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Pédagogie

L'art du savoir et de la saveur (sapiens et sapidité)

Février 2007   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Dans cette publication sur la pédagogie, je propose quelques réflexions et informations utiles aux enseignants ou aux formateurs. Le but étant la transmission d’un savoir, d’un savoir faire, ou d’un savoir être, nous aborderons trois catégories d’éléments :

1 Quelques définitions et réflexions sur les mots nommant la pédagogie et sur le mot « pédagogie » lui-même

2 L’exploration de plusieurs moyens ou approches, mises en œuvre pour aboutir à la réalisation de cette transmission (exposé didactique, participation, mises en situation, illustrations, expérimentations, pédagogie de la découverte, suggestopédie, gestion mentale... etc)

3 La composante humaine de la pédagogie liée à la qualité de la communication avec un groupe. Qualité de l’attention et de la motivation, capacité à faire face à des objections, à des tensions, des dispersions…etc

Sommaire

1 Pédagogie et andragogie

Sources étymologiques - Un art d'initier - Andragogie

2 Le savoir et la saveur

Étymologies surprenantes - Le sel de la connaissance - La connaissance du propos

3 La transmission

Faire un exposé - Faire participer (exprimer des avis)- Faire agir (jeux de rôles) - Faire expérimenter (mises en situations) - Faire découvrir (pédagogie de la découverte) - Suggestopédie (pédagogie de la douceur) - Gestion mentale (pédagogie de l'accompagnement cognitif)

4 Les êtres plus que les choses

-La technique ne fait pas tout - Éduquer, enseigner ou instruire? -La considération 

5 Être proche de la vie

-L'interactivité - mettre de la vie dans l'exposé - Le rôle des exemples - Faire expérimenter, faire goûter- Contraste nouveau / ancien - Avantages et dangers de la vidéo

6 Être face à un groupe

-L'être et la matière - Considération multiple et simultanée -  L'espace commun - Les objections, valider les processus cognitifs - Les fausses questions - Les écarts d'attentions - Les désaccords avec les participants - Les attitudes conflictuelles et les violences

7 Retrouver le goût

Bibliographie  de l'article      Bibliogrpahie du site

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1 Pédagogie et andragogie

1.1 Les sources étymologiques

Le mot « Pédagogue » vient du latin paedagogus,  venant lui-même du grec paidagôgos constitué de paidos (enfant) et agôgos (conduire). En fait, ce mot était utilisé par les grecs pour désigner un « esclave chargé de conduire les enfants à l'école » et non pour nommer un « enseignant ». Cet esclave avait néanmoins aussi pour rôle de faire travailler l’élève sur ce qu’il avait appris avec l’enseignant (Le Robert -Dictionnaire historique de la langue française).

En italien, pedante signifie « professeur d'école ». C'est de ce mot qu'a été créé le mot « pédant » qui, jusqu'au XVIIe siècle signifiait « maître d'école ». Puis contrairement au terme « pédagogue » il a évolué dans une consonance péjorative pour désigner quelqu'un qui fait étalage de son savoir. Nous ne peinons pas à saisir la différence entre quelqu'un de « pédant » et quelqu'un de « pédagogue », même s'il arrive hélas que le premier se prenne pour le second.

Le mot « pédagogie » a, lui, une source plus heureuse: il vient du grec paidagôgia signifiant « Direction, éducation des enfants ». Aujourd'hui « pédagogie » désigne « science de l'éducation des jeunes »... mais déborde naturellement aussi vers les adultes. Cependant, l'étymologie du mot ne reflète alors pas cette extension de sens. Nous y reviendrons plus loin.

1.2 Un art d'initier

La pédagogie représente donc l'art de faire accéder à une connaissance, à un savoir. Son usage s'est étendu au delà des jeunes et représente aujourd'hui l'art d'initier quelqu'un (adulte ou enfant) à quelque chose de nouveau pour lui. Il importe de savoir que le terme « initier » concerne tous les apprentissages (science, sport, artisanat, art...) et ne doit pas être entendu avec la consonance mystique qu'il a eu jusqu'au XVIIe siècle.

Ce mot vient du latin initiare (commencer) dérivé de initium (début, commencement) et signifie tout simplement « faire accéder à une connaissance ou à une compétence à partir d'un point initial ». Jusqu'au XVIIe siècle, le mot « initier » a concerné   « admettre quelqu'un à la pratique d'une religion ou d'une société secrète ». C’est ce qui lui a donné une consonance parfois péjorative. Puis il a évolué pour désigner le fait de délivrer un apprentissage nouveau dans toutes sortes de domaines.

Même le mot « initiation » (du latin initiatio) a, lui aussi, longtemps été utilisé dans le sens d'accès aux mystères de la vie. Mais dès 1755 il est utilisé pour désigner le fait de donner ou de recevoir les premiers éléments d'un art ou d'une science (Le Robert - Dictionnaire Historique de la langue française). 

La pédagogie est donc d'une certaine façon un art de l'initiation puisque tout l'enjeu y est de faire accéder quelqu'un à un savoir qui lui est encore inconnu. Nous prendrons soin de bien comprendre ici le mot « initiation » dans son sens pragmatique, comme signifiant « mettre sur le point de départ », « mettre sur le point initial d'une connaissance ou d'une compétence ».

1.3 Andragogie

Vous l'aurez compris, le mot «pédagogie», compte tenu de son étymologie, ne concerne normalement que les enfants. Pour remédier à cet aspect et prendre en compte aussi «l'initiation» des adultes, le mot « andragogie » est ainsi particulièrement utilisé au Québec. Ce mot est créé à partir du grec anêr (andros) signifiant  l'« homme adulte » et agôgos signifiant « mener, conduire, élever ». Hélas, andros signifie « homme adulte » (individu de sexe masculin) et non pas simplement « adulte » (individus aussi bien de sexe masculin que de sexe féminin). Ce n'est vraiment pas de chance si le grec ne propose pas de mot pour désigner l'adulte sans distinction de sexe !

L'andragogie ne s'adresse donc ainsi « étymologiquement » qu'aux hommes… et c’est plutôt mauvais pour la parité ! Même s'il est évident qu'on souhaite nommer ici également l'art d'enseigner aux femmes, le mot n'est pas satisfaisant… mais il serait encore plus insatisfaisant de parler, d’une part d’ « andragogie » pour les hommes, et d’autre part (inventons le mot) de « gynagogie » pour les femmes ! Nommer différemment l'art d'enseigner aux enfants ou aux adultes est déjà bien suffisant.

Cette différence pour nommer un public d’enfant ou un public d’adulte peut néanmoins sembler une excellente idée puisqu'il s'agit de deux publics qui réagissent vraiment différemment. L'enfant est davantage vierge de tout savoir et souvent plus enclin à croire ce qu'on lui dit. L'adulte dispose de plus de savoir, de plus d'expérience, et est moins facilement crédule. Il a davantage besoin de savoir où il va, pour être motivé. Il lui est nécessaire alors de pouvoir intégrer ce qui est nouveau en le plaçant au sein de ses expériences antérieures.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la crédulité de l'enfant ne rend pas la pédagogie plus facile, mais nécessite au contraire une extrême délicatesse pour ne pas enfouir les intuitions de l'élève sous des assertions écrasantes. L'enseignement ne peut être une affaire de pouvoir, même si cela est tentant, pour un formateur ou un professeur, face à des sujets vulnérables. « Pouvoir » ne peut en aucun cas aller avec « pédagogie », qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes.

Si l’on en croit René Descartes (voir publication sur René Descartes de novembre 2006), l’enfant, étant moins cultivé, disposerait même de plus de bon sens (ce qu’il appelle la lumière naturelle). L’adulte, déjà imprégné de tant de choses aurait au contraire moins de bon sens à sa disposition car son esprit serait encombré de trop de préceptes finissant par en limiter l’ouverture. L’art du pédagogue est donc de naviguer dans ces contradictions : d’une part des enfants avec plus de bon sens, mais aussi avec plus de crédulité, d’autre part des adultes, avec plus de culture, moins crédules, mais aussi souvent avec des idées plus étroites et moins de bon sens disponible.

Le pédagogue ne sera donc ni « docte » ni « pédant », mais au contraire emprunt d'affirmation de soi, autant que de respect d'autrui (c'est à dire « d'assertivité » voir la publication de septembre 2001 sur ce sujet). René Descartes valorisait particulièrement le bon sens de l'étudiant et décriait les doctes influences. Il aimait à dire « la science des autres ne borne pas la mienne » afin de souligner à quel point les érudits ne doivent pas limiter notre réflexion.

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2 Le savoir et la saveur

2.1 Etymologies surprenantes

Pour un élève ou un stagiaire il s’agit d’avoir le goût d’apprendre. Ce n’est hélas pas le cas de tous ceux qui étudient (à l’école ou en stage), et un bon pédagogue est celui qui saura justement maintenir ou développer ce goût pour la connaissance. De ce fait, il est agréable de constater ce qui lie étroitement des mots qui semblent pourtant si éloignés les uns des autres (savoir/saveur, sapidité/sapiens) :

Le mot « savoir » vient du latin sapĕre « avoir du gôut », « exhaler une odeur », « sentir par le sens du goût » et au figuré « avoir du discernement, du jugement ; être sage ».

Le mot « saveur » vient, lui, du latin sapor, qui signifie « goût, saveur, caractéristique d’une chose », « odeur », « parfum », « action de goûter ». Ce mot est un dérivé de sapere.

Nous avons le même type de rapport entre « sapidité » (qui a une saveur) et « sapience» (sagesse). Nous constatons ainsi que le lien est solide entre ces deux mots de « savoir » et de « saveur ».

Le mot « sapidité » vient du latin sapidus signifiant « qui a du goût, de la saveur », mais aussi, au figuré « sage, vertueux ». Ce qui n’a pas de goût est dit « insipide ».

Le mot « sapience » vient du latin sapientia « intelligence, bon sens ». Ce mot traduit le sophia (sagesse) grec. Sapientialis signifie « intellectuel ». Sapiens (intelligent, sage, raisonnable) est le participe présent adjectivé de sapere, que nous avons vu plus haut, pour « savoir » et « saveur ».

L’« homo sapiens » est finalement un homme de goût !

Toutes ces informations sont tirées de « Le Robert Dictionnaire historique de la langue française ».

2.2 Le sel de la connaissance

Le pédagogue donne de la saveur. Il est en quelque sorte le sel de la connaissance. Le comble pour un enseignant ou un formateur est de dégoûter d’apprendre. Je me souviens par exemple, avant d’entrer au collège avoir eu un profond engouement pour l’Égypte ancienne. J’avais envie d’étudier, de savoir, de découvrir cette civilisation qui me semblait fascinante.

Pourtant mon professeur d’histoire de ce début d’études secondaires parvint à me dégoûter de ce sujet, et même (c’est bien dommage) de l’étude de l’histoire en général. C’est particulièrement fort de, non seulement ne pas donner de goût supplémentaire, mais de faire disparaître le goût déjà existant. Une sorte de contre pédagogie d’une « efficacité redoutable » si le but était d’éloigner de la connaissance celui qui avait le souhait de s’en rapprocher. Je n’en veux aucunement à cet enseignant, car je sais bien que, curieusement, les enseignants ne sont pas formés à cela dans leur formation initiale. L’accent est surtout mis sur le savoir à transmettre, et trop peu (ou pas du tout!) sur la façon de le transmettre.

Il en est ainsi de certains métiers : on ne forme pas l’enseignant à la pédagogie, on ne forme pas non plus le psychologue à la psychothérapie. Une fois sur le terrain, ils se doivent d’exercer un métier qui leur reste à apprendre.

Que d’enseignants ont été démunis, jusqu’à l’angoisse, lors de la première rentrée ! Que de psychologues ont été démunis face à leurs premiers patients en psychothérapie. Si vous pensez que c’est exagéré, lisez les propos du docteur en psychologie John Preston, dans son ouvrage « Manuel de psychothérapie brève intégrative » (Inter Edition2003). Il commence son premier chapitre ainsi :

« Après des années de faculté, j’ai rencontré mes premiers clients en psychothérapie. Si l’un d’eux m’avait demandé d’écrire une dissertation ou de définir un concept de psychologie, je m’en serais sorti brillamment. Mais mon assurance n’allait pas plus loin. Souvent, dans ces premiers jours de ma carrière – et souvent depuis cette époque -, j’ai connu des moments durant les séances de thérapies où je me demandais en mon for intérieur Qu’est-ce que je dois faire maintenant ? ». Nous expliquant explicitement que son savoir en psy ne lui était d’aucune aide en cette circonstance il ajoute « Je me sentais souvent perdu ».

Nous ne pouvons que remercier John Preston pour son humilité et pour l’éclairage qu’il nous propose. Bien qu’allant jusqu’au doctorat en psychologie… il a des connaissances, mais pas de « savoir faire » et encore moins de « savoir être », malgré de longues études et d’excellentes capacités intellectuelles. Ceux qui lui ont enseigné lui ont fait faussement  croire, qu’il allait être « capable de faire » avec le savoir qu’on lui a transmis. De façon inattendue, face à la réalité concrète, il a découvert d’autres enjeux et s’est trouvé limité. Par d’autres moyens, il a du acquérir ultérieurement des compétences pour y remédier.

Tout se passe ici comme si dans un restaurant on vous montrait le menu. Vous faites alors votre choix. Puis finalement on vous sert quelque chose qui a un autre goût. Cet écart entre ce qui est écrit, la recette de cuisine, puis ce qui est finalement goûté est déroutant.

2.3 La connaissance du propos

La connaissance théorique est cependant nécessaire, même si elle ne peut, à elle seule, produire le résultat attendu. Celui qui enseigne ou qui anime une formation se doit de maîtriser le savoir correspondant. Mais le tort est souvent de croire que cette maîtrise se tient sur le plan de la somme des connaissances. Or la quantité n’est pas ici un critère de qualité. Il arrive qu’un enseignant ayant beaucoup de connaissances ne fasse que noyer l’enseigné sous une montagne indigeste de données, qu’il ne sait pas mettre en lien les unes avec les autres.

La connaissance du propos à transmettre ne se limite pas aux données empilées ou juxtaposées, mais à l’art de les articuler, de les relier, de les mettre en relief les unes par rapport aux autres. C’est sur ce plan, que la connaissance du pédagogue se doit d’être aussi performante que possible. C’est cela qui lui permettra de relever la saveur du savoir et de rendre l’étude savoureuse… au point que l’étudiant y prenne goût.

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3 La transmission

Nous trouvons différentes approches mettant l’accent soit sur l’exposé, soit sur la participation, soit sur l’action, soit sur la découverte… etc. En réalité un pédagogue fera une synthèse de ce qui lui semble juste et ne sera pas bloqué sur une méthode exclusive. Nommer séparément ces approches est une commodité qui ne doit cependant par faire oublier qu’elles peuvent être plus ou moins associées les unes aux autres.

Il en va ainsi de l’esprit humain : pour expliquer, on sépare les informations. Mais cette séparation est souvent un peu arbitraire tant les éléments sont imbriqués. Cela pose toujours une difficulté pour fournir un exposé clair. Nous aborderons cette subtilité pédagogique en voyant comment on prépare un exposé.

3.1 Faire un exposé

La première idée, pour transmettre un savoir, est d’en faire un exposé didactique. Dans ce cas, le pédagogue va d’abord préparer son information de façon à la transmettre de la manière la plus intelligible possible. Puis suivra une communication quasi à sens unique, dans laquelle il l’émettra… vers celui qui la recevra.

Il est bien rare qu’on utilise exclusivement ce moyen car l’exposé magistral est généralement associé à des questions, des exercices ou d’autres moyens. Un exposé purement magistral ne retient l’attention que 45 minutes maximum (s’il est bien fait) et une partie importante de l’information se perd de toute façon, face à l’attention fluctuante de ceux qui la reçoivent. L’écoutant devra généralement revenir sur un manuel, sur un polycopié ou sur ses notes, pour intégrer ce qui lui a été transmis.

Bien que l’information doive ici être soigneusement préparée, il est cependant illusoire de croire que la qualité d’un exposé se résume à la nature et à la qualité de l’information. La façon dont cette information est exprimée compte tout autant : la composante humaine et communicationnelle y est d’une importance majeure. Le même contenu pédagogique peut être motivant ou soporifique selon l’attitude de l’enseignant ou du formateur. En matière de communication, le non verbal représente 90% de l’information transmise et donne tout le relief au propos. Cela vient plus d’une composante humaine que d’une construction intellectuelle, aussi juste et performante soit elle (voir publication sur l’assertivité).

Si la notion d’exposé purement magistral semble un peu dépassée en matière de pédagogie, il importe néanmoins de s’y arrêter, car on ne peut transmettre une information que si elle est correctement structurée, au moins dans l’esprit de celui qui la transmet, et ce,  quelque soit le moyen utilisé pour cette transmission. Même si nous trouvons 90% de non verbal, et si la composante humaine est un élément majeur que nous examinerons plus loin en détail, il ne faut pas pour autant négliger la façon dont l’information est organisée et structurée pour être transmise.

Il se trouve que nous rencontrons quelques écueils et subtilités pour structurer cette information. En effet, le formateur ou l’enseignant se demandera : Je sépare les informations de quelle manière ? Je les regroupe en quelles catégories ? Je les expose dans quel ordre ? Cette pieuse volonté de préparer l’information pour la rendre mieux perceptible peut sembler simple au départ, mais s’avérer vite être un vrai casse tête.

3.1.1 Fractionner et regrouper l’information

L’idée est ici de faciliter au mieux la réception de ce qui est enseigné. Vous remarquerez par exemple que si vous donnez 0553581772 comme numéro de téléphone il est difficilement mémorisable, d’autant moins qu’il est difficile au commun des mortels de déchiffrer immédiatement un tel nombre. Par contre si vous donnez 05-53-58-17-72 ou 0-553-581-772, ou 05 53 581 772 vous remarquerez que la vision, le décodage et la mémorisation se font plus aisément. Nous aurons cependant un autre inconvénient : il n’est pas aisé d’identifier d’un premier coup d’œil que 05 53 58 17 72 et  0 553 581 772 sont le même numéro.

Ici, il est simple de fractionner un nombre trop grand en plusieurs nombres plus petits, et nous remarquons pourtant que ça soulève déjà une difficulté : la même information présentée différemment peut ne pas être reconnue.

Il y a cependant un point beaucoup plus délicat. Quand il s’agit, non pas de fractionner un nombre trop grand, en nombres plus petits, mais de fractionner un sujet complexe en éléments plus simples, nous serons confrontés ensuite à une autre difficulté : comment regrouper ces éléments en familles ? Pour cela il s’agira de repérer les informations par catégories analogues, pouvant faire partie d’un même ensemble. Cette étape quoi que délicate se réalise sans trop de mal… mais vient la suivante qui complique tout : dans quel ordre ces ensembles d’informations devront ils être transmis pour être intelligibles ? Comment en organiser les séquences de présentation ? De plus, après un tel fractionnement, nous n’oublierons jamais que « le tout, ne peut se résumer à la somme de ses parties » et c’est sans doute cela qui amène un peu (ou beaucoup) de complexité.

3.1.2 Organiser l’information

Dès qu’il s’agit d’organiser l’ordre dans lequel seront exposées ces catégories d’informations, le pédagogue se trouve confronté au fait que pour comprendre les informations faisant partie de l’ensemble numéro 1 il est nécessaire d’en avoir compris certaines appartenant à l’ensemble d’informations numéro 2. Il lui suffirait alors de choisir de commencer par le numéro 2. Mais il s’aperçoit alors que pour comprendre les informations appartenant à l’ensemble numéro 2 il est nécessaire de disposer de certaines informations appartenant à l’ensemble numéro 1. De plus, il n’y a rarement que deux éléments et le même phénomène d’intrication se trouve entre toutes les parties n°1, n° 2, n°3…etc.

Par exemple, si  je souhaite parler de la communication, je constate que mon exposé contiendra des éléments de psychologie. Devrais-je d’abord parler de la communication, puis lui ajouter ensuite des éléments de psychologie, ou bien parler de psychologie pour faire comprendre la communication ? Je remarque aussitôt que la psychologie elle-même contient de nombreux éléments se rapportant à la communication et que tout est si intriqué que l’organisation de l’information sera forcément une complexe approximation.

Le pédagogue devra "jongler" avec des bouts d’information appartenant à différentes catégories qu’il introduira au fur et à mesure des besoins, sans pour autant perdre de vue le fil conducteur et la logique de la succession des séquences.

Par exemple si le thème principal est la communication, je parlerai d’abord de communication, mais en introduisant quelques éléments de psychologie sans les détailler, puis quand j’aborderai plus en détails les éléments de psychologie en rapport avec la communication, je repréciserai à ce moment là les éléments de communication qui en sont alors éclairés sous un jour nouveau.

Vous comprendrez bien que cela se met difficilement en équation et que ça dépasse le simple fait de structurer l’information. J’ajouterai en plus qu’il s’agit de s’adapter continuellement à l’auditoire, qui ne réagit pas forcément toujours de la même manière. Là commence donc le casse tête pédagogique. Cela explique pourquoi de nombreux exposés sont vite insatisfaisants et pourquoi d’autres méthodes ont été imaginées pour venir en complément… ou même remplacer ce moyen de transmission. Ces autres méthodes ne doivent cependant pas faire l’impasse sur cette notion d’organisation de l’information, sinon elles échoueront aussi dans un flou insupportable qui, sous prétexte de modernité, ne fera que masquer l’incompétence.

3.1.3 Illustrer

Nous remarquerons aussi qu’un exposé doit généralement être émaillé d’exemples concrets et "parlants" (comme je viens de le faire avec le numéro de téléphone) et surtout être interactif, c'est-à-dire en continuelle communication avec les écoutants. Nous reviendrons plus loin en détail sur cette interaction et verrons que cela allonge l’attention disponible au-delà des 45mn évoquées plus haut.

3.2 Faire participer (exprimer des avis)

L’approche décrite ci-dessus a particulièrement évolué avec la formation continue, mais les avancées concernent certainement aussi le domaine scolaire.

Comme l’exposé magistral a l’inconvénient de limiter la disponibilité de l’attention de l’écoutant à 45 minutes, il semble judicieux, soit de le remplacer par autre chose, soit d’y ajouter autre chose. Une première possibilité est de susciter une participation des écoutants dans la construction pédagogique de la transmission de savoir.

Sous l’idée de participation se trouvent plusieurs concepts. Dans tous les cas, les écoutants y prennent une place d’émetteur, et le fait d’être reconnu comme ayant des idées, ou des avis, est généralement source de motivation. L’écoutant y est invité à réfléchir sur les objectifs et sur l’organisation du cours ou du stage.

Attention cependant à ce qui se prétend participatif et ne l’est pas. Il arrive qu’un pédagogue incompétent, sous prétexte de participation, abandonne l’étudiant dans une réflexion impossible. Normalement il doit accompagner la réflexion de l’élève, du stagiaire ou de l’étudiant.

Je me souviens par exemple d’une formation où le formateur a demandé aux participants de réfléchir sur un thème pendant la matinée, en ateliers (sans être accompagnés), puis a demandé qu’un représentant de chaque atelier de réflexion rapporte ce qui en est ressorti… sans qu’aucune synthèse ne soit faite du résultat. Nous avons là un cas désolant de fausse participation venant masquer que le formateur n’avait rien à proposer.

3.2.1 Les objectifs

Si l’accent est mis sur le choix des objectifs, le formateur ou l’enseignant pourra effectivement faire réfléchir les participants, en ateliers, sur ce qui leur semble le plus utile ou le plus nécessaire compte tenu de leurs besoins. Il devra rester à leur disposition dans cette réflexion. Le même processus peut se faire avec tous les membres du groupe en même temps, accompagnés par les questions du formateur ou de l’enseignant.

Le guidage non-directif, longuement détaillé sur ce site et dans mes ouvrages, permet, en peu de questions, à ceux qui s’expriment de mieux trouver leurs idées et de plus clairement les exprimer. Le groupe ne devra pas non plus ici se trouver face à un « faux pédagogue » qui, voulant paraître souple et ouvert les abandonnera avec une question du genre « Que souhaitez vous aborder ? »… puis les laissera se noyer dans leurs réflexions.

Par le guidage non directif il commencera avec une question fermée (pour ouvrir l’échange avec souplesse) « Vous aviez des objectifs en venant à cette formation ? » puis il demandera lesquels, ou « Il y a des choses qui vous intéressent plus que d’autres sur le thème de ce cours ? », ou, plus modestement « il y a déjà des choses que vous connaissez déjà sur le sujet de notre cours d’aujourd’hui ? »

L’idée est d’une part de faire que le sens du flux ne soit pas uniquement dans le sens enseignant/enseigné, mais aussi que ce qui sera abordé tienne compte des attentes. D’autre part, le fait de réfléchir sur ce qu’on souhaite, apporte une responsabilisation qui favorise le goût d’entendre ce qui sera abordé.

3.2.2 L’organisation

Le même processus peut être utilisé à propos de l’organisation de ce qui sera abordé. L’idée est que l’organisation convienne aux attentes. Mais quand on voit à quel point il est délicat pour un pédagogue de décider du séquençage de son exposé il est peu probable que des stagiaires ou des élèves, ne connaissant pas le sujet, aient l’intuition de l’ordre le plus pertinent dans lequel doit se dérouler l’enseignement.

S’il est demandé aux participants de se déterminer sur un choix d’organisation, ce ne pourra être que parmi des possibilités proposées par l’enseignant ou le formateur qui devra, lui, avoir réfléchi à plusieurs organisations possibles et pertinentes.

Il est finalement autant insatisfaisant de donner toute l’autonomie, que de n’en permettre aucune.

3.2.3 L’interaction

On peut aussi imaginer qu’au lieu d’amener les participants à s’exprimer sur le choix des objectifs (ce qui est déjà difficile) ou sur celui de l’organisation (ce qui l’est encore plus), l’animateur ou l’enseignant favorise un flux réciproque en posant régulièrement des questions sur le vécu par rapport  à ce qui est exposé, et mieux encore, en repérant les réactions non verbales des participants et en les utilisant comme support d’expression ou de partage.

Quand un écoutant marque de l’impatience, une baisse d’intérêt, un désaccord ou se dissipe en parlant avec son voisin, tout cela est une façon involontaire pour lui d’exprimer quelque chose que le pédagogue ne doit pas manquer.

Cependant il ne le relèvera, ni comme un reproche, ni comme une attaque sur ce qu’il apporte, ni comme une insuffisance de « studiosité » de la part de l’élève ou du stagiaire, mais plutôt comme l’expression de quelque chose d’important qu’il ne doit pas manquer. C’est surtout là que se situe l’interaction réciproque enseignant/enseigné. Seulement une telle interaction ne se prévoit pas à l’avance, elle se cueille au fur et à mesure du déroulement de façon tout à fait imprévue, et suppose que le pédagogue soit capable d’improvisation. Il doit savoir ouvrir des parenthèses pertinentes sans pour autant oublier de revenir dans le cadre initial. Nous évoquerons cela en détail plus loin dans le chapitre « attitudes face à un groupe ».

Si, incapable de faire cela, le « pédagogue » demande aux participants de choisir ou décider sur les objectifs et l’organisation, il ne fera que proposer un artifice. Nous risquons alors d’assister à des dérives laissant aux écoutants une sensation d’abandon. Aucune technique ne peut vraiment palier une telle insuffisance de réceptivité et de communication chez l’enseignant ou le formateur.

3.3 Faire agir (jeux de rôle)

La formation continue en est particulièrement utilisatrice, notamment avec ce qu’on apelle formation-action où l’objectif concret est approché par l’acte.

L’exposé et l’interactivité peuvent être complétés par de l’action. Le séquençage peut même être envisagé de façon à ce que les actions précèdent l’exposé proprement dit. Il y a tout de même d’abord un exposé pour présenter ce qui doit être fait, puis l’action des participants, suivie ensuite d’un exposé s’appuyant sur les résultats observés. Les jeux de rôle où les actions sont alors précisément définis dans leurs protocoles, contrairement à ce qu’on trouve dans la « pédagogie de la découverte » (la « pédagogie de la découverte » est un autre processus, que nous aborderons plus loin, et dans lequel il n’y a pratiquement pas de protocole).

Il s’agit donc ici de proposer aux participants de mettre en œuvre leur énergie et leur réflexion dans la production d’une action visant à faire goûter une expérience et non, seulement un savoir. Une chose vécue marque mieux la mémoire qu’une chose seulement vue ou entendue (aussi bien présentée soit elle). La difficulté est ici de faire en sorte que les actions proposées conduisent réellement vers une réalisation des objectifs pédagogiques initiaux. La question est de savoir « en quoi cette action produira une meilleure intégration de ce qui est transmis? ».

Nous trouverons ici des exercices, ou des jeux de rôle, dont le but est de permettre à chacun de s’investir personnellement dans un entraînement concernant ce qui a été exposé ou qui le sera. Nous trouverons des actions sur des situations réelles ou bien des actions sur des situations fictives. En effet tout ne peut pas forcément être expérimenté sur des situations réelles. Des simulations mettront alors en œuvre des situation fictives, qui permettront néanmoins des actions réelles. Ces situations fictives sont néanmoins représentatives par rapport aux objectifs pédagogiques qu’on cherche à atteindre. Ce qui caractérise le « jeu de rôle » n’est pas tant que la situation soit réelle ou fictive, mais que le projet y soit « l’entraînement ».

La difficulté est ici de choisir les situations pertinentes, même quand elles sont réelles, et encore plus quand elles sont fictives. Aucun choix de ce type ne peut être parfait. Il ne fait que faire frôler certains aspects de ce qu’on cherche à enseigner. Cela doit être en adéquation avec les objectifs posés au départ. Le pédagogue devra toujours se demander « Que cherche-t-on à transmettre ? » et ajuster les actions proposées en fonction de cela, tout en sachant que tout n’y est pas vu, tant les nuances possibles des situations réelles,  pouvant se produire, sont multiples. La nécessaire simplification initiale ne doit jamais faire perdre cela de vue. Les jeux de rôle sont néanmoins un excellent moyen de frôler certains aspects de la réalité et cela reste productif tant qu’on reste conscient que ça ne donne pas « toute la réalité ».

Le nombre de possibilités qu’un individu est capable de nuancer face à une situation est très important et il est probable qu’aucune théorisation ne peut en donner tous les aspects. Tout industriel qui a voulu remplacer un homme par une machine en a fait les frais, car une machine est incapable d’improviser. Elle est seulement capable de faire, plus précisément et plus vite, des tâches identifiées et connues, alors qu’un humain adapte, ajuste, improvise, ruse, gère l’inattendu, sur des choses qui peuvent sembler insignifiantes, mais qui font toute la différence.

1er  exemple : Vous créez un formulaire capable de recevoir et classer les informations données par un client ou un usager. Naturellement un tel recueil de données est plus facile à exploiter quand il est préparé avec un formulaire, et encore mieux quand, ensuite, ce qui a été inscrit dans ce formulaire est informatisé. Les informations à recueillir ont été ciblées avant même d’être recueillies, et cela simplifie ensuite leur classement ainsi que la possibilité de les retrouver ultérieurement. Alors qu’on croit que tout a été pensé, on reçoit comme information à mettre dans le formulaire, un numéro de téléphone à 13 chiffres (numéro à l’étranger) qu’il nous faut inscrire dans une case prévue pour des numéros à 8 chiffres (national). En inscription libre, cela ne pose pas de problème et celui qui reçoit l’information l'adapte immédiatement. Mais si le formulaire n’est pas prévu pour 13 chiffres, le numéro ne peut même pas être enregistré ! « L’outil machine » vient de donner sa limite… simplement parce que le concepteur n’a pas tout prévu. Naturellement la tentation est de croire qu’il suffit de mieux réfléchir et de tout prévoir, d’autant plus que mon exemple est simple ! Mais il est probablement impossible de tout prévoir, car la multiplicité et la complexité des situations va bien au delà du nombre de cases d’un formulaire ! L’intervention humaine joue toujours en complément pour gérer les imprévus et adapter une improvisation.

2e exemple : à un péage d’autoroute, il suffit de mettre son ticket dans la machine et de payer pour franchir le péage. Mais que fait la machine si le ticket s’envole avec le vent ou si l’usager n’a, ni monnaie ni carte bleue. Ce qui serait simple à gérer avec une présence humaine devient source de blocage avec une machine, si utile soit-elle par ailleurs quand « tout va bien ». L’humain amène une part d’improvisation, même dans des opérations simples, et sur ce point il est probable qu’aucune machine ne peut vraiment rivaliser avec lui. Ceci a été pointé par Philippe Daviezies, enseignant de médecine du travail à l'Université de Lyon I et chercheur associé au laboratoire de psychologie du travail du CNAM : 

« Il n'y a de travail qu'humain. La machine est capable d'exécution. L'homme seul travaille, et jamais comme une machine. Travailler impose de sortir de l'exécution pure et simple. Il n'y a pas de travail d'exécution. Il ne suffit jamais de faire comme on a dit. Il ne suffit pas d'appliquer les consignes. Il ne suffit pas de mobiliser l'intelligence théorique. Il faut interpréter, improviser, ruser, tricher... il faut faire appel à l'intelligence pratique, à l'intelligence de l'action. » (Extrait de Éducation permanente n°116/1993-3 page 37)

Il ressort même de ses recherches, que «  l'homme aime travailler... à condition qu'il s'agisse vraiment de travail ». Cela montre qu’aucune théorisation ne peut être vraiment exhaustive. Elle ne fait que permettre d’approcher les phénomènes qui ne seront vraiment découverts que dans l’action concrète et réelle.

L’action des jeux de rôle (si bien faits soient-ils) et la théorisation ne seront ainsi que des approches, mettant celui qui étudie sur une ligne de départ, avec un bagage qui lui permettra d’apprendre quand il sera sur le terrain… En effet, la vraie formation commence en étant confronté à la réalité du terrain, tout le reste n’est qu’initiation, dans le sens « point initial ».

Un inconvénient majeur du jeu de rôle est quand il se transforme en entraînement et tente uniquement de créer, de façon purement comportementale, de nouveaux schémas de réaction, qui reposent plus sur de nouveaux automatismes que sur une sensibilité plus affûtée. Un tel « entraînement » avec stimulus/réponses et renforcement positif (c'est-à-dire mise en valeur des bons résultats pour encourager inconsciemment à les reproduire, comme on le fait par exemple en notant, en complimentant ou en applaudissant) est plutôt indésirable. Il ne fait que réduire l’humain au rang de machine, et lui enlève sa précieuse capacité d’improvisation. Mais ayons la prudence de ne pas totalement rejeter cela, car ce peut être une étape intermédiaire utile. Le risque est seulement d’y voir la finalité et de prendre cela pour un aboutissement.

Pour remédier, au moins en partie à ces inconvénients, nous pouvons envisager les « mises en situation », que je différencierai  soigneusement des « jeux de rôle ». Le jeu de rôle est une séquence d’immersion dans une situation fabriquée (donc factice) en vue d’un entraînement visant à développer de nouveaux réflexes, alors qu’une « mise en situation » est une immersion dans une situation réelle, mais choisie et ciblée, visant à développer une sensibilité, une vigilance et une attention nouvelle.

3.4 Faire expérimenter (mises en situation)

Nous avons ici un moyen un peu incontournable pour les enseignements visant à apporter des acquisitions dans le domaine de l’humain (communication, aide, management, accueil, gestion de conflits…etc). L’idée est ici de faire goûter les « saveurs » et non simplement de connaître les recettes. Rappelez vous que « savoir » et « saveur » ont la même source, tout comme « sapiens » et « sapidité ».

A l’idée d’« exercices » ou de « jeux de rôle », nous pouvons préférer celle d’« expérimentation ». Naturellement les « exercices » et les « jeux de rôle » ont aussi leur place, mais nous entendons bien que, pour aller plus loin il faut, soit y ajouter autre chose, soit les remplacer par autre chose.

Pour mettre en œuvre une « mise en situation » nous utiliserons toujours une situation réelle, mais la notion de « situation réelle » doit être précisée. La situation «  réelle » n’est  ici pas forcément celle qu’on rencontre sur le terrain, concernant les objectifs de la formation. On est en droit de se demander alors « à quoi ça sert ? ». C’est là toute la subtilité que nous allons détailler.

3.4.1 Le préalable

Tout d’abord, l’objectif final est naturellement bien perçu par le pédagogue, qui doit aussi savoir l’indiquer aux élèves, aux étudiants ou aux stagiaires. Que ces objectifs aient été amenés par l’enseignant ou le formateur (suite à une étude préliminaire de ce qui est recherché) ou aient émergé d’une réflexion de groupe (méthode participative), ils doivent être clairs pour tous. Des rappels en cours de route seront souvent nécessaires, pour ne pas perdre l’axe et le sens de ce qui est travaillé.

D’autre part, le « savoir », le « savoir faire » et le « savoir être » à transmettre  sont ici bien identifiés par le formateur, qui a su aussi structurer l’information en lui. Il doit en avoir une perception sensible et organisée, mais aussi très souple, étant capable facilement de passer d’un élément à un autre, tout en faisant les liens entre chaque élément distinct. Bien que l’information puisse être envisagée en éléments distincts (perception analytique), une conscience des liens (perception analogique) entre les différents éléments, doit toujours être présente à la conscience du pédagogue. Il n’est pas là pour simplement juxtaposer un patchwork d’informations ou d’expériences, mais pour les relier entre elles.

Enfin il proposera une expérimentation visant à goûter une saveur particulière, qui viendra enrichir la connaissance de l’apprenant.

3.4.2 Les expérimentations

Les « expérimentations » sont des mises en situation très différentes des « jeux de rôle ». On n’y joue pas un rôle, on y est soi-même, on y est vraiment en train de faire ce qu’on y fait. Ce n’est pas une illusion, un fac-similé ou une pâle copie de la réalité. On y expérimente un élément de la réalité choisi pour sa valeur pédagogique par rapport aux objectifs fixés.

Si par exemple un stagiaire ou un étudiant en communication a pour projet de mieux intégrer ce qu’est « poser une question à un interlocuteur », l’expérimentation ne consistera pas à l’immerger dans la réalité quotidienne d’entretiens complexes, ni à l’entraîner par des situations fictives. Le pédagogue pourra plutôt lui proposer de vivre l’expérience suivante : ressentir ce qui se passe, quand il pose une question et reçoit une réponse. Pour cela, le formateur ou l’enseignant pourra choisir une question, que le stagiaire ou l’étudiant posera à un interlocuteur travaillant avec lui en binôme. Celui qui pose la question expérimentera alors le fait d’être attentif, d’abord à son interlocuteur, puis aux différents enjeux présents dans la situation qui se déroule. La situation est réelle dans la mesure où il pose réellement une question à quelqu’un, qui lui répond réellement, et produit, en retour, chez lui, certaines attitudes, aussi bien réelles. Le pédagogue accompagnera cette découverte afin que les « saveurs » ne soient pas manquées.

Ici, le vécu est réel, quand bien même la question choisie est artificielle. Ce que nous explorons là, ce n’est ni la question, ni la réponse, mais plutôt ce qui est ressenti quand tout cela se déroule… et ce qui est ressenti est vraiment ressenti. C’est là le principal outil de l’expérimentation. Il s’agira de goûter, d’éprouver et de comprendre les différentes « saveurs » de cette situation. Il s’agira d’en saisir le sens, la pertinence… il s’agira même de valider les fondements pertinents d’attitudes inefficaces (nous reviendrons sur cela dans le chapitre « valider les processus cognitifs »).

Par exemple comprendre qu’il est souhaitable de respecter les différences de points de vue est une chose. Mais constater qu’avec une question insignifiante, dont on n’a rien à faire, on est pourtant automatiquement porté à rejeter une réponse qui ne correspond pas à ce qu’on imaginait…  il y a là un champ d’exploration, extraordinaire, qui permet d’accéder aux fondements justes, de notre attitude de rejet. Il en résulte ensuite une attitude plus sensible et plus spontanée, et non le fait de remplacer un automatisme par un autre.

Il importe de bien comprendre qu’on n’y explore pas les erreurs, mais les fondements pertinents qui conduisent les façons de s’y prendre ou de ressentir. Ces fondements une fois validés, l’apprenant peut explorer d’autres pistes et développer sa sensibilité dans un sens permettant de se rapprocher de l’objectif (savoir, savoir faire et savoir être, dans le fait de poser une question).

Le jeu de rôle aurait au contraire mis l’accent sur l’entraînement et fait répéter la situation jusqu’à ce quelle soit réussie, après avoir corrigé les erreurs (mais sans en avoir validé les fondements, ni compris la pertinence). Il arrive même que de faux apprentissages par jeux de rôle, ne servent qu’à montrer qu’on est mauvais, comme c’est parfois le cas avec un mauvais usage de la vidéo (nous y reviendrons plus loin). Un peu comme si on disait à l’apprenant « maintenant qu vous savez que vous êtes mauvais, vous allez devenir meilleur ! » Dans ces cas malheureux, qui ne sont qu’une mascarade pédagogique, il arrive souvent que les participants ressortent abîmés et peinent à s’en remettre. Mais cela n’a rien à voir avec la valeur pédagogique du jeu de rôle. Ici, il est juste utilisé d’une mauvaise façon.

Revenons à l’expérimentation. Nous retiendrons que l’expérimentation met l’accent sur la sensibilité et la justesse des fondements (des succès aussi bien que des échecs) et permet à l’apprenant de positionner une base plus stable.

Naturellement, comme dans tout apprentissage, tout ne peut être expérimenté. La totalité des possibilités est trop vaste. Elle permet cependant de goûter des ressentis, de donner le goût d’y aller d’une façon différente et de le faire plus en conscience qu’en automatisme. Le renforcement positif (évoqué plus haut) ne joue pas ici sur des automatismes, mais sur la perception d’un vécu plus plaisant qui donne spontanément le goût de le renouveler, sans pour autant avoir de mépris sur ce qui a échoué.

3.5 Faire découvrir (pédagogie de la découverte)

Ni vraiment jeux de rôle, ni vraiment expérimentation, ce processus est de nature différente. Il s’agit d’y engager une action qui permettra de découvrir par soi-même ce qui est à acquérir. Cela concerne surtout les élèves qui ont un bon potentiel de créativité.

Exemple: un professeur d’arts plastiques propose aux élèves de réaliser une pomme avec les techniques de leur choix, en graphisme ou en volume. Le protocole est réduit à l’extrême. Cette indication initiale donne une totale liberté d’inventivité, de matériaux ou de moyens. Puis, après les réalisations, l’enseignant commente les œuvres des élèves par des remarques du genre « là tu as utilisé la technique de tel sculpteur, là la technique de tel peintre… ». Nous avons là les apports de connaissances qui viennent en second. Cela permet de se rendre compte qu’instinctivement des techniques connues ont été utilisées sans les connaître. Cette façon de procéder interpelle l’élève qui se sent valorisé et mémorise mieux les informations.

Dans « Le Matin onligne » du 14 janvier 2007, le journaliste remet en cause cette pédagogie et fait remarquer à Clermont Gauthier, Professeur en psychopédagogie : « Vous citez un chiffre inquiétant: 69% des élèves faibles du groupe «enseignement dirigé» ont atteint le seuil de maîtrise prévu, comparativement à 15% des élèves faibles du groupe «pédagogie de la découverte»...

NB : quand vous aurez lu le chapitre sur la gestion mentale vous constaterez que cela est surtout avantageux pour ceux qui ont un bon P4 (le terme P4 défini le paramètre de créativité et sera détaillé plus loin)

Clermont Gauthier répond : « Tous les chiffres ne sont pas si extrêmes, mais il est vrai qu'on a un problème avec cette pédagogie de la découverte »… « Trop souvent, on met les élèves en situation de découverte alors qu'ils ne possèdent pas les connaissances nécessaires pour réaliser cette découverte ».
(http://www.lematin.ch/nwmatinhome/nwmatinheadactu/actu_suisse/_l_ecole_doit_etre.html )

[Clermont Gauthier, est Titulaire de la chaire de Recherche en formation à l'enseignement, Faculté des sciences de l'éducation Université de Laval-Québec – Il est aussi Co-auteur de l'ouvrage « Échec scolaire et réforme éducative - Quand les solutions proposées deviennent la source du problème » Presses de l'Université de Laval - 2005 ].

En effet, dans l’exemple ci-dessus, si les élèves n’ont jamais rien utilisé de ces matériaux (pour d’autres usages) et s’ils ne savent pas la différence entre « graphisme », « sculpture », « dessin », « peinture »… la demande n’a que peu de sens et n’aboutira pas.

Une certaine dose d’acquis antérieurs permet de mieux accomplir ce qui est demandé et surtout de mieux discerner ce qui émerge de l’expérience. Cette pédagogie s’exerce dans une subtile zone de savoir/non-savoir, indispensable à la réalisation de l’objectif. Là encore cette liberté apparente du point initial peut n’être, hélas, qu’un moyen de masquer une incompétence pédagogique et non pas une réelle pédagogie de la découverte (d’où les remarques de Clermont Gauthier).

Si vous lisez l’article précédent que j’ai publié sur René Descartes, vous trouverez combien cet homme a fonctionné par sa propre observation, par son propre bon sens, sans se laisser inonder par les doctes influences (notamment dans « Recherche de la vérité par la lumière naturelle »). Il aimait à dire « la science des autres ne borne pas la mienne ». Il a sans doute été un champion de la pédagogie de la découverte qu’il s’est appliqué à lui-même. Mais pour ce faire, il a posé des outils initiaux (qu’il a eu l’intuition de se fabriquer lui-même) comme le doute, l’observation de ce qui est simple et facilement accessible au bon sens …etc.

Dans la pédagogie de la découverte (même si des pré-requis sont nécessaires), les apports de connaissances ne viennent qu’après l’expérience de sensibilisation par le vécu, par l’action, par la création, par l’exploration. Cette implication libre favorise le savoir être, l’autonomie, l’initiative, la motivation. Tout cela contribue à une meilleure utilisation des acquis qui en résultent.

Nous avons exploré quelques possibilités pédagogiques « faire un exposé » (méthode didactique), faire participer (méthode interactive), faire agir (méthode par les jeux de rôle), faire expérimenter (méthode par la sensibilité), faire découvrir (méthode par auto initiation)… mais en fait, la pédagogie peut-elle se réduire à des méthodes ? Il y a sans doute là une illusion. La composante humaine est si importante que, si elle n’est pas là, quelque soit la méthode, aucune ne sera efficace. Nous allons donc considérer maintenant cet aspect majeur, conduisant à des résultats, indépendamment des méthodes, celles-ci ne venant qu’en complément.

Je vous invite à considérer que ce n’est pas la dimension humaine qui complète la méthode pédagogique, mais plutôt la méthode pédagogique qui vient modestement compléter la dimension humaine. La dimension humaine est, dans la pédagogie, un fondement majeur. Aucune méthode ne peut remédier à son absence.

Les deux approches, exposées ci-après, commencent à introduire une telle notion. La composante humaine, sur le plan purement communicationnel avec un groupe, sera, elle,  abordée plus loin.

3.6 Suggestopédie (pédagogie de la douceur)

Cette méthode un peu à part vient de Bulgarie, où elle a été mise au point dans les années 70 par  le Dr Georgi Lozanov (né en 1926). Nous y trouvons un peu de notions de pédagogie de la découverte, avec quelques structurations du savoir et des apprentissages en situation de relaxation, mais on peut surtout dire en quelques mots que l’idée est d’y mettre, avant tout, beaucoup d’humain. Les résultats techniques et humains y ont été expérimentés, mesurés et comparés.

Les apprenants y sont valorisés. Ils y expérimentent des choses avant de les maîtriser et de façon toujours valorisante. Ils apprennent à se détendre et à être dans le plaisir d’étudier, sans avoir besoin d’y investir, ni trop d’efforts, ni trop de temps. Les points forts y sont « plaisir et absence de tension », « l’être humain pris dans sa globalité », « un lien suggestif professeur/élève ».

Des élèves de primaire y réalisent, avec plus de plaisir et de résultats, l’apprentissage des mathématiques et de la lecture. Des adultes, ne parlant pas l’anglais au départ, en acquièrent un usage courant en 25 jours (contenant 75 heures d’enseignement).

La première expérience de suggestopédie en France s’est déroulée en 1977 à la Formation Permanente de Paris III Sorbonne Nouvelle. (« La suggestopédie » Fanny Saféris Robert Laffont 1978 et1986).

Le plaisir va ici avec la « saveur » évoquée au début de l’article et le respect de l’humain qui est une composante essentielle trop souvent oubliée en pédagogie. La notion de « suggestion » pourrait y prendre une connotation péjorative, si le mot y est entendu comme un « pouvoir exercé sur l’autre ». Je crois qu’il convient plutôt de l’entendre ici dans le sens de « suggérer » avec délicatesse, sans imposer. Il est étonnant que « suggérer » puisse signifier aussi bien « imposer habilement par manipulation » ou « proposer délicatement sans imposer ». C’est le deuxième sens que nous retiendrons pour la suggestopédie.

Je ne vais pas développer ci-après ce qui se fait en suggestopédie, mais plus simplement ce qui concerne l’humain quand un formateur ou un enseignant est face à un groupe. Je vous proposerai les éléments de communication permettant de favoriser la transmission d’un « savoir », d’un « savoir faire », d’un « savoir être ».

Mais avant cela, je souhaiterais vous parler d’une autre approche basée sur le « goût » et le « plaisir d’apprendre » : la « gestion mentale ». Le mot en est un peu dur, mais la considération y est profonde et la recherche particulièrement sensible et originale.

3.7 Gestion mentale (pédagogie de l’accompagnement)

Ces données pédagogiques ont été découvertes et développées par Antoine de La Garanderie, philosophe et pédagogue français, né en 1920. Son approche est caractérisée (entre autre) par le fait que l’élève doit prendre plaisir à l’étude. Il se désolerait, par exemple, que « donner une leçon » puisse être identifié à « punir ». Il estime qu’un élève doit goûter le plaisir d’apprendre et y trouver sa motivation. Il oppose à ce bonheur d’apprendre (c’est à dire de « goûter ») celui de n’être motivé que par le projet de recevoir la récompense gratifiante d’une note ou d’un prix ou, pire encore, par celui d’éviter une punition. Apprendre « par cœur » ferait aussi partie, pour lui, d’une désolante motivation où l’on apprend « pour faire plaisir à l’autre », mais sans éprouver de plaisir soi-même. Peut-être est-ce là l’origine de l’expression « par cœur », car on n’a pas songé à l’expression « par goût ». Ces notions de plaisir d’apprendre sont développées par exemple dans son ouvrage « Plaisir de connaître, Bonheur d’être – Une pédagogie de l’accompagnement » Chronique sociale 2004.

Antoine de La Garanderie ne se contente pas de parler du plaisir à éprouver en étudiant, mais il développe avec précision l'étude de la façon spontanée dont les élèves ou étudiants utilisent leurs ressources. Il a étudié avec soin les moyens cognitifs naturellement mis en œuvre par celui qui étudie. Il donne des nuances précises sur les notions de « visuels » et « auditifs », que trop de monde rabâchent sans discernement pour donner un air de s’y connaître ! Lui, en parle avec précision et ne se contente pas de remarquer que l’individu visuel et l’auditif n’abordent pas le monde de la même façon. Il pointe aussi que ces deux possibilités s’expriment dans quatre secteurs distincts qu’il nomme « paramètres ». Il en dénombre quatre qui sont : P1 « l’approche du concret » (les faits observables), P2 « l’approche des mots » (intellectualisation), P3 « l’approche des réflexions complexes » (théorisation), P4 « l’aptitude à prolonger par des hypothèses inédites » (créativité).

Parmi ces quatre paramètres, certains peuvent être plus développés que d’autres. Quelque soit leur développement, chacun d’entre eux fonctionnera soit avec du visuel, soit avec de l’auditif, soit avec un peu des deux.

Par exemple les mots  (paramètre P2) peuvent être approchés par les sons (auditifs, image mentale sonore) ou par l’image (voir le mot écrit en image mentale visuelle). Chez certaines personnes, ce paramètre P2 (mots) peut cependant n’être quasiment pas développé, ni en visuel, ni en auditif. Une telle personne, lisant alors un mot, peut avoir plutôt pris l’habitude de « voir l’objet désigné par le mot » (car les faits observables du P1 sont, chez lui, plus développés que la perception sémantique P2). Quand il lit « chien », s’il est visuel P1, il « voit un chien », s’il est auditif P1, il « entend une histoire où il y a un chien », mais ne voit, ni n’entend vraiment, le mot « chien ». Cela lui donnera, entre autre, des difficultés en orthographe (dans le cas de P2 visuel insuffisant, car il ne voit pas les mots mentalement) mais aussi dans le maniement des mots et des phrases (dans le cas de P2 auditif insuffisant, car il n’entend pas les mots mentalement).

Pour arriver néanmoins à « imprimer » l’information, dans le but de pouvoir l’évoquer ultérieurement, certains aurons ainsi besoin de « prononcer » le mot en le lisant (ou en l’entendant), favorisant par cette « doublure », une évocation mentale présente, avec sa propre verbalisation. Dans ce cas on ne parlera plus d’ « auditif », mais de « verbal » : il n’imprime pas le son venant d’un autre, mais son propre son à lui. Cela lui apporte un service, mais est plus coûteux en énergie…etc.

Notons qu’en gestion mentale, la notion d’ « évocation » ne concerne pas que le passé mémorisé. Justement ! « Evoquer » concerne le fait de faire surgir à la conscience une représentation mentale (qu’elle soit auditive, visuelle, kinesthésique ou autre). Cela concerne particulièrement le présent, car on peut très bien être face à une scène, soit sans en avoir d’évocation, soit en ayant une évocation plutôt visuelle, ou plutôt auditive, ou plutôt kinesthésique…. La qualité de l’évocation ultérieure (qui sera alors un souvenir) dépendra de la qualité de l’évocation au moment où, dans le présent, elle s’est faite. Il sera par exemple difficile d’évoquer plus tard visuellement, quelque chose qui a été évoqué autrefois auditivement, au moment de l’événement… et encore plus difficile d’évoquer, ultérieurement, quelque chose qui n’a pas été évoqué du tout, quand ça c’est produit.

D’autre part, selon Antoine de la Garanderie, au moment de cette évocation dans le présent, le projet est important. Il appelle cela « le projet de sens ». L’évocation ultérieure sera utilisable en fonction de ce « but » impulsé lors de cette première évocation. Si le projet était de « savoir par cœur », ce contenu de mémoire sera difficilement utilisable pour autre chose et il ne permettra pas de construire un raisonnement ou de faire un exercice. Si le but était de comprendre ou de faire des exercices, il permettra de réaliser cela, mais ne permettra pas d’aller au delà et de réussir à innover, créer ou imaginer. Ainsi, un élève peut savoir sa leçon par coeur et ne pas savoir la mettre en œuvre dans un exercice ou même ne pas savoir en restituer l’explication. Selon la « gestion mentale », cela est ici lié au « projet de sens », au « but », qui était présent au départ.

Je ne développerai pas davantage cette approche. Je renvoie simplement le lecteur, qui souhaiterait en savoir plus, à l’ouvrage d’Antoine de La Garanderie « Les profils pédagogiques – discerner les aptitudes scolaires » (Bayard 2005). Il y met notre attention sur le fait que ce ne sont pas les aptitudes (ou inaptitudes) innées des individus, qui génèrent les habitudes évocatives (visuelles ou auditives) et leur usage dans les 4 paramètres, mais plutôt une acquisition initiale de ces habitudes évocatives qui déterminent les aptitudes qui viennent, elles, en second. C’est ce qui fait qu’on peut y apporter une amélioration.

Pour ce qui est de la « mémoire » et du rôle du « projet de sens » vous trouverez des éléments dans son ouvrage « Comprendre les chemins de la connaissance – Une pédagogie du sens » (Chronique sociale 2002). Cet ouvrage, quoi que riche de concepts très intéressants,  est cependant, à mon goût, bien moins fluide que le précédent, de par le langage plus philosophique qui y est utilisé. Ceux qui ont l’habitude de lire les philosophes n’y seront pas dépaysés. Pour les autres, ce sera probablement plus ardu.

Ce que je retiendrai surtout de cette approche, et qui nous est particulièrement utile dans le cadre de cet article, c’est que celui qui étudie doit plus éprouver de plaisir que de peine dans son étude. D’une part, il doit davantage se réjouir du bonheur de connaître, que de celui des honneurs ou d’évitement des punitions. D’autre part il n’y sera jamais critiqué dans sa façon de s’y prendre, mais sera invité à se rencontrer lui-même dans ses mécanismes cognitifs personnels et recevra les moyens de les perfectionner

Ici, le pédagogue met plus l’accent sur « celui qui apprend » et sur « le moyen d’apprendre », que sur « ce qui doit être appris » (sans pour autant le négliger).

Vous avez sans doute remarqué que la coutume est toute autre : l’enseignant met souvent plus l’accent sur ce qui doit être appris que sur celui qui apprend. Il en va de même en médecine, où le soignant pense souvent plus à la maladie et au soin qu’au patient. En médecine, si on a besoin (évidemment !) que le praticien connaisse la maladie pour savoir soigner, il ne doit pas pour autant oublier le patient dont il s’occupe (surtout quand on connaît l’importance du psychosomatique). En pédagogie, l’enseignant ou le formateur doit aussi connaître le sujet qu’il enseigne (évidemment !), mais ne doit pas pour autant oublier l’individu.

L’habitude la plus répandue est, hélas, de se tourner plus vers les choses que vers les êtres et c’est sans doute là le point majeur à repérer. C’est un peu vers quoi tend la psychologie existentielle (Rogers, Rollo May, Jaspers, Biswanger…) qui met « l’individu », « l’être au monde », « le Soi » (Jung), au centre de son approche. Cela vient en contradiction avec ceux qui mettent la psychopathologie avant leur patient et ne font que des assemblages théoriques, des sortes de grilles qui enferment ceux qu’ils pensent pourtant sincèrement libérer.

Qu’il s’agisse de psychologie, de médecine ou de pédagogie, le seul problème est l’excès ou l’enfermement où se mettent certains praticiens. En fait, tous les champs de recherche sont intéressants, tant qu’on reste libre de tout sectarisme. Ce fut le cas par exemple de René Descartes qui était particulièrement dans cette ouverture d’esprit et cette sensibilité. Contrairement aux idées reçues, il n’était pas du tout étroit d’esprit, bien au contraire (voire ma Publication de novembre 2006) Il avait un P4 (créativité osant des remarques inédites) très développé, venant assouplir un P1 aussi très fort (observation de la réalité). Mais on n’en a retenu que l’aspect P1 (observateur des faits) en omettant que sa créativité et sa sensibilité étaient bien plus importantes.

Concernant la mémorisation, les observations d’Antoine de la Garanderie sont aussi intéressantes : il s’agit, selon lui, que l’attention permette d’évoquer dans le présent une représentation mentale de ce qui sera à retenir, puis d’imaginer cette évocation dans le contexte où nous devrons la retrouver. La fixer ainsi dans un avenir imaginé permettra mieux de rendre présente cette information, quand ses sources actuelles ne seront plus là (c’est au fond un peu le principe des ancrages mentionnés en PNL).

Nous avons évoqué l’idée d’andragogie (pédagogie destinée aux adultes) et nous pourrions poursuivre plus loin avec celle destinée aux sujets âgés qu’on pourrait nommer Géragogie. Les sujets âgés gardent bien plus de compétences qu’il n’y paraît (lire Psychogérontologie de Erlijn Mateev-Dirkx et Jacques Richard – Masson 2004). Au-delà des problèmes de mémoire à court terme liés à la neurologie, peut être avons-nous, dans ce principe de projection dans l’avenir nécessaire à la mémorisation de ce qui est actuel, une des raisons pour laquelle la mémoire diminue avec le grand âge : la personne très âgée a de moins en moins envie de regarder l’avenir, qu’elle associe à la fin de vie, et est donc de moins en moins en situation de mémoriser ce qui est actuel… car elle ne le projette plus dans un avenir qu’elle ne regarde plus. Je me souviens d’une femme atteinte de maladie d’Alzheimer me disant « Je vis au jour le jour… après, ça fout les jetons ! »

Quelques soient les domaines abordés et les publics envisagés, toutes les techniques pédagogiques sont intéressantes… tant que l’individu compte plus que la chose étudiée. Il ne s’agit pas de rejeter des techniques et d’en promouvoir d’autres, mais de rechercher l’assemblage qui convient au pédagogue et à l’élève, l’étudiant ou le stagiaire, pourvu que celui-ci reste plus considéré que ce qu’il apprend, et qu’il y vive quelque chose de plaisant... quelque chose de « goûteux ».  

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4 Les êtres plus que les choses

4.1 La technique ne fait pas tout

Même si l’exposé n’avait rien d’exhaustif, nous venons de voir que de nombreuses approches existent. La pédagogie ne peut cependant se résumer à des techniques, aussi sophistiquées et justes soient-elles. La composante de l’humain, particulièrement évoquée en suggestopédie et en gestion mentale, doit y rester dominante, car si celui à qui on enseigne à moins d’importance à nos yeux que ce qu’on lui enseigne, il y a un problème.

Reprenant les éléments que j’ai si souvent évoqués sur ce site, l’individu doit, normalement, rester plus important que les choses. C’est le principe de la « communication », où les individus comptent plus que le propos, contrairement à la « relation » où le propos compte plus que les interlocuteurs (publication de septembre 2001 sur l’assertivité). Or, le savoir, aussi noble soit-il, reste une chose, et celui à qui on l’enseigne reste quelqu’un. Il importe que ce « quelqu’un » compte toujours plus que le « quelque chose ».

Quand un individu doit se soumettre au nom d’un savoir, cela s’appelle une « idéologie ».  Antoine de La Garanderie nous interpelle avec humour « Dans nos sociétés d’aujourd’hui le sorcier du village n’est autre que le diplômé » (Les profils pédagogiques, p164). Même si cela est bien sûr une caricature, nous noterons que quand la chose enseignée compte plus que l’individu, cela comporte  de bien grands risques d’aliénation. J’emploie ici le mot « aliénation » dans le sens de Philippe Pinel (psychiatre du XVIIIe siècle, 1745-1826), c'est-à-dire dans le sens de « devenir étranger à soi-même »… Cela n’est pas un signe de folie, mais juste celui d’une distance d’avec soi-même, qui est réversible ou même tout simplement évitable.

4.2 Eduquer, enseigner ou instruire ?

Nous remarquerons que l’éducation nationale se nomme justement « éducation nationale », et non « enseignement national », c'est-à-dire qu’elle devrait prendre en compte l’éducation et pas seulement le savoir. Son but ne pourrait donc être de conduire à s’éloigner de soi, mais plutôt à se trouver. Naturellement, il ne s’agit pas ici d’imaginer une quelconque ingérence morale (nous serions aussi dans l’idéologie), mais plutôt une sensibilisation à ce qu’est la vie, à ce qu’on est soi-même et à ce que sont les autres. Nous serions alors dans une découverte de l’humain qui viendrait au centre des processus d’éducation, d’enseignement ou de formation. Il ne s’agirait aucunement de venir en opposition de l’éducation parentale, ou de la culture personnelle, mais de lui permettre de trouver sa place et de disposer des prolongements nécessaires à l’épanouissement de chacun… sans oublier que chacun est différent.

Il est curieux cependant que nous parlions « d’enseignement public, ou privé » d’un côté, mais « d’éducation nationale », de l’autre. Peut être cela est-il dû au fait que le mot « éduquer » comporte, finalement, des ambiguïtés : il vient du latin educare « élever et instruire », mais aussi de ducere « tirer à soi », d’où « conduire, mener » (Le Robert – Dictionnaire historique de la langue française). Nous remarquons que l’idée de « tirer à soi » est très différente de celle de « s’ouvrir à l’autre » et procède plus de l’attitude d’un « gourou » que de celle de quelqu’un qui se préoccupe d’autrui. Cela correspond plus à tenter de convaincre d’une vérité que d’amener à la réflexion. Cela risque de développer des esprits sectaires.

Je ne veux bien sûr pas dire que c’est ce que fait l’éducation nationale, mais seulement faire remarquer que le mot « éduquer » comporte cette ambiguïté. Au début du siècle, un centre s’occupant d’enfants abandonnés s’appelait « centre d’élevage »… sans doute à cause du fait qu’on y « élevait les enfants »… mais quelle abominable terminologie. En allant plus loin on pourrait alors dire que les parents seraient des « éleveurs » pendant que les enseignants seraient des « instructeurs »… et l’humain dans tout ça ?

Les mots ne sont pas anodins. Ils sont apparus pour désigner des choses qui avaient cours. Il est vrai qu’on a longtemps considéré les enfants comme devant être « dressés », car on estimait qu’ils portaient naturellement, en eux, de mauvaises natures à combattre. L’humanité s’humanise… mais porte les stigmates de ses balbutiements, dont les mots sont un peu comme des traces archéologiques… parfois hélas encore trop vivantes ! (voir ma publication de juin 2003 « apaiser violence et conflits) .

Le mot « enseigner » a  lui une source plus heureuse : il vient du latin insignire « faire connaître par un signe ». Le pédagogue est ainsi invité à sensibiliser son élève aux signes (aux manifestations signifiantes) conduisant à la connaissance. Le mot « Instruire » est intéressant également. Il vient du latin instruere « assembler ». Ce mot latin est formé de in « désignant un mouvement vers l’intérieur ou une position intérieure » et de struere « assembler par couches, arranger, bâtir, dresser (dans le sens de ériger) ». Nous trouvons clairement le sens de struere dans le mot « construire ». Le mot « instruire » indique, lui, qu’on bâtit un assemblage à l’intérieur de l’être. Pourtant, l’idée d’assemblage d’éléments pareils à des pierres, briques ou parpaings, n’est pas non plus tout à fait satisfaisante pour évoquer ce qui se passe au plus profond de l’individu.

Nous lui préfèrerons l’idée de développement du Soi (individuation de Jung) et surtout le fait qu’un individu soit constitué psychiquement de tous ceux qu’il a été depuis qu’il existe (voir la publication de novembre 2005  « ça, moi, surmoi et Soi » à "SOI"  Un tout en devenir & Constitution de la psyché ou le document publié en  2000 dans la section « Découverte » à « Psychothérapie : structure psychique et structure corporelle »

Allant aussi un peu dans ce sens de « construire », nous avons aussi le mot « Instituteur », qui vient de instituere « mettre sur pied ».

De même que les psychanalystes parlent beaucoup de « l’objectal » au point de dire que celui qui regarde est un « sujet » et celui qu’il regarde est un « objet » (voir mes publications de mars 2005 « libido, amour et autres flux » et de novembre 2005 « le ça, le loi, le surmoi et le soi »), de même que nombre de soignants et médecins considèrent plus la pathologie que l’individu (voir mes différentes publications sur anorexie, alcoolisme, dépression, suicide, fin de vie… etc.), de même que ceux qui parlent de communication parlent plus de l’information que des interlocuteurs (voir ma publication de septembre 2001 sur l’assertivité), l’enseignant considère plus le savoir qu’il transmet que l’étudiant à qui il le propose. 

C’est à cela qu’il convient surtout de remédier.

4.3 La considération

Quelques soient les domaines, la problématique revient toujours à la même faille : quelle considération est accordée à l’individu lui-même ? La maîtrise des choses (par exemple celle des soins pour la médecine ou celle des savoirs pour les enseignants) est, bien sûr, nécessaire ! Mais là, heureusement, on n’oublie que rarement de s’en préoccuper. Par contre l’attention accordée aux destinataires de tout cela est souvent d’une pauvreté affligeante. Comme si nos organes sensoriels étaient mieux équipés pour percevoir les choses que les êtres. Jung aurait pu nous dire ici que le moi s’occupe des choses et le Soi s’occupe des êtres... et que le moi est souvent plus développé que le Soi. Mais cette subtilité est délicate, un peu comme si trop de « doctes savants » avaient perdu le simple « bon sens », ainsi que se plait à nous le faire souvent remarquer René Descartes (voir ma publication de novembre 2006 « René Descartes »). La considération et le respect sont au cœur de tout ce qui touche l’humain.

On pourrait même dire que ça ne touche pas que le côté humaniste, mais aussi la préoccupation que nous avons de faire en sorte d’obtenir de meilleurs résultats, de meilleures productions, de plus grandes performances. L’habitude est trop souvent d’opposer « humanisme » d’un côté, d’avec « performance » et « résultats » de l’autre… comme si le premier mettait le second en péril ! Pour être précis, nous pourrions simplement souligner que nous avons toujours les producteurs avant la production et que sans producteurs… pas de production. C’est donc celui qui produit qui doit retenir toute notre attention et toute notre considération si nous voulons un résultat. Cette opposition producteur (qui est quelqu’un)/ production (qui est quelque chose), n’est qu’une croyance erronée dont souffrent aussi beaucoup de cadres et directeurs (voir ma publication de janvier 2001 « La bonne distance dans le management »). Le respect et la considération sont donc aussi au cœur de l’efficacité pédagogique, pas seulement en terme d’humanisme, mais aussi en terme de résultats. L’individu étant la source, il doit être « bichonné ».

Souvent, l’enseignant aimerait aussi recevoir un tel respect de la part de l’élève, et il saura facilement lui faire remarquer s’il en manque. Cependant, à quoi bon parler de respect à un élève, si celui qui lui en demande ne lui en donne pas ? (des annotations comme « peut mieux faire », « ne fait pas d’effort », « proche du néant » sont de désolantes remarques ne faisant qu’achever le processus de démotivation). Comment se fait-il qu’un élève venant d’avoir son bac me dise « je n’ai jamais compris pourquoi, quand on ne sait pas, on est puni au lieu d’être aidé. Ça été un calvaire… du CP jusqu’au Bac ! C’est enfin fini ! ».

Les enseignants ne sont certainement pas à condamner pour cela, et leur métier est plus que méritant. Ils font pour le mieux avec les éléments qu’on leur a donnés… Pourtant, s’ils ne bénéficient pas de quelques talents naturels, cela s’avère vite insuffisant. Leur métier devient alors aussi pour eux une épreuve. Je me souviens de ce professeur d’histoire arrivant en fin de carrière me disant lors d’une réunion parents/professeurs « Je vais arriver à la retraite et je crois que je n’ai jamais réussi à motiver mes élèves dans cette matière ». Je mesurais vraiment ici, la détresse dont il me faisait part.

Il suffirait sans doute de peu. Une nouvelle considération envers les individus serait probablement plus suivie d’effets, qu’un remaniement des programmes. Le problème n’est pas tant dans les programmes (même si ça compte aussi) que dans l’humain. Il ne s’agit pas de « tirer l’autre à soi » mais plutôt « d’aller vers lui » et de s’y ouvrir pour l’accompagner vers un bonheur d’être et d’apprendre… pour lui donner le goût, pour lui faire expérimenter la saveur.  

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5 Être proche de la vie

5.1 L’interactivité

De tout évidence, l’interactivité ne se résume pas à la participation aux objectifs ou aux méthodes. Elle doit, avant tout, s’exprimer avec  la vie qui est mise dans l’enseignement. Si l’idée d’interactivité se résumait à des considérations techniques, elle n’aurait que peu d’intérêt. L’interactivité consiste surtout en une réelle communication entre le pédagogue et celui ou ceux qu’il accompagne.

Celui qui reçoit un enseignement dispose déjà d’une expérience de vie et doit pouvoir intervenir pour guider celui qui lui enseigne (surtout en formation d’adultes, mais aussi quand on enseigne à des jeunes ou des enfants). Le pédagogue, pour être performant, se devra de rester modeste et d’accepter d’être, lui aussi enseigné…  enseigné par ses élèves, ses étudiants ou ses stagiaires, concernant le meilleur chemin à emprunter.

Naturellement le pédagogue a déjà un savoir. Il sait où il veut arriver. Il dispose même de pas mal d’astuces pour y parvenir. Il ne pourra cependant se perfectionner qu’en acceptant que ceux, à qui il délivre ce savoir, lui enseignent les nouveautés, qui lui permettront de progresser dans sa compétence pédagogique (parfois même dans la maîtrise du savoir qu’il enseigne).

L’interactivité ne consiste pas seulement non plus à ce que le pédagogue pose des questions, mais plutôt à ce qu’il soit attentif aux réponses... et même à ce qui n’est pas dit verbalement, à ce qui est juste manifesté par une attitude. Il doit être attentif à ceux qui suivent son cours ou sa formation et s’ajuster aux réactions qu’il constate.

Il est comme un conducteur sur une route : il sait où il va, mais ne conduira bien qu’en regardant la route en permanence et en s’y ajustant constamment. C’est cet ajustement permanent qui fait la compétence du conducteur, car un conducteur qui conduirait les yeux fermés sous prétexte qu’il sait où il va et qu’il connaît la route… serait évidemment très dangereux !

5.2 De la vie aussi dans l’exposé

Nous avons vu, au début de cet article, que l’exposé, quand c’est le moyen choisi,  doit être structuré pour être clair. L’information doit y être fractionnée en éléments, ensuite regroupés en familles et se dérouler selon un séquençage judicieux. Nous avons vu qu’il n’est pourtant pas si aisé de mettre en œuvre un déroulement idéal et qu’il s’agit toujours d’un assemblage d’informations avec d’incontournables allers/retours. Cela ne peut se réaliser de façon satisfaisante qu’avec une permanente souplesse.

D’autre part, celui qui enseigne doit être animé par ce qu’il expose, et aussi… lui donner une âme. « Animer » vient du latin animare, dérivé de anima « souffle vital (âme) et « animateur » du bas latin animator « créateur, qui donne la vie »… ce n’est pas rien ! Pour être plus simple, nous dirons que celui qui enseigne doit juste avoir du bonheur à partager ce savoir. Cela doit se voir, doit se sentir. Celui qui reçoit l’enseignement ne reçoit pas que des données techniques, mais aussi la vie, que celui qui les enseigne va y mettre.  À cela il peut cependant y avoir une dérive : si l’enseignant est surtout passionné il peut finir par ne faire plaisir qu’à lui-même, et ne plus voir ses interlocuteurs, qu’il ne fait que submerger sans s’en rendre compte ! Avoir du bonheur à partager est une chose, être passionné et ne voir que sa passion en est une autre.

La maîtrise des connaissances transmises est évidemment incontournable, mais ne représente, de toute façon, qu’une infime partie de ce qui fera la pédagogie. Le même programme peut être passionnant avec l’un est soporifique avec l’autre. Cela ne tient pas qu’au contenu, ni qu’à la structure qu’on lui a donné, mais à la vie que saura y mettre l’enseignant ou le formateur. Pour y parvenir, il utilisera aussi, entre autre, de nombreux exemples.

5.3 Le rôle des exemples

Une théorie sans exemples est une information fossile. Elle donnera à celui qui la recevra un savoir,  qui ne sera qu’une illusion de connaissance… La plupart du temps l’attention des enseignés diminuera alors rapidement (les fameuses 45mn) ! Et même quand cette attention reste présente, les acquis resteront loin des réalités. Il est alors peu probable qu’il en résulte un savoir utilisable. Dans le meilleur des cas, il s’agira d’une érudition intellectualisée, mais pas d’une connaissance vraiment intégrée.

L’art du pédagogue est, soit d’apporter des exemples pour illustrer son propos, soit d’utiliser ceux fournis par les élèves, les étudiants ou les stagiaires, soit de se servir d’une situation présente comme modèle, quand le thème étudié s’y prête… soit d’établir des analogies ou des caricatures.

Un exemple montre une situation dans laquelle le propos est illustré. Ces situations peuvent être une situation réelle rapportée ou bien une situation fictive, mais exprimant la réalité qu’on veut faire connaître.

Par exemple, dans le domaine de la communication pour bien montrer la différence entre « l’objet information » et « la communication », un exemple fictif peut être donné : « Imaginons deux personnes qui s’insultent. Avons-nous envie de dire qu’elles communiquent ? ». La réponse naturelle est « non », alors que nous constatons pourtant qu’elles échangent des informations (si la réponse était « oui », ce ne serait pas grave, nous aurions juste à examiner ce qui nous porte à estimer qu’elles communiquent). Quand la réponse est « non », cela nous conduit spontanément à remarquer qu’il ne suffit pas qu’il y ait de l’information pour que nous parlions de « communication ». Quand la réponse est « oui », cela nous conduit à préciser ce dont nous parlons et à choisir comment différencier les cas d’informations accueillies et les cas d’informations imposées (voir publication sur l’assertivité)

Si dans le groupe, un échange entre deux participants est un tel exemple de non communication, il peut être utilisé directement en illustration. Cependant, le pédagogue prendra soin, dans ce cas, de respecter chacun et de ne mettre personne à mal. On peut aussi rapporter des situations qu’on a réellement rencontrées (et qui amènent chacun à repenser à ses propres exemples)…etc.

Nous avons aussi le cas particulier des caricatures ou des analogies : pour illustrer  la situation où « le pédagogue ne s’appuie que sur son savoir et sa technicité, et n’est pas attentionné envers ceux à qui il enseigne », j’ai utilisé, ci-dessus, l’analogie suivante (qui est aussi une caricature) : « un conducteur qui conduirait les yeux fermés sous prétexte qu’il sait où il va et qu’il connaît la route… serait évidemment très dangereux ! » Cela permet de comprendre immédiatement qu’il est préférable de s’ajuster en permanence. On y remarque en plus que le conducteur ne fait pas d’efforts considérables pour cela.

Naturellement, les exemples, inventés ou réels, les analogies, les caricatures, les schémas, ou toute autre illustration, comportent une limite : ils ne reflètent jamais toutes les possibilités et peuvent donner, de façon erronée, la sensation d’avoir englobé « tout ». Le pédagogue aura donc toujours soin de ne pas fermer l’émergence de possibilités nouvelles, que le regard neuf de l’élève peut faire surgir. En ce qui me concerne, par exemple, c’est grâce à l’interpellation d’un stagiaire, il y a plus de 15 ans, que j’ai pu préciser la différence entre « communication » et « relation ». Cette notion très importante m’a ensuite permis d’exprimer, avec plus de clarté, de nombreuses nuances concernant les rapports humains, que je n’avais nulle part trouvées explicitement décrites.

5.4 Faire expérimenter, faire goûter

Aussi clair que soit l’exposé, aussi vivante que soit l’interaction, aussi justes que soient les exemples, ils ne remplaceront pas le fait de faire expérimenter.

Expérimenter, c’est se mettre à l’ouvrage, c’est passer de « penser » à « goûter ». Même si, comme nous l’avons vu au début de cet article, « sapiens » et « sapidité » ont la même origine, il semble que seulement « penser », ne permette pas d’accéder avec autant de précision à la réalité, que de « goûter ».

La question est ici « que se passe-t-il quand je fais ? Qu’est ce que je ressens ? Qu’est-ce que je mets en œuvre ? » Faire l’expérience, ce n’est ni un jeu de rôle, ni un entraînement, ni un exercice. C’est s’y mettre vraiment, et être attentif à ce qui se passe.

Exemple : Dans un stage sur la communication, pointer que les gens comptent plus que les choses… c’est clair. Continuer en précisant que, si on considère l’information comme une chose, l’interlocuteur devrait alors compter plus que l’information… ça va aussi (en théorie). De nombreux exemples peuvent même l’illustrer ! Mais si on fait concrètement l’expérience de recevoir une information qui ne nous convient pas trop, on s’aperçoit vite que le réflexe est le rejet, et qu’au fond, l’interlocuteur ne compte pas tant que ça… si ce n’est pour le convaincre. Ici, notre propos apparaît clairement comme prenant plus de place que notre interlocuteur. En l’expérimentant, cela laisse une trace de connaissance bien plus marquée que par une simple acquisition intellectuelle.

Il s’en suit toutes sortes de conséquences au sujet du stress et de la vulnérabilité face aux propos de nos interlocuteurs. Le fait de mieux distinguer le « quelqu’un » et le « quelque chose » conduit naturellement à apprivoiser cette situation sans entraînement.

Faire l’expérience, ce n’est pas mettre en oeuvre une performance, c’est juste « s’y mettre », et « être attentif à ce qui se passe », en étant accompagné par un pédagogue qui nous permettra de discerner des éléments habituellement invisibles, auxquels nous ne sommes généralement pas attentifs.

Naturellement, je ne dis pas qu’il ne doit pas y avoir d’entraînements. Mais l’entraînement, nous en avons l’habitude. Ce qui est inhabituel, c’est de faire l’expérience et de goûter ce qui se passe. Cela marque la mémoire sans efforts et maintient l’attention bien au-delà des 45mn.

Ensuite, et ensuite seulement, il peut y avoir de l’entraînement pour acquérir plus de dextérité. Mais il s’agit là d’une autre phase. Je prendrais donc soin de bien différencier cette notion « d’expérimenter » de celle de « trainings » ou « d’exercices » qui, s’ils ont aussi leur importance, peuvent être un leurre en l’absence d’expérimentation.

Le risque de l’exercice ou du training, sans la phase d’expérimentation, c’est de tenter de « devenir avec force ce qu’on n’est pas » (s’aliéner, devenir étranger à soi-même) et de ne pas aboutir à la performance attendue. A cela s’ajoute, dans ce cas, un déni de soi qui ne risque pas d’asseoir notre assurance ! Il ne s’agira alors que de constructions fragiles et illusoires.

L’entraînement ou l’exercice ont bien sûr une place importante dans l’acquisition de compétences. La dextérité s’acquière à ce prix. Pourtant, dans de nombreux domaines, l’entraînement, à lui seul, risque de ne générer que des automates. Si j’ai peu insisté sur l’entraînement ce n’est pas parce qu’il est sans importance, mais parce qu’on n’a jamais oublié de lui donner une place (contrairement à l’expérimentation). Encore que, même là, à l’école, je n’ai pas souvenir qu’un enseignant ait mis mon attention sur le fait que je réussirai d’autant mieux les problèmes de maths que j’en ferai beaucoup ou que je réaliserai d’autant mieux mes dissertations que j’en rédigerai souvent… il n’était question que de faire les exercices ou les devoirs…. La notion de « devoir » est bien éloignée de celle de « faire avec délice ! » Il n’y avait, ni le goût, ni l’entraînement…. mais seulement une sorte de pénibilité de l’exécution. Il est finalement méritant pour l’élève d’y parvenir malgré tout !

5.5 Contraste Nouveau/Ancien

Les contrastes maintiennent l’intérêt. Pour susciter une motivation, il doit y avoir un écart signifiant entre ce qui est déjà su et ce qui est enseigné. Mais en même temps, malgré l’aspect innovant, ce savoir doit pouvoir se raccrocher à ce qui est déjà connu. L’entreprise est délicate : Il s’agit de montrer quelque chose qui donne une sensation de nouveauté, mais qui se relie à ce qui est ancien.

Notre attention est naturellement attirée vers ce qui est « inconnu » ou surprenant. Mais nous ne sommes cependant capables de percevoir, que ce qui trouve un écho avec ce qui est déjà connu. Nous ne percevons que ce que notre conscience est capable de « relier » à des expériences antérieures. Au niveau purement des sens, un aveugle de naissance, à qui on permet de voir grâce à une intervention chirurgicale (quand son cas le permet)… ne comprend pas ce qu’il voit. Il devra s’éduquer à relier sa perception visuelle nouvelle, avec ses autres perceptions sensorielles anciennes.

En réalité, nous ne voyons que ce que, d’une certaine façon nous « reconnaissons », où plus exactement, que ce que nous sommes capables de relier à des perceptions antérieures. Peut-être est-ce pourquoi, voyant un nouveau chanteur, on entendra dire « il est un peu comme cet artiste très connu, et comme cet autre qui… » Il est difficile de l’apprécier simplement « lui », sans céder à la tentation de le comparer.

Ce besoin de relier à du connu n’empêche pas que seul ce qui est nouveau suscite de l’intérêt. Nous avons là un curieux paradoxe puisque d’autre part ce qui n’est pas nouveau sera spontanément délaissé et ne suscitera que peu d’intérêt.

Le pédagogue se devra de présenter son information avec du nouveau reconnaissable grâce à de l’ancien.

Exemple : Quand dans une formation de personnel hospitalier je souhaite mettre l’attention des soignants sur la fait qu’il s’agit de reconnaître le vécu d’un soigné pour l’apaiser, et non de le « rassurer », je leur énonce « soyez vigilant : rassurer, c’est détruire ! ». Cela provoque un peu un choc qui met leur curiosité en éveil. En effet, ils ont entendu pendant leurs études qu’il fallait « rassurer les patients ». Ils reçoivent alors une information nouvelle s’appuyant sur des choses connues, avec une apparente contradiction. Ensuite j’explicite qu’ « il s’agit de reconnaître son vécu pour qu’il se sente rassuré » alors que « rassurer » est mis en oeuvre comme un déni et c’est là le problème. Rien n’est pire que le « ne vous inquiétez pas, ça va aller » ou même que « une longue explication technique pour donner des informations rassurantes… sans jamais reconnaître ce que ressentait le patient », jusqu’à le laisser involontairement entendre qu’il était stupide de s’inquiéter.

5.6 Avantages et dangers de la vidéo

Quand il s’agit d’étudier la « réalité », l’enregistrement vidéo peut-il rendre un service pédagogique ? Il est indéniable qu’un enregistrement permet d’étudier avec précision… ce qui a été enregistré. Cependant, lors des jeux de rôle, ou lors des expérimentations (mises en situation), si nous enregistrons, nous nous devons de nous demander : qu’enregistrons nous ?

La difficulté est d’enregistrer quelqu’un, car s’il sait qu’on l’enregistre ça modifie ce qu’il fait, et cela ne reflète plus la réalité. D’autre part, si on ne lui dit pas qu’on l’enregistre, c’est déontologiquement irrespectueux. Mais même en dehors de cette problématique, nous devons aussi tenir compte du fait qu’une image décontextualisée ne reflète pas la réalité du moment où la circonstance s’est produite. Or l’enregistrement est forcément décontextualisé puisqu’on n’y trouve plus qu’une information partielle sous un angle et un cadrage choisis.

Il convient de comprendre que de tels enregistrements ne seront qu’une approximation, un peu comme une expérimentation « in vitro » (celle qu’on fait en laboratoire, par exemple dans un tube à essai). Celle-ci ne permet pas d’affirmer qu’on dispose vraiment  d’une observation de la réalité. Néanmoins, l’approche peut en être suffisante pour une approximation, qui, même si elle ne reflète pas tout à fait la réalité, permet l’observation de détails qui seraient passés inaperçus. L’outil vidéo sera ainsi particulièrement utile pour un perfectionnement (en communication, en sport, en expression artistique…), mais il sera défavorable dans un apprentissage nouveau, dans le cadre d’une initiation. Montrant  surtout les erreurs grossières et les défauts du débutant, il ne ferait alors que le décourager.

Le seul cas où la vidéo serait utile dans le cadre d’une initiation, est dans celui d’un apprenant, qui aurait tant d’ego et se sentirait tellement supérieur, qu’il n’y aurait que ce moyen pour le rapprocher de la réalité de son attitude caricaturale. Il est à préciser ici qu’il ne doit en aucun cas s’agir de casser cette personne (il  faudrait au contraire l’accompagner vers plus d’affirmation de soi), mais juste  de diminuer l’importance encombrante de son ego. Nous prendrons soin ici de différencier l’ego (paraître), de l’affirmation de soi (être) [(voir schémas « être/paraître » dans la publication de juillet 2005 « psychologie et violence dans le grand âge »].

D’autre part, dans  une expérimentation « in vivo », si un pédagogue interpelle l’apprenant au moment où il vit l’expérience, il apparaîtra plus de choses subtiles que dans l’observation d’une vidéo en différé (sauf dans le cas de perfectionnement). Une attention de l’apprenant sur ce qui se passe en lui, sur ce qu’il ressent, sur ce qui le motive ou le gène, sur ses actes psychiques, comme en gestion mentale (visuel,  auditif, en P1, P2, P3 ou P4) permettront une approche très subtile de ce qui est étudié.

Dans la plupart des formations, l’usage de la vidéo ne sera donc souhaitable qu’à petite dose et avec délicatesse. La vidéo ne devra en aucun cas venir masquer un manque de pédagogie, car elle serait alors plus nuisible qu’autre chose. De plus, enregistrer consomme du temps et exploiter l’enregistrement, encore plus.

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6 Être face à un groupe

6.1 L’être et la matière

Nous venons d’explorer quelques considérations pédagogiques qui ne doivent pas nous faire oublier un élément particulièrement important : l’être à qui on enseigne doit toujours être à nos yeux plus important que la matière enseignée. La chose étudiée ne devrait jamais être, pour le pédagogue, plus importante que le quelqu’un à qui il l’enseigne.

Cela nous conduit à énoncer maintenant les composantes relatives à la communication. Le pédagogue se devra d’être plus « communicationnel » que relationnel », dans le sens où la communication considère plus les êtres que les informations alors que la relation considère plus les propos que les individus (voir publication de septembre 2001 sur « l’assertivité »).

En effet, à quoi bon les considérations pédagogiques et la valeur des choses enseignées, si on les transmet à quelqu’un qui, à nos yeux, a à peine plus de valeur qu’une sorte de « réceptacle à savoir ». Pour que la pédagogie prenne sens, il convient évidemment que le pédagogue considère l’apprenant comme un « quelqu’un » à part entière. Cela était sous entendu dans plusieurs paragraphes précédents, mais mérite une explicitation plus précise.

Il est quasiment acquis que cette considération doit être présente dans les processus d’apprentissage (même s’il y a encore des personnes pour croire à la violence ou la brutalité en ce domaine).  Mais, même quand le pédagogue est d’accord sur le fait que cette considération doit exister envers un individu qui étudie, il est tout de même confronté concrètement à une autre dimension : il doit en générale s’exprimer face à un groupe. En effet, la pédagogie ne concerne pas que des cours particuliers ! Dans les formations, un formateur fait face à huit ou quinze personnes. Dans les classes, les enseignants sont confrontés à trente ou quarante élèves. Dans un amphithéâtre, l’enseignant universitaire aura peut être deux cents étudiants ou  plus… et un conférencier à un congrès aura le privilège d’en avoir mille ou deux milles. Ces chiffres peuvent donner le vertige à quelqu’un qui ne connaît que des échanges avec une, deux ou trois personnes. Entre quinze, quarante, cent ou mille personnes, la situation est apparemment très différente. Au minimum, de façon purement matérielle, plus le nombre est important plus il faut des outils adaptés. À partir d’une cinquantaine de personnes, le tableau de l’enseignant devient rétroprojecteur ou vidéo projecteur et surtout, il a besoin d’un micro (ou alors d’une acoustique exceptionnelle).

Nous constatons que cela change certaines données techniques, mais cela ne change pourtant pas vraiment la façon dont on est sensé considérer ses interlocuteurs. Naturellement, plus le nombre grandit, plus la considération accordée risque de diminuer… et cela peut poser un problème. Il convient donc d’abord de savoir donner cette attention à un seul, avant de savoir l’accorder à plusieurs… et de savoir l’accorder à plusieurs avant d’envisager de l’accorder à un grand nombre.

Les lignes suivantes serviront aux enseignants ou formateurs ayant rencontré quelques difficultés de communication avec leurs stagiaires, leurs élèves ou  leurs étudiants.

6.2 Considération multiple et simultanée

Le problème qui se pose quand on transmet un savoir, ou une connaissance, à un groupe, c’est justement d’en venir à considérer son interlocuteur « comme un groupe » plutôt que « comme des individus ».

Qu’il y ait dix ou mille auditeurs, chacun d’entre eux doit être considéré comme un individu à part entière. Cette considération, que je propose d’accorder à l’interlocuteur,  doit arriver à chacun, et à tous, de façon simultanée. Celui qui, au lieu de s’adresser à chacun,  s’adresse à « un groupe » s’exposera davantage à des « effets de groupe ». L’entité « groupe » à laquelle il s’adresse réagira alors  « comme un groupe ». Or un groupe a peu de pertinence de raisonnement. Seul l’individu a de la pertinence. Le groupe, lui, aura dans ses comportements des attitudes un peu basiques, parfois stupides, souvent purement pulsionnelles pour ne pas dire « animales ». Dans ma publication de juin 2003 déjà citée plus haut, « Apaiser violence et conflits » j’explique comment l’être humain peine à s’humaniser et combien le développement intellectuel n’est qu’un changement d’outil pour un être qui conserve ses attitudes de prédateur ou de proie. Il prolonge son animalité en la sophistiquant, mais son humanisation ne prendra tout son sens que quand il sortira de ce « jeu » de proies et de prédateurs, pour développer plutôt une attitude de considération et qu’il mettra plutôt son intellect au service de la considération. Ainsi, quand l’auditoire mal considéré « s’animalise », cela ne va évidemment pas trop avec la pédagogie, et transforme vite l’enseignant en dompteur ou en dresseur… Nous nous éloignons alors considérablement de la composante humaine si souvent mise en avant dans les lignes précédentes.

La question est donc de savoir comment considérer encore les individus quand il y en a beaucoup. Dans tous les cas, ils devront tous être considérés, ne serait-ce que potentiellement, et celui qui s’exprime, face à eux, s’exprimera à tous et, en même temps, à chacun.

6.3 L’espace commun

Pour vous permettre de vous représenter plus concrètement la situation, nous aborderons ici, juste les cas où le nombre d’interlocuteurs se situe entre quelques uns et une quarantaine, c'est-à-dire le nombre rencontré dans des stages ou dans des cours.

Il est bien évident qu’un enseignant ne peut regarder quarante élèves en même temps et qu’un formateur ne peut regarder une quinzaine de stagiaires en même temps. Même si le regard tient une place assez importante et si celui qui s’exprime doit pouvoir tourner son regard (offrir son attention) vers les différentes personnes présentes (successivement, par un « balayage » spontané et naturel), ce n’est pas là que se situe l’essentiel.

Face à ses interlocuteurs celui qui s’exprime est-il dans sa bulle d’où il émet son savoir ? Ou bien est-il présent dans un espace qui englobe toute l’assistance ?... un peu comme dans l’idée de counselign de C. R. Rogers, où il se placerait dans la situation où il « tient conseil » avec cette assemblée où tous les interlocuteurs sont, à ses yeux, en situation égale de valeur et de considération, au même titre que lui.

Ici la notion d’espace intervient, car c’est un peu comme si le pédagogue se situait dans un espace où il cohabite avec ses interlocuteurs. Cette cohabitation n’est évidemment pédagogiquement salutaire que si elle est généreuse et emplie de considération de la part de l’enseignant ou du formateur.

Concrètement, la manifestation de cette considération et de cette « présence dans un espace commun » se réalisera par le fait que le pédagogue considère que, même si c’est lui qui va amener un savoir, on va avancer « ensemble ». Non pas « ensemble comme un seul », mais « ensemble comme plusieurs », riches de leurs différences. L’espace est commun, on y est ensemble mais on y est plusieurs et on se garde bien de n’y faire qu’un. Se sentant ainsi considérés, les membres de l’auditoire ne se sentent pas en situation d’infériorité et n’ont pas à faire valoir leur propre valeur, puisqu’elle est implicitement reconnue en permanence.

Cette attitude préalable est extrêmement importante, mais malgré cela, le pédagogue peut rencontrer quelques réactions délicates ou virulentes de la part de ses élèves ou stagiaires. Si le positionnement décrit ci-dessus est correct, il ne le vivra finalement jamais comme une agression ou comme une difficulté, mais comme l’opportunité d’un ajustement ou d’une reconnaissance supplémentaire, permettant de mieux arriver au résultat attendu.

Une des difficultés est, par exemple, de recevoir une objection. Dans les stages, celle-ci s’exprimera souvent directement alors que dans les cours elle se manifestera plutôt de façon implicite (pas dite, mais révélée par une baisse d’attention ou une agitation). Cependant, même en classe, au « merveilleux moment » où le professeur de français dit « aujourd’hui nous allons étudier Rabelais avec un texte en vieux français », ou bien  celui de maths « nous allons aborder la théorie des ensembles »… un soupir très expressif et collectif marque bien le manque d’élan et l’opposition d’une majorité d’élèves… rien qu’à l’idée d’aborder de tels sujets. Il arrivera aussi que des élèves marquent un désaccord avec une idée, mais c’est plus rare concernant le contenu du cours. Par contre, si l’enseignant dit que pour intégrer le cours il est souhaitable de faire les cinq exercices du livre… nous retrouverons les mêmes soupirs d’opposition. La question est de savoir quoi faire de ces oppositions, qu’il s’agisse d’un stage ou d’un cours.

6.4 Les objections, valider les processus cognitifs

Le piège pour l’enseignant ou le formateur est d’essayer de motiver un public réfractaire par des explications supplémentaires. Face au manque d’adhésion de son auditoire il tentera d’ajouter des informations sensées accroître la motivation. Il ne fera généralement que saturer l’attention de ses apprenants et il s’enlisera dans d’illusoires développements, parfois en accroissant l’opposition qu’il souhaitait apaiser. Il ne sera sauvé que par la fin du cours ou de la journée de stage !

Quand bien même il sortirait vainqueur de cette joute, par des arguments magistraux… il ne ferait qu’abêtir ceux à qui il  prétendait enseigner. Il en résultera un malaise évidemment défavorable à l’apprentissage. Cette situation maladroite, je l’ai aussi expérimenté à mes dépends en tant que formateur, mais cela m’a beaucoup enseigné. Un telle situation est bien sûr rattrapable la fois suivante, mais le pédagogue aurait pu gagner du temps en s’y prenant autrement : au lieu d’ajouter  de son information à lui, il aurait pu se mettre en situation d’en recevoir des autres.

Quand la porte ne s’ouvre pas, c’est peut être qu’on ne la manœuvre pas dans le bon sens. Face à une opposition, l’enseignant ou le formateur tente ici de produire une ouverture permettant un flux de lui vers les autres (il explique plus), alors qu’il serait souhaitable qu’il produise une ouverture permettant un flux depuis les autres, vers lui (qu’il se fasse expliquer).

Dès que l’auditoire bloque, ou qu’une ou plusieurs personnes  s’opposent au pédagogue dans le cadre d’un cours ou d’un stage, il importe d’abord de manifester qu’on a vu le désaccord, ensuite de montrer qu’on le considère comme forcément légitime, enfin de se faire expliquer ce qui fonde cette légitimité. Le but ne doit jamais être de se le faire expliquer dans le projet de le démonter. Ça ne serait que pure manipulation, ou même trahison, et n’aurait rien de pédagogique. Cela reviendrait à une sorte d’endoctrinement et ne peut être acceptable. Il s’agit plutôt de s’en faire expliciter le fondement dans le but de le reconnaître… et certainement pas de l’anéantir.

Le pédagogue doit toujours considérer que son apprenant a une raison et il est sensé l’aider à l’exprimer. Cette raison sera toujours validée, car elle est un fondement pour le raisonnement. On ne peut en même temps détruire la raison de son interlocuteur et espérer ensuite qu’il nous comprenne ! L’approche cognitive peut parfois, à ce titre, s’égarer en faisant ressortir les « mauvaises raisons » pour les combattre, afin que la personne prenne conscience de son erreur. Mais en réalité, il n’y a jamais d’erreur. L’aboutissement apparemment erroné au sein du présent est toujours juste par rapport à des données initiales antérieures.

Exemple en psy : quelqu’un qui est phobique des fleurs et découvre grâce à la technique de la « découverte guidée » des cognitivistes que c’est depuis un deuil douloureux. Il ne sera pas guérit en se disant « je suis stupide de ressentir ça, car les fleurs d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce deuil d’hier ! » Il aura un bien meilleur résultat en se disant « si les fleurs me rappellent cela, je comprends mieux ce qui fonde l’émotion que je ressens quand je vois des fleurs aujourd’hui » Sa difficulté n’est en fait pas sa phobie des fleurs mais son deuil. Et sa phobie ne pourrit pas sa vie à cause du deuil, mais se manifeste dans le présent spécialement pour qu’il s’occupe de son deuil. Je ne détaillerai pas plus ici ce que j’ai abondamment développé dans ma publication d’avril 2004 « Communication thérapeutique ».

Exemple en stage : un médecin qui participait (un peu forcé par son responsable) à une de mes formations sur la communication dans un hôpital, me lance en début de stage « ils sont bien gentils de nous former à la communication ! Ils feraient mieux de nous permettre de nous rencontrer ! » Plutôt que de lui expliquer en quoi la communication avait de l’importance, je l’ai simplement invité à exprimer ce qui le conduisait à penser cela. Je lui ai simplement demandé de m’éclairer. Il m’a répondu « la communication c’est un truc pour les entreprises et les commerciaux, pas pour les soignants ! » Il laissait même entendre que pour lui « communication » était un « truc s’occupant plus d’information et de manipulation que de considération ». Je ne lui ai pas dit « Mais ce n’est pas ça du tout ! » dans un souci de détruire sa raison. Je lui ai dit « Si la communication représente cela pour vous, il est naturel que vous n’en veuillez pas ». Ce n’est qu’après cette validation de sa raison que j’ai expliqué ce qu’était la communication, ou du moins, la façon dont j’allais l’aborder (voir la publication sur l’assertivité). Au fond, cela convenait même tout à fait à son attente.

Permettre d’exprimer la raison, faire surgir le fondement cognitif de son interlocuteur doit conduire à la validation de ce fondement. Ce n’est qu’ensuite qu’une information sera ajoutée. Celle-ci ne vient pas remplacer les données de l’interlocuteur, mais s’y ajouter en les respectant.

Ce que je viens d’illustrer concerne plutôt les formations ou les stages. Qu’en est-il de l’enseignant face à ses élèves ? Ces derniers grognent par exemple quand on leur annonce qu’on va aborder les ensembles en maths, du vieux français en français, ou qu’il faudra faire cinq exercices sur la leçon.

Les élèves s’exprimeront moins directement qu’un stagiaire. Le pédagogue se devra donc ici d’être attentif au « message implicite » qu’il y a derrière le souffle ou le grognement. Certains enseignants feront comme s’ils n’avaient rien vu. D’autres, diront embarrassés « eh oui, c’est au programme ! ». D’autres encore, optant pour un ton moralisateur lanceront « n’oubliez pas que vous êtes là pour apprendre ! » ou, « il faut vous habituer au fait qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut ! ». D’autres aussi, espèreront obtenir un changement par la peur « si vous n’avez envie de rien faire, ça fera simplement des chômeurs en plus ! ». Vous constatez sans mal, qu’aucune de ces options n’est pédagogiquement satisfaisante. Il est vrai qu’il est plus facile d’en prendre conscience ici, en lisant ces lignes, que quand on est pris dans le feu de l’action, face à sa classe.

L’enseignant a pourtant bien reçu le message « grognement ». Il l’a même aussi compris au niveau de sa signification (mécontentement). Les étapes « recevoir » et « comprendre » sont bien présentes. Mais il ne l’a pas accueilli comme pouvant avoir un fondement, et il a plus pour projet de le combattre que de le reconnaître. L’étape « accueillir » de la communication fait ici défaut. C’est à cela qu’il s’agit de remédier.

Pour faire face à une telle situation, il s’agit alors plus de s’y ouvrir que de la fuir ou de la combattre. L’enseignant aurait avantage à énoncer la reconnaissance de ce qu’il vient de percevoir. Le bon moyen, pour cela, est la reformulation. La reformulation n’est en aucun cas le fait de refléter ce que dit l’autre (je marquerai là une différence d’avec Carl Rogers). La reformulation c’est de mettre en mots ce que l’autre vient d’exprimer. Or ce qu’il vient d’exprimer, n’est pas forcément ce qu’il vient de dire. Un élève à qui on demande « tu penses que tu vas t’en sortir ? » et qui répond d’un air embarrassé « oui, il n’y a pas de problème », ce n’est pas sur « oui il n’y a pas de problème » que portera la reformulation, mais sur son air embarrassé « il y a quelque chose qui te préoccupe ? »

Dans l’exemple ci-dessus, face au « grognement » des élèves, l’enseignant aurait avantage à exprimer spontanément une reformulation comme par exemple « ça ne vous convient pas ? » il le fera avec un ton affirmatif (marquant la reconnaissance) et un peu interrogatif (pour inciter à l’expression).

(voir la publication de novembre 2002 sur la reformulation)

Si les élèves confirment que ça ne leur convient pas, il leur permettra de dire en quoi ça ne leur convient pas : « Ouai, Les ensembles c’est galère ». L’enseignant n’aura plus qu’à valider « Si ça vous semble galère, je comprends que vous ne l’abordiez pas de gaîté de cœur ! Nous devrons donc y mettre une attention toute particulière ».

Pour les élèves, on ne change rien au fait qu’on abordera le sujet, mais ayant été entendus et reconnus dans leur préoccupation, cela les rend plus disponibles pour la suite.

6.5 Les fausses questions

Un formateur reçoit souvent des questions de la part de ses stagiaires. Celles-ci, même si elles sont parfois délicates, le conduiront à affiner sa présentation, à y ajuster de nouvelles nuances. Nous retrouverons aussi cela pour un enseignant, mais l’intervention spontanée des élèves y est moins fréquente. Les questions ainsi posées ne sont pas un problème mais, au contraire, elles viennent dynamiser la vie de la formation ou du cours.

Ces questions sont donc plutôt un avantage, même si elles modifient le rythme et l’organisation de ce qui était prévu. L’intervenant ou l’enseignant fera ici preuve de souplesse. Même si cela nécessite un peu d’assurance et de dextérité, ainsi qu’une bonne connaissance du thème traité, ces questions ne sont pas un problème pour le pédagogue. Le problème, ce sont surtout les « fausses questions ». Une fausse question c’est quand quelqu’un semble demander quelque chose, mais en réalité lance une opposition ou un mécontentement. L’intervenant qui ne s’en rend pas compte, tombe dedans et répond, alors qu’il ne s’agissait pas d’une demande de réponse, mais de la manifestation d’un désaccord ou d’un mal être. Dans ce cas, c’est l’enlisement assuré !

Face à une fausse question, il convient de ne pas répondre, non par souci d’évitement, mais pour traiter ce qui est vraiment exprimé. Par exemple, un stagiaire dit « mais ce que vous dites, ça concerne vraiment toutes les situations ? », avec un ton agacé. C’est ce non verbal qui signe la fausse question. Y répondre consciencieusement en énumérant les situations concernées est ici une erreur. Il convient plutôt de demander simplement à son stagiaire s’il pense à une situation qui ne lui semble pas correspondre. Le but est qu’il verbalise clairement son incertitude ou son mécontentement. Cela permettra de valider son sentiment, puis, ensuite,  de le « ramener à la raison » (c’est à dire à la sienne à lui). « Le ramener à la raison » doit être entendu ici comme « le ramener au fondement pertinent de sa remarque », afin de le valider. On pourrait dire aussi « le ramener à son fondement cognitif ». L’apaisement, qui en résulte, permet ensuite de reprendre le cours de l’exposé.

Dans une formation sur la communication, si une personne demande « vous ne craignez pas qu’avec cette façon de communiquer on ne soit pas plutôt entrain de manipuler ? », il convient de remarquer que ce n’est pas une question, mais l’expression d’une crainte. Il ne s’agit pas ici de répondre « Pas du tout, car… » …et de donner une explication. Même si l’explication est excellente et parfaitement juste elle ne correspondra pas à ce qui a été exprimé (je m’y suis, hélas, déjà laissé prendre… et c’est comme ça que j’ai appris !). La crainte exprimée doit plutôt être reformulée « Il est important pour vous qu’on ne soit surtout pas dans la manipulation ? » et après confirmation par la personne, il s’agira de l’aider à préciser ce qui lui fait craindre cela. Le fondement de cette crainte ayant été précisé il conviendra ensuite de le valider. L’explication ne vient qu’ensuite.

Dans ces différents cas, la personne qui a fait la remarque n’est ainsi pas mis à l’index par rapport aux autres participants, mais se retrouve intégrée parmi les autres personnes présentes à qui elle a même permis d’accéder à d’intéressantes précisions complémentaires.

6.6 Les écarts d’attention

Quand l’attention des élèves ou des stagiaires fléchit, le professeur ou le formateur le ressent bien, et peut se trouver embarrassé. Le piège est alors, pour lui, de chercher à relancer la motivation par un plus d’informations. Non seulement cela marche rarement, mais provoque généralement l’effet inverse. Peut-être les 45 mn d’attention ont-elles été dépassées ? C’est possible, mais nous avons vu plus haut que cette notion des 45 mn ne compte que pour les exposés à sens unique, dans le cas où l’apprenant n’a jamais la parole. Quand il ne s’agit pas d’exposé à sens unique, la raison est ailleurs. D’autre part, il arrive même que, ceux qui écoutent, décrochent au bout de quelques minutes ! (beaucoup de professeurs rencontrent une telle situation dans leur classe).

Si l’on remarque que l’auditoire n’écoute plus, s’évade, bavarde ou pense à autre chose, récupérer son attention avec des artifices sera toujours aléatoire... pour ne pas dire illusoire. On ne pense généralement pas à la solution la plus simple : puisqu’on voit qu’ils ne suivent plus, on leur dit qu’on l’a vu. Puisqu’on ne comprend pas pourquoi, on le leur demande. Ensuite, ensemble, on va voir ce qu’on va faire !  

Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Le pédagogue leur dit par exemple « Vous ne suivez plus, là ? » Le ton sera respectueux, empli de considération, plein de reconnaissance de cette réalité, totalement confiant en le fait que s’ils ne suivent plus, ils ont une bonne raison. Vous remarquerez ici que tout est dans le ton. La même phrase prononcée par l’enseignant ou le formateur avec ironie, agacement ou reproches, ira droit dans le mur. Le « ton juste » n’est pas un artifice, il ne peut être « fabriqué », il découle naturellement du fait que le pédagogue à confiance en le fait que ceux qui se dissipent ont une raison. Si ce n’est pas ce qu’il pense, il vaut mieux qu’il ne dise rien !

Une fois reconnu et confirmé le fait qu’ils ne suivent plus, le pédagogue leur manifeste sa reconnaissance pour leur réponse et poursuit (maintenant qu’il dispose de leur attention sur ce point) par une demande de précision « Qu’est-ce qui vous a fait décrocher ? ». S’ils ne savent pas répondre, il reprendra avec des questions fermées ou à choix multiples. Question fermée : « il y a autre chose qui vous préoccupe ? » ou « Il y a un point qui n’était pas clair ? » ou « c’est un thème qui ne vous convient pas ? »… Ils répondront aisément par oui ou par non. S’ils répondent « oui », c’est simple : on continue en question ouverte. Si la réponse est, par exemple, « oui on n’aime pas ce thème » le pédagogue continuera par « dans ce cas je comprends que vous ayez décroché (validation de la raison) » et poursuit aussitôt avec « Qu’est-ce qui ne vous convient pas dans ce thème ? (reprise en question ouverte) ». L’échange devra être bref pour aboutir à « Compte tenu de tout ça, comment souhaitez vous qu’on s’y prenne ? ». Des personnes reconnues, ont généralement des idées judicieuses et deviennent une ressource inestimable. D’autre part, ayant reçu de l’attention et de la considération, elles remobilisent à nouveau leur attention. S’ils ne répondent pas à la question fermée, le pédagogue pourra poursuivre par une à choix multiple : « C’est la fatigue ? C’est le thème ? Ou il y a autre chose qui vous préoccupe ? », avec le même ton de respect et de considération. C’est ce ton qui fait que cette question n’a rien d’une enquête, ni d’un acte de curiosité, mais reflète un authentique souhait de rencontre et de compréhension.

Les phrases, que je viens de proposer, ne doivent pas être prises au pied de la lettre. Elles sont une possibilité parmi d’autres. Il n’y a, bien sûr, pas de phrases clés à répéter. Ce qui est une clé, c’est 1/ reconnaître par une reformulation, 2/ faire préciser par une ou plusieurs questions, 3/ valider la raison, 4/ rechercher ensemble comment s’y prendre. Chacun y mettra ses propres mots… car rien ne vaut nos propres mots pour  nous exprimer de façon crédible. Carl Rogers dirait « de façon congruente », c'est-à-dire « de façon à ce que je montre soit en accord avec ce que je suis »

Nous remarquons que, dans ces quatre points,il ne s’agit que de la reformulation et du guidage non directif. Pour la reformulation vous en trouverez les subtiles nuances dans ma publication de novembre 2002 « Reformulation ». Pour le guidage non directif, je vous invite à lire ma publication « Communication thérapeutique » d’avril 2004 au §3 « réaliser l’aide ». Il y s’agit d’exemples avec un seul interlocuteur, mais le principe est le même... à ceci près qu’il ne faut pas ignorer les autres personnes présentes quand on s’adresse à un membre de l’assistance ou qu’il faut savoir s’adresser à tout le monde quand ce qui a été exprimé venait de tous (soupir, contestation, grognement) !

6.7 Les désaccords entre participants

Quand un apprenant est en désaccord, il se peut qu’un autre s’oppose à lui. Quand bien même celui qui s’oppose à lui va dans le sens du pédagogue, ce dernier aura avantage à ne pas utiliser cette situation à son avantage, en prenant maladroitement pour allié celui qui est de son avis. Cela reviendrait à exclure l’autre et ne peut être humainement et pédagogiquement acceptable. En bon communiquant il montrera aux deux qu’il pointe bien l’importance du point de vue de chacun et montrant qu’il souhaite entendre les deux, il veillera à ce que la raison de chacun puisse être exprimée, dans le projet d’être reconnue. Ayant validé l’empressement des deux par une reformulation chaleureuse du genre : « vous n’êtes vraiment pas d’accord ! » il donnera ensuite la parole au plus pressé des deux en faisant clairement sentir à l’autre (en non verbal) qu’il souhaite l’entendre aussi. Il jouera ainsi un rôle de médiateur, qui lui est facilité par le fait qu’il a confiance en les deux.

Cette situation est délicate, mais elle est très riche et, bien conduite, elle assure richesse et cohésion des participants dans le respect de leurs différences. Méfions nous de l’illusoire ralliement à une vérité unique qui, même si elle est de valeur, ne peut justifier qu’on s’en serve pour casser quelqu’un. La différence est une richesse, la vérité n’est que relative et les ressentis de chacun sont précieux. En écrivant ma dernière publication sur René Descartes, je faisais ressortir à quel point, dans son époque il était ouvert à la différence, sensible aux intuitions, confiant en le bon sens des gens simples, (plus que des lettrés) et attentif à ce qu’il ressent en lui. Celui qui se dit cartésien, pour affirmer qu’il ne croit que ce qu’il voit et ce qu’il mesure est bien loin de Descartes… il ne l’a pas lu et ne fait que nourrir une croyance à son sujet.

Le bon sens, la sensibilité, la confiance, l’écoute des ressentis, la valeur des différences… tout cela fait la richesse de tout enseignement quel qu’il soit. Un pédagogue, qui serait prosélyte ou fermé dans des idées ou doctrines, s’éloignerait, bien évidemment, de la pédagogie.

Le fait de gérer de telles différences de point de vue, au sein même du cours ou de la formation, est une grande richesse pour tous ceux qui y assistent.

6.8 Les attitudes conflictuelles et les violences

Nous terminerons par les violences ou conflits rencontrés dans l’enseignement. Naturellement, il y a plus de violence (au moins verbale) et d’irrespect, aujourd’hui qu’autrefois. Il y a là une grande douleur pour les enseignants qu’on n’a généralement pas préparé à gérer de telles situations. La question est même de savoir si on les a préparé à enseigner ? Je dis cela sans reproche, mais plutôt avec une grande compassion à leur égard. L’université leur a enseigné ce qu’ils devaient transmettre, mais pas vraiment comment le transmettre. Ceux qui n’en n’ont pas le don naturel, se retrouvent alors désappointés et conduisent leur carrière tant bien que mal (tant pour eux même que pour leurs élèves).

Ils sont comme le docteur en psychologie John Preston, cité en début de cet article (§2.2). Je ne résisterai pas à la tentation de citer à nouveau son propos. Malgré son doctorat, face à ses premiers patients, il était bien en peine :

« Après plusieurs années de faculté, j’ai rencontré mes premiers clients en psychothérapie. Si l’un d’eux m’avait demandé d’écrire une dissertation ou de définir un concept psychologique, je m’en serais sorti brillamment. Mais mon assurance n’allait pas plus loin…  …je me demandais en mon for intérieur : mais qu’est-ce que je dois faire maintenant ?  » (John Preston Manuel de psychothérapies intégratives brèves,p.3 -Inter Edition 2003)

Pour faire face à ces situations, il faut plus que la connaissance du savoir à délivrer. L’augmentation des violences est peut-être due au mal être social, peut-être aussi au fait que les règles ne sont plus aussi rigoureuses qu’avant, et aussi sans doute parce que les institutions (et leurs honorables membres) ne disposent plus de « l’aura » d’autrefois aux yeux des usagers…Mais, si nous y regardons de plus près, nous remarquons que la difficulté actuelle est surtout de remplacer le pouvoir par la considération. La mutation n’est pas aisée quand tout a été bâti depuis des siècles sur le pouvoir (certains en sont encore de farouches et inconscients adeptes). Cette mutation est en chemin. Beaucoup de monde y travaille. Il y a des loupés, des erreurs, des échecs… mais les bonnes volontés ne manquent pas, et c’est le lot de toute nouveauté que d’avancer ainsi avec tâtonnements et incertitudes.

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7 Retrouver le goût

Pour conclure, nous remarquerons que la pédagogie est l’art de donner le goût. L’art de relever les saveurs. Un cours ou une formation devraient être comme un bon moment dans un restaurant gastronomique où de nouvelles saveurs sont délicatement et délicieusement explorées grâce à l’art du chef.

Le pédagogue, comme le chef cuisinier, saura accommoder les ingrédients pour constituer un met savoureux. Son cours sera un moment de dégustation attendu. Nous prendrons soin, bien évidemment, de ne pas confondre les « cuisines idéologiques » avec la « gastronomie de la connaissance ».

Délivrer du savoir sans se soucier de ces délicatesses, c’est un peu comme si, sous prétexte de faire en sorte que les gens soient nourris, on leur donnait du pain et des granulés vitaminés. On aurait alors la conscience tranquille car ils auraient « tout ce qu’il leur faut » pour calmer leur faim et nourrir leur corps. Quand l’un d’entre eux râlerait… on lui dirait : « De quoi te plains-tu ? Pense à ceux qui n’ont rien à manger ! » Si une telle situation est néanmoins préférable à celle de mourir de faim… vous noterez tout de même qu’elle manque de vie, qu’elle manque d’âme, qu’elle manque de considération (elle met même insidieusement la santé en danger en croyant qu’il suffit d’additionner les ingrédients pour avoir un résultat de qualité).

Même certaines cantines remettent aujourd’hui en cause leurs pratiques insipides et commencent à s’intéresser aux saveurs, pour motiver les élèves vers un meilleur équilibre alimentaire… Au-delà des notions de plaisir, cela fait partie de leur santé physique et donne l’apprentissage d’une vie saine. Loin d’être accessoire, cela contribue grandement à la santé publique ! (n’est-ce pas là le rôle de l’éducation ?) Il n’y a plus qu’à lancer le même défi pour les cours, et favoriser ainsi la santé psychique. Il y a beaucoup de professionnels de l’enseignement ou de la formation qui ne demandent que ça, si on leur en donne les moyens (les moyens de compétence et pas seulement les ingrédients). Alors le pédagogue sera un « chef » et on ira avec plaisir goûter ses oeuvres ! L’homo sapiens deviendra ainsi un homme de goût, il relèvera la tête et se sentira plus humain que jamais, riche du savoir et de la saveur. Dans une sorte de naissance, de connaissance et de reconnaissance, il viendra au monde avec bonheur.

Le remaniement des programmes peut être nécessaire, ainsi que tout ajustement des contenus à transmettre. Cependant, il ne suffit pas de donner des ingrédients à quelqu’un pour qu’il sache réaliser les œuvres d’un chef cuisinier. Il en va de même de la pédagogie. Comme le chef compétant, un bon pédagogue saura faire beaucoup avec peu, alors qu’un autre ne fera que peu avec beaucoup. Le problème est qu’on met plus l’attention sur les contenus (qu’on n’en finit pas de remanier), que sur la façon de les transmettre. On met plus l’attention sur les ingrédients que sur la réalisation de la finalité. En étant, je l’avoue un peu excessif, je dirai que chacun sait qu’il ne suffit pas d’avoir des peintures et des pinceaux de qualité pour réaliser un tableau… et surtout pour que ce tableau soit une œuvre ! Or la pédagogie est quasiment un art qui, s’il a ses règles techniques (comme pour la peinture), ne peut résulter que d’une réelle expression de « l’artiste » qu’est sensé être le pédagogue. C’est l’humanité qu’il y met, c’est ce qu’il y met de lui-même, qui marquera la différence. C’est ce qu’il reconnaîtra d’humanité chez l’autre qui en fera la performance.

Pour conclure, nous évoquerons l'expérience de Rosenthal et Jacobson (citée dans « Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale » de Gustave-Nicolas Fischer, édité chez Dunod - 2005) concernant ce qu'on appelle l'effet Pygmalion : 20% des élèves de plusieurs classes (élèves tirés au sort) ont été présentés aux instituteurs comme ayant un potentiel intellectuel important. Les chercheurs conduisant l'expérience, généraient ainsi une attente positive chez les enseignants à propos de ces élèves.« Les premiers tests (quatre mois après le début de l'expérience) laissaient clairement apparaître un quotient intellectuel plus élevé chez les enfants qui faisaient l'objet d'une attente positive de la part des instituteurs » (p.125) On voit ainsi à quel point les élèves sont influencés par les attentes et les opinions qu'on a à leur sujet. On ne saurait donc trop recommander la considération comme moyen pédagogique majeur de la part des pédagogues envers ceux à qui ils enseignent.

Thierry TOURNEBISE

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Bibiographie

Daviezies, Philippe 
-Éducation permanente n°116/1993-3

De la Garanderie, Antoine
-Les profils pédagogiques – discerner les aptitudes scolaires  - Bayard - 2005
-Comprendre les chemins de la connaissance  - Une pédagogie du sens  - Chronique sociale - 2002

Fischer Gustave-Nicolas
Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale - Dunod - Paris 2005

Gauthier, Clermont
-Échec scolaire et réforme éducative -
Quand les solutions proposées deviennent la source du problème - Presses de l'Université de Laval - 2005

Jung, Carl Gustav
Ma vie - FOLIO, 1991  

Preston, John 
-
Manuel de psychothérapie brève intégrative  - Inter Édition  -  2003

Richard, Jacques et Mateev-Dirkx, Erlijn
Psychogérontologie
    – Masson 2004

Rogers, Carl  - Allport, Gordon  - May, Rolo 
Psychologie existentielle - EPI - Paris 1971

Safféris, Fanny
La suggestopédie  - une révolution dans l'art d'apprendre - Robert Laffont 1986 Paris

 

Dictionnaire

Le Robert Dictionnaire historique de la langue française

Presse

Le Matin onligne du 14 janvier 2007
(http://www.lematin.ch/nwmatinhome/nwmatinheadactu/actu_suisse/_l_ecole_doit_etre.html )