique ou citoyenne, les centres d’appels téléphoniques donnant une écoute aux victimes en souffrance, et même aux auteurs de violence qui ne savent pas comment se faire aider du fait de leurs pulsions, tout cela contribue à un changement dans les données recueillies. Il est donc difficile de dire comment c’était avant.

Quand les personnes âgées restaient plus longtemps dans la famille, ce qui semblait être une « meilleure époque » que celle des placements en institution, il n’est pas du tout certain qu’il y avait moins de violences. Il y avait aussi des enfants qui laissaient le vieux dans un coin, ou des vieux qui continuaient à exercer une tyrannie envers leurs « gamins » de 60 ans, qui ne voyaient ainsi jamais arriver l’âge adulte avant 70 ans, ou plus, quand « papa ou maman » décédaient. Je me souviens ainsi d’un vieux monsieur qui avait été battu par son père jusqu’à ce que celui-ci meurt très âgé. Ce monsieur se retrouva alors en institution, portant encore les stigmates de la terreur.

Nous nous garderons bien de fustiger ou d’idéaliser telle ou telle époque. Ce qui importe, c’est de faire aujourd’hui ce qui doit être fait pour apporter un plus d’humanisation aux êtres humains dans toutes les situations de la vie. Si le présent document traite en particulier de la vieillesse, nous ne devons pas oublier que l’humanisation concerne aussi bien les maternités, les attitudes envers les mères et envers les bébés, y compris au moment de leur naissance. Cela concerne également les élèves d’écoles, de collèges et de lycées. Tous les services de l’hôpital, mais aussi ceux des diverses institutions de services sociaux peuvent aussi en tenir compte. Toutes les situations du travail en entreprise sont également à l’honneur, dans la nécessité d’un processus d’humanisation. Sans oublier la vie conjugale, lieu de tant de malentendus, si souvent mal comprise et mal accompagnée…etc.

Ethique et signalement

Nous sommes confrontés à des concepts contradictoires. D’un côté, il est bon et nécessaire de reconnaître la douleur de la victime. D’un autre, il ne faut pas casser les auteurs de la violence quand ceux-ci sont des ascendants ou des descendants.

En fait, on ne devrait jamais « casser » un auteur de violence, même quand ce n’est pas un parent. Que ceux-ci doivent répondre de leurs actes devant la loi est une chose, les « casser » en est une autre. Mais dans le cas où il s’agit d’ascendants ou de descendants, nous devons tenir compte d’une composante supplémentaire, déjà abordée plus haut : l’auteur fait partie de la structure psychique de la victime. Le « casser », croyant aider la victime, va en fait fragiliser celle-ci, qui résistera alors à la reconnaissance des faits pour protéger son « proche bourreau ». En fait, ce n’est pas son bourreau qu’elle protège, mais l’intégrité de sa structure psychique. Cela demande dans tous les cas beaucoup de tact et de délicatesse de la part de l’aidant. Mais le problème est encore accru quand il s’agit de violences graves répréhensibles par la loi.

A tout cela s’ajoute le fait qu’il faut alors protéger aussi la société contre les méfaits potentiels d’une personne dangereuse (ça c’est pour l’éthique) et répondre aux exigences législatives qui ont envisagé le cas de non assistance à personne en danger (ça c’est pour la loi).

Naturellement la loi ne résoudra jamais un manque de conscience, mais elle permettra d’endiguer certains excès. Comme nous l’avons vu plus haut (au paragraphe « violence envers les soignants »), le problème est celui de l’équilibre. Trop de lois peut aussi porter atteinte à la sécurité et conduire à la terreur, mais pas assez de lois également. Quoi qu’on en pense, examinons ce que dit cette loi.

Les articles de loi

Pour la non assistance

L’article A 2236 du code pénal (1995) dit : Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour un tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient de le faire volontairement est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient  volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui-même ou un tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant des secours.

Pour non information des autorités

L’article 443-3 du code pénal (1995) dit : Le fait pour quiconque ayant eu connaissance de mauvais traitements ou privations infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique, ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptés des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13… et dont elles sont déliées par l’article 226-14

Pour le non respect du secret médical

L’article 226-13 du code pénal (1995)dit : La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende. Pén. 434-3, 434-11.

Pour la dérogation au secret médical

L’article 226-14 du code pénal (1995) dit : L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre elle n’est pas applicable : 1/ à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de sévices ou de privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, ou de son état physique ou psychique ; 2/ au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu’il a constatés, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles ou de toute nature ont été commises […] mais aussi la responsabilité de celui qui sait et qui ne dit rien…

L’ordre des médecins tente de régler l’ambiguïté

L’ordre des médecins, dans son article 44 du code de déontologie1, rappelle que « quand ils ont connaissance d’un mauvais traitement, ils peuvent et doivent les dénoncer et prendre toutes mesures utiles pour protéger le patient ». Néanmoins l’ordre des médecins ajoute : « il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection », puis «…il doit, sauf en circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales et administratives »

Il est évident qu’une dénonciation sur simples présomptions peut s’avérer très déstabilisante pour une famille qui était innocente. Nous voyons là que le positionnement n’est pas simple et que l’ordre des médecins le résout en disant « …sauf en circonstances particulières, qu’il apprécie en conscience… »

Que l’on trouve ces lois excessives ou insuffisantes, c’est de toute façon avec elles que nous fonctionnons. Elles sont naturellement un nécessaire garde fou, mais ne peuvent en aucun cas remplacer une conscience déficiente,  ou un manque d’humanité.

Si dans les cas de « violences graves » nous pouvons constater que le positionnement n’est pas simple, il en sera d’autant plus difficile concernant les innombrables « violences douces », notamment dans le cas du « harcèlement moral ».

Mais tout excès législatif en ce sens deviendrait préjudiciable et engendrerait des plaintes non fondées ou abusives… La loi ne peut qu’endiguer le plus grave. Pour le reste il n’y a pas d’autres moyens que d’ajouter un peu de conscience et d’humanité. Encore une fois, les « violences douces » sont les plus nuisibles par leur nombre et leur généralisation. Sans toutefois oublier les « violences graves » (mais la loi s’en occupe), nous aurons avantage, pour améliorer le sort des sujets de grand âge, à nous préoccuper surtout du quotidien ordinaire, parsemé de millier de graines de poison, éteignant l’être sans qu’on s’en aperçoive. Une sorte de pollution relationnelle dont la toxicité est la plupart du temps sous estimée, et dont il faut souligner qu’elle est généralement involontaire. Elle est le fait d’êtres souffrants et mal entendus (que ce soient les soignants, les familles ou les sujets âgés).

L’avantage est que le remède à ces situations n’est pas si complexe qu’il y paraît et n’est en aucun cas proportionnel à la gravité des conséquences.  

1 article de loi rapporté plus complètement par Robert HUGUENOT, dans son ouvrage « La vieillesse maltraité ») NB: Edition 2003 dans laquelle les sommes inscrites lors de la première édition de 1998 sont restées en francs

Les remèdes, l’action retour

Attention aux « redresseurs de torts »

Outre les situations répréhensibles par la loi, nous avons longuement vu dans ce document que les « violences douces » constituent l’essentiel des situations dégradantes, non par leur gravité, mais par leur nombre et leur répétitivité.

Toute personne qui en a conscience aura donc envie, les voyant, de faire en sorte qu’il y en ait moins. Que cette personne remette en cause ses propres comportements est une bonne chose. Mais si cette personne s’avise de devenir « donneuse de leçon » à tous ceux qui s’y prennent mal, il y aura des grincements de dents. Cela constituerait aussi une violence, non souhaitée certes, mais bien réelle.  Celle-ci susciterait des réactions de rejets et produirait, de la part de l’entourage (professionnel ou familial), l’inverse de l’effet recherché.

Nous retrouverons cet état de fait très détaillé dans le document que j’ai publié sur ce site en juin 2002 « Le danger de convaincre ». Toute tentative de convaincre qui que ce soit relève plus d’une pratique sectaire (même de bonne foi) ou idéologique que d’une délicatesse accompagnante.

Marie De HENNEZEL, dans son ouvrage « Le souci de l’autre »1, nous rappelle : « C’est votre comportement qui interpellera les autres, sans que vous ayez besoin d’imposer quoi que ce soit ». Je suivrai volontiers cette idée que l’exemple vaut mieux qu‘un long discours.

Mais il arrive que l’interlocuteur soit demandeur d’une aide pour mieux accompagner les sujets âgés, il convient donc de la lui donner, mais tout en le validant et sans lui faire de multiples reproches. Les reproches « mais enfin ce n’est pas comme ça qu’il faut faire !… moi j’ai appris que…. », détruisent l’interlocuteur dont on espérait qu’il nous entende. Même si ce que nous avons à lui dire est juste, il n’est pas judicieux de commencer par « détruire quelqu’un » afin d’être entendu par lui. Pour qu’il reçoive ce que nous avons à lui dire, il convient d’abord qu’il existe, et pour qu’il existe, il convient qu’on commence par valider la raison qu’il avait de « mal faire ». Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra recevoir nos remarques comme un enrichissement constructif.

Ces notions devraient être parfaitement intégrées par toute personne qui propose une médiation dans les situations de tensions ou de violences, que ce soit vis-à-vis des sujets âgés, de leurs proches ou des soignants. Cette notion est aussi un atout majeur pour le fonctionnement harmonieux d’une équipe de soins, de l’ASH (agent de service hospitalier) au médecin.

Ouverture et respect

Pour « naviguer » correctement dans un quotidien empli de situations indésirables et non respectueuses, l’outil majeur de la communication est « la reformulation ». La reformulation n’est pas une simple répétition de ce que dit ou fait un interlocuteur. C’est une présence chaleureuse et reconnaissante d’un sujet qui vient d’exprimer un ressenti. La reformulation ne porte pas sur les mots ou sur les actes, mais sur le sentiment exprimé. La remarque de Rogers, citée plus haut,  y est particulièrement d’actualité quand il dit du psychologue qu’ « …il doit être préparé à répondre, non pas au contenu intellectuel de ce que dit la personne, mais au sentiment sous jacent. »2.

Je ferai ici le lien avec un élément évoqué dans la première partie de ce document au paragraphe « Sensibilité accrue aux informations émotionnelles » dans le chapitre « performances et compétences du sujet âgé » : la maturité tend à amener un individu à être plus sensible aux informations émotionnelles qu’aux informations neutres concernant des objets ou des idées. Il convient donc que quelqu’un qui souhaite aider autrui soit clairement imprégné de cette notion pour lui-même faire preuve de maturité (même s’il est jeune).

Nous pouvons constater les bienfaits de la reformulation dans quelques exemples :

1 Un sujet âgé ne mange pas, reste prostré et veut mourir. Alors que toutes tentatives de stimulation ne fonctionnent pas, le sujet s’est réanimé juste suite à une reformulation « vous ne voulez plus ? » (avec, en non verbal, « vous ne voulez plus vivre ? »)

2 Un sujet âgé réclame activement sa mort « Je voudrais mourir ! ». Une reformulation délicate confiante et chaleureuse de son désir « Ce serait mieux si vous étiez mort ? » l’amène à poursuivre avec des yeux pleins de tendresse et de nostalgie « Je pourrais retrouver mon épouse ! ». Une autre reformulation évidente l’apaisera vraiment « Vous aimez beaucoup votre épouse ? ». Vous notez qu’on accède bien sûr pas à sa demande de mort, mais à celle, implicite de la reconnaissance de ce qui se passe en lui.

3 « Je veux rentrez chez moi ! » dit un monsieur âgé en colère. « Votre maison vous manque ? » reformule l’accompagnant. Le résident s’apaise alors en parlant de cette demeure où il a vécu tant de choses.

4 « vraiment, on dirait que vous vous fichez totalement des résidents. Vous ne faites vraiment rien pour qu’ils soient mieux. C’est inadmissible ! » lance, à propos de sa mère, un fils très agressif envers le soignant. « Nous ne nous occupons pas de votre mère comme vous le souhaiteriez ? » reformule le soignant agressé. « Non ! C’est inadmissible de finir sa vie comme ça ! ». Le soignant lui pose alors une question l’invitant à préciser son sentiment « Qu’est-ce qui vous semble le plus inacceptable ? ». Le proche répond alors « Vous savez, ce qui est le plus inacceptable, c’est bien de devoir placer sa mère. Je ne me pardonne pas d’en être arrivé là ! ». Le soignant reformule simplement, mais authentiquement et chaleureusement « ça a vraiment été douloureux pour vous de prendre cette décision ? ». « Oui vous savez, on n’arrive pas à se faire à l’idée que nos parents vieillissent….. » répond le fils plus calmement.

5 « J’en ai marre de tous ces vieux ! » marmonne un soignant, en malmenant quelque peu une personne âgée qu’elle fait marcher. Sa collègue ne devrait pas lui dire « ne dit pas cela devant elle, quand même ! » et encore moins « si tu as choisi de travailler ici, il faut assumer ! », ni « Je ne veux plus de ces paroles là près d’un pensionnaire ». Il serait plus judicieux de lui reformuler : « C’est vraiment trop difficile pour toi avec  les personnes âgées ? ». Elle répondrait « Je n’en peux plus ! ». Une question pourrait suivre : « qu’est ce qui t’est le plus insupportable ? ». « Tu sais, cette semaine, la mort de Martine (une résidente de 98 ans) m’a profondément touché. On s’attache et quand ils meurent on est bouleversé… Il faudrait faire comme si de rien n’était !? J’en ai marre de m’occuper des vieux. C’est trop dur quand ils partent ! ». Ici sa collègue (ou son cadre) pourrait simplement lui reformuler « Tu as vécu si douloureusement la mort de Martine ? Tu n’as pu en parler à personne ? ». « Oui ! » répond elle. « Qu’est-ce que tu aurais aimé pouvoir dire ? » lui demande alors la collègue se mettant à l’écoute de son ressenti…non pas dans le projet de l’apaiser, mais juste de le reconnaître. Il y aura quelques questions supplémentaires jusqu’à un point où la collègue pourra valider « Si tu ressentais tout ça je comprends que tu étais en colère contre les vieux ! ». Là, il y aura un réel apaisement, qui pourtant n’était pas le projet initial de la collègue écoutante (le projet initial étant plus la reconnaissance que l’apaisement). C’est seulement après, quand l’auteur de la parole brutale se sent reconnue et exister, que la collègue (ou le cadre) lui dit : « Tu sais, quand tu te sens mal comme ça, tu peux m’en parler. Par contre, il serait important que ce type de propos (« j’en ai marre de ces vieux ») ne soit pas entendu pas les résidents. Ça te semble possible ? »…. Et il y aurait avantage à ce que la collègue écoutante termine par « Vraiment je te remercie de m’avoir confié tout ça ». Ce petit point de gratitude est la note de douceur qui place vraiment l’individu dans un sentiment d’existence et lui permet de vivre un conseil comme un avantage et non comme une agression.

Toutes ces notions sont abordées en détail sur ce site dans les documents que j’ai publiés : en novembre 2002 « Reformulation », en avril 2004 « Communication thérapeutique », en septembre 2001 « Assertivité ».

1 Marie De HENNEZEL, « Le souci de l’autre », édition Pocket 2004 p 20,  
2  Relation d’aide et psychothérapie Carl ROGERS (Counseling and psychotherapy-1940) - traduit aux édition ESF 1970 - p51

Comprendre les enjeux réels

Pour que le respect soit correct il ne suffit pas de gentillesse et de bonne volonté. Il importe de comprendre la nature des enjeux chez un sujet âgé. J’ai longuement détaillé cet aspect dans la première partie de ce document.

Il ne faut jamais oublier non plus qu’un soignant de 40 ou 50 ans est vu par un sujet de 80 ans comme un gamin, un « blanc bec ».

Nous remarquerons que de nombreuses cultures accordent de la valeur aux anciens et que même chez nous, si nous mettons à la retraite les quinquagénaires, c’est en même temps l’âge minimum requis pour être à de hautes fonctions d’entreprise ou d’état. Seuls les subalternes sont recrutés parmi les « jeunes ». Le fameux « milieu de vie » semble une sorte de ligne de démarcation de la conscience. Naturellement, avec la vieillesse, le problème est toujours de savoir si le sujet âgé est dans la sénescence avec ce qui est sensé l’accompagner de sagesse et de maturité ou dans la sénilité grandissante qui l’éloigne de la vie, déjà bien avant la mort.

Il est essentiel de comprendre que la pulsion de survie (situation énergétique) diminue au profit de la pulsion de vie (situation existentielle). Cette notion est développée en détail dans le document que j’ai publié en avril 2003 « Humaniser la fin de vie » au chapitre « accompagner les pulsions de vie et de survie »

J’espère que ce document vous aura donné quelques éclairages permettant de mieux comprendre les situations de violence et surtout d’avoir plus de possibilité d’y remédier.

Le sujet de grand âge doit terminer sa venue au monde avant de le quitter. Cette phase de vie peut aussi être considérée comme une phase de croissance, de développement qui continue. Naturellement nous n’occulterons pas le déclin corporel, dont la médecine gériatrique s’occupe de mieux en mieux, mais nous saurons mettre l’accent sur le processus existentiel d’individuation qui poursuit son cours et qui se doit d’être correctement accompagné, à la mesure de chacun, sans généralisations. Toute attitude trop maternante est infantilisante et tout manque de chaleur humaine est un abandon. Il y a un équilibre à trouver que l’on pointe aisément quand on a bien compris certains enjeux de vie et ce qu’est vraiment un individu.

Dans nombre des formations que j’ai animé pour du personnel de telles institutions, j’ai pu remarquer à quel point, personnel et médecins, sont généralement dévoués et souvent malheureux de découvrir la multiplicité des violences douces qu’ils ne soupçonnaient même pas.

Mais, validés dans la sincérité de leur projet, ils ne peinent pas à recentrer ce qui peut l’être, pour le plus grand bien des sujets âgés, de leurs familles, mais aussi de tous les membres de l’équipe… et de l’institution.

 

Thierry TOURNEBISE

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 Bibliographie

Sur ce thème, ouvrages particulièrement intéressants:
Psychogérontologie
 
Jacques RICHARD et Erlijn MATEEV-DIRKX- édité chez Masson, 2004
La vieillesse maltraitée Robert Huguenot - DUNOD  2003 - Première édition primée par l’académie de médecine en 1999
Validation Mode d'emploi - Naomi Feil  - Editions PRADEL 1997
  

Autres ouvrages:
-Relation d’aide et psychothérapie Carl ROGERS (Counseling and psychotherapy-1940) - traduit aux édition ESF 1970 
-Le développement de la personne Carl ROGERS,  édité chez Dunod Inter Editions, 2005
-Manuel de thérapies cognitives et comportementales B. Samuel Lajeunesse et al. Dunod 2004 pour ses pages sur les types de mémoires p 38 à 56 et pour Le traitement des personnes âgées déprimées en institution gériatrique p 279 à 287 édité chez Dunod 2004

Important : Toutes les citations d’ouvrages de mon document sont une illustration de mes propos. Cependant, par respect pour les auteurs, j’insiste sur le fait que je ne souhaite surtout pas leur faire tenir mon propre discours. Le fait que je sois en accord avec le leur, ne doit pas impliquer, qu’ils soient forcément en accord avec le mien. C’est dans cet esprit de respect que j’invite le lecteur à considérer ces lignes et ces références.

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