Page d'accueil 

Documents publiés en ligne

Retour publications

Le positionnement du praticien

dans l'aide ou la psychothérapie

décembre 2007    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Le positionnement est un point essentiel
L’efficacité, dans l’aide psychologique ou la psychothérapie, semble venir avant tout du « positionnement » du praticien et de la façon qu’il a de considérer la vie en général… et son interlocuteur en particulier. C’est plus une affaire de regard et d’attitude, que de connaissances. Je vous proposerai donc dans ces quelques lignes de pointer avec précision ce qui, dans notre attitude, peut nous rendre plus aidant.

La place des connaissances
Le savoir et les connaissances ne sont pas inutiles (et même souvent assez nécessaires), mais à eux seuls, non seulement ils ne produisent pas d’aide, mais peuvent même parfois conduire à l’inverse.

Les points clés abordés
Nous aborderons surtout ici ce qui concerne l’attitude et le positionnement du praticien, dont les points clés sont :

- Comment il perçoit son patient
- Comment il considère les symptômes psy
- Comment il sait mettre son attention sur le patient plutôt que sur le traumatisme
- Comment il réagit face à une révélation importante
- Comment il a confiance en ce qui se passe, et est capable de se « réjouir »  plutôt que de « s’affliger », de se sentir « touché » plutôt que de se sentir « affecté ».
- Comment il se laisse guider avec candeur et confiance vers la justesse à l’œuvre chez son patient.

La subtilité des moyens et des résultats
Voici des nuances extrêmement subtiles, que je vais tâcher d’aborder avec autant de clarté et de simplicité que possible, en gardant à l’esprit que ce qui importe, c’est finalement ce que le praticien fera (et surtout sera), concrètement face à la personne qu’il accompagne. Ce qui importe, c’est le résultat, mais le résultat est à considérer également dans toute sa subtilité.

Sommaire

1-Acquérir de connaissances
La nécessité – Le mirage – L’imperceptible

2-Vouloir aider peut-être une violence
Le problème du pouvoir – « En être » ou « en faire »

3-Le leurre des mauvaises causes
Le symptôme –La recherche de la cause – La nature de la cause – La localisation de la cause

4-Le regard bienveillant  
Le premier abord – La localisation – La rencontre, le contact – La réjouissance comme source thérapeutique

5-« Spécialement pour et non « à cause de »
L’attitude initiale - Exemples

6-La reconnaissance  
Une clé majeure – Différencier l’être et la circonstance – Une façon d’être face au patient

7-Pour conclure

Résumé des points clés
Des connaissances mais pas d’enfermement – Ne pas aider mais rencontrer et reconnaître – Se tourner vers la vraie source – Spécialement pour – Projet de reconnaissance – L’attitude en thérapie

Bibliographie

1.      Acquérir des connaissances retour

1.1.  La nécessité

Il est naturellement nécessaire d’accéder à suffisamment de connaissances pour être capable d’apporter une aide psychologique à une personne en souffrance. La psyché a des fonctionnements qu’il importe de connaître. Pourtant, tous les praticiens ne l’abordent pas de la même manière. Certains l’aborderont par le corps, d’autres par la parole, d’autres par le psychodrame, d’autres par l’hypnose, d’autres par les mécanismes cognitifs, d’autres par les comportements...

Quoi qu’il en soit, il y a des connaissances à acquérir, mais lesquelles ? Nous pourrions penser qu’il est nécessaire de tout connaître de la psychopathologie (c’est à la mode en ce moment) Or, s’il y a des choses à savoir sur certains troubles psychiques, s’il importe de distinguer les états psychotiques, de comprendre les mécanismes de transfert, de projection, de déplacement, de libido, d’introjection, d’individuation etc… qu’en est-il quand on se trouve face à la personne en détresse ? Toutes ces connaissances nous servent-elles ? Jusqu’à qu’à quel point ? Parfois ne nous égarent-elles pas en nous donnant des idées préconçues, nous aveuglant ainsi à ce que nous avons sous les yeux, en nous fournissant des « grilles » de décodage… grilles qui risquent souvent de nous enfermer plus que de nous éclairer ! Ne nous conduisent-t-elles pas à ce que dénonce Donald Wood Winnicott dans son ouvrage « Jeu et réalité » (Folio Gallimard, 1975):

« L’interprétation donnée quand le matériel n’est pas mûr, c’est de l’endoctrinement qui engendre la soumission » (p.104)

1.2.  Le mirage

Ce savoir tend trop souvent à nous faire regarder ce qui se passe dans la psyché sous un angle ayant une caractéristique particulière : nous regardons la psyché en considérant qu’il y a « quelque chose qui ne va pas ». La question trop souvent posée est alors « Qu’est-ce qui ne va pas ? », puis son corollaire « A cause de quoi ? » (quand ce n’est pas « à cause de qui ? »)

Nous nous rappellerons ici les propos de Jung et de Rogers sur les résistances des patients face à certains praticiens :

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérison » (Jung, 1973, p.157)

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers 1996, p.155)

 Ces résistances viennent de la vision « a priori », qui produit une sorte de mirage, dans lequel nous croyons voir d’une part un problème et d’autre part sa cause. Il devient alors naturel de chercher la solution pour tenter d’éradiquer la cause. Si c’est cela qui conduit notre aide ou notre accompagnement psychothérapique, nous avons toutes les chances, dans le meilleur des cas de ne produire aucun résultat, et dans le pire des cas de causer une aggravation.

Cet aveuglement, ayant pour cause le savoir, fait penser aux dialogues écrits par René Descartes, dans « Recherche de la vérité par la lumière naturelle » :

Eudoxe (le sage) parlant de l’érudit (Epistémon) : « …dès l’enfance il a pris pour la raison ce qui ne reposait que sur l’autorité de ses précepteurs… » (1999, p.898).  Ainsi, pour lui, un enseignement qui impose une pensée n’enseigne pas, mais éteint « la lumière de la raison ». Il poursuit par : « Celui qui est, comme lui, plein d’opinions et embarrassé de cent préjugés, se confie difficilement à la seule lumière naturelle car il a déjà pris l’habitude de céder à l’autorité plutôt que d’ouvrir les oreilles à la seule voix de la raison. » (ibid. p.898) . Parlant de celui qui est moins érudit (Polyandre) et qui, grâce à cela, a gradé son bon sens, sa lumière naturelle, il ajoute que, chez lui : « …tout cela s’effectue sans logique, sans règles, sans formules d’argumentations, par la seule lumière de la raison et du bon sens, qui est moins exposé aux erreurs, quand il agit seul par lui-même que quand il s’efforce anxieusement d’observer mille règles diverses (ibid, p.896).

S’il importe de savoir, il importe aussi, et surtout, de choyer sa liberté et sa candeur par rapport aux acquis intellectuels. Il semble sage de ne jamais enfermer la pensée dans aucune grille prédéfinie. L’intellect ne doit pas devenir le geôlier du bon sens !

1.3.  L’imperceptible

Il se trouve même que ce que nous allons aborder dans cette publication touche des choses pour lesquelles l’intellect est un cancre absolu. Celui-ci n’a en effet de talent que dans le domaine de la raison… il ne fréquente pas celui de la sensibilité. Si beaucoup de choses peuvent être énoncées en matière de communication, d’aide ou de psychothérapie, d’autres restent difficilement formulables et ne se découvrent, le plus souvent, que par l’expérience. En réalité elles sont formulables, si nous prenons le soin d’utiliser les mots justes, et si ces choses sont claires pour celui qui les énonce. Mais pour ceux qui les lisent, s’ils ne lisent que les mots et ne mettent pas en œuvre leur propre sensibilité, il y a peu de chance qu’ils en saisissent l’essence.

Le subtil, que nous aborderons ici, est quasiment imperceptible par l’intellect. Il s’agit de l’attitude intérieure, du projet intime, de la sensibilité à autrui et à soi-même,  de la sensibilité à la vie, de la façon dont nous offrons notre regard à celui qui se confie à nous, de notre confiance. Par exemple, notre attention se porte-t-elle sur l’être ou sur son problème, sur les événements de sa vie ou sur la façon dont il les a vécus, projetons-nous de résoudre quelque chose ou juste d’offrir notre reconnaissance, nous affligeons-nous de cette confidence ou nous réjouissons nous de cette rencontre…etc. ?

Lao Tseu nous interpellait sur la simplicité et la subtilité  5 siècles avant JC : « Dans l’univers, les œuvres difficiles doivent se faire par le facile. Les grandes choses doivent s’accomplir par l’imperceptible » (Lao Tseu – Tao Te King, le livre du Tao et de sa vertu -éd Dervy, 2000

2.      Vouloir Aider peut être une violence retour

 « Vouloir aider peut être une violence », voilà sans doute un propos surprenant. Le problème quand nous voulons aider, c’est que nous portons sur autrui un regard a priori négatif. Notre décodage de la situation, avec son a priori de « mauvais à réparer », fait que, quand l’autre paraît devant nous, nous lui offrons le regard de quelqu’un « qui voit quelque chose de mauvais ».

Cette notion de « regard porté sur  notre interlocuteur » est le fondement majeur de tout accompagnement psychologique, qu’il s’agisse d’aide psychologique* ou de psychothérapie.

*Vous remarquerez que je n’utilise pas le terme « relation d’aide » car on n’aide pas avec la relation, mais avec la reconnaissance. Vous aurez tous les détails à ce sujet dans ma publication « Communication thérapeutique » développant, sur plus de 40 pages, comment on peut offrir un accompagnement psychologique de qualité et précisant la problématique du terme « relation d’aide » qui est une très mauvaise traduction du terme « counseling » utilisé par Carl Rogers. Le titre « Counseling and psychotherapy » a été traduit, hélas, par « relation d’aide et psychothérapie » (Rogers ESF).

2.1.  Le problème du pouvoir

Face à une personne en larme que souhaitons nous faire ? Le plus souvent nous avons pour projet d’apaiser son chagrin. Nous le souhaitons avec cœur, et pour son bien. Si nous en avons le pouvoir, nous allons alors investir notre énergie dans ce sens. Depuis 19 années que je forme des soignants, j’en ai tellement rencontré qui, avec cœur, tentent d’apaiser les larmes des patients !... ou même qui tentent de faire en sorte qu’il n’y ai jamais de larmes, car ils pensent que si la personne pleure c’est qu’on vient de commettre une erreur faisant remonter quelque chose qu’il vaut mieux ne jamais aborder.

Or il se trouve que ces larmes doivent davantage être reconnues que calmées… et qu’il convient de ne surtout pas les empêcher. Quand elles s’expriment enfin, vouloir les calmer revient à une sorte de déni de la peine ressenti. Lorsque nous avons du chagrin, une phrase ou une attitude du genre « Allez, ne pleurez pas, ça va aller » nous fait mal… un mal de « non reconnaissance », de « non compréhension ». Nous ressentons, avec un tel propos, un déni de la part de celui qui  prétend nous soulager. Il ne nous soulage pas, il nous interdit simplement d’exister avec notre peine ! En vérité, il ne s’occupe pas de nous, mais de lui : il ne tente pas de reconnaître notre vécu, mais juste de calmer la peine que lui cause notre chagrin. Pour ne plus souffrir lui, il veut nous calmer nous… mais finalement, nous, qui nous entend ?

Ce qui se veut « douceur », devient alors « pouvoir »… une sorte de pouvoir contre nos larmes. Or ce pouvoir, très gourmand en énergie, est aussi illusoire que de vouloir retenir une rivière ! Par ce pouvoir, l’aidant maladroit tente de retenir un flot de vie qui s’exprime dans son juste ressenti. En voulant l’empêcher ou le tarir, il ne fait que faire « mourir » ce qu’il prétend « ranimer ». Un être s’apaise toujours par la reconnaissance, jamais par le déni.

J’aime donner l’exemple du monsieur qui se laissait mourir et ne mangeait plus. Il était, comme on dit en « syndrome de glissement ». Toute la volonté et toutes les techniques mises en œuvre par l’équipe médicale pour le stimuler et l’encourager échouaient… jusqu’à ce qu’une soignante inspirée s’approche de lui et lui dise en toute simplicité, avec une très grande délicatesse et un ton de profonde reconnaissance : « Vous ne voulez plus ? » (sous entendant « vous ne voulez vraiment plus vivre ? Hein… c’est cela ? »). Cette simple reconnaissance lui redonna aussitôt  le goût de manger. En effet, à quoi bon vivre dans un monde où personne ne nous entend ! Mais si une seule personne veut bien nous voir et nous reconnaître, veut bien nous rencontrer sans nous nier... alors ça vaut la peine. Le « pouvoir », mis en œuvre pour le stimuler, avait la violence d’un déni,  alors que la reconnaissance de son ressenti était un délicat encouragement à vivre. Je développe ce thème en détail dans ma publication précédente « Bientraitance » (aout 2007) ainsi que « Reformulation » (novembre 2002)

2.2.   « en faire » ou en « en être » ?

Le subtil ne concerne pas le faire. Il se situe au niveau de l’être. Sans donner à ce mot une connotation métaphysique, je dirai simplement qu’il s’agit de présence, de projet intérieur, d’attention accordée, de reconnaissance offerte. Autant de choses qui ne peuvent en aucun cas faire partie d’un protocole technique définissant une action juste.

Être « en faire » consomme de l’énergie et peut être même consume nos ressources intimes (enfer ?). S’il n’y a que le faire, il en résulte stress, épuisement, déception. Le « faire » n’est juste que s’il y a aussi de « l’être ». Il importe de souligner à quel point un individu a besoin de se trouver en être (en naître ?). Comme disait Jacques Rouxel avec humour dans ses Shadocks « l’enfer c’est là où on est enfermé ». Amusante définition. Les « grilles de décodage », sensées nous aider à aider, ne participent-t-elle pas souvent à cet enfermement ? Ne produisent-elles involontairement une sorte d’emprisonnement intellectuel ? C’est ainsi que les interprétations sont dénoncée par Winnicott, qui parle même d’un risque d’endoctrinement !  Alors, comme le dit Rouxel avec humour de ses Shadocks : « Et les pitoyables bêtes pompaient. Les Shadocks avaient des petites pompes pour les petits problèmes, des grosses pompes pour les gros problèmes et des pompes pour les cas où il n’y a pas de problème. Pour cette dernière, comme pour les autres, il ne se passait rien… mais c’était quand même une sécurité ! ». Ainsi, un patient ou un praticien, qui ne considère que l’aspect technique, risque de se retrouver en train de « pomper » avec l’une de ces trois pompes. Les techniques à elles seules, même parfaitement justes,  ne peuvent conduire à l’état d’être qui rendra l’action efficace.

Ces techniques doivent être accompagnées d’un état d’être, d’un positionnement, d’une attitude, permettant une réelle qualité d’aide. Le projet ce cette publication est de mettre en mots ce positionnement, de façon aussi précise que possible, tout en sachant que les mots ne peuvent pas tout en ce domaine. En effet, les mots sollicitent l’intellect alors qu’ici il s’agit de solliciter la sensibilité. Le mot « sensibilité » sera entendu comme une faculté à percevoir le subtil (nous prendrons soin de le différencier de « l’émotivité » qui justement ne perçoit rien).

3.      Le leurre des mauvaises causes retour

Nous avons culturellement pour habitude de penser quand nous nous sentons mal psychologiquement, c’est à cause de quelque chose qui ne va pas, et surtout, à cause de quelque chose de nuisible qui nous a marqué. Il en découle naturellement que nous souhaitons nous mettre en quête de cette cause néfaste, afin de l’éradiquer. Nous poursuivons ainsi le but de retrouver le bien-être perdu (si toutefois nous l’avons déjà eu un jour !)

Parfois même, nous souhaitons retrouver un mieux être sans passer par la recherche de la cause, en ignorant totalement ce qui est en nous. C’est ce qui se passe dans une approche qui serait purement comportementaliste, tentant juste de reprogrammer un individu dans un comportement plus adapté. En réalité, les praticiens comportementalistes ont découvert, d’une part qu’il fallait beaucoup de respect et de progression (avec par exemple la désensibilisation systématique) et d’autre part qu’il fallait adjoindre des données cognitivistes tenant compte des raisons qui habitent le sujet (notamment avec la découverte guidée). Si les débuts du comportementalisme, avec le béhaviorisme, ont été hasardeux, et que des composantes existentielles lui ont font fait cruellement défaut, nous nous devons de considérer qu’une telle démarche reste nécessaire quand il y a un besoin d’apprentissage. Le comportementalisme ne pose problème que quand il est utilisé seul, et dans l’ignorance des subtilités qui habitent un être.

3.1.  Le symptôme

Les symptômes psy (phobie, mal-être, pulsion, addiction, déprime, troubles du comportements divers…) sont généralement sources, au moins d’inconfort, au pire de grandes douleurs. Il est donc naturel, par réflexe, de vouloir les éliminer. Notre pulsion de survie est ainsi faite que nous tentons d’éliminer ce qui fait mal.

Nous oublions que l’étymologie grecque de symptôme, c’est sumptôma c'est-à-dire « coïncidence des signes » (de sumpiptein « tomber ensemble »). Ce signe qui apparaît à l’extérieur, indique qu’il se passe quelque chose à l’intérieur, avec lequel il est en corrélation.

Dans le domaine médical, ces renseignements sont précieux concernant les maladies physiques. Les causes cachées peuvent ainsi se révéler et permettre les traitements adaptés. Dans le cas des maladies physiques, l’idée de combat d’une cause néfaste ou de recentrage d’un mauvais fonctionnement est bien ancrée. C’est sans doute souvent juste (par exemple dans les maladies infectieuses), mais là aussi, il arrive que des troubles fonctionnels, identifiés comme néfastes, soient en réalité un élan de l’organisme pour retrouver son équilibre (comme par exemple avec la fièvre). Le praticien en naturopathie connaît bien cela et prendra soin d’accompagner le corps plutôt que de combattre ses réactions. La médecine et la naturopathie ne sont pas forcément en opposition, elles se complètent simplement. Les deux savent de toute façon (ou devraient le savoir) qu’il ne s’agit pas d’enlever le signe pour faire disparaître la cause. Par exemple la médecine sait très bien que faire disparaître une inflammation avec un anti-inflammatoire (qu’il soit chimique ou naturel), sans s’occuper de la source infectieuse, peut avoir des conséquences désastreuses : le mal continu sans le signe et, non seulement il n’y a plus de repère (état du symptôme), mais en plus  l’organisme voit son système de défense détruit.

Si nous trouvons déjà de telles nuances sur le plan physique, nous y serons  bien plus encore confrontés sur le plan psychologique !

Calqué sur le modèle physique, en psy, le symptôme est souvent vu comme l’expression de quelque chose qui va mal au plus profond de l’être. Adoptant inconsciemment le modèle des maladies infectieuses, nous souhaitons alors éradiquer la cause du mal psy, comme on éradiquerait un agent viral ou microbien.

Généralement, il est bien établi en psy qu’il ne s’agit pas de supprimer un symptôme sans s’occuper de la cause (encore que la prescription de psychotropes non accompagnée de psychothérapie laisse un doute à ce sujet !) Il y a donc une recherche de la cause, mais l’état d’esprit qui accompagne cette recherche est souvent tourné vers le fait de « se libérer de quelque chose », comme s’il y avait une sorte de processus d’élimination à accomplir. C’est là où il convient d’ajuster une certaine subtilité.

Même en médecine, vous remarquerez que quand un patient a une fracture, on n’élimine rien, mais on se contente de rassembler les parts du corps brisées. Dans les cas de souffrances psy, il s’agit le plus souvent de sortes de « fractures » de la psyché, dont les parts demandent à être rassemblées. N’y voyez pas d’état psychotique, ni de clivages au sens psychopathologique du terme, mais simplement des parts de soi maintenues à « distance » pour préserver temporairement d’une souffrance excessive. 

(Les professionnels qui souhaitent des détails techniques, tant sur les symptômes que sur leurs causes, peuvent lire la publication d'avril 2008 sur la psychopatholgie. Ils y trouversont les rapports qu'il y a entre ce qui est décrit ici et ce qui est abordé en psychologie ou en psychanalyse) 

3.2.  La recherche de la cause

Pour ceux qui pensent qu’il s’agit d’éradiquer une cause, la quiétude semble devoir s’atteindre grâce à une sorte de chasse aux « sorcières intérieures ». Nous remarquons ainsi que, d’une part le trouble ressenti est identifié comme mauvais, mais qu’en plus, ce qui l’a causé est aussi considéré comme nuisible. Nous en arrivons alors malencontreusement à vouloir guérir le symptôme en libérant le sujet de la cause néfaste. Loin de chercher à ressouder une fracture on se met alors à tenter une amputation de ce que l’on croit être « le mauvais en soi »

Une sorte de « purification », pour ne pas dire de purgation est ainsi envisagée (d’où les approches dites cathartiques). Se transformant en une sorte de « Monsieur Propre » de la psyché, le praticien va alors commencer son projet de ménage en profondeur, afin de libérer le patient de sa souillure initiale (ça rappelle un peu la culture du péché originel).

Le regard du praticien risque alors d’être celui de quelqu’un qui est tendu vers du "mauvais à trouver". La question qui se pose aussitôt est de se demander comment se sent un patient face à quelqu’un qui a un tel regard. Il vient pour être reconnu, mais il se trouve face à quelqu’un qui est en quête de "mauvais à trouver". Il ne lit pas dans ses yeux de la reconnaissance, mais seulement  l’éclat, un peu terne ou affligé, de celui qui cherche où est la faille, où est le problème, où est ce qui ne va pas. Loin de se sentir reconnu, le patient sent alors commencer une traque du « mauvais en soi » afin d’atteindre un état d’apaisement. Au mieux il se dira « Quand on aura enlevé le mal je serai mieux ». Au pire, il se sentira identifié à ce mal et ne se sentira toujours pas exister.

Le problème est ici la croyance initiale que la cause est quelque chose de mauvais. La principale difficulté, dans bien des domaines, est de savoir penser d’une manière différente de ce qui nous est habituel. Nous sommes repliés dans des schémas types qui ferment notre regard à d’autres possibilités (les fameuses grilles de décodage)

3.3.  La nature de la cause

Voilà une nouvelle possibilité : et si la cause n’avait rien à voir avec quelque chose de mauvais ? S’il ne s’agissait finalement pas de quelque chose à éradiquer, mais de quelqu’un à reconnaître, à entendre, à réhabiliter ? Si la cause ne concernait aucunement ce qui s’est passé dans l’histoire du sujet, mais juste la façon dont il l’a vécue ? Si, de plus, il ne s’agissait pas d’éliminer ce vécu, mais juste de le reconnaître ? Si, finalement, notre attention devait davantage se tourner vers celui qui a ressenti ce vécu, et surtout pas vers les circonstances, ni même vers la douleur qui en a résulté ?

Finalement cela se résume par « où se porte notre attention ? ». Notre attention se tourne-t-elle vers les problèmes, vers l’histoire et les évènements, vers les ressentis douloureux ? Ou bien notre attention se tourne-t-elle avec délicatesse vers celui qui a eu ces ressentis, et qui s’est un jour trouvé dans ces circonstances ?

« Où se tourne mon attention ? », voilà la question importante que devra se poser le praticien, s’il veut apporter une aide. Quand nous regardons quelque chose d’horrible, il est naturel que nous n’ayons pas le même regard que quand nous regardons ce qui est précieux. Or chez un individu qui a souffert, ce qui est horrible c’est juste « ce qui lui est arrivé », alors que ce qui est précieux, c’est « lui à qui c’est arrivé ». Si son attention se tourne vers le sujet, le praticien est touché par cette rencontre et peut valider l’individu qui se révèle à lui. Si le praticien regarde au contraire ce qui est arrivé, au lieu d’être touché, il est affecté (afectio= impact).

Nous pouvons même considérer que la cause ne vient pas du tout de ce qui est arrivé sur le plan événementiel. Ce qui est trompeur, c’est que si cela ne s’était pas passé, il n’y aurait pas eu le trouble psychologique actuel… et pourtant, ce n’est quand même pas cela qui a causé le symptôme.

Le symptôme ne s’est pas créé et ne persiste pas « à cause de ce qui s’est passé ». Il persiste « spécialement pour » qu’on n’oublie pas de prendre soin de « celui à qui c’est arrivé ».

3.4.  La localisation de la cause

Ce qui est particulier ici, c’est que la cause ne vient pas de l’événement antérieur, mais du projet que nous avons mis en place. Comme ce projet concerne le futur, nous pourrions presque dire que « la cause est plus dans le futur que dans le passé ». Ce type de considération s’appelle « téléonomie » de nomos, règle et téléo, but, finalité. Si je force un peu le trait ici par cette contradiction, c’est pour vous aider à regarder d’un autre point de vue, afin de sortir des grilles habituelles et d’explorer une autre possibilité.

Il ne s’agit donc pas de brasser ou de se rappeler le passé, mais de se rapprocher ou de s’ouvrir à celui que nous avons été dans ce passé et qui n’a jamais cessé d’être avec nous depuis tout ce temps.

Si nous prenons l’exemple d’un sujet qui a vécu un traumatisme étant enfant, il ne s’agit pas de se rapprocher de ce traumatisme, mais plutôt de l’enfant qu’il a été quand c’est arrivé. Et cet enfant n’a jamais cessé d’être en lui depuis tout ce temps, car il le constitue et fait partie de sa structure psychique. Mais il se trouve en lui « à distance », « coupé », « caché », « occulté ». L’adulte qu’il est devenu, se retrouvant ainsi « incomplet », tend à produire des symptômes pour rapprocher de lui cet enfant qu’il a du, jusque là, maintenir à distance pour des raisons de survie.

Dans cet exemple, il ne s’agit donc pas de trouver « où est le mal », mais « où est cet enfant »… et cet enfant n’a rien de mauvais… il est plutôt une précieuse part du Soi en devenir. C’est vers lui que se tourne l’attention du praticien, c’est pour le retrouver que le symptôme surgit. Ce symptôme trouve sa source dans ce précieux projet de rencontre et de réhabilitation et en aucun cas dans quelque chose de nuisible qui s’est passé. Ce symptôme est généré par le projet de réhabilitation et non par le traumatisme. Ce symptôme survient « spécialement pour » cette rencontre et non « à cause de » ce qui s’est passé

Vous noterez que cela change tous les fondements de l’approche du praticien et tous les ressentis du patient. C’est comme si d’un seul coup nous réalisions que nous avons à cheminer dans le sens opposé de ce qui est habituel. Nous n’allons plus vers du « mauvais à éliminer », mais vers du « précieux à révéler ».

4.      Le regard bienveillant retour

4.1.  Le premier abord

Au premier contact, un praticien qui a son attention tournée vers ce processus de réhabilitation a un regard particulièrement bienveillant et gratifiant. Vous noterez sans peine que s’il se tournait, au contraire, vers du « mauvais à guérir ou à redresser », il aurait forcément un regard grave et soucieux, alors que se tournant vers « un être en train de compléter sa venue au monde », l’éclat de son regard est plus léger et validant pour le patient. Ce dernier sent ainsi que ce qui va émerger n’a rien d’inquiétant et il pourra se livrer plus aisément. Comme le faisaient remarquer Rogers et Jung, les résistances des patients viennent souvent de la façon de faire du praticien, plutôt que du patient lui même. C’est sans doute ce point  traitant de « vers où le praticien tourne son attention » qui détermine une grande part des résistances. Face à quelqu’un qui cherche « le mauvais en nous pour l’extirper », nous n’aurons pas la même tranquillité que face à quelqu’un dont nous sentons qu’il veut juste « nous accompagner dans notre venue au monde », dont nous sentons qu’il est, a priori, touché par cette émergence potentielle, et qu’il a confiance en ce que nous sommes.

Le fait d’être capable d’être touché au cœur de sa psyché, est sans doute une qualité majeure du praticien. Après que l’on ait longtemps débattu sur l’empathie d’un côté (se positionner comme si on était l’autre pour mieux le comprendre) et sur la « bonne distance » ou la « bonne proximité » (pour ne pas tomber dans l’affect), il apparaît que la « bonne distance », c’est quand il n’y en a pas et qu’il ne s’agit jamais de se mettre à la place de l’autre, mais à son contact. L’empathie, d’ailleurs, est initialement un concept venant de Theodore Lipps, repris par Sandor Ferenczi, où le mot allemand Einfühlung (empathie en allemand) qui contient l’idée de « tact psychique »

Ce regard « a priori » sur « l’être venant au monde » ne doit pas être considéré comme une attitude « angélique » ni comme un déni de la douleur ou de la gravité du vécu du sujet. Carl Rogers, qui préconisait une telle considération, ainsi que la confiance inconditionnelle envers chaque Être, a injustement été taxé « d’angélisme ». Ceux qui font une telle remarque, n’ont pas compris que le sujet est entendu dans sa souffrance… mais que ce n’est pas sur la souffrance que se porte l’attention du praticien. Ils n’ont pas non plus compris que l’histoire, parfois cataclysmique du sujet, est aussi entendue… mais que ce n’est pas non plus l’histoire qui retient l’attention du praticien. Ce qui retient l’attention du praticien, c’est le sujet qui a vécu cette histoire et qui a éprouvé ce ressenti.

Ainsi, même quand l’histoire ou le ressenti sont horribles (ça arrive souvent), l’individu, lui, n’est jamais horrible. C’est là un point clé pour que le praticien offre une présence et un accompagnement de haute qualité.

Dès le premier abord, le praticien ne se demandera donc jamais « où est le problème ? » ni « Qu’est ce qui ne va pas ? », mais plutôt, « En quoi ce que me montre ce patient est d’une grande justesse », « En quoi son symptôme est-t-il la pertinente expression de ce qu’il y a à entendre et reconnaître en lui » « En quoi ce qui a l’air de ne pas aller, en fait, va très bien pour réaliser cette venue au monde de lui-même, que la pulsion de Vie tente de réaliser »

4.2.  La structure psychique

Il est habituel de penser que tout cela vient du passé. Comme nous l’avons déjà vu, c’est un peu vrai… mais aussi très faux ! Ce qui vient du passé, c’est ce qui s’est produit. En effet, ce n’est pas un scoop que de considérer que ce qui s’est passé autrefois est dans le passé ! Cependant, comme nous venons de le souligner, ce n’est pas sur ce qui s’est  passé que se porte l’attention du praticien, mais sur celui qui a vécu ce passé. Or celui qui a vécu ce passé est dans le présent.

Notre attention se portera donc sur celui qui est présent, mais en y regardant de plus près, celui qui est présent est « plus ou moins assemblé ». Sa structure psychique comporte des clivages, des séparations, des fractures, des mises à l’écart. Tous « ceux que nous avons étés » nous constituent et se trouvent dans le présent, mais s’y trouve soit « accueillis et intégrés » soit « coupés et mis à distance ».

La pulsion de survie nous permet de continuer après un choc douloureux en nous coupant de la part de soi qui a souffert, puis en masquant le manque de soi qui en résulte grâce à des compensations (voir la publication de novembre 2003 sur la résilience).

La pulsion de vie1, de son côté, prend soin de ces parts de soi mises à l’écart pour qu’elles ne soient pas perdues et les stocke dans l’inconscient qui en assure la « garderie ». La pulsion de Vie produira aussi les symptômes qui permettront de retrouver un accès vers ces parts de soi manquantes.

1 La pulsion de vie ne doit pas être entendue ici au sens psychanalytique. En effet, il ne s’agit pas là d’une pulsion libidinale liée à la construction de l’égo, mais d’une pulsion existentielle liée à la réalisation du Soi (individuation). Voir à ce sujet la publication « ça, moi, surmoi et Soi »)

Contrairement aux idées reçues à ce propos, ce n’est jamais vers les circonstances passées que retourne le patient, mais vers ces parts de soi manquantes qui tentent, en lui, de venir au monde (d’intégrer le présent).

La localisation de la source n’est alors pas une localisation dans le temps mais une localisation dans la structure psychique. Le mot « localisation », n’est d’ailleurs pas très heureux non plus, car il ne s’agit pas plus de se promener dans un espace que de voyager dans le temps1… il s’agit juste de rencontrer quelqu’un, de rencontrer celui qu’il est maintenant, et celui qu’il a été au moment d’un trauma, afin de leur permettre de se réassembler. Celui qu’il a été au moment du trauma ne se trouve pas dans le passé, et n’a jamais cessé d’être avec lui, à chaque instant, depuis tout ce temps… il s’est toujours trouvé « avec lui », tout en étant « coupé de lui ».

1 J'ai terminé l'écriture d'un manuel de psychothérpie qui traite de cette notion selon laquelle la psyché n'est concernée ni par l'espace ni par le temps. Cet ouvrage, destiné aux professionels psy et aux étudiants dans ce domaine, paraîtra en 2008 ou 2009 selon les possibilités de l'éditeur.

Même quand le praticien sera amené à demander ce qui s’est passé autrefois, ce ne sera alors jamais pour aller dans cet « autrefois », mais toujours dans le projet de la rencontre de cette part de soi qui est là, maintenant, mais dont le sujet est coupé.

Si la personne dit « j’ai été violée à dix ans » il est hors de question de retourner vers ce viol, mais seulement d’aller vers cette enfant qui l’a vécu et qui est là, maintenant. Le sujet s’est coupé de cette part de soi trop  douloureuse, car trop identifiée à la circonstance. Nous ne perdrons jamais de vue que ce qui est horrible, c’est la circonstance, et non l’enfant. Un praticien qui se tournerait vers cette circonstance pour apporter son aide serait très maladroit car il entretiendrait cette confusion selon laquelle l’enfant et l’événement sont mêlés.

Celui qui met, a priori, son attention vers l’enfant et non vers le viol, commence à permettre une sortie de la confusion. Il rend honneur à cette enfant qui a dû se cacher jusque là. Il se doit même d’être touché par cette révélation de soi, par ce contact de vie, par cette venue au monde. Il se doit d’être touché par le fait que cette enfant, qui jusque là a dû se cacher, peut enfin se montrer à l’air libre en toute confiance, en toute sérénité, avec l’assurance qu’on ne la mélangera plus à la circonstance.

Pour être thérapeutique, le praticien doit se sentir touché par cette émergence de l’enfant. Si c’est vers l’enfant qu’il se tourne il se sentira naturellement touché. Si, au contraire, c’est vers le viol qu’il se tourne, il se sentira naturellement affecté, et… ayant compris qu’il doit cependant faire bonne figure, il risquera alors de refouler ce ressenti et de se couper de son patient, autant que de lui-même… il perdra ainsi toute congruence. « Etre touché » c’est rencontrer la vie, alors qu’« être affecté », c’est recevoir un impact. Cela nous conduit tout naturellement à la notion de contact.

Avoir du « tact » c’est être dans la délicatesse, c’est donner de l’attention, c’est être attentionné. C’est pourquoi je citais précédemment le mot Einfühlung (mot désignant à l’origine le concept d’empathie en allemand, où Fühlen signifie « tact, sensibilité », pareillement à « feeling » en anglais (voir ma publication sur le focusing). Frans Veltmann dans l’haptonomie, a particulièrement mis son attention vers de « tact psychique ». J’ajouterai, quand à moi, avec la maïeusthésie, que ce tact, en thérapie est dans le sens de « se sentir touché » et non de « toucher l’autre ». Le praticien se sent touché par cette émergence de vie en l’autre. C’est cela qui le rend accompagnant, c’est cela qui valide l’existence de son interlocuteur.

4.3.  La rencontre, le contact

Quand la part de soi surgit, le praticien s’en réjouit. Il s’en réjouit comme d’une venue au monde. C’est cela qui a un effet thérapeutique. Il importe cependant de comprendre que cela ne peut se résumer à des considérations techniques. La subtilité y est telle, qu’une réjouissance non authentique peut prendre des allures de niaiseries insupportables pour le patient. Dans ce cas, cela ne peut en aucun cas avoir un effet thérapeutique… cela peut même avoir un effet anéantissant pour le  patient.

Le praticien qui est dans cette réjouissance a de la présence et de l’assurance. Son assurance, il la doit essentiellement à la confiance qu’il a envers son patient, plus qu’à sa technicité ou à son savoir. Certes il connaît des choses concernant la psyché, mais ce qui compte pour lui c’est cette « révélation » de l’individu et sa rencontre. Le mot « révélation » n’est pas à entendre ici dans son sens mystique, mais simplement dans le sens de « mise au jour de ce qui est caché ».

Il en résulte que la localisation s’est faite rapidement, car le praticien ne cherchait pas « où est la faille », mais « où est la justesse ». Le patient va plus aisément et plus spontanément vers la justesse que vers la faille.

Quand la part du Soi émerge chez le patient, la réjouissance du praticien n’est ni surfaite, ni euphorique. Elle est le juste témoignage d’une rencontre : pas d’une rencontre avec les circonstances (parfois horribles), mais d’une rencontre avec l’être qui les a vécues, jusque là dissimulé derrières elles.

Cette réjouissance est une sorte de « venue au contact ». Comme une amicale « embrassade » (se prendre dans les bras). Naturellement les attitudes exprimées concrètement en thérapie seront discrètes. Il s’agit plus d’un état d’esprit que d’une manifestation extravertie de quelque nature que ce soit. Cette réjouissance est une manifestation avant tout non verbale, qui tient plus dans le regard ou dans l’expression du visage, que dans le moindre geste.

Tout se passe comme si l’on avait en présence le praticien, le patient, et celui qu’était le patient à un moment de sa vie. Il se joue là une sorte de psychodrame mental (action psychique). Dans l’imaginaire, de façon tout à fait subjective, il y a rencontre et reconnaissance. Ici, curieusement, ce qui est vécu comme étant « le réel », c’est « le subjectif ».

La notion d’imaginaire comporte hélas des connotations péjoratives. La tendance est de croire que le patient n’a qu’à penser ce qui l’arrange pour que tout aille mieux. C’est mal connaître ce type de réalité. Bien, qu’il s’agisse d’imaginaire, nous n’y faisons pas ce que nous voulons. Nous y trouvons de la fluidité ou des résistances en fonction de la justesse de ce que nous y faisons. Cet imaginaire n’a rien de fantaisiste.

Cet imaginaire devrait être plutôt qualifié « d’espace psychique » ou mieux encore de « dimension psychique ». Dans cette dimension psychique, subjectivement, le patient a le sentiment de se trouver « avec celui qu’il était », « comme s’il était là ».

Je vous invite à ne pas supposer ici de choses saugrenues ou surnaturelles. Cette présence, de celui qu’il était, est une sensation subjective très concrète qui n’a rien d’une « apparition ». Rien n’est ici incompatible avec la raison ordinaire. Le sujet est tout à fait conscient, d’une part de la réalité matérielle dans laquelle il n’y a que le praticien et lui, et d’autre part de la réalité subjective dans laquelle il y a le praticien, lui, et celui qu’il a été.

Ces notions de « dimension psychique » et de « contact » ne sont pas accessoires. Elles sont même un fondement majeur en maïeusthésie. La psyché a été clivée du fait de la pulsion de survie (contact coupé avec une part de soi trop douloureuse) et tend à s’assembler du fait de la pulsion de vie (les symptômes tendent à restaurer le contact). Le sujet est présent simultanément avec celui qu’il a été et restaure ainsi une intégrité perdue. Il y parvient d’autant mieux que le praticien l’accompagne dans ce sens.

4.4.  La réjouissance comme source thérapeutique

Cette émergence chez le sujet est source de réjouissance pour le praticien. Comme je l’ai déjà indiqué, il ne s’agit pas d’une réjouissance niaise ou euphorique. Il s’agit plutôt d’une réelle sensation de « toucher la vie », comme si, là, nous étions exactement « là où il faut », à la juste place. Il en résulte une sorte de bonheur intime et discret pour le praticien, qui est une dimension fondamentale de son soutien psychologique. C’en est le fondement majeur car, sans cela, toutes les technicités et les savoirs les plus aboutis en psy, ne produiront aucuns résultats tangibles qui soient durables.

J’ai déjà entendu des praticiens dire « si la thérapie est rapide, même si elle est de qualité, elle ne peut être profonde ». Il manque certainement à ces praticiens la dimension ci-dessus. Justement la thérapie peut être ici non seulement rapide, mais aussi riche d’une grande profondeur. La durée et la profondeur ne sont pas des dimensions proportionnelles. Dans tous les cas, aucune thérapie (même longue) ne peut prétendre visiter la totalité d’une vie. La réalité est qu’une thérapie (longue ou courte) peut être soit superficielle, soit profonde, et que cela n’a rien à voir avec sa durée.

La difficulté est que cette profondeur est quasiment indicible. J’ai tenté dans cette publication de la mettre en mots, en prenant le risque que quelques esprits revêches n’en profitent pour réduire en dérision ces choses subtiles et précieuses.

Pour le praticien, il importe de comprendre que le fait de rencontrer et d’accorder de la reconnaissance, compte bien plus que le projet de résoudre quoi que ce soit. Cela compte bien plus que de chercher à apaiser. La volonté d’apaiser serait même une maladresse extrême, car elle reviendrait à vouloir faire taire ce qui attend écoute et reconnaissance.

Rencontrer et non chercher à apaiser, voilà ce qui compte. L’apaisement suit naturellement cette reconnaissance, mais on ne peut commencer par la quête de cet apaisement. Vouloir apaiser met de la gravité et de la superficialité, alors que rencontrer met de la légèreté et de la profondeur.

La rencontre se fait par le tact et le contact. Rappelons-nous que l’empathie est initialement Einfühlung (tact psychique). De ce tact émerge la chaleur humaine, la reconnaissance, et surtout le fait d’être touché (feeling). La réjouissance authentique du praticien vient du fait qu’il « est touché ». Je rappellerai la différence fondamentale entre le fait « d’être touché » et celui « d’être affecté » : on est touché par l’individu, on est affecté par son problème ou son histoire. Selon la direction où le praticien porte son attention, il sera soit touché, soit affecté. Comme nous l’avons déjà vu s’il est affecté il ne peut produire d’effet thérapeutique… il risque même d’être déstructurant et d’aggraver ce qu’il prétend résoudre…, la thérapie en devient insatisfaisante et surtout interminable. S’il porte son attention vers le sujet, si il est touché par le fait que celui-ci manifeste une part de lui, il aboutit spontanément à cette réjouissance, si nécessaire à l’effet thérapeutique.

5.      Spécialement pour retour

5.1.  L’attitude initiale

Dès le départ, et tout au long de son accompagnement, le praticien aura avantage à raisonner en terme de « spécialement pour ». Cela n’est pas forcément aisé, car nos habitudes culturelles nous poussent à l’inverse. Comme nous l’avons vu dans « le leurre des mauvaises causes » notre imprégnation culturelle nous invite à penser que, quand il y a un symptôme, c’est « à cause de » quelque chose qui ne va pas. Je vous ai justement proposé de considérer le contraire. Il ne s’agit pas de chercher ce qui ne va pas, mais de chercher « en quoi ce qui se passe comporte de la justesse », « en quoi cela est utile », « en quoi cela conduit l’individu vers un plus d’individuation ».

Le ressenti du patient ne sera pas vu sous l’angle de « à cause de quoi ? », mais sous l’angle de « spécialement pour quoi ? ». La question est de trouver ce qui s’accomplit de juste. Le cheminement se déroulera avec cet a priori (nous ne sommes donc pas, ici non plus, libre de tout a priori !).

A chaque pas de l’entretien, cette idée ne devrait pas quitter le praticien. Chaque pas est ainsi vécu par lui comme une révélation potentielle. Il n’est jamais inquiet car quoi qu’il se passe, cela le rapproche de ce qui importe, et il sait que cela se réalise spontanément par le chemin le plus juste. Quand le sujet ne trouve pas, le praticien n’est pas gêné et valide cela. Il invite seulement le patient à exprimer ce qu’il ressent quand il essaye de trouver ce qu’il ne trouve pas. Ce ressenti est le meilleur guide, et vient à bout de ce qu’on appelle habituellement « blocage » ou « résistance ».

Pour le patient il est tellement plus aisé de suivre un praticien qui le conduit vers une justesse en accomplissement, que de suivre un praticien qui veut à tout prix le conduire vers des failles à combattre ou vers de mauvaises choses en soi à éradiquer.

5.2.  Exemples

Exemple 1 : Une personne est pudique de façon si extrême, qu’elle semble avoir subi un jour quelques blessures au sujet de son intimité. Le praticien se demandera-t-il « Que lui est il arrivé de si douloureux qu’elle en soit devenue ainsi tellement pudique ? », ou bien se demandera-t-il : « Qu’est ce que cette pudeur exprime de juste en elle ? Quelle part d’elle-même nous fait ainsi signe avec justesse, afin qu’on la rencontre et qu’on en reconnaisse le vécu et le ressenti ? ». Le premier positionnement est néfaste car le praticien se met ainsi à rechercher «où est-ce que ça ne va pas» et insinue qu’il y a quelque chose de sombre dans la psyché de son patient. Le second, lui, s’attend à une rencontre et a confiance en le fait que le symptôme (pudeur excessive) nous conduit exactement là où il faut. De plus il sait parfaitement qu’il ne s’agit pas d’enlever le vécu douloureux antérieur mais de le reconnaître. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Exemple 2 : Une personne ne mange plus et manifeste une attitude anorexique. Le praticien se demandera-t-il « que s’est il passé dans la vie de cette personne de si traumatisant qu’elle en ait cessé de manger ? Comment peut-on réparer cela ?» ou bien se demandera-t-il « Qu’est ce que cette personne exprime de juste en ne mangeant pas ? Quelle part d’elle-même attend ainsi d’être rencontrée, entendue et reconnue dans le vécu qui fut le sien ? » (voir la publication de juillet 2006 sur l’ « Anorexie »)

Exemple 3 : Une personne souffre de maladie alcoolique. Le praticien se demandera-t-il « Que s’est il passé dans la vie de ce sujet pour qu’il en soit venu à boire ? Comment allons-nous pouvoir le libérer de cette addiction ? », ou bien se demande-t-il « En quoi boire fut pour lui la  meilleure solution ? Qu’est ce qui s’exprime de juste en lui en buvant ? Quelle est la part de lui qui appelle, afin qu’on l’entende, et qui est pourtant si difficile à rencontrer ? » (voir la publication de mars 2003 « aider le malade alcoolique »)

Exemple 4 : Une personne souhaite mettre fin à ses jours et a même fait une tentative de suicide. Le praticien se dit il « Quelle est cette souffrance qu’il faut apaiser ? Comment détourner cette personne de son funeste projet ? » , ou bien se dit-il « Quelle est cette souffrance que personne n’a entendue au point qu’elle veuille mourir ? Je souhaite la rencontrer avec son ressenti afin d’en reconnaître la dimension. Elle m’expliquera en quoi la mort était si importante pour elle à ce moment là. ». (voir la publication de juin 2001 « dépression et suicide »).

Nous voyons dans chacun de ces exemples que le praticien peut adopter des positionnements complètements opposés. Pour chacun des cas évoqués, dans les premiers positionnements, les intentions sont généreuses. Pourtant, elles ne peuvent être aidantes. Seules les secondes attitudes décrites ont un impact thérapeutique et constituent une réelle invitation à la rencontre et à la reconnaissance.

6.      La reconnaissance

6.1.  Une clé majeure

La reconnaissance est une clé aussi importante que la notion de « spécialement pour ». Trop souvent la réaction spontanée est de vouloir apaiser, alors qu’il convient plutôt de reconnaître. Même si c’est un peu difficile à concevoir a priori, « vouloir apaiser revient à nier ».

Vous avez sans doute remarqué que quand vous avez une souffrance psychologique, une personne qui vient vers vous avec l’intention de vous calmer est énervante. Vous avez besoin d’abord qu’elle entende et reconnaisse l’ampleur de votre ressenti.

Ce qui vaut pour celui que nous sommes aujourd’hui, vaut aussi pour tous ceux que nous avons été au cours de notre existence. Quand nous « retrouvons » l’enfant que nous avons été, et que nous constatons à quel point celui-ci a été marqué par une situation et en a éprouvé une souffrance, notre réaction spontanée est d’aller vers lui pour le consoler.

Pour ceux qui n’ont pas lu ma publication sur la communication thérapeutique, je préciserai qu’aller vers celui que nous étions revient à mettre en œuvre une sorte de « psychodrame mental », c'est-à-dire une action dans l’imaginaire.

Cette propension à vouloir consoler n’est pas très heureuse, car « consoler » revient aussi à « nier ». Celui que nous étions n’a jamais été, ni entendu, ni reconnu, dans son ressenti. Il est resté dans la non-reconnaissance car tout le monde a voulu le calmer (dans le meilleur des cas) et personne n’a songé à l’entendre. Or, cette reconnaissance, c’est cela même que nous avons à faire quand nous le retrouvons. Nous ferons un « acte mental » de reconnaissance et nous ne tenterons pas d’effacer ce qui a été ressenti car, malencontreusement, nous risquerions alors d’effacer en même temps celui que nous étions au moment de ce ressenti.

6.2.  Différencier l’être et la circonstance

Si nous peinons à spontanément reconnaître celui que nous étions dans une circonstance douloureuse, c’est que nous avons encore tendance à confondre la circonstance elle-même, avec celui que nous étions. Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, même quand la circonstance est horrible, c’est la circonstance qui est horrible et en aucun cas celui que nous étions lorsqu’elle s’est produite. Il ne s’agit bien évidemment pas de valider la circonstance, mais juste d’offrir à celui que nous étions le droit d’être au monde, de le débarrasser de cette identification à l’horreur, de lui donner tendrement cette place auprès de soi, qui va nous permettre de parfaire notre individuation.

Avoir compris cela, conduit naturellement le praticien à toujours tourner son attention vers l’être en train de se révéler. Le praticien se réjouit ainsi de chaque émergence comme d’une venue au monde. C’est justement cette réjouissance (ni niaise ni euphorique) du praticien qui cautionne le droit d’être au monde de celui qui se révèle devant lui. De même que chez Donald Wood Winnicott ou chez Frans Veldman on parle de la validation de l’enfant par la nature du regard de la mère, nous trouverons ici la validation du patient par le regard du praticien.

Certains praticiens seront si « attachés » au dogme psy concernant l’attachement et le lien qu’ils trouveront là une attitude infantilisante et trop maternante, risquant de freiner l’individuation authentique du sujet. De tels praticiens sont victimes d’un dogme, car un être est souvent si perdu qu’il a besoin de cette validation extérieure pour commencer à s’accueillir lui-même. Freud, qui n’est pourtant pas un modèle concernant la notion de validation, disait même :

« …la collaboration des patients devient un sacrifice personnel qu’il faut compenser par quelques succédanés d’amour. Les efforts du médecin, son attitude de bienveillante patience doivent constituer de suffisants succédanés » (Freud, 1979, p.68)

Certes, il n’a pas été jusqu’à cette profonde idée de reconnaissance, mais nous constatons qu’il en a pointé les prémices. Naturellement, il parle de « sacrifice personnel » car il est convaincu que nous allons, en nous-mêmes, vers des choses difficiles et peu avouables ! Nous trouvons là une grande différence entre les propos de Freud et ceux que je tiens dans cet article.

Il est vrai cependant que l’apaisement du sujet ne viendra réellement que de sa propre validation et non de celle réalisée par un autre. Il se trouve simplement que la validation qui lui est donnée par le praticien l’accompagne dans la validation qu’il va pouvoir s’accorder à lui-même. C’est même une étape thérapeutique majeure. Quelqu’un ne peut s’accueillir lui-même, quand il est vu par l’autre comme étant un problème ambulant.

6.3.  Une façon d’être face au « patient »

L’attitude du praticien, et ce vers quoi il tourne son attention, sont ainsi profondément déterminant dans l’efficacité de son action psychothérapique. Mais nous remarquons qu’il s’agit plus d’une attitude que d’une action et même qu’il ne s’agit pas de thérapie, au sens habituel du terme, car le propos n’est pas d’y guérir une maladie, mais d’y permettre à un être de venir au monde. Nous noterons avec soin qu’une sage femme ne guérit pas la parturiente de sa grossesse quand elle l’accouche ! Elle permet juste à son enfant de venir au monde. Elle accompagne ce qui est déjà en train de se faire. Elle accompagne sa parturiente vers l’heureux événement en accomplissement. Il en sera de même du praticien en psychothérapie. Il ne guérit pas une psychopathologie, il permet juste à son patient de venir au monde. Il accompagne « l’heureux événement en cours » dont le symptôme constitue le signe précurseur et le guidage. Du coup, en psychothérapie, nous aurions avantage à parler de « parturients » plutôt que de « patients » et c’est pourquoi j’ai posé (et déposé) le terme « maïeusthésie » pour définir un tel accompagnement (du grec maieutikê « art d’accoucher » et asthêsis « sensibilité »)

voir sur le site étymologie

7.      Pour conclure retour

Que vous soyez des praticiens expérimenté en psy recevant des patients, des soignants apportant aide et soutien aux soignés, ou des personnes en quête d’une meilleure compréhension de ceux qui les entourent ou d’elles-mêmes, ces quelques lignes ne prétendent qu’accompagner votre réflexion et votre expérience existante, en vous appuyant sur votre propre sensibilité. S’il en résulte d’importantes remises en cause, ces remises en cause ne doivent en aucun cas vous faire abandonner vos propres fondements personnels. Les nouveaux concepts ne sont sensés que s’ajouter aux anciens, sans les rejeter, car ces derniers constituent, bien sûr, votre base.

Nous serons reconnaissants à des praticiens comme Winnicott ou Veldman qui ont mis notre attention sur l’importance du regard porté sur l’enfant, Rogers ou Gendlin qui nous ont permis de comprendre qu’il s’agit plus de reconnaissance que d’un combat, Jaspers, Rollo May, Gordon, qui ont tourné notre attention vers le coté existentiel, Jung qui nous a révélé l’importance du Soi et de sa réalisation, Muccihelli et Abric qui nous ont fait remarquer l’importance de poser des questions portant sur l’Être et non sur l’histoire, Bruner qui nous a mis en garde contre ce qu’il appelle « méthodolâtrie », Lipps et Ferenczi qui nous ont donné le concept de « Einfühlung »…etc

Tant de praticiens ont œuvré pour éclairer le chemin… nous ne pouvons que leur être reconnaissants et considérer que chaque pas supplémentaire que nous ajoutons ne fait que continuer un chemin déjà commencé, auquel nous participons humblement.

J’ai à cœur de préciser, en tant que praticien ou en tant que formateur, combien nous devons aux personnes que nous aidons ou enseignons. Sans eux notre cheminement professionnel ne se serait jamais précisé avec autant d’acuité.

 

Thierry Tournebise

 

 

NB : Pour ceux qui trouveraient nécessaire de reprendre les éléments clés de ce texte, j’en propose ci-dessous une récapitulation en quelques lignes.

-Bibliographie-

 

Résumé des points clés retour

Résumons les points principaux de l’article. Il s’agit simplement ici de revisiter en bref où se porte l’attention du praticien et dans quel projet.

Des connaissances mais pas d’enfermement

Des connaissances sont utiles, mais elles ne constituent pas le fondement de la capacité à aider. Elles peuvent même parfois enfermer dans des a priori entravant la compétence et le bon sens du praticien. Le praticien aura avantage, tout en restant riche de ses connaissances, à rester ouvert aux points évoqués ci-dessous

Ne pas aider, mais rencontrer et reconnaître

Le projet n’est pas d’aider, mais de rencontrer. Et cela se fait dans le but de reconnaître et non de résoudre.

Vouloir résoudre consiste à se tourner vers le problème plutôt que vers celui qui a le problème et revient à une sorte d’ignorance de qui est notre interlocuteur. Se trouvant identifié au problème, ce dernier se sent alors dévalorisé.

Le praticien, tournant résolument son attention vers l’individu, lui permet de sortir de cette identification et tout simplement « d’être au monde ».

Se tourner vers la vraie source

La source n’est pas la circonstance, ni la douleur éprouvée jadis, mais le projet de retrouver celui qu’on était lors de la circonstance et de la douleur. C’est cela qui produit le symptôme, « spécialement pour » ne pas manquer la réhabilitation de soi.

Ayant autrefois identifié celui que nous étions avec la douleur et la circonstance, nous avons eu une pulsion à nous en couper (pulsion de survie).

Quand l’attitude du praticien est juste, le fait de différencier le patient de la circonstance et de la douleur, rend ce dernier de nouveau « rencontrable ».

La source du symptôme n’est pas dans le passé, mais dans le projet de réhabilitation

Spécialement pour

Face au symptôme, il convient pour le praticien de ne pas chercher « à cause de quoi » ou «  à cause de qui », mais de chercher « quel est le juste projet en train de se réaliser » et « Quelle part de l’être se manifeste avec justesse, grâce à un symptôme afin d’être enfin rencontrée et reconnue ». Il ne s’agit donc pas de repérer les failles ou les disfonctionnements à réparer, mais les mécanismes de justesse à l’œuvre. Il importe de comprendre que le symptôme ne se produit pas « à cause de », mais « spécialement pour »

Projet de reconnaissance

Il importe également, pour le praticien, de clairement positionner son projet. Ayant compris qu’il s’agit « d’une part de l’être tendant à se manifester », une fois trouvée, celle-ci recevra reconnaissance. Il ne s’agit en aucun cas de l’apaiser, mais de lui permettre d’être là, avec ce qu’elle éprouve.

Voilà le projet : « la reconnaissance de l’être et de ce qu’il éprouve » et en aucun cas la suppression de son ressenti. Cependant, soyons vigilants : le praticien est sensé  tourner prioritairement son attention vers l’être, et non vers le ressenti de celui-ci ! Ainsi, cette « rencontre » est vécue par le praticien comme un privilège. Si, au contraire,  son attention se tournait prioritairement vers le ressenti douloureux, il y aurait encore une dérive : il se sentirait affligé face à la souffrance, qui finalement, occulterait la précieuse présence de celui qui l’éprouve. Ce dernier se trouverait alors injustement identifié à sa blessure et n’aurait plus le goût de se révéler.

Offrir son attention prioritairement à l’individu, au sujet, à l’être, est une attitude validante, accompagnant harmonieusement celui qui se révèle enfin au monde.

Une fois l’être reconnu et accueilli avec ce qu’il éprouve, son ressenti s’apaise naturellement, alors que quand on veut enlever son ressenti, on ne fait que l’ancrer plus solidement.

La reconnaissance vient à bout de la plupart des résistances et ouvre bien des chemins avec simplicité et sans n’y engager aucune énergie. La notion de counseling ou de partenariat y est particulièrement présente. Les deux présences du praticien et du patient sont en équivalence et en reconnaissance sans qu’aucun des deux ne soit supérieur ou inférieur à l’autre. D’humain à humain il se passe un moment de rencontre, accompagnant l’individuation du sujet en thérapie.

Le conte de Gabrielle Suzanne de Villeneuve, repris en 1557 dans « le Magasin des enfants » par Jeanne Marie Leprince de Beaumont est une excellente illustration de ce principe : « La Belle et la Bête » nous explique comment la bête cesse d’être une bête, non pas quand on veut la tuer, la fuir ou la changer (on risque même alors de devenir comme elle), mais quand on l’aime en l’état. Il en va de même des parts de soi à naître : elles prennent leur juste dimension quand on les accueille en l’état. Elles peuvent alors se déployer et venir parfaire notre individuation. Le conte peut être revisité en considérant que la Belle, c’est celui que nous sommes, invité, grâce au symptôme, à rencontrer la Bête qui est celui que nous étions. Celui que nous étions, attend d’être aimé en l’état pour être libéré du sortilège qui le maintient à l’écart de la vie. Notons la fin du conte : « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ! » Nous pouvons entendre ainsi l’illustration du fait que l’union de celui que nous sommes avec celui que nous étions va pouvoir engendrer tous ceux que nous allons devenir !... une réalisation de notre quête d’individuation, une réalisation de Soi, nous permettant d’aller avec plus de plénitude vers autrui.

L’attitude en thérapie

Nous découvrons donc au fil de ce texte combien la notion d’efficacité en psychothérapie est loin de se résumer à une notion de connaissances, ni même à celle de « savoir faire ». Il se peut même que, parfois, les connaissances éloignent de l’attitude juste, à cause des « grilles de décodage » qui enferment le bon sens, et que le « savoir faire » entraîne dans des « attitudes types » inadaptées, car non ajustées à la situation qui se présente sur le plan existentiel. Naturellement il n’est pas question de prétendre, ni même de sous entendre, que le « savoir » ou le « savoir faire » sont sans valeur. Il s’agit simplement de remarquer que le pôle majeur d’efficacité se tient ailleurs.

Pour résumer, nous dirons du praticien que :

-Il ne cherche pas à aider mais à rencontrer
-Il ne voit pas un problème à résoudre mais un être en émergence
-Son projet est la reconnaissance de la justesse et la réhabilitation de l’individu présent ou passé, et non l’extraction de quoi que ce soit de mauvais
-Il est habité par la confiance en son patient et se laisse guider par la justesse de ce dernier.
-Il a la capacité subtile à se sentir touché par cette rencontre, qu’elle soit potentielle ou effective
-Il n’est pas affecté car son attention ne se porte pas sur ce qui ne va pas, ou sur les failles, mais sur les émergences en cours, sur la pertinence, sur l’être en devenir. Cela ne l’empêche aucunement de reconnaitre la dimension des vécus douloureux (bien au contraire) mais son attention se porte toujours vers l’être qui souffre et non sur la souffrance elle-même. Le patient se sent ainsi toujours regardé de façon gratifiante et réhabilitante.

Tout cela guide naturellement les pas du praticien. Nous ne saurions naturellement oublier qu’il doit aussi avoir vécu cela envers lui-même pour être dans cette capacité à le réaliser envers autrui. Même s’il n’a pas atteint de perfection en ce domaine (qui pourrait le prétendre ?), il doit néanmoins avoir ce regard sur lui-même afin d’être en état de l’avoir sur autrui.  

 

 

 

Bibliographie retour

Abric, Jean-Claude
-Psychologie de la communication
-Armand Colin,  Paris 1999

Bruner Jerome
-Car la culture donne forme à l’esprit  - Gehorg Eshel, Genève 1997

Descartes René
Recherche de la vérité par la lumière naturelle,
Règles pour la direction de l’esprit
 - La Pléiade 1999
Le discours de la méthode - GF Flammarion 2000

Gendlin, Eugène
Focusing, Au centre de soi – Editions de l’Homme, 2006

Freud, Sigmund
- Les névroses, l’homme et ses conflits – Tchou, 1979

Jaspers, Karl
-Psychopathologie générale -PUF Bibliothèque des introuvables, Paris 2000

Jung, Carl Gustav
-
Ma vie, souvenirs rêves et pensées- Gallimard Folio, 1973

Lao Tseu
-Tao Te King -Editions Dervy, Paris 2000

Mucchielli, Roger
-L’entretien de face à face dans la relation d’aide - ESF, Issy les Moulinaux 2004

Rogers, Carl Ransom  
-Relation d’aide et psychothérapie  – ESF, Paris 1996
-Le développement de la personne - Dunod Inter éditions,  Paris 2005

Tournebise, Thierry
-Chaleureuse rencontre avec soi-même – Dangles 1996
-L’écoute thérapeutique -2001, 2005  
-L'art d'être commmunicant Dangles 2008
-Psychopathologie (avril 2008)

Veldman, Frans
Haptonomie, science de l’affectivité – PUF, Paris 198

Winnicott, Donald Wood
-Jeu et réalité - Folio Gallimard 1975

 

retour