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Irrepressible quête d'origines

La psycho, Darwin et le big-bang

juillet 2011    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

La psychologie accorde une importance à notre vécu antérieur. L’histoire de notre famille, le vécu de chacun de nos parents ou grands-parents, jouent aussi un rôle dans notre psyché.

Toute personne ne connaissant pas ses géniteurs va, le plus souvent, un jour où l’autre se mettre à leur recherche. Avoir été entouré avec amour par des parents adoptifs aimants ne semble pouvoir remplacer la connaissance de nos origines.

Il se peut que  notre quête d’histoire de la vie, de l’histoire du monde ou même de l’univers, vienne de cet irrépressible besoin de connaître nos sources, et pas seulement d’une simple curiosité scientifique.

Tels des « adoptés » ayant perdu la trace de leur « famille originelle », nous regardons avec attention tous ces chercheurs qui tentent de découvrir d’où nous venons. Que de discours, de belles recherches et d’édifiantes découvertes ! Des personnes remarquables ont profondément réfléchit à ce sujet et ont fait avancer notre connaissance… pour toujours butter sur une sorte de limite inconnaissable.

 

Sommaire

1 « Origines » personnelles et familiales
-Premiers pas et premiers manques de Soi
-Epreuves créativité et révélation de Soi
-Le passé le présent et le futur
-Découverte des manques
-Besoin de combler, d’assoir ses fondations

2 « Origines » historiques
-L’histoire
-La préhistoire

3  « Origines » de la vie - Charles Darwin
-Un humanisme avant tout
-Une lutte pour la vie « auto-sélectionnante »
-L’émergence sociale qui renverse tout
-L’humanisation en voie de développement

4 « Origines » de l’univers
-D’où vient la matière qui constitue les corps
-Le big-bang n’est pas le début
-La quête impossible de l’origine
-Toujours plus finement

5 « Origines » quantiques en biologie
-De la relativité à la mécanique quantique
-Dans la stabilité de l’ADN
-Dans la photosynthèse
-Dans les enzymes
-Curieux rapports à l’espace et au temps

6 « Origines » dimensionnelles des perceptions
-Distances, contigüité et « uchrotopie »
-Dimensions et perceptions (Flatland)
-Vécu à l’approche de la fin de vie
-Vers une éventualité fractale

7 Les « origines »  et la psychothérapie
 -Prise en compte d’une totalité
-Accepter de ne pas tout comprendre
-Communication uchrotopique

8 Nos origines… finalement
-Seul le commencement est accessible
-L’origine, le début et le commencement

 

Bibliographie

 

 

1   « Origines » personnelles et familiales

L’origine d’un individu trouve racine dans ses vécus initiaux. Nous verrons cependant à la fin de ce texte l’ambigüité de ce mot « origine » si l’on veut avoir une précision de langage correcte. Pour le moment nous nous permettrons de l’utiliser dans son sens vague et ordinaire.

Un être trouve ses racines dans son enfance, dans la  vie de ses parents, celle des parents de ses parents… Nous verrons plus loin dans le 2e chapitre que l’histoire de l’humanité (histoire et préhistoire) concerne aussi son origine, puis dans le 3e que celle-ci vient du cheminement de la vie depuis les débuts de l’évolution … pour enfin aboutir au 4e chapitre où nous découvrirons que l’histoire de l’univers n’est pas étrangère à ses interrogations originelles (et originales). Nous aborderons au 5e chapitre la dimension quantique qui tente de nous faire aller plus loin vers la « source », puis en 6e  la notion de dimensions supplémentaires, et de subtilités de perception qui en résultent, pour ensuite introduire en 7e point le rapport que tout cela peut avoir avec la psyché des êtres ordinaires (ou extraordinaires) que nous sommes et la psychothérapie.

Pour commencer, revenons simplement vers l’individu, sa quête de Soi et sa nostalgie de l’origine

1.1Premiers pas et premiers manques de Soi

Lors de sa venue au monde, un être développe son existence grâce à ceux qui l’entourent. Le premier environnement qui nous est offert dans cette « présence au monde initial » est le sein maternel. Dans le giron de notre mère, nous est offert le premier contact. Dès la sortie de ce ventre protecteur qui permit notre développement, il y a perte de l’origine, il y a comme une sorte d’exil forcé, incontournable, généralement compensée avec bonheur par la douceur de ceux qui nous accueillent, par la rencontre délicate et chaleureuse qu’ils nous offrent*.

*Naturellement ce n’est pas toujours le cas et certaines grossesses  peuvent être des cauchemars tant pour l’enfant que pour la mère, soit pour des raisons psychologiques, soit pour des raisons sociales, soit pour des raisons de santé. Mais la plupart des maternités ne se vivent pas avec ces tensions, du moins de nos jours. Ce ne fut pas le cas à des époques ou il y avait moins de possibilités de contraception, et surtout à celle de l’après guerre où s’ajouta à cela des lois interdisant aux médecins et à quiconque de parler de contraception (car il fallait repeupler). Non seulement il n’y avait pas beaucoup de moyens, mais ceux-ci en plus devaient rester cachés pour « forcer la démographie ». A cette époque nombre de maternité non désirées devenaient des catastrophes familiales.

La solitude soudaine qui assaille l’être se retrouvant au monde dans ce premier exil (même si elle ne se vit que par moment, car un enfant qui ne voit plus ses parents un instant craint de les avoir perdu pour l’éternité), est déjà un peu comme « une perte de soi », une perte de « celui-qu’on-était-si-bien-là-bas ». Mais la présence aimante et chaleureuse de la mère et aussi du père, viennent rendre cette frustration supportable.

Quand tout se passe bien et que les parents, notamment la mère, parviennent à une telle qualité de présence, l’être que nous sommes trouve ses marques dans ce nouveau monde où il lui est proposé de vivre, d’exister.

L’aventure n’est pas pour autant forcément simple, car les parents ayant leurs soucis ne sont pas toujours disponibles, et le monde qui se révèle à l’enfant est parfois rude. Un frère ou une sœur qui arrivent, les parents qui s’énervent, les autres enfants rencontrés en dehors de la famille, les autres adultes que les parents, les institutions sociales et ceux qui s’y trouvent (crèches, puis écoles, colonies de vacances, lycées, clubs sportifs, cours de musique, de danse,… etc.) produisent beaucoup de tumultes, même s’ils apportent d’enrichissantes nouveautés.

Il se trouve dans tout cela des moments de bonheur, mais aussi des chocs minimes ou importants, conduisant à évincer de sa psyché les parts de Soi trop douloureuses qui ne peuvent être intégrées. Face à l’adversité et aux douleurs qui en résultent, l’être que nous sommes aura tendance à anesthésier les parts de Soi trop blessées pour permettre une continuation relativement sereine de l’expérience de la vie, et une rencontre possible des autres bonheurs à expérimenter.

Ces épreuves participent néanmoins à la révélation de Soi et à la création de son moi*.

*Le Soi définit qui on est, en train de se développer, de se révéler, telle une fleur en train de s’ouvrir. Le moi définit plutôt un « paraître-au-monde »  qui met en œuvre des stratégies et des astuces suffisantes pour s’en sortir, ne pas être abimé, et profiter au mieux des opportunités qui se présentent. (voir si besoin sur ce site l’article de novembre 2005 « Le ça, le moi, le surmoi et le Soi »).

1.2Epreuves, créativité et révélation de Soi

Dans cette révélation de Soi, les épreuves qui semblent des inconvénients viennent cependant doper la créativité, la capacité à être inventif. Si d’un côté les douleurs conduisent trop souvent à mettre entre parenthèses des bouts de Soi, elles permettent aussi de développer des aspects inattendus de ses potentialités et des astuces de vie innovantes.

Les parents regrettent parfois de ne pas avoir été de suffisamment « bons parents ». Freud disait que « quoi  que vous fassiez en tant que parents vous ferez mal ». Nous préfèrerons dire que « quoi que nous fassions, nous proposons à notre enfant une opportunité de développement de Soi, qui peut lui être fructueuse, même si elle ne lui est pas agréable » (ce qui ne dispense bien sûr pas le parent de faire pour le mieux !).

Nous aimerions que les épreuves « douloureuses constructrices » lui viennent des autres et que les « douceurs réconfortantes » lui viennent de nous… mais ce n’est pas toujours ainsi, et ce n’est pas forcément grave.  Naturellement la « suffisamment bonne mère » évoqué par Donald Wood Winnicott reste essentielle. Mais la notion de « suffisamment bonne mère » ne signifie en aucun cas « mère parfaite ». On pourrait en dire autant du père.

La vie se déroule ainsi jusqu’à l’étape de maturité où un être ayant acquis quelques assurances existentielles développe l’intuition de tous ces bouts de Soi évincés, qu’il va alors (inconsciemment) se mettre en quête de retrouver, comme un nécessaire retour à la source de Soi, comme une restauration de ses origines.

Cela n’est généralement pas conscient, mais se met tout de même en œuvre dans un processus que l’on peut qualifier d’individuation (devenir l’individu que l’on a à être, l’humain qui est vraiment nous, dans toute sa complétude et sa justesse).

1.3Le passé, le présent et le futur

La psyché, constituée de « celui qu’on est » et de « tous ceux qu’on a été » (plus « tous ceux dont nous sommes issus ») se trouve ainsi plus ou moins en vides ou en complétudes.

Il se peut même que nous ayons peur de devenir « celui qu’on a à être ». Notre psyché, qui se trouve déjà amputée de « bouts de Soi antérieurs », peut aussi se retrouver amputée de « bouts de Soi à venir ». Devenir « qui nous avons à être » est un phénomène particulièrement bien évoqué par Abraham Maslow soulignant que :

« Un homme doit être ce qu’il peut être. Il doit être vrai avec sa propre nature […] Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce qu’on est capable d’être » (Maslow, 2008, p.66)

Nous pouvons craindre de devenir qui nous avons à être, par exemple par peur de ne plus être appréciés si nous osons changer. Abraham Maslow a développé de nombreuses notions profondément humanistes. Il n’a jamais (contrairement à l’idée reçue) parlé de pyramide. Il a juste développé les nuances d’une « hiérarchie des besoins », dont la subtilité a échappée à beaucoup de monde, surtout concernant les besoins ontiques (besoins de l’être). Ceux qui ont choisi de l’illustrer par une pyramide ont particulièrement manqué ces subtilités*. Concernant notre quête d’humanité (besoins ontiques), Abraham Maslow remarque que :

« Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (Maslow, 2006, p. 104).

*Lire éventuellement sur ce site la publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow »

Et évoquant les besoins de l’être (notamment les besoins ontiques), il nous met en garde sur la confusion de nos décodages :  

« Il est évident que nous ne pourrons jamais comprendre totalement le besoin d’amour, aussi étendu que soit notre savoir sur le moteur de la faim » (Maslow, 2008,  p.43).

(Nous retrouvons là une précision analogue à celle de  Charles Darwin, que nous rencontrerons au chapitre 3, quand il évoque le passage de la « lutte pour la vie » initiale, à la vision anthropologique de l’homme qui change de mode en s’humanisant, pour optimiser sa survie).

Maslow ajoute de belles notes d’espoir pour celui qui sait voir :

« La démonstration qu’il peut exister et qu’il existe réellement des gens merveilleux – même s’ils sont rares et s’ils ont les pieds d’argile – suffit à nous donner le courage, l’espoir, la force de continuer à lutter, à avoir foi en nous-mêmes et dans nos propres possibilités de croissances » (2008, p34).

Poussés par notre histoire et tractés par nos projets nous avançons dans notre vie, en développant ce que nous pouvons d’humanité dans un monde où la conscience semble si essentielle, mais aussi si ténue.

1.4Découverte des manques

De nombreux signes (symptômes) révèlent les manques qui nous habitent, et une pulsion de vie nous porte à les combler (à les remplir vraiment). Faute d’y parvenir nous ne ferons que les compenser (juste masquer ces vides) avec des apaisements illusoires, mais représentant autant « d’aides à vivre » en attendant mieux.

Tous ces manques de Soi ne nous laissant pas en paix, du fait de la pulsion de vie qui nous porte à les combler vraiment, nous serons à la recherche des ces « origines de Soi nous manquant », de ces fondements absents de l’édifice de notre psyché et sans lesquels nous ne pouvons prétendre à une stabilité authentique, durable, satisfaisante et naturelle.

A ce manque de parts de Soi s’ajoutent les manques concernant nos ascendants (transgénérationnel). Ces manques prennent une tournure très forte pour ceux qui ne connaissent pas leurs géniteurs, même quand ils furent profondément et sincèrement aimés par de généreux parents adoptifs.

La recherche des géniteurs est une quête sous forme de pulsion irrépressible chez nombre de ces personnes. Mais même chez ceux qui ont vécu chez leurs parents géniteurs et aimants, il se trouvera une période de vie où la connaissance de l’existence des parents et des grands parents, leur jeunesse, leur enfance… tout cela émoustillera fortement la curiosité de l’« être-arrivant-à-maturité », cherchant lui aussi plus de précisions à propos de ses origines.

1.5Besoin de combler, d’assoir ses fondations

Qu’il s’agisse de « bouts de Soi » ou de parts de nos ascendants, ce qui manque sera progressivement identifié dans la conscience. Alors tout ce qui doit trouver sa place la trouvera par une considération, une réhabilitation. Concernant les ascendants, ce sera une façon d’honorer ceux qui nous constituent en leur rendant cet hommage, fut-il posthume.

1.6La quête de sources

Tous ces élans vers ceux que nous avons été, vers ceux dont nous sommes issus constituent une quête de sources d’où la vie s’écoule pour alimenter le Soi que nous sommes en devenir.

Nous n’oublierons pas non plus le futur comme source, en ce sens que celui que nous avons à être « guide aussi nos pas ». Cette notion de « source dans le futur » pour alimenter notre présent peut sembler surprenante, mais il est à n’en pas douter que notre devenir nous « tracte » autant que notre passé nous « pousse », si toutefois les mots « tracter » ou « pousser » sont justes en pareils cas. Pour préciser de telles notions je vous invite à lire sur ce site la publication d’avril 2009 « Du temps et de l’espace »  car le propos n’est pas ici de développer d’avantage ce thème.

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2   Origines historiques

2.1L’histoire

A l’école, nous avons étudié l’histoire, mais il se peut que nous ayons manqué les êtres qui ont vécu cette histoire. En effet la scolarité nous sensibilise aux faits historiques, mais laisse généralement de côté ce que les êtres y ont éprouvé.

Friedrich Nietzsche  aurait aimé à ce sujet que les êtres comptent plus que les faits :

« Quand l’histoire prend une prédominance trop grande, la vie s’émiette et dégénère et, en fin de compte, l’histoire elle-même pâtit de cette dégénérescence » (1988, p. 86).

L’objectivation tant recherchée par ceux qui privilégient les faits par rapport aux êtres font naître chez Nietzsche « un peu » de colère :

« Vous êtes ainsi les avocats du diable. Vous l’êtes en faisant votre idole du succès, du "fait", alors que le fait est toujours stupide, ayant de tout temps ressemblé plus à un veau qu’à un dieu » (1988, p. 150).

Afin d’éviter cette confusion entre les faits objectivables, et les êtres qui les ont vécus de façon subjective, Nietzsche préconise hélas l’oubli. Il n’a apparemment pas poussé suffisamment loin son investigation pour laisser émerger l’idée qu’il faut réhabiliter les êtres sans les occulter avec les faits… et que le moyen pour cela n’est pas l’oubli des faits, mais la reconnaissance des êtres.

Tant d’êtres ont vécu tant de choses, dont la seule connaissance des faits ne peut rendre compte ! Le vécu est une chose subjective que l’objectivation ne peut révéler. Or cet aspect de nos origines (le vécu que chacun a eu du monde) ne nous est accessible que par la sensibilité et non par l’intellect, touchant probablement à ce que Carl Gustav Jung appelait « inconscient collectif ».

Le vécu des êtres, le vécu des peuples, la conscience des philosophes ou des sages des différentes époques, les éclairages de conscience autant que les zones d’obscurités qui ont illuminé ou appesanti les ressentis des humains au cours du temps, auront marqué l’évolution des sociétés et des gens qui s’y trouvaient… donc la notre.

Au niveau ontique (au niveau de l’être), nous remarquerons que toutes les civilisations ont eu leur religion, que les humains y ont cru en un ou des Dieux. Abraham Maslow nous fait distinguer civilisations en synergie fortes (plus humanisées) où concernant la religion nous trouvons des Dieux généreux, simples, non protocolaires et amicaux, et les civilisations en synergie faibles où les Dieux sont brutaux, vengeurs, vindicatifs et extrêmement protocolaires*.

*S’appuyant sur les travaux de Ruth Benedict (professeur d’anthropologie à l’université de Columbia) qui rechercha les fondement produisant de telles différences sociétales. Elle étudia les Zuni, les Arapesh, les Piegan (Pieds Noirs) du nord, les Dakota et un groupe Esquimo pour les sociétés de type « confiantes » et les Chuckchee, les Ojibwa, les Dobu et les Kwakiutl pour les autres (in Maslow, 2006, p. 225). Ruth Benedict découvrit que le niveau bas ou élevé de synergie d’une société est lié à son système de répartition des richesses. Les sociétés à synergie basse  privilégient des systèmes de canalisation des richesses, faisant que la richesse aille vers la richesse et la pauvreté vers la pauvreté… que la richesse engendre encore plus de richesse et que la pauvreté engendre encore plus de pauvreté. « Dans les sociétés à synergie élevée, à l’inverse, la richesse tend à être répartie largement […] D’une manière ou d’une autre, elle descend du riche vers le pauvre, eu lieu de remonter du pauvre vers le riche » (ibid, p.228). S’y ajoutent des attitudes différentes concernant la possibilité sociale de réparer des erreurs commises (réparation prévue et possible en synergie forte, mais impossible en synergie faible où même la descendance est bannie)  et aussi comme cité plus haut concernant leurs religions et leurs Dieux.

Dans tous les cas, l’humain, à travers diverses croyances ou sensibilités spirituelles, a tenté de trouver une réponse à ses origines

2.2La préhistoire

Avant l’histoire, il y a ce que les spécialistes ont choisi d’appeler « préhistoire » (et non « début de l’histoire »…allez savoir pourquoi !?). Les êtres de cette époque sont alors nommés « préhistoriques », reflétant ainsi leur côté imaginé comme rustre et peu évolué. Comme le fait justement remarquer la psychanalyste Pascale Binan, nous aurions tout à gagner à parler « d’hommes de la préhistoire » et non plus « d’homme préhistoriques », afin de leur rendre leur figure humaine. S’agirait-il d’arrières aïeux dont nous avons honte d’imaginer que nous venons d’eux ? Une sorte de déni de nos ascendants ?... Générant ainsi en nous, par cette indélicatesse, une sorte de vide existentiel !

Peut-être y allons nous vite en besogne en leur attribuant de telles caractéristiques, plutôt que de nous laisser émouvoir par ces arrières aïeux (et non aïeux arriérés) qui ont investi un monde rude et difficile avec une conscience peut-être bien plus subtile que ce que nous l’imaginons, et à qui nous devons d’être ici aujourd’hui. Merci à eux !

Ils avaient déjà l’art, une certaine spiritualité (nous en avons la trace) mais peut-être aussi nombre de choses dont nous n’avons pas idée.

Il se trouve que cette préhistoire de l’humain fut elle aussi engendrée… elle a aussi eu ses « parents » (« parent » ayant la même étymologie que « parturiente »). Pour aller plus loin nous allons aborder l’évolution de la vie elle-même, où se trouvait l’humain en germe sans pouvoir dire pour autant qu’il y était en projet.

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3   « Origines » de la vie - Charles Darwin

3.1Un humanisme avant tout

La quête de Charles Darwin (1809-1882), outre le fait d’oser une réflexion qui sort radicalement du sillon des pensées de son époque et sa rigueur scientifique, avait aussi un projet assez méconnu :

Darwin voulait nous montrer que venant de la même source dans la nature, nous sommes tous « frères ». Il était particulièrement révolté contre l’esclavage et contre les injustices sociales, contre le racisme.

Quelle abomination que ses recherches aient été utilisées pour justifier des théories racistes (dérive la plus grave) ou le malthusianisme (qui n’est vraiment pas anodin non plus, car Malthus estimait qu’il fallait laisser dépérir les faibles dans notre société pour permettre à celle-ci de mieux se développer).

Cela fait penser aux mots qu’eut Arthur Schopenhauer (1788 - 1860) vers la fin de sa vie :

« Que bientôt les vers doivent ronger mon corps, c’est une pensée que je puis supporter ; mais que les professeurs rongent ma philosophie, cela me donne le frisson ! »

Les propos généreux de Darwin ont été réduits aux concepts évolutionnistes de la « struggle for life », c'est-à-dire de « la lutte pour la vie », avec en prime une énorme déformation en « la raison du plus fort » (au lieu de comprendre avec finesse qu’il s’agit non « du plus fort » mais « de celui qui est le mieux adapté »).

Or Charles Darwin a été bien plus loin avec une étude anthropologique de l’être humain et de la société, où les principes de sélection se sont inversés pour favoriser le développement d’un humanisme et d’une capacité de coopération, qui deviennent alors le nouveau moyen de continuation d’un progrès de la vie.

3.2Une lutte pour la vie « auto-sélectionnante »

Depuis le début (mais « où est le début ? ») ce qui constitue la vie (mais « qu’est-ce qui constitue la vie ? ») s’auto-organise vers un accroissement de ses qualités de performances, vers de plus grandes capacités à « vivre » dans l’environnement présent du moment. L’auto-sélection se fait alors au travers d’un mécanisme de « lutte pour la vie » ne gardant que ce qui est le mieux adapté.

L’idée forte est qu’il n’y a pas de projet préétablit, et que ce qui surgit ainsi résulte d’une sélection au fur et à mesure, et non de la réalisation  d’un « plan de vie » antérieur ou « tout serait déjà écrit ».

Nous remarquons finalement que Démocrite (-460,-370) ou Epicure (-342,-270) avec leurs « atomes » nous proposaient une idée analogue :

« L’apparition des êtres vivants sur cette terre est le fruit d’une véritable génération spontanée. Parmi toutes les combinaisons successivement essayées par la masse des atomes » (Rodis-Lewis, 1975, p.84).

Nous retrouvons cela chez Lucrèce (1er siècle avant JC) dans De natura rerum, cité par Geneviève Rodis-Lewis, expliquant que l’usage vient après l’organe :

« Car rien n’est né en notre corps pour que nous en puissions faire usage : mais une fois né, l’organe crée l’usage » (ibid, p.85).

Il est intéressant de constater qu’un tel regard a émergé dans la pensée humaine bien longtemps avant Darwin et que celui-ci a donné des fondements plus scientifiques à une idée bien antérieure à lui.

Cependant, une telle idée était si peu en vogue à son époque qu’il pouvait passer pour un hérétique aux yeux de ses confrères. Sans disserter sur le fait qu’il avait raison ou qu’il avait tort, nous ne pouvons que nous réjouir de voir ainsi un être qui ose rechercher et penser différemment, sans prendre les croyances communes, furent-elles « scientifiques », pour des certitudes établies.

3.3L’émergence sociale qui renverse tout

Après son étude de l’évolution à travers le principe de « lutte pour la vie », Charles Darwin a poursuivi sa réflexion dans le domaine de l’anthropologie. C’est la fréquente ignorance de cet aspect qui a conduit de nombreuses personnes accrochées à la seule idée de « lutte pour la vie » à dériver vers une « loi du plus fort » (qui n’a jamais été de mise chez Darwin, car « le mieux adapté » n’est pas forcément « le plus fort »), jusqu’à l’étendre à des dominations sociales (Malthus) ou raciales (acteurs de génocides ou d’eugénisme).

Charles Darwin avait plutôt une démarche profondément humaniste et constatait que chez l’humain, le surgissement de la société faisait que cette « lutte pour la vie » se transforma radicalement en  « capacité de coopération et de solidarité », dans laquelle la protection du plus faible, et même du moins adapté, avait une importance cruciale. Il en résulte que « la lutte pour la vie », qui produisit l’évolution, arriva à un stade où elle remit elle-même en cause ce principe, pour sélectionner la « capacité de coopération et de solidarité » comme étant le mieux adapté pour la survie.

Patrick Tort, spécialiste de Darwin nous précise :

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73)

Patrick Tort va même plus loin encore dans son observation de la théorie de Darwin en positionnant la faiblesse comme un avantage :

« Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’Homme et l’Homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence et de l’éducation des jeunes (dont le propre est d’être "sans défense"). » (Tort, 2010, p.66)

Darwin était effaré à son époque par le fait que tant de gens « bien pensant » avaient des esclaves, et en plus les maltraitaient outrageusement. Il trouvait aussi abominable le mépris des classes sociales dites « inférieures ». Patrick Tort nous cite de nombreux passages où Darwin affirme son dégoût pour de telles pratiques :

« Je ne voudrais pas être un Tory*, ne serait-ce qu’à cause de leur sècheresse de cœur à propos de ce qui est le scandale des nations chrétiennes : l’esclavage » (Tort, 2010, p.136)

*Partisan d’une politique traditionnaliste anglo-saxonne

Nous voyons chez Epicure, qui avec ses atomes eut une sorte d’intuition de l’évolution, le même humanisme. Dans son fameux jardin…

« Non seulement les esclaves y étaient traités avec douceur et humanité par Epicure, Diogène mentionne en outre comme exceptionnel "le fait qu’ils philosophaient avec lui". La vocation universelle de la philosophie est ainsi mise en œuvre, comme l’atteste aussi la présence d’un groupe de femmes » ceci dans une Grèce qui ne donnait surtout pas une telle place aux femmes (Rodis-Lewis,1975, p.48)

3.4Humanisation en voie de développement

Le fait de mieux comprendre par quels processus d’évolution la vie en est arrivée où elle en est aujourd’hui nous laisse entrevoir avec humilité à quel point il lui reste du chemin à réaliser. De ces points de vue, les sociétés en synergie forte (les plus avancées) côtoient  celles en synergie faible (les plus primitives). Il se trouve qu’ici, contrairement aux apparences, les plus primitives (synergie faible) peuvent aussi être les plus modernes ou les plus industrialisées !

Etre passé de la « lutte pour la vie » à la « capacité de coopération et de solidarité » suppose une humanisation en voie de développement, mais où se mêlent encore les instincts animaux avec cependant des aspirations emplies d’humanité.

Comme je le soulignais dans ma publication de juin 2003 « Apaiser violences et conflits », l’homme peine à s’humaniser et utilise souvent son intellect de la même façon qu’un animal utilise ses crocs ou ses griffes. L’humanisation ne vient pas de la capacité intellectuelle qui s’est développée, mais de la capacité de considération envers autrui.

Ceci fut déjà observé par François Rabelais (né vers 1490) dans l’éducation de Pantagruel, où citant Salomon il nous dit le fameux « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Il y met une certaine religiosité propre à ce contexte, mais explicite clairement que la science et la conscience sont deux choses distinctes et qu’avoir la première sans la seconde représente un danger. C’est sans doute la fragilité de ce stade de l’évolution.

Pour ceux qui souhaitent mieux situer cette célèbre citation :
(j'ai ajouté entre parenthèses la traduction des mots en vieux français)

« Mais, parce que selon le saige (sage) Salomon sapience (sagesse) n'entre point en âme malivole (mauvaise), et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient de servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par foy formée de charité, estre à lui adjoinct en sorte que jamais n'en soys désemparé par péché. » (Pantagruel, chapitre VIII, Rabelais, 1962, p.206)

Ayant développé toutes ces qualités chancelantes, l’être humain réalise finalement, que, même en connaissant la façon dont la vie s’est majestueusement développée, il ne sait toujours pas d’où vient ce qui le constitue. Pour accéder à cela nous devons alors examiner plus loin les découvertes… aller jusqu’à celles concernant l’histoire de la matière (et non plus seulement de la vie). Pour y parvenir, nous irons plonger dans l’histoire de l’univers.

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4   « Origine » de l’Univers

4.1D’où vient la matière qui constitue les corps

Si Démocrite et Epicure en ont eu l’intuition, il aura fallu attendre quelques siècles pour que les atomes deviennent une « réalité » scientifique. Si je mets le mot « réalité » entre guillemets c’est que quand la science croit avoir aboutit à une réalité, celle-ci se métamorphose au cours de nouvelles découvertes. Avec la découverte des constituants  plus fins comme les quarks, puis la théorie des cordes… la matière prend même une allure de plus en plus évanescente… jusqu’à se demander si elle n’est pas seulement un état particulier de l’énergie ou même du vide !

Contrairement aux époques antiques, aujourd’hui tout le monde admet que la matière, même quand elle semble homogène, est constituée d’éléments nommés atomes, constitués d’un noyau et d’électrons. Le plus savants sauront aussi que le noyau est constitué de neutrons et de protons. Je me souviens quand, à mon époque de lycée, les enseignants nous montraient un modèle d’atome avec un noyau au centre et des électrons gravitant autour, selon des orbites plus ou moins grandes (avec un nombre de protons de charge positive équilibrant le nombre  d’électrons de charge négative, et des neutrons assurant les différences de masse du noyau). Puis à mon époque de fac les professeurs nous ont montré un noyau entourés d’électrons non plus en orbites, mais formant une sorte de « nuage » où ils se trouvaient seulement en « probabilité de présence ». Ces « nuages » prenaient des formes diverses en fonction de leur énergie… bref ça se compliquait en termes de « réalité ».

Outre les réactions chimiques et l’étude des molécules, la chimie a dénombré un grand nombre de types d’atomes constituant la matière (classification périodique des éléments de Dimitri Ivanovitch Mendeleïev 1834-1907). Ceci est déjà extraordinairement fin, subtil et complexe. Mais aussi clair que cela puisse être, il reste tout de même une énigme en ce qui concerne le passage vers la vie : comment des molécules inertes ont-elles pu « évoluer » vers de la substance vivante (à supposer que la vie soit une telle substance) ? Je ferai l’impasse sur ce point délicat, car même en maîtrisant toutes les données de l’évolution de la vie d’une part, et celle de l’évolution de l’univers d’autre part, le passage de la matière « inerte » vers la matière « vivante » n’est pas clairement élucidé. Pour simplifier et ne pas nous enliser, après « l’histoire de la vie » à travers l’évolution que nous a proposée Darwin, considérons seulement « l’histoire de la matière » à travers celle de l’univers, sans nous préoccuper pour l’instant de ce curieux passage de l’un à l’autre.

Les atomes les plus complexes sont nés dans les étoiles, par la pression et le « feu » nucléaire. Une étoile naît d’atomes dispersés dans l’espace, qui se réunissent puis se concentrent grâce à la gravitation. Quand la quantité de matière est suffisante, la pression au cœur de l’étoile est si grande que le « feu » nucléaire s’allume. Au cours de sa vie une étoile va ainsi transformer des atomes simples en atomes plus complexes, plus lourds, et les explosions nucléaires qui se passent en son sein vont équilibrer l’effondrement que la gravitation tend à produire en la comprimant. Elle brille alors de tout son éclat. Puis lorsque tout le carburant nucléaire disponible pour ce niveau de pression a été « brûlé », l’étoile explose, dissémine ses « créations » dont elle ensemence l’espace… puis les atomes plus lourds pour continuer de « brûler », devront reprendre leur chemin gravitationnel et atteindre une plus grande pression pour continuer à « allumer l’étoile » et aller vers des éléments de plus en plus complexes, de plus en plus lourds, nécessitant pour leur création une énergie de plus en plus grande*.

*Pour plus de détails lire Mélodie secrète, et l’homme créa l’univers (Trinh Xuan Thuan, Gallimard Folio essais, 1991, p.209 à 229

Mais pour constituer les étoiles, il fallait déjà des atomes au départ. Ceux-ci ont eu une autre genèse.

Les atomes les plus rudimentaires sont nés au « commencement » de l’univers, avant les étoiles qu’ils auront permis plus tard de constituer. Ce commencement qui doit être assimilé à une période et non à un instant, est la « zone » appelée big-bang (nous verrons dans le dernier chapitre les différences entre « origine », « début » et « commencement »). L’idée de big-bang a fait couler beaucoup d’encre, mais la plupart des scientifiques semblent en accord sur le fait que se trouve là tout ce qui allait constituer la matière apparue dans notre univers.

4.2Le big-bang n’est pas le début

Une erreur courante et de prendre le big-bang comme le « début de l’univers ». Etienne Klein, qui dirige le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au commissariat à l’énergie atomique, nous dit avec humour :

« Si on voit dans le big-bang l’amorce de tout ce qui est, on tombe immanquablement sur une autre question métaphysique, celle de savoir ce qui a pu le déclencher au milieu de nulle part, en plein cœur du néant (le néant aurait-il du cœur ?). Le néant ne saurait de lui-même exploser, à moins de contenir un « principe explosif » qui le rendrait ipso facto distinct de lui-même » (Klein, 2010, p.52) …avec en prime un moment d’humour : « le néant aurait-il du cœur ! »

Nous avons développé une sorte de croyance établissant que le big-bang est le début de notre univers. Or, si on y regarde de plus près rien ne prouve une telle chose. Sans remettre en cause ce phénomène pour lequel nous ferons confiance aux scientifiques quant à son existence, l’idée même qu’il soit « le début » ne semble pas exacte en termes de certitude.

Etienne Klein est un scientifique très rigoureux qui évite les croyances… et même les croyances scientifiques.  Les possibles ne sont pas exclus de son raisonnement, mais il ne s’autorise pas à affirmer des vérités qui n’en sont pas. Son mode de pensée est très exigeant et nous aimerions voir plus de scientifiques comme lui, avec à la fois cette prudence et cette ouverture d’esprit.

« Le néant ne saurait de lui-même exploser, à moins de contenir un « principe explosif » qui le rendrait ipso facto distinct de lui-même » (ibid., p.52)

En effet le fait qu’il y ait explosion « au départ » ne nous renseigne pas sur ce qui est la source de cette explosion.

Tout ce que nous savons c’est que la manifestation de cette explosion n’est connaissable pour le moment que à 10-43 secondes*  après son « début » (c’est ce qu’on appelle « le temps de Planck »), au moment où son diamètre est de 10-33 cm (dix millions de milliards de fois plus petit qu’un atome d’hydrogène).

*« 0,…… » le 1er chiffre arrivant en 43e position après la virgule

Cette fameuse mesure du temps est surprenante quand on arrive dans une zone où les notions d’espace ou de temps n’ont peut-être plus cours. La densité y est si grande (presque infinie, mais pas infinie) que l’espace et le temps s’y comportent de telle façon qu’un être s’en rapprochant serait vu par un observateur extérieur comme « s’en rapprochant indéfiniment », « éternellement », sans pouvoir nous communiquer ce qu’il perçoit.

Nous ne pouvons pas affirmer que nous ne saurons jamais rien à ce sujet et il peut être amusant et fructueux d’oser toutes sortes de spéculations… tant que nous ne les prenons que comme des hypothèses et non comme des certitudes ou de prétendues démonstrations.

Même en triturant tout cela habilement nous peinons  à parvenir à une origine digne de ce nom. Cela est sans doute dû au fait que nous nous appuyons sur des présupposés probables mais non démontrés, à savoir (entre autre) que nous partons du principe que les lois de l’univers sont restées stables tout au long des changements de celui-ci.

« Les lois physiques sont "hors du temps", au sens où elles ne changent pas au cours du temps : elles étaient les mêmes dans l’univers primordial qu’aujourd’hui. » (Klein, 2010, p.142)

Renoncer à des choses établies est douloureux pour tout être, y compris pour un scientifique… peut-être même encore un peu plus :

« Le calculable et le mesurable ne sont plus qu’une province dans l’incalculable et le démesuré. Et perdre l’Ordre du monde pour les scientifiques [….] est aussi désespérant que perdre Dieu pour un croyant » (Morin-1999, p.160).

Et si nous osions l’hypothèse (on a toujours droit aux hypothèses), que la stabilité « hors du temps » des lois physiques soit une croyance aussi pernicieuse que l’ancien géocentrisme (l’univers tourne autour de la terre qui est fixe au centre) dont Galilée nous a sorti en passant à l’héliocentrisme (qu’en fait la terre tourne autour du soleil) ? Il semblait pourtant évident que la terre était le point fixe ! Puis après lui nous avons vu de nombreux autres mouvements dans l’univers indiquant que le soleil n’est pas fixe non plus. Ou encore la croyance en le fait que le temps et l’espace sont fixes et immuables alors qu’avec la relativité générale, Albert Einstein nous a montré comment ils sont influencés par la masse et la vitesse d’un corps. Il semblait pourtant évident que le temps et l’espace sont fixes ! Aujourd’hui, il semble évident que les lois de l’univers sont fixes… une sorte d’ancrage incertain auquel nous nous accrochons dans la tempête des possibles.

Nous ne pouvons que constater que cette notion de « début » déchaîne les raisonnements des chercheurs, qui parfois risquent de se laisser enchaîner à d’insoupçonnables présupposés, à d’invisibles paradigmes, qui conduisent à leur insu le cheminement de leurs réflexions. Ainsi, ils n’aboutissent pas à la cohérence tant attendue, car pour cela il faudrait oser une pensée différente, s’appuyant sur d’autres bases encore inconnues, mais à propos desquelles il y a sûrement déjà eu des intuitions. Il faut impérativement « sortir du sillon », de l’ornière cognitive, oser le génie. Comme le dit Arthur Schopenhauer :

« Un savant est celui qui a beaucoup appris ; un génie, celui qui apprend à l’humanité ce qu’il n’a appris de personne » (1999, p.145)

4.3La quête impossible de l’origine

Tout à fait conscient de cette difficulté, avec toute sa rigueur, Etienne Klein nomme le chapitre 8 de son ouvrage « Le début, une question sans fin » (2010, p.153).

Le défit est de savoir comment parler de l’histoire d’une « époque » où le temps n’existait pas encore (une époque que les moins de « sans temps » ne peuvent pas connaître !). Que dire de ce qui précèderait l’apparition du temps ? Et comment peut-on oser parler de « précéder » quand le temps n’existe pas ?

L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan nous susurre « Le monde s’est-il créé tout seul ? » (Albin Michel, 2008) et, avec l’astronome britannique Brandon Carter,  nous parle d’anthropie (de anthropos, homme) laissant entendre que les constantes de l’univers sont telles qu’une infime différence dans leur valeur au départ aurait compromis tout ce qui s’y trouve. Trinh Xuan Thuan  utilise déjà ce terme dans son ouvrage « La mélodie secrète – et l’homme créa l’univers » (1991, p.278).

Cette idée d’anthropie montre que la création et l’ordre de l’univers se réalise avec un projet initial (à ne pas confondre avec l’« entropie » qui est un principe de la thermodynamique indiquant un accroissement du désordre, nous donnant un sens du temps qui va du passé vers le futur). Naturellement, même si l’idée que l’univers porte en germe tout ce qui le réalisa ensuite est juste, nous avons une « explication » de cette suite... mais nous ne savons pas pour autant « d’où vient ce projet » et cela remet tout de même en cause l’idée d’origine.

Henri Bergson, qui a beaucoup travaillé sur les notions de temps, de matière et de mémoire, propose une attitude prudente à ce sujet :

« Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain ; elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir » (Bergson, 2006, p.15)

Le vertige que nous donne ces interrogations ne peuvent que nous conduire à l’humilité et à ne pas nous laisser enfermer dans un mode de penser préfabriqué, à rester ouverts aux éventualités.

Cette ouverture a conduit des chercheurs à découvrir la probable importance de la mécanique quantique dans le biologique. Cet aspect ouvre des horizons intéressants, surtout si on y adjoint quelques remarques quant aux dimensions, que nous verrons au chapitre 6.

Cette quête d’origine, qui semble le propre de l’homme, pareil à un enfant adopté recherchant ses géniteurs, ne doit pas nous faire oublier l’intérêt de cet article par rapport à la psyché et par rapport à l’approche qu’on peut en faire en psychothérapie que nous aborderons au chapitre 7. Que de détours pour en arriver là ! Mais notre intellect est joueur, et l’être que nous sommes est empli d’une curiosité qui, si elle peut nous égarer, est tout de même également source de notre élan et de notre cheminement.

4.4Toujours plus finement

Si les scientifiques ont bien calculé, 96% de ce qui constitue l’univers nous est inconnu et même peut-être inconnaissable : 24% de matière noire et 72% d’énergie noire nous sont inaccessibles (Klein, 2010, p.118)

« Ce qui est désormais certain, c’est que la matière visible, ordinaire, benoitement constituée d’atomes, celle qui compose nos corps, les étoiles et les galaxies, n’est en réalité qu’une frange du contenu de l’univers, son écume visible » (ibid, p.117)

Ce que l’on pense être de la matière noire ou de l’énergie noire échappe donc à toute observation et nous n’avons finalement à notre disposition que 4% de tout ce qui constitue notre univers pour étudier les phénomènes que nous prétendons connaître… restons humbles !!!

Pourtant, il est un moyen d’aller voir plus finement (sans prétendre pour autant aller au  tout début) : c’est la mécanique quantique. S’il est habituel de parler de mécanique quantique au niveau des particules, et par extension à la période du big-bang, il l’est beaucoup moins d’en parler au niveau de ce qui constitue la vie, au niveau des molécules de notre corps et de nos cellules… de nouvelles découvertes voient le jour à ce sujet.

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5    « Origines » quantiques en biologie

Quelques éléments viennent ici bouleverser nos conceptions historiques basées sur les notions d’espace et de temps : quoi, où, quand, comment, doivent alors être envisagés différemment.

5.1De la relativité à la mécanique quantique

Dans la relativité générale, Albert Einstein (1879-1955) évoque l’énergie, l’espace et le temps reliés entre eux, et donc aussi à la matière. Plus d’énergie ou plus de masse, changent les mesures du temps ou de l’espace, qui n’ont ainsi aucune valeur absolue mais seulement des valeurs relatives. Ces connaissances ont déjà révolutionné notre approche de nombreux phénomènes, mais il existe aussi la mécanique quantique, toute aussi vérifiée que la relativité générale, qui ouvrit d’autres horizons. Malheureusement, les deux approches font chemin à part et personne n’a jusqu’à ce jour pu les réunir.

Dans la mécanique quantique, Niels Bohr (1885-1963), évoque non plus seulement des principes d’action mesurables, mais aussi des principes d’états et de probabilités. Par exemple une particule qui est à côté de nous a en même temps une probabilité de « présence non nulle » n’importe où dans l’univers ; une particule peut emprunter plusieurs chemins en même temps ; deux particules distantes peuvent rester en « contact » au-delà de l’espace ; le vide ne serait que de la matière au repos (et en aucun cas un néant)… etc.

Il se trouve que la mécanique quantique semble impliquée dans la biologie* pour expliquer des phénomènes vitaux que la chimie et la physique classiques ne permettaient pas d’élucider.

*La revue Science et vie n°1123 avril 2011 p.54 à73 nous en propose quelques éléments.

5.2Dans la stabilité de l’ADN

Avant d’aborder le rôle de la mécanique quantique dans la stabilité de l’ADN, il est utile de se libérer de quelques pensées dogmatiques, car nous avons coutume de penser que l’ADN gère tout en nous. Denis Noble,  (professeur émérite de cardiologie vasculaire et pionnier dans la biologie des systèmes) nous y aide en remettant la notion de gènes à sa place :

« Sans les gènes nous ne serions riens. Mais il est tout aussi vrai qu’avec les gènes seuls nous ne serions rien non plus » (2007, p.83)

« …ce qui est impliqué dans le développement d’un organisme est bien davantage que le génome. S’il existe une partition pour la musique de la vie, ce n’est pas le génome, ou du moins n’est-il pas seul. L’ADN n’agit jamais en dehors du contexte d’une cellule. Et nous héritons  de bien plus que notre seul ADN. Nous héritons de l’ovule de la mère avec toute sa machinerie qui va avec, y compris les mitochondries les ribosomes, et d’autres composants cytoplasmiques […]. C’est seulement dans un œuf fertilisé, en présence de toutes les protéines, tous les lipides et autres mécanismes cellulaires, que le processus de lecture du génome peut avoir lieu. (ibid, pp, 83-84)

Parlant de cette croyance au tout génétique, il dénonce que « C’est l’illusion que l’ADN est la cause de la vie, de la même façon que le CD serait la cause de l’émotion produite en moi par le trio de Schubert » (ibid, p.20)

Denis Noble nous explique tout au long de son ouvrage que ce ne sont pas les gènes qui font ce qui se passe, mais les gènes dans un environnement donné, de la même façon que ce n’est pas un CD (l’objet) qui fait notre émotion, ni même la musique qu’il permet d’entendre, mais tout un environnement et un vécu présents et passés avec lequel cela entre en résonnance.

Par un autre biais (celui de la psychologie), Martin Heidegger (1889-1976) arrive à une conclusion analogue :

« La clarification de l’être-au-monde a montré qu’il n’"y a" pas d’emblée et que jamais non plus n’est donné un sujet dépourvu de tout monde. Et ainsi qu’il n’est en définitive pas davantage un je isolé sans les autres » (1986, p.158).

Notion que nous retrouverons aussi en Gestalt thérapie avec Fritz Perls (1893-1970)

« La psychologie, en revanche, ne peu étudier aucune structure en soi, car l’étude du fonctionnement humain ne peut se faire qu’en tenant compte du milieu dont il fait partie » (Perls, 2009, p.34).

Il se trouve également que Denis Noble, dès le début, remet aussi en cause la notion spatiale et pose la problématique suivante :

« Une question clé et donc récurrente tout au long du livre est : où, si tant est qu’il soit quelque part, se trouve le programme de la vie ? » (ibid, p.14).

Nous verrons au chapitre 6 à quel point cette notion dimensionnelle a de l’importance.

Au-delà de toutes ces considérations qui déjà nous donnent un peu le vertige, il s’ajoute une autre interrogation : celle de la stabilité de la molécule d’ADN.

Stabilité  de l’ADN et mécanique quantique

En mécanique quantique il existe un phénomène qui a été scientifiquement vérifié par Alain Aspect (Orsay 1982) et Nicolas Gisin (Genève 1997) : c’est ce qu’on appelle le phénomène EPR* ou « principe de non séparabilité ». Deux particules qui ont été en contact le restent, même séparées par des distances considérables. Cela est vérifié par le fait que quand on modifie l’une, cela modifie instantanément l’autre. L’information se trouve ainsi « transmise » instantanément (et non à la vitesse de la lumière), comme si l’espace n’existait pas pour elles. On dit que ces particules sont « intriquées », pareilles à des jumeaux dont l’un connaîtrait instantanément la pensée de l’autre. Tout se passe comme si elles avaient gardé un contact dans une autre dimension (nous reviendrons au chapitre 6 sur cette notion de dimension supplémentaire).

*(Einstein Podolski Rosen) : corrélations quantiques insensibles à l’espace ou au temps

C’est cette propriété qu’une équipe du Centre des technologies quantiques de l’université de Singapour a trouvée comme fondement nécessaire à la stabilité de la molécule d’ADN. Elisabeth Rieper, avec son équipe, nous dit :

« Nous avons montré que lorsque des nuages électroniques se rapprochent l’un de l’autre, ce qui devrait classiquement conduire à une stabilité moindre de la molécule d’ADN, l’intrication induit au contraire une redistribution des charges telle que ces configurations électroniques restent favorables » (in Science et vie n°1123 avril 2011 p.66).

Ainsi, ce phénomène d’intrication serait ce qui soude cette structure, faisant que deux objets distincts se comportent comme s’ils n’en faisaient qu’un. C’est cette propriété qui donnerait à la molécule d’ADN sa stabilité exceptionnelle (ibid, p.67).

« Les physiciens théoriciens ont compris qu’un système de codage "quantique" de l’information serait beaucoup plus efficace que sa contrepartie classique » (ibid, p.69)

Certes il ne s’agit que de recherches en cours, mais cette découverte mérite d’être citée, non en tant que vérité absolue, mais au moins pour libérer l’esprit de ses carcans conceptuels.

5.3Dans la photosynthèse

Il est étonnant de voir à quel point la nature met tant d’effort pout perpétrer la vie. Sur n’importe quel chemin de randonnée au printemps, nous voyons la nature présenter une multitude de fleurs, de graines, de fruits, permettant une multiplication et une dissémination à travers l’espace et le temps. Il est encore plus étonnant de voire à quel point, même dans des milieux urbains peu favorables, la végétation tentera une présence entre deux pierres, dans une faille du goudron, sur des tuiles, dans les endroits les plus inattendus, tout en s’adaptant à ces nouveaux milieux.

Le règne végétal, pour vivre et survivre, assure cette  reproduction et cette multiplication afin d’accomplir la fameuse « struggle for life » évoquée par Darwin.

A ce qui nous apparaît déjà comme un « miracle de la vie » il se trouve une propriété fondamentale du règne végétale apparemment bien connue « la photosynthèse ». Peut-être pas si bien connue que ça, car elle utiliserait également la mécanique quantique pour assurer sa performance.

Nous savons tous que la production d’énergie n’est finalement que la conversion d’une énergie en une autre. Quand nous avons de l’électricité, qu’il s’agisse de nucléaire ou de centrales thermiques, nous aurons la conversion d’uranium, de pétrole, de charbon… en électricité. Dans les éoliennes ce sera l’énergie du vent, dans un barrage celle de l’eau, avec les cellules photovoltaïques celle du soleil… etc.

Le problème dans ces conversions, c’est qu’il se trouve une perte importante, comme par exemple dans la cellule photovoltaïque qui ne restitue que 20% de l’énergie qu’elle reçoit.

Il se trouve qu’avec la photosynthèse le règne végétal réalise une conversion à 100% de l’énergie lumineuse reçue.

Graham Fleming et son équipe (en 2007) de l’université de Berkeley (USA) ont découvert que, dans ce phénomène d’extraction  de l’énergie venant de la lumière, les protéines et les molécules végétales impliquées permettent à la lumière de se comporter « comme si elle empruntait tous les chemins possibles en même temps ». Cette découverte fut confortée par Greg Scholes de l’université de Toronto (Canada) :

« Nous sommes presque certains d’avoir observé un effet de cohérence quantique »
(Science et vie n°1123 avril 2011 p.59-60).

Au niveau quantique, un objet peut se trouver dans plusieurs états et plusieurs lieux à la fois. Cette superposition d’états lui permet d’emprunter plusieurs chemins en même temps. C’est ce qui se passerait pour les électrons circulant dans le végétal. Empruntant tous les chemins possibles à la fois il n’y aurait plus alors de déperdition d’énergie.

5.4Dans les enzymes

Les enzymes permettent aux réactions chimiques nécessaires à la vie, de se réaliser dans un organisme. Il semblerait qu’une propriété quantique soit aussi à l’œuvre dans les mécanismes de ces enzymes. Il s’agit de l’effet tunnel qui fait qu’un objet rencontrant un obstacle ne traverse pas à proprement parler celui-ci : il a juste des chances non négligeables (probabilité) d’être déjà de l’autre côté !

Judith Klinman, chimiste à l’université de Berkelay découvre que dans les réactions enzymatiques, « tout plaide en faveur d’un transfert de proton par effet tunnel » (Science et vie n°1123 avril 2011 p.62).

« Je crois que l’évolution a sélectionné des protéines enzymatiques telles que leur site actif, là où se déroulent les réactions chimiques, favorise l’effet tunnel de protons […] Nous avons même des résultats récents qui sous-tendent la pertinence de l’effet tunnel pour le transfert d’atomes plus lourds, tels que carbone ou l’oxygène » (ibid, p. 64)

5.5Curieux rapports à l’espace et au temps

Finalement, Tout se passe comme si les notions de distance, d’isolement, de séparations, et d’unique possibilité, n’étaient pas justes

Ces découvertes bouleversent nos conceptions habituelles de limites et de contacts. Nous comprenons mieux pour quelle raison 96% de ce qui constitue l’univers nous serait inconnu (et peut-être inconnaissable).

Notre thème de départ « Irrépressible quête d’origine », nous emmène donc dans de nombreux dédales. Thésée avait la chance d’avoir ce fameux fil imaginé par Ariane, pour le pas se perdre dans le labyrinthe. Quel sera notre fil à nous ? Sans doute, contrairement à lui, n’avons-nous pas à combattre le moindre Minotaure, mais seulement à comprendre notre origine.  Pareils à des êtres ne connaissant pas leurs géniteurs et partant à la recherche de ceux-ci, les humains s’interrogent depuis la nuit des temps sur leur source, et sur la source du monde où ils vivent.

Nous pourrons poursuivre notre exploration par un regard sur les dimensions supplémentaires.

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6   « Origines » dimensionnelles des perceptions

Avant d’aborder les notions de dimensions supplémentaire, commençons par examiner celles de distance et de contigüité, car celles-ci nous permettent de découvrir d’autres chemins vers certaines origines qui nous habitent.

6.1Distances, contigüité et « uchrotopie »

Tout se passe comme si nous avions une continuité ayant une apparence de discontinuité. Ce qui est séparé est plus en contact que nous ne le soupçonnons.

Par exemple, pour Denis Noble, l’expression du génome est inséparable de l’environnement qui entoure l’individu. Ainsi bien qu’une limite sépare l’individu de son environnement, c’est cet environnement qui le constitue. L’existence ne se fait alors que par le contact. Constatant que ce qui « est dedans » vient de ce qui « est dehors », cela conforterait les propos inscrits sur le fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux », car dans ce cas, connaître ce qui « est dedans » permettrait de découvrir ce qui « est dehors ».

En psychothérapie, j’ai pu observer dans mon expérience clinique que tout ce qui constitue la psyché reste d’une certaine façon en contact à l’intérieur de celle-ci. Celui que nous sommes et ceux que nous étions ne sont pas séparés, même s’ils sont tout de même distincts (un peu comme deux parties corporelles sont distinctes tout en étant dans la continuité, comme par exemple la main et le bras). Dans la psyché, Il se trouve juste des contacts ouverts ou fermés. Quand un contact est ouvert, ces éléments communiquent entre eux (canal) et tout est fluide, quand ils sont fermés, ils ne sont plus qu’en lien relationnel (attachement)* et nous constatons juste des analogies émotionnelles entre le passé et le présent.

*pour plus de précisions sur ces notions de communication et de relation, d’ouverture ou de lien, lire sur ce site la publication de septembre 2001 « Assertivité ».

La psyché étant aussi constituée de ceux dont on est issu, ces contacts (ouverts ou fermés) concernent aussi nos ascendants, dont le vécu influence nos perceptions présentes. Si nous ajoutons à cela la notion d’inconscient collectif (Carl Gustav Jung), le monde entier qui nous entoure présentement ou antérieurement intervient également dans notre psyché. Ainsi notre psyché aurait des contacts intérieurs avec beaucoup d’éléments qui la constituent, et des contacts potentiels avec ses origines.

Martin Heidegger introduisit l’idée de Dasein  pour désigner l’être humain avec une subtilité que ne permet aucun autre mot. Son ouvrage « Être et temps »  dessine ainsi l’Être-là, l’Être-au-monde (et non pas l’Être-dans-le-monde), avec d’innombrables détours tout en nuances, parfois fort complexes, pour expliciter cette notion, et notamment y inclure l’idée de continuité :

« Le Dasein est chaque fois, en son être factif*, comme il a été et ce qu’il a déjà été.[…] Le Dasein est son passé de la manière où son être, pour le dire rudimentairement, advient à chaque fois à partir de son avenir".  » (1986, p.45). Martin Heidegger nous explique ainsi que nous sommes constitués de « tous ce que nous avons été ». Personnellement je dirai de « tous ceux que nous avons été » et que « le fait d’être » dépasse la notion de temps (avec même l'avenir comme source).

*factivité : le fait d’être du Dasein (p.89)

Tout se passe au sein de la psyché comme si celui que nous avons été restait en contact (au moins potentiel) avec celui que nous sommes. Il n’est pas rare de voir dans le présent une sensation qui ne soit qu’une résonnance avec une de celles que nous avons éprouvées jadis. C’est même le principe des symptômes en psychopathologie (voir publication de juin 2011 « Symptômes en psychopathologie »).

De même que, dans le phénomène EPR de la physique quantique, des particules qui se sont rencontrées, une fois séparées restent en corrélation, intriquées, quelque soit la distance qui les sépare… celui que nous sommes et celui que nous avons été restent aussi en corrélation, intriqués. Une sorte de « contact » qui se joue de l’espace ou du temps.

On pourrait même dire une sorte de contact qui se jouerait hors des notions de d’espace et de temps. Là où il n’y a pas d’espace on parle d’utopie (u-topos : sans lieu) et quand il n’y a pas de temps on parle d’uchronie (u-kronos : sans temps). C’est pourquoi, pour désigner cet environnement particulier de la psyché, j’ai choisi d’utiliser le néologisme « uchrotopie » (Tournebise, 2011, p.25), indiquant que ni l’espace ni le temps ne sont impliqués dans les phénomènes observés.

Quand par exemple un sujet identifie en lui celui qu’il était à un moment de sa vie comme étant une part blessée à réhabiliter, il éprouve la présence de celle-ci « comme si elle était là » et non comme un élément lointain de soi.

Cela semble illustrer le propos d’Henri Bergson, pour qui il est illusion de vouloir tronçonner le temps :

« Une attention à la vie qui serait suffisamment puissante et suffisamment dégagée de tout intérêt pratique, embrasserait ainsi  dans un présent indivisé  l’histoire passée toute entière de la personne consciente – non pas comme de l’instantané, non pas comme un ensemble de parties simultanées, mais comme du continuellement présent qui serait aussi du continuellement mouvant (p.169-170, 2006).

6.2Dimensions et perceptions (Flatland)

Nous sommes tellement habitués à considérer ce que nous connaissons sous l’habillage du temps et de l’espace qu’il nous est difficile d’imaginer une autre façon de percevoir. Comme si nous n’avions pas les moyens de perception adaptés pour élargir notre champ d’investigation.

Quand Denis Noble nous parle du Soi, du cerveau et de nos neurones, dans son ouvrage « La musique de la vie » il nous montre bien cette ambigüité du temps et de l’espace concernant la conscience :

« Le ”soi“ n’est pas un objet neuronal » (2007, p.209). Puis il développe aussitôt « Il est aussi que ”je“ ou ”moi“ ou ”vous“ ne sont pas des entités de même niveau que le cerveau. Ce ne sont pas des objets au sens ou le cerveau est un objet. Mes neurones sont des objets, mon cerveau est un objet, mais ”je“ ne se trouve nulle part. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas quelque part ».

Voici une chose bien complexe à énoncer, tout autant que le Dasein de Martin Heidegger.

Pour comprendre comment le temps peut s’effacer avec une dimension de plus, le champion de l’illustration est sans aucun doute Edwin A. Abbott avec son ouvrage « Flatland » (1884).

Il s’agit d’une « fable géométrique » assez simple, souvent citée dans l’enseignement des mathématiques (car les étudiants ont aussi du mal en ce domaine !). L’auteur, par son propos, tente de nous sensibiliser à la perception du monde avec une ou plusieurs dimensions supplémentaires. Jean de La Fontaine caricatura la société à travers des animaux… Edwin A. Abbott le fit à travers l’histoire de formes géométriques personnifiées.

Cela lui permet de nous présenter l’initiation d’un individu (un carré nommé « Square ») à l’existence  de Linland (monde à une dimension) [p.80] et de Spaceland (monde à trois dimensions) [p.73], jusqu’à l’intuition de mondes à 4 dimensions ou plus [p.118].

A chaque fois, Abbott sait nous faire découvrir à quel point il est difficile pour un individu de se faire une idée d’un monde avec une dimension supplémentaire, et à quel point celui qui en a l’intuition peine à se faire comprendre de ceux qui l’entourent.

« Square », vivant dans son plan (monde à deux dimensions) n’a évidemment aucune notion d’espace (monde à trois dimensions), et son langage ne comporte aucun mot qui permettrait de s’y référer. La troisième dimension est pour lui inexistante, fait partie d’un rêve, et ne vaut pas plus que cela. Pourtant, il a l’intuition « d’un quelque chose de plus », de « différent », et est en état de curiosité permanente. Mais il a beau réfléchir, il ne trouve rien (son intellect ne le lui permet pas, manquant de références tridimensionnelles), si ce n’est qu’il ennuie ses congénères avec ses propos bizarres.

Un jour sa curiosité est récompensée par la rencontre avec une sphère qui vient à lui dans « son monde plan ». Naturellement, il n’en perçoit que l’intersection d’avec son monde, c'est-à-dire un cercle*

*une sphère, traversant un plan, laisse voir un cercle à l’intersection d’avec celui-ci. Ce cercle est plus ou moins grand, depuis le premier contact qui n’est qu’un point (comme une apparition), jusqu’au plus grand cercle correspondant au diamètre de la sphère (comme une plénitude), jusqu’au dernier contact qui n’est aussi qu’un point (comme une disparition) : voici l’histoire d’une sphère traversant un plan !

Mieux : une hyper-sphère (sphère en 4 dimensions se trouvant dans un hyper-espace à 4 dimension) traversant notre espace (à 3 dimensions, inclus dans cet hyper-espace), commencerait par apparaître comme un point, puis une bille, puis un globe… pour finalement rétrécir, redevenir un point et disparaître quand elle passerait de l’autre côté de notre espace qu’elle vient de traverser. L’intersection d’une hyper-sphère avec l’espace et une sphère, de même que l’intersection d’une sphère avec un plan est un cercle.

Là où cette illustration est particulièrement intéressante, c’est quand la sphère dit à Square qu’il n’y a pas que le nord et le sud, mais aussi « en haut ». Square réagit aussitôt en disant « plus au nord qu’au nord ? » (car ce mot « haut » n’évoque rien de connu pour lui, et il ne peut que le ramener à ce qu’il connaît déjà)1.

 1- Square est  dans un monde à 2 dimensions (Flatland)  
-Pour voir tous les côtés du triangle il doit en faire le tour-
(pour cela il lui faut du temps)

Il se trouve que la sphère ne trouve pas de mots intelligibles pour un habitant de Flatland, lui permettant de comprendre ce qu’est l’espace. Alors elle opte pour les grands moyens et emmène Square au dessus de son Flatland, qu’il se met à percevoir « d’en haut ».

Quand il était dans son monde, pour y voir un objet ou une personne, s’il voulait le voir entièrement, Square était obligé d’en faire le tour, car il lui était impossible de voir le dos de ce qui lui fait face. Pour « tout voir » du devant et du dos, il lui fallait du temps, le temps de faire le tour. Là, de dessus, en hauteur, il s’aperçoit qu’il voit « tout en même temps », le devant, le dos et les côtés de la même façon… et même l’intérieur sans pour autant rentrer dedans2.

2 - Square découvre un monde à 3 dimensions (Spaceland)  
-Il voit tous les côtés simultanément, et même l'intérieur-
(il n'a pas besoin de temps pour tout voir, ni d'ouvrir pour voir dedans)

Square est ébahi par une telle perception qui confirme enfin ce dont il avait l’intuition sans pour autant pouvoir le nommer. Mais, chercheur dans l’âme, ne s’arrêtant pas là, il dit à la sphère « Avec une quatrième dimension je verrais donc à l’intérieur de toi ? ». En effet, en géométrie (purement mathématique et aucunement métaphysique), avec quatre dimensions, on voit tous les côtés en même temps d’un volume à trois dimensions, et même l’intérieur de celui-ci sans pour autant entrer dedans.

Avec une dimension spatiale de plus, le temps n’est plus nécessaire pour « tout voir ». Passer de l’intellectuel à l’existentiel et aborder la psyché sous l’angle uchrotopique revient un peu à cela.

Plusieurs auteurs s’y sont essayés :

Leibniz avec son cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part

« Dieu a seul une connaissance distincte de tout ; car il en est la source. On a fort bien dit qu’il est comme centre partout ; mais que sa circonférence n’est nulle part, tout lui étant présent immédiatement, sans aucun éloignement de ce centre » (1996, p.231)

Carl Gustav Jung écrivant

« Ma conscience est comme un œil  qui embrasse en lui les espaces les plus lointains, mais le non-moi psychique est ce qui, de façon non spatiale emplit cet espace » (Jung, 1973, p.450).

Ils nous sensibilisent à ces subtilités ineffables… mais les mots manquent dans notre « Flatland intellectuel » où nous ne disposons que de métaphores plus ou moins justes pour nommer le « spaceland existentiel ».

Nous avons aussi Marc-Aurèle,  exprimant  au IIe siècle :

« …qui a vu ce qui est dans le présent a tout vu, et tout ce qui a été de toute éternité et tout ce qui sera dans l’infini du temps » (1964, Livre IV - XXXVII).

Ainsi que Lao Tseu , cinq siècles avant JC, tentant de nous décrire ce qui fonde le monde :

« Grand carré sans angles, grand vase inachevé, grande mélodie silencieuse, grande image sans contours : le TAO est caché et n’a pas de nom, cependant sa vertu soutient et accomplit tout » (2000, 41)

Tous remettent en cause tant bien que mal les  notions de temps et d’espace. Nous trouverons l’expression de cette remise en cause dans des situations de plus en plus médiatisées de nos jours : celle de la mort imminente.

6.3Vécu à l’approche de la fin de la vie

Avant d’aborder le thème de la mort imminente, il importe de partager l’expérience de Jill Bolte Taylor, neuroanatomiste ayant personnellement vécu un AVC* dans son cerveau gauche en 1996. Elle a fait l’expérience d’un changement de dimension dans sa perception du monde qu’elle confia dans son ouvrage « Voyage au-delà de mon cerveau » (2008). Tout cela la conduisit bien plus loin que tout ce qu’elle avait étudié.

*accident vasculaire cérébral

Privée des performances de son hémisphère gauche, elle vécu sans limites, ni spatiale, ni temporelle, avec une perception claire de ses ressentis, qui étaient d’une nature si différente qu’à l’habitude :

« Les instants ne se succédaient plus les uns aux autres mais demeuraient éternellement en suspend […] J’ai renoncé à l’action au profit de l’être […] Je ne me sentais plus isolée ni seule au monde […] Je ne voyais plus en trois dimensions. Rien ne me semblait plus ni proche ni lointain. » (2008, p.86-87)

Elle pensait clairement, sans rien pouvoir élaborer intellectuellement. Elle ne pouvait ni coder ni décoder le langage, mais avait une perception et une pensée limpide.

Elle a également donné de nombreuses conférences visant à faire découvrir cette dimension de la psyché, dont une que vous trouvez sur You-Tube  ou  Bing Video

Si nous écoutons les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente, nous trouverons des propos analogues, dont notamment cette sensation, non pas forcément de « tout voir défiler rapidement », mais « de voir tout en même temps », y compris le ressenti à l’intérieur des êtres jadis rencontrés, perçus dans un « maintenant sans limites » où tout est contemporain de l’instant présent (comme pour Square passant de Flatland à Spaceland). Comme si le temps n’avait plus court… et l’espace non plus ! Le sujet peut instantanément percevoir ce qu’il veut où il veut, car il en est instantanément proche juste en « zoomant dessus » (c’est le mot approximatif utilisé pour nommer tant bien que mal cette possibilité indicible)

Nous venons donc de voir qu’il est possible d’imaginer un monde avec une dimension supplémentaire. Il est finalement aussi ridicule, dans notre monde à trois dimensions, de dire que le « lieu » spirituel de l’esprit se trouve « en haut », que pour Square, dans son monde à deux dimensions, de dire que « en haut c’est plus au nord que le nord »…

Nous retrouvons l’idée que nous donnais Denis Noble à propos de la différence entre l’objet neurone et la conscience (cité en début d’article) :

Mes neurones sont des objets, mon cerveau est un objet, mais ”je“ ne se trouve nulle part. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas quelque part »

Ce « quelque part », même s’il reste une énigme nous est perceptible sans pourtant que nous puissions parler en termes de lieu (d’où l’idée d’uchrotopie).

 Mais au-delà encore de ces possibles dimensions, il y a aussi la dimension fractale.

6.4Vers une éventualité fractale

Il s’agit d’un concept mathématique où une même forme se répète à toutes les échelles. Les fractales n’ont été découvertes qu’en 1975 (Jacques Dubois, jean Chaline, 2006).

Nous avons alors une disparition de limites car il s’agit d’un motif reproduit à l’infini. On peut l’illustrer par l’exemple simple du chou-fleur dont l’ensemble et chaque partie ont la même forme, ou mieux encore par le chou romanesco où cette formation en pyramide de l’ensemble se retrouve dans chaque élément et sous-élément.

Mais dans les fractales la reproduction de forme va plus loin encore. Le paysage que l’on trouve à une certaine échelle, se retrouve à toutes les autres, que ce soit dans l’infiniment grand, ou dans l’infiniment petit. Les fractales sont des représentations géométriques correspondant à une fonction mathématique où interviennent les nombres complexes (qui ont une partie réelle et une partie imaginaire).

Il se trouve que l’emplacement des planètes autour du soleil est concerné par les fractales (mais aussi les géosciences, la paléontologie, les sciences humaines,, l’économie…)

« L’irrégularité de la répartition des étoiles implique une structuration fractale » (Dubois et Chaline 2006, p.94).  

Donc cette dimension n’est étrangère ni à la vie, ni à notre univers.

Si je cite ici cet aspect particulier c’est qu’il donne la possibilité d’une absence de limites, tant vers « le haut », que vers « le bas », et donc l’impossibilité de trouver une origine (si ce n’est dans la fonction mathématique correspondante), mais que ce que nous regardons ici nous renseigne sur ce qu’il y a là-bas à une autre échelle.

Pour une illustration des différentes possibilités de dimensions, y compris fractales, vous pouvez vous amuser à visiter le site suivant : http://www.dimensions-math.org  

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7   Les « origines » et la psychothérapie

7.1Prise en compte d’une totalité

Toutes les notions abordées précédemment ne peuvent que solliciter notre humilité et élargir le champ des possibles. En matière de psychothérapie nous nous apercevons que la psyché d’un individu doit être considérée de façon uchrotopique (non restreinte au temps et à l’espace) et qu’il convient de surtout ne pas y chercher des choses extraordinaires, mais de s’ouvrir ordinairement à ce qui s’y présente, même quand cela dépasse nos représentations habituelles.

Naturellement il restera la difficulté de faire la différence entre une pertinence et un délire. Mais c’est là tout le problème : bien des choses sont éprouvées au niveau de la psyché qui peuvent être interprétées comme un délire… alors qu’il s’agit de pertinence.

« Heureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière » nous dit le poète Yvan Audouard (Nil-2011).

Devrions-nous comprendre également ainsi le propos de Martin Heidegger

« …de possibles failles permettent à l’être-là-devant de l’étant de faire intrusion » (1986, p.113).

Que de gens ayant de belles intuitions sont indument conduits vers la folie, par un déni rationnel de leurs perceptions et une tentative de les ramener à la logique du praticien et de ses connaissances théoriques.

Jean Maisondieu, psychiatre ayant publié sur la maladie d’Alzheimer nous interpelle à ce sujet :

« Si les médecins prévoient d’observer de la démence là où il y a de l’angoisse, ils trouveront de la démence et rien d’autre » (2001, p.52).

Nous avons vu que la « totalité » prend en compte de façon systémique celui que nous sommes, tous ceux que nous avons été et ceux dont nous sommes issus… mais aussi l’humanité… et hors espace et temps (comme sur le mode quantique) ce qui se trouve apparemment loin de nous mais avec lequel nous sommes encore en « contact ».

7.2Accepter de ne pas tout comprendre

Nous ne pouvons que nous sentir émerveillés par toutes les tentatives de l’humain pour comprendre. Tant de religieux, tant de philosophes, tant de scientifiques, tant de psychologues… L’humain a recherché dans toutes les directions possibles, mais nous n’oublierons pas que, même sur le plan purement matériel et scientifique, nous n’avons semble-t-il accès qu’à 4% de tout ce qui constitue l’univers dans lequel nous vivons !

Nous devrons donc probablement nous contenter de paliers signifiants dans lesquels notre intellect trouve suffisamment de marques répondant à sa  logique… pour le reste nous devrons accepter les intuitions et les fluctuations, sans pour autant abandonner notre discernement.

Nous devrons de temps en temps (ou souvent) tenir compte de subtilités non rationalisables.

7.3Une communication uchrotopique

Nous tenterons d’éduquer notre intellect à l’uchrotopie afin de ne pas restreindre ridiculement notre investigation à l’historique d’une vie. En effet nous découvrons qu’au niveau de celui que nous sommes, de tous ceux que nous avons été et de ceux dont nous sommes issus, tout est en contact potentiel (tout est là en même temps). Ces contacts sont ouverts ou fermés. Quand ils sont fermés, un lien représenté par les symptômes nous permet de ne pas en perdre la trace, en attendant de le rouvrir dans le rétablissement d’un état communicant. C’est finalement ce qu’est sensé produire une psychothérapie nous conduisant vers une complétude de Soi, une individuation plus accomplie. N’oublions pas l’illustration que nous propose Edwin A. Abbott avec Flatland et restons sensibles à la subtilité.

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8   Nos origines… finalement

8.1Seul le commencement est accessible

Notre quête d’origine aura-t-elle pour autant trouvé satisfaction ? Ne restons-nous pas finalement un peu sur notre faim au bout de cet imposant (et parfois extravagant) voyage. Naturellement nous avons trouvé plusieurs « paliers de commencement ».

Le commencement de notre vie, puis celui de la vie de nos parents. Celui de l’humanité, puis celui de la vie. Celui des molécules puis celui de la matière avec le « début » de l’univers. Autant de « commencements » qui ne sont que des étapes ou des périodes, mais aucunement un début où une origine au sens propre de ces termes. Il reste difficile pour ne pas dire impossible de trouver où se trouve la frontière précise entre un avant et un après qui déterminent le vrai début, l’origine exacte.

En effet nous devons distinguer l’« origine », le « début » et, le « commencement »

8.2L’origine, le début, et le commencement

-L’origine est ce qui précède le début, ce qui produit ce début.

-Le début est le premier instant d’existence résultant de l’origine.

-Le commencement est la période de naissance qui suit le début.

Nous semblons condamnés à examiner des commencements et rien de plus. Même quand nous arrivons au fameux big-bang, il ne s’agit que d’un commencement et non d’une origine, ni même d’un début. Nous ne parvenons qu’à approcher un probable début sans jamais l’atteindre… et l’origine de ce début nous reste encore plus inconnue, peut être inconnaissable.

Quand Etienne Klein, scientifique plutôt matérialiste, nous parle de l’origine, il aboutit aussi à une forme de transcendance, une cause qui n’a pas elle-même à être fondée :

« S’il s’agit d’une cause première, une cause qui n’a pas à être elle-même fondée (Dieu est souvent le bon candidat, à condition bien sûr qu’on ne se demande pas, d’où vient Dieu…), alors il faut la penser comme une transcendance effectivement distincte de l’univers lui-même : l’origine de l’univers a besoin d’autre chose que ce qui se trouve dans l’univers pour se dire » (2010, p.131).

Par exemple un meuble est fait de bois. Alors où est l’origine du meuble ? Est-elle dans l’arbre d’où vient ce bois, puis dans la graine d’où vient cet arbre, puis dans l’évolution qui depuis les atomes, par étapes successives, est arrivée produire ce qui a fait la graine, puis… Où bien l’origine est-elle dans l’esprit du menuisier qui a conçu le meuble ?... ou bien dans le besoin de l’utilisateur qui a inspiré le menuisier ? Il y a tant d’interactions systémiques !

Le meuble commence à être réalisé dans l’atelier du menuisier. Nous avons ce commencement. Mais peut-on borner le commencement dans cette réalisation : au niveau des plans, au niveau des planches, des premiers coups de rabots ? Peut-être l’ensemble de tout cela ? Ainsi nous avons à peu près son « commencement », mais cela reste un peu flou. Et concernant le début de la vie du meuble doit-il être considéré quand celui-ci est achevé, prêt à sortir de l’atelier ? Ou quand il rentre chez le client qui l’a acheté ? Ou plutôt au premier coup de rabot ? Ou au moment de l’élaboration des plans ? En plus, parler de début sans parler d’origine est frustrant et peut-être même inexact. Alors où est l’origine ? : est-elle quand la graine d’arbre est tombée sur le sol, ou quand la première idée germa dans l’esprit du menuisier ?… la notion d’origine est bien complexe, surtout quand nous recherchons la « vraie source initiale ». En fait tout est simple quand on pense « en gros », mais dès qu’il s’agit d’être précis, tout devient flou et non limité. Nous y retrouvons la fameuse continuité si chère à Henri Bergson.

Une sorte de quête sans fin comme dans une courbe « hyper fractale » (ou en plus chacun de tous les éléments seraient reliés à tous les autres) et où nous aurions de chaque côté un infiniment grand et un infiniment petit.

Pour éviter trop de vertige et rester simples, là où nous sommes il convient d’ouvrir sa sensibilité plus que son intellect, même si l’intellect est un bon outil qui mérite notre gratitude et a aussi son importance.

Nous reprendrons peut-être simplement le propos inscrit sur le fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux ». Comme nous le propose Carl Gustav Jung dans une approche du Soi absolument non narcissique, mais au contraire nous ouvrant au monde :

 « Ma conscience est comme un œil  qui embrasse en lui les espaces les plus lointains, mais le non-moi psychique est ce qui, de façon non spatiale emplit cet espace » (Jung, 1973, p.450).

Thierry TOURNEBISE

 

 

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Bibliographie

Ouvrages

Abbott, Edwin
-
Flatland    -Edition du groupe « Ebook libres et gratuits » -1884
disponible en pdf  à http://www.ebooksgratuits.com  
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/abbot_flatland.pdf 

Audouard, Yvan
-Heureux les fêlés… car ils laisseront passer la lumière – Nil 2011

Bergson, Henri
-La pensée et le mouvant – PUF, 2006

Bolte Taylor, Jill
-Voyage au-delà de mon cerveau, (JC Lattès, J’ai lu, 2008).

Dubois, Jacques et Chaline, jean
-Le monde des fractales – Ellipse, 2006

Heidegger, Martin
-Être et temps – Gallimard 1986

Jung, Carl Gustav
-
Ma vie, souvenirs rêves et pensées- Gallimard Folio, 1973

Klein, Etienne
-Discours sur l’origine de l’univers – Flammarion, 2010

Lao Tseu
-Tao Te King -Editions Dervy, Paris 2000

Leibniz, Gottefreid Wilhelm
 -Principes de la nature et de la grâce – GF Flammarion, 1996

Maisondieu, Jean
-Le crépuscule de la raison – La maladie d’Alzheimer en question – Bayard 2001

Marc-Aurèle           
-Pensées pour moi-même – GF Flammarion 1964

Maslow Abraham
-Etre humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Morin, Edgar – Le Moigne, Jean-Louis
-Intelligence de la complexité – L’Harmattan, 1999

Nietzsche. Friedrich
-Par-delà le bien et le mal - Poche, 2000
-Deuxième considération intempestive – GF Flammarion, 1988

Noble, Denis
-La musique de la vie. La biologie au-delà du génome –Seuil, 2007

Perls, Fritz
-Manuel de Gestalt-thérapie - ESF, 2003

Rodis-Lewis Geneviève
-Epicure et son école –Gallimard, 1975

Rabelais, François
-Œuvres   complètes - Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Bruges1962

Schopenhauer, Arthur
-Esthétique et métaphysique – Livre de Poche1999

Tort Patrick
-Darwin et le darwinisme –Puf, 2009
-Darwin n’est pas celui qu’on croit- Le cavalier Bleu éditions, 2010

Tournebise, Thierry
-Le grand livre du psychothérapeute – Eyrolles, 2011

Thrin Xuan Thuna
-Le monde s’est-il créé tout seul –Albin Michel 2008
-La mélodie secrète – et l’homme créa l’univers- Gallimard, folio essais, 1991

Revue

Science et vie
n°1123 avril 2011

Lien externe au site

Dimensions (animations illustrations) :
http://www.dimensions-math.org

Conférence de Jill Bolte Taylor
You-Tube  ou  Bing Video

 

Liens internes au site

« Assertivité ». septembre 2001
« Apaiser violences et conflits »
juin 2003

« Le ça, le moi, le surmoi et le Soi »
novembre 2005
« Abraham Maslow » octobre 2008

« Du temps et de l’espace »
avril 2009

« Gestalt thérapie »
mai 2009
« Les symptômes (en psychopathologie) » juin 2011

 

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