Page d'accueil

Documents publiés en ligne

Retour publications

Humaniser la fin de vie

et les situations de pathologies lourdes

avril 2003    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

Lire aussi les publications Psychologie et violence dans le grand âge  ainsi que  personnes âgées  et Communication thérapeutique

aide, accompagnement, humanisation
Plan de cet article et accès aux chapitres

1 Attitudes, sensibilité, réactions:
Commencer par la vie - Stratégies face à l'inacceptable (déni, révolte, marchandage, déprime, acceptation)
2
Accompagner les deux pulsions de vie et de survie:  
Evitements rapprochements -  Accompagner les rencontres (avec sa vie, avec ses proches)
3 Le vécu des proches, le deuil:
La violence de l'événement - La rupture physique - Les autres ruptures - la fin du deuil
4 Humaniser l'accompagnement:
Chaleur Humaine - Avec ou sans spiritualité - Les progrès face à la douleur - De la lutte vers l'écoute
5 L'opportunité d'une nouvelle sensibilité:  
Le défi de la fin de vie - La dimension humaine à nu, un apprentissage vers plus de vie
Annexes Témoignages

Retour à cet article présenté en  plusieurs pages Web

Humaniser la fin de vie 1/5

1

Attitudes, 
sensibilité, réactions

Commencer par la vie

Progrès en cours

Humaniser la fin de vie est aujourd’hui une préoccupation de plus en plus présente dans les milieux de soins. Les directives ministérielles au niveau de la santé vont en ce sens, les praticiens aussi. Tout semble donc pour le mieux. Il est certain que la médecine d’aujourd’hui prend mieux en compte la douleur… mais il reste encore d’importants progrès à réaliser.

Pour vraiment humaniser la fin de vie il sera utile de vérifier si nous savons déjà humaniser la vie. Il semble bien présomptueux de prétendre humaniser la fin de vie, si on ne sait pas tout simplement humaniser la vie avant sa fin.

Entre intention et réalisation

Depuis quinze ans que je forme du personnel hospitalier j’ai, la plupart du temps, rencontré des soignants et des médecins ayant pour projet une réelle délicatesse et un réel respect des patients. Mais j’ai aussi pu constater qu’en avoir le souhait est une chose, le réaliser en est une autre.

J’ai même remarqué que de nombreuses habitudes, même des protocoles et des attitudes recommandées dans un projet respectable, vont totalement à l’encontre de ce qu’il faudrait faire… et produisent l’inverse du résultat attendu.

Exemple d’attitude contradictoire

Il est actuellement à l’ordre du jour de favoriser l’autonomie du patient. Mais qu’est-ce que l’autonomie? Nous voyons, par exemple dans les services de soins, que pour favoriser cette autonomie du patient, l’équipe aura pour projet de le lever et de le faire marcher. Quand il ne veut pas, chacun tâchera de le convaincre délicatement en lui expliquant que c’est important pour lui. S’il ne comprend pas, on tentera alors un peu de le «forcer»… pour son bien.

Bien que l'attitude soit juste sur le plan physique (ergothérapie), remarquons que la situation devient vite ambiguë. Pour qu’il reste autonome on lui demande d’abandonner ce qu’il pense, ce qu’il sent. On va soigneusement le convaincre, c'est-à-dire délicatement lui demander d’abandonner sa pensée pour adopter la nôtre ! Est-ce cela l’autonomie ? Et si nous prenions soin de ne pas mélanger autonomie et lobotomie !

Peut être ce dernier mot vous a-t-il choqué. Certes il est fort. Mais je reconnais me sentir aussi profondément attristé quand je remarque à quel point la dignité du patient est involontairement détruite.

Les nombreuses chartes du malade que l’on voit apparaître sur les murs des hôpitaux n’y changent pas grand-chose. Il ne s’agit pas seulement d’une règle à établir, mais surtout d’un état d’esprit, d’une approche de l’autre totalement différente.

Aider les soignants

Naturellement, personne ne souhaite l’irrespect, au contraire … c’est pourquoi je vous invite à ne pas en faire le reproche aux soignants, pratiquement tous extrêmement dévoués.

Toutefois,  il semblerait qu’on ne leur ait pas donné les clés de ce qu’est l’humanisation. Il semblerait que les soignants soient souvent empêtrés dans des croyances  modernes  sur l’empathie et la bonne distance, sur le projet maladroit de trouver une solution quand il y a un problème, sur la confusion entre l’affectivité et la chaleur humaine, sur le fait d’être persuadé que le savoir est seulement du côté du soignant…. Tout cela s’embrouille et altère la qualité psychologique du soin.

Le petit exemple, ci-dessus, sur l’autonomie est un cas fréquent. Et il ne concerne qu’un cas parmi pleins d’autres. Vous trouverez de nombreux exemples dans l’article de mai 2001 sur les personnes âgées.

Ainsi, avant de chercher à humaniser la fin de vie, saurons nous déjà humaniser la vie, y compris des personnes jeunes… même de celles qui ne sont pas malades!

Il s'agit d'un apprentissage nouveau qui consiste à être capable d’assertivité, c'est-à-dire être en même temps dans le respect d’autrui et dans l’affirmation de soi, savoir être humain sans être vulnérable, être distinct sans être distant, être chaleureux sans être dans l’affectivité… Autant de notions à clarifier pour vraiment humaniser l’existence.

Stratégies face à l’inacceptable

Tant que la mort n’est pas là, il s’agit de vie, mais la personne en fin de vie se trouve dans une zone d’existence inconnue pour les autres et tout juste découverte par elle. Elle est invraisemblable, impossible, incroyable, inacceptable et totalement inattendue. Les ressentis y sont sans repères connus. Tout ce qui a été imaginé ne permet pas d’accepter spontanément une telle situation, une telle dimension d’évènement.

Pourtant les étapes qui y sont traversée ont déjà été traversées dans d’autres circonstances de l'existence. Mais ici l’ampleur dépasse tout.

Tout commence par une auto anesthésie salutaire.

Anesthésie spontanée face à l’impossible

Au cours de sa vie, un être humain est parfois confronté à diverses situations pénibles. Quand celles-ci dépassent ses capacités d’intégration, quand elles sont insurmontables, il ne peut spontanément les digérer et en sortir instantanément grandi et serein.

Avant d’intégrer une situation insurmontable, avec les moyens qu’il a d’y faire face, il traversera d’abord plus ou moins automatiquement six étapes.

L’anesthésie spontanée est la première de ces étapes.

La pulsion de survie l’amène à naturellement s’anesthésier pour éviter la douleur de l’impact. 

C’est la phase dite de déni dans laquelle le patient peut même se comporter «comme s’il n’avait pas entendu». Il se dit «non, c’est impossible!».

Vous remarquerez que cette attitude concerne aussi, de façon moins aiguë,  toutes les situations difficiles de l’existence. Surpris par un ennui, même aussi ordinaire que la tondeuse à gazon qui ne démarre pas,   des phrases jaillissent spontanément de la bouche : «J’y crois pas!», «Non! C’est pas possible» «Oh non pas encore!»

Dans des situations plus difficiles, mais pas au point de la fin de vie, une infirmière de pédopsychiatrie se plaignait que la mère soit généralement dans le déni par rapport à la pathologie de son enfant et à la nécessité de sa prise en charge.

Cependant, alors que la mère déni la pathologie de l’enfant, car il lui est douloureux de la reconnaître, la soignante, elle, est dans le déni de la douleur de la mère, car celle-ci rend le soin de l'enfant plus difficile.

En fait le déni semble fréquent de part et d’autre, chacun reprochant à l’autre de ne pas le comprendre !

Cette attitude de déni est comme un réflexe de survie pour échapper à ce qui est pénible, pour échapper à ce qu’on ne sait pas intégrer spontanément.

Comme la fin de vie est évidemment particulièrement inacceptable, le déni y sera d’autant plus fort ou tenace.

Puis arrive l’étape suivante.

La colère du «réveil»

La pulsion de survie a conduit vers l’anesthésie pour échapper à la douleur. Maintenant,  la pulsion de vie va entrer en action et amener la réanimation. La sensibilité va commencer à revenir, la conscience va progressivement accéder à ce qui se passe vraiment.

La réalité commence à être perçue. Cette sortie de l’anesthésie, conduit à réaliser que «si, c’est vrai». Le sentiment d’injustice d’être ainsi surpris par un évènement aussi improbable révolte, met en colère et conduit à des phrases comme «Pourquoi moi?» «C’est pas juste!» C’est comme un cauchemar révoltant. Mais alors qu’on croyait rêver, on y réalise que ce n’est pas un cauchemar. C’est vraiment ce qui se passe.

Cette colère apparaît aussi dans des situations difficiles ordinaires. «La voiture est encore en panne! Juste au moment où j’en ai besoin ! Ce n’est pas vrai ! Mais pourquoi ça m’arrive justement là ? C’est vraiment injuste!» On remarquera la succession quasi instantanée du déni puis de la révolte.

Quand il s’agit d’une fin de vie, le déroulement est le même, mais vu la gravité de la situation, l’ampleur de la réaction est toute autre et la succession des deux étapes demande plus de temps.

Se soutenir par quelques derniers espoirs

Cette troisième étape est généralement appelée «marchandage». C’est un moment où le malade en fin de vie entreprend une tentative désespérée de négociation pour s’en sortir.

Je n’aime pas le mot «marchandage». Certes? c’est une tentative de transaction où il  négocie sa vie contre sa bonne conduite : «Mais si je me soigne correctement?» «Je ferai attention à mon alimentation!», «je ne me fâcherai plus pour rien». Le côté physique, le côté psychique ou moral, puis le côté spirituel «Je ferai un pèlerinage» peuvent successivement être passés en revue dans l’espoir qu’avec ça il va bien s’en sortir.

Dans les situations ordinaires de la vie il en sera de même, mais à un degré moindre, bien sûr. Pour l’exemple de la voiture en panne, après le déni (mais c’est pas vrai!), puis la révolte (pourquoi ça m’arrive aujourd’hui? c’est vraiment trop injuste!) arrive le moment des bonnes résolutions «La prochaine fois je surveillerai mieux ma voiture et je la ferai réviser à temps»… mais la négligence d’autrefois se reproduit quand même ultérieurement et la situation se répète.

Dans le cas extrême de la fin de vie l’enjeu est terriblement différent par sa gravité et surtout parce qu’il n’y aura pas de prochaine fois. Cependant, se raccrocher à l’espoir d’une solution aide à vivre. Ce n’est plus tout à fait une anesthésie. Il s’agirait plutôt d’une sorte d’anxiolytique, dans lequel un peu de rêve permet de survivre, malgré tout, au choc. Pendant ce temps, inconsciemment, le patient, «digère» un peu l’évènement.

Puis la réalité prend le dessus et il passe à la phase suivante.

La déprime

Toutes ces solutions mises en avant deviennent obsolètes. Dans la tentative précédente de transaction, les solutions étaient mises en premier et le problème en second. Maintenant c’est l’inverse. Les solutions passent au second plan et deviennent dérisoires face à ce problème qui prend toute la place.

D’ailleurs «primer» c’est mettre en premier et «dé-primer» c’est ne plus mettre en premier. C’est un effondrement de ce sur quoi on pensait pouvoir solidement s’appuyer  (en fait l'origine du mot "dépression" signifie trou, vide, creux). Il s’en suit un sentiment d’impuissance, de désespoir, de vide douloureux dans lequel un gigantesque «à quoi bon» provoque l'anéantissement. 

Plus rien n’a alors d’intérêt.

Cette phase est une phase de disparition du pouvoir et  de l’énergie. Une étape vécue si douloureusement qu’elle ressemble déjà à une fin du monde.

Mais cette impression de fin du monde n’est qu’une apparence. Ici l’énergie et le pouvoir disparaissent pour que la vie apparaisse.

Trop souvent on a confondu la Vie et l’Energie.

L’énergie c’est «Faire», la vie c’est «Etre». Or faire et être sont deux notions fort différentes. Au point que quand la vie nous dérange, une des stratégies est de faire plein de choses pour la fuir. Dans mon ouvrage «L’écoute thérapeutique» j’ai même intitulé un chapitre Le masque de faire. J’y montre comment nous enfouissons les moments de vie qui nous dérangent, en les faisant disparaître en soi dans des oubliettes, derrière un masque de faire pour récupérer un pouvoir sur notre existence.

La déprime touche la fin de vie, mais aussi de nombreuses autres situations de vie dont vous trouverez le détail sur ce site dans l’article «Dépression et Suicide»

La traversée de ce vide est plus ou moins longue et douloureuse. Si elle est bien accompagnée,  douleur et durée s’en trouvent diminuées.

La phase de déprime permet, grâce à l’absence d’énergie et grâce à l’absence d’intérêt pour quoi que ce soit, de passer à l’étape suivante où la «digestion inconsciente» porte ses fruits. L’attention y est ainsi plus tournée vers soi-même permettant de rencontrer ses véritables ressentis et de donner un sens à sa vie. Cette sensibilité apparaît car elle n’est plus occultée par une gesticulation de faire, d’énergie et d’intérêt.

L’acceptation

L’acceptation est une attitude d’accueil avec reconnaissance et sensibilité.

On prendra soin de ne pas la confondre avec la résignation qui n’est qu’un retour à une forme d’anesthésie, et même à une extinction totale de la sensibilité.

Avec l’acceptation, commence un chemin vers une sensation de vie. De nouvelles valeurs viennent alors colorer l’existence.

La fin de vie, c’est encore de la vie. C’est même tellement de la vie que j’ai souvent entendu des soignants évoquer qu’auprès de patients en fin de vie, ils sentent plus de vie (d’authenticité) que dans le quotidien ordinaire. A se demander où se trouve la vie?

Désormais, la difficulté devient différente pour le malade. Avant l’entourage avait du mal à entendre son déni ou son désespoir. Maintenant il a du mal à comprendre sa sérénité. Le malade ne peut toujours pas partager ce qu’il vit. Sur ce point la qualité de l’accompagnement manque encore terriblement d’humanité.

 

 

Humaniser la fin de vie 2/5

2

Accompagner les
pulsions de vie et de survie

retour menu de l'article

Evitement puis rapprochement

Un antagonisme pertinent

Elisabeth Kubler Ross mentionne les étapes de déni, révolte, marchandage, déprime et acceptation qui se produisent dans la fin de vie. J’ajouterai que ce sont avant tout des étapes de vie que l’on rencontre à chaque fois qu’un individu est confronté à plus qu’il ne peut surmonter à un moment donné.

Ce cheminement résulte de l’effet antagoniste de la pulsion de survie qui protège du choc en produisant l’anesthésie et de la pulsion de vie qui pousse à intégrer ce qui vient de se passer en produisant une sorte de réanimation pour y revenir.

Quand on comprend que ce mécanisme concerne toute la vie, on comprend aussi que de nombreuses situations de l’existence restent ainsi en suspend, coincées entre ces deux pulsions : celle de survie qui éloigne, celle de vie qui rapproche. On pourrait comparer la pulsion de survie à une pression qu’on exercerait sur un ballon pour qu’il reste sous l’eau et la pulsion de vie à la poussée d’Archimède qui tend automatiquement à le faire remonter à la surface.

Une lutte inégale

La lutte entre ces deux pulsions est inégale puisque, pour éviter et maintenir à distance, la première réclame de l’énergie alors que la seconde a juste besoin qu’il n’y ait plus d’énergie pour s’exprimer. Ainsi quand on n’a plus la force de maintenir le ballon sous l’eau, automatiquement il remonte.

Dans la vie, à chaque fois que l’énergie diminue, la vie apparaît. Cette part de soi cachée, qu’on ne savait accueillir, remonte. Il se présente alors une opportunité pour l’accueillir… si nous le voulons bien et si nous le pouvons ! Ce sont les différents moments de déprime ou de dépression rencontrés dans l’existence. Pour en savoir plus sur ce thème, si vous ne l’avez déjà fait,  je vous invite à lire sur ce site l’article de juin 2001 Dépression et suicide. Il est très important de bien comprendre ce mécanisme pour accompagner correctement un patient.

Or au moment de la fin de vie, justement, l’énergie fait défaut. Curieusement, c’est au moment où la vie semble échapper qu’elle émerge.

Emergences

Des pans entiers de la vie émergent comme dans une «venue au monde». Tout ce qui a été jusque là maintenu «sous l’eau» refait surface.

C’est comme une invitation à réhabiliter tous ces morceaux de vie restés dans l’oubli, ou dans l’illusion qu’ils n’étaient pas importants. C’est un moment d’exception pour se réapproprier son existence, pour réparer les blessures, réconcilier les ruptures, entendre ce qui n’a jamais été entendu et dire ce qui n’a jamais été dit.

Savoir qu’il y a ces six étapes ne sert à rien si l’on n’a pas compris l’ampleur de cet enjeu. Faire le constat qu’un patient est dans la phase de déni, de révolte, de marchandage ou de déprime est inutile si cela ne permet pas de l’accompagner dans chacune de ces étapes.

Il est impossible de correctement l’accompagner si on ne comprend pas qu’il s’agit de morceaux de vie qu’il tente de mettre au monde, de faire naître enfin… afin de mourir entier avec un sentiment d’accomplissement. Finir de naître semble une tâche fondamentale avant de mourir.

Les accompagnants peuvent apporter beaucoup. Pour cela ils devront être au fait de ce que sont la communication, l’aide et l’accompagnement.

Sur ce site, je vous recommande de prendre connaissance des articles suivants : reformulation, personnes âgées, assertivité. Ainsi que du dossier Psychothérapie ou de l’ouvrage «L’écoute thérapeutique», chez ESF.

Vous pourrez ainsi ajuster vos connaissances en y incluant de nouveaux éléments permettant d’optimiser la qualité de votre aide. Dans l’article sur la reformulation, j’attire particulièrement votre attention sur le paragraphe «chaleur humaine et affectivité» qui est vraiment le minimum à lire pour toute personne souhaitant aider.

Accompagner les rencontres

Avec délicatesse, sans rien forcer, mais sans rien négliger, l’accompagnement consistera à aider ces rencontres de lui avec lui-même, de lui avec les autres et des autres avec lui.

Favoriser sa rencontre avec Lui-même

Le patient en fin de vie a vraiment besoin de se sentir accompagné dans ce processus de rencontre avec soi-même. Malheureusement, c’est trop rare.

Son entourage doit comprendre que la phase de déprime est un moment privilégié qui va permettre des réhabilitations, des naissances. L’intérêt disparaît pour que l’attention apparaisse. Les leurres disparaissent afin qu’il se rapproche de lui-même.

C’est le moment où surgiront de nombreuses réminiscences. Celui qu’il a été, dans de diverses circonstances de sa vie, refait surface. Il ne s’agit pas d’évocation du passé, mais d’un «contact» avec une part de lui-même qui constitue l’être qu’il est.

La structure psychique d’un individu est faite de celui qu’il est, de tous ceux qu’il a été (depuis qu’il existe) et de ceux dont il est issu (ses ascendants). Pour plus de détails sur ce point, lire le dossier psychothérapie au chapitre structure en puzzle.

Toutes ces parts de soi ne sont pas dans le passé. Seules les circonstances sont passées. Celui qu’il a été dans ces circonstances est toujours en lui, depuis ces instants, et n’a jamais cessé d’y être. Cela le constitue.

Exemples de rencontres

Mais ces parts de soi ont plus ou moins été maintenues à distance en fonction de la douleur qui a été ressentie à l’époque (pulsion de survie).

La fin de sa vie pourra, par exemple, ramener à sa conscience cet enfant rentrant de l’école, le jour où il n’a pas osé dire la douleur des moqueries dont il a souffert. Il n’a pas osé le dire car on lui aurait juste rétorqué «il faut te défendre» alors qu’il souhaitait juste qu’on comprenne sa blessure intime.

Cet enfant lui revient et il se sent plein de compassion pour lui. Au lieu de le mettre à distance, il en fait désormais «son ami». Enfin il l’entend vraiment. Il lui aura fallu tout ce temps et cette circonstance extrême pour lui donner sa place, pour ne plus le nier.

Pareillement  reviendra le moment où un parent est décédé, puis le jour où les enfants sont partis de la maison, ou encore cet instant où il a vécu un cuisant échec professionnel, puis celui où il s’est fâché avec un ami. Pour chacune de ces circonstances, il lui reste celui qu’il a été et qui lui «revient» à l’esprit.

L’évènement est passé, 
celui qu’il était est présent

Ces moments sont passés, mais celui qu’il était, dans chacun d’eux, n’a jamais cessé d’être là, en lui.

Ces moments, même ceux qui furent terribles, sont loin dans le passés.

Par contre, celui qu’il a été, dans chacun de ces instants, est précieux et n’a jamais cessé d’être là, en lui.

Ce qui vient de changer, c’est que la pulsion de vie l’emportant sur la pulsion de survie, désormais, il veut bien l’entendre, lui donner une place d’honneur au plus profond de lui-même, une écoute et une reconnaissance délicate.

Chacune de ces rencontres lui permet de se sentir de plus en plus entier.

L’accompagner, c’est l’aider dans ce processus. Il ne s’agit pas de simplement constater qu’il est dans la déprime, mais de comprendre cet enjeu de vie. Une présence chaleureuse et sécurisante est particulièrement requise ici car de telles «rencontres», bien que salutaires, sont parfois dans un premier temps très bouleversantes.

S’ajoutent à cela quelques espoirs déçus qu’il faut «digérer». Il rêvait de telle ou telle chose… pensant qu’il avait le temps. Mais elles ne se produiront jamais, puisqu’il n’y a plus de futur suffisant.

Tout ceci attend d’être entendu, reconnu, validé. Le patient attend qu’un interlocuteur puisse enfin l’entendre et l’aider à s’entendre lui-même. Il ne s’agit pas tant de trouver des solutions que de reconnaître l’importance et le côté précieux de chacun de ces ressentis.

L’aider à rencontrer ses proches

La rencontre avec ses proches est importante. Toutefois, elle n’est pas aisée.  Chacun tente de masquer son émotion, ou feint de ne pas voir la gravité de la situation. Chacun tente, au mieux, de rester digne et de faire «comme si de rien n’était».

Cela ne conduit qu’à une impression de superficialité ou d’indifférence maladroite.

En cachant son émotion, le proche n’est plus visible. Le patient en fin de vie se retrouve entouré de plein de monde, mais terriblement seul. Il n’a que des «fantômes  indifférents» en train de feindre une aisance qu’ils n’ont pas et affichant une dérision déphasée par rapport aux enjeux subtils de la situation.

Heureusement, ce n’est pas toujours ainsi. Il arrive que le partage soit profond, intime, authentique. Cette attitude est vraiment à encourager quand elle est possible.

Naturellement en pareils moments il serait mal venu de reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit. Chacun fait comme il peut.

Comprendre l’importance de cette authenticité permet d’encourager des rencontres trop hésitantes.

Se voir vraiment est le meilleur moyen de ne pas se manquer.

Parfois la personne en fin de vie attend aussi de revoir un proche resté loin, un parent avec qui il était en rupture. Cela devient l’opportunité de se dire ce qui trop longtemps restas-tu. En cette circonstance exceptionnelle, il peut rompre un silence, libérer un secret.

L’accompagnement consiste à favoriser ces rencontres quand elles émergent. Même s’il en découle parfois des tempêtes (toutes les révélations ne sont pas confortables) c’est un cheminement indispensable pour chacun. La tempête passée, chacun constituera sa structure intime avec plus d’intégrité et de vie.

Parfois il ne s’agit pas de rencontre, mais de reconnaissance. Ce monsieur qui confie à un accompagnant combien il espère, après sa mort,  retrouver son épouse. Il a besoin de sentir qu’on valide ce que représente son épouse par un «vous aimez beaucoup votre épouse?».

Cette phrase n’a rien de magique en soi. Elle devra être accompagnée par un non verbal profondément reconnaissant de la dimension d’amour dont il parle. Une grande délicatesse et une grande subtilité dont vous trouverez les détails dans l’article reformulation où se trouvent des éléments souvent mal connus, même chez de nombreux spécialistes de l’aide ou de la communication.

Aider ses proches à ne pas le manquer

Pour lui, comme nous venons de le voir, la rencontre des proches est très importante. Quand elle est authentique, elle lui permet de ne pas se sentir seul. Dans cette rencontre, il doit pouvoir percevoir que ses proches «sentent quelque chose».

De leur part, la «fausse sérénité» prend vite des allures d’indifférence et fait trop mal.

Mieux vaut être capable de tomber dans les bras l’un de l’autre en larmes et de partager un ressenti spontané que de jouer un jeu de cache-cache où chacun ménage l’autre, mais aussi où personne ne voit personne.

Si cette rencontre est essentielle pour celui qui est en fin de vie, elle l’est tout autant pour les proches. Trop de pudeur à montrer ses ressentis personnels, et trop de peur à entendre ceux de son proche en fin de vie, conduisent à se manquer.

Le deuil qui suivra le décès sera d’autant plus douloureux qu’il n’y aura pas vraiment eu rencontre. Il est moins douloureux de perdre quelqu’un qu’on a rencontré que quelqu’un qu’on a manqué.

A ce sujet je vous recommande particulièrement le livre de Marie de Hennezel «On ne s’est pas dit au revoir» édité chez  Pocket Editions  et  chez Robert Laffont.

Naturellement il est préférable que l’entourage lui «donne le droit de partir». Mais s’il ne le peut pas, il doit le reconnaître et jouer l’authenticité. De toute façon, par les comportements, le non verbal dit tout. Ce non verbal représente 90% de l’information qui transite entre deux individus. Gestes, mimiques et intonations de la voix sont autant de «renseignements involontaires» donnés à l’interlocuteur qui perçoit parfaitement s’il y a incohérence entre le propos et l’attitude.

Il vaut mieux montrer «j’ai trop de peine de te perdre» avec authenticité que de prétendre «ne t’inquiète pas pour moi ça va aller» en n’en pensant pas un mot.

Cela permet de partager ce qui est ressenti, ce qui se passe chez chacun. Cela permet d’en parler et de faire le chemin.

Pour celui qui va vivre un deuil, il y a aussi ces phases de déni, de révolte etc…

Lui aussi est confronté à l’invraisemblable, à l’inimaginable.

Mais pour que son deuil soit moins douloureux, il ne doit pas rater cette rencontre d’exception. Il y a lui et il y a l’autre, qui va partir. Ils ne doivent pas se manquer.

 

Humaniser la fin de vie 3/5

3

Le vécu des proches
- Le deuil -

retour menu de l'article

Violence de l'événement

Pas si prêt que ça !

Pour celui qui reste, le moment est très fort. Ce qui se passe après la mort  de l’être aimé ne correspond à rien de ce qu’il avait imaginé. Même quand il se croyait prêt … finalement il ne se sent plus aussi prêt que ça.

Entre avant et après,  plus rien n’est pareil: même quand cette mort a pu être espérée par trop de souffrances, par une agonie interminable, par une pathologie trop invalidante, même quand elle a été espérée, même quand elle est vécue comme une délivrance...  elle est en même temps une douleur dont la force est inattendue.

Le choc

Le choc ressenti va souvent lancer automatiquement la pulsion de survie. Une sorte d’auto anesthésie qui permet de ne pas tout de suite se rendre compte de l’ampleur de la situation. La personne endeuillée va ainsi parfois s’occuper de mille choses à régler, d’un air détaché et presque tranquille.

Elle ne prendra conscience que plus tard de ce qui vient de se passer, que l’autre ne reviendra plus. Ce temps peut durer de quelques heures à quelques mois ou même quelques années. Parfois même, il faut plus de dix ans pour réaliser à quel point l’autre nous a manqué!

De quelques heures à quelques décennies, il n’y a pas de règles. Parfois la conscience prend son temps pour réaliser. C’est le temps que la maturité permette d’y faire face sans trop de dégâts.

D’autres fois, la pulsion de survie ne fonctionne pas tout de suite. Des personnes vont immédiatement s’effondrer en cris et en larmes. La perception de la douleur est immédiate. La pulsion de survie ne suffit pas à anesthésier la blessure. Le déchirement s’exprime instantanément.

Puis la personne se calme, se rentre… car il faut savoir rester «digne». D’autant plus que les «encouragements» extérieures visent souvent à atténuer cette expression forte, au lieu d’en accueillir la réelle dimension.

Dans les deux cas, commence un processus de deuil dont on parle beaucoup, mais qu’on se doit de ne pas trop enfermer dans des prévisions.

Ce deuil, si souvent évoqué à tort et à travers dans des remarques du genre «il n’a pas encore fait le deuil», reste mal connu. Au fond, c’est quoi «avoir fait le deuil»? Ce n’est certainement pas de ne plus y penser. Cela est beaucoup plus subtil et profond et mérite qu’on y consacre quelques lignes.

Avoir fait le deuil, c’est avoir réconcilié les ruptures associées à cette perte. Ci-dessous j’évoquerai cinq de ces ruptures quasi systématiques. Ces fractures maintiennent un niveau de douleur et retardent la fin du deuil.

Les enjeux y sont un antagonisme entre d’une part la pulsion de survie qui anesthésie ou compense pour tenir le coup et d’autre part la pulsion de vie qui préserve les ressentis cachés et les restaure afin de ne pas perdre ce qui est précieux (c'est-à-dire ce qu’on a été et ce que l’autre a été)

La rupture physique

Dans un deuil on rencontre au moins cinq ruptures. La première est la plus évidente : c’est la rupture par le manque physique. On ne peut plus se parler comme avant, se tenir dans les bras, se regarder, se toucher.

Ce manque matériel de la présence de l’autre est la rupture la plus violente car il va falloir désormais apprendre à vivre dans un monde différent, dans un monde où l’autre n’est plus physiquement là. La fameuse phrase de Lamartine, dans son poème "L'isolement" (Méditations poétiques)  ,  prend ici tout son sens:  «un seul être vous manque et tout est dépeuplé». 

Apprentissage à vivre dans un nouveau monde qui prendra plus ou moins de temps. Cela peut aller d’un an à plus de vingt ans. Il se peut même que le chemin ne se fasse jamais vraiment tout à fait. Mais quand il ne se fait pas, c’est que les quatre autres ruptures n’ont pas été abordées.

L’apaisement de la douleur du manque physique ne viendra que par la maturation de la personne en deuil. Les quatre autres ruptures, elles, peuvent être abordées en psychothérapie. Réconcilier ces quatre autres ruptures permet d’apaiser beaucoup plus vite la douleur du manque physique et accélère le processus de maturation.

Retenons tout de même que le manque physique ne peut faire l’objet d’une thérapie. Il peut être dit, entendu, reconnu. Cela est extrêmement bénéfique. Mais cela ne dispense pas du nécessaire temps de maturation.

Les autres ruptures, peuvent au contraire être rapidement soulagées si elles sont thérapeutiquement bien accompagnées. Quand je dis «rapidement», cela peut se faire en quelques consultations, parfois en une seule. Il y a donc un grand décalage quant aux durées que requièrent ces différentes ruptures pour être soulagées.

Les autres ruptures

La rupture par la colère

Juste après la rupture par la séparation physique, vient très souvent la rupture par la colère. Une colère contre celui qui est mort.

Cela peut sembler curieux, car rien ne laissait présager cela. Comment peut on en vouloir à celui qu’on a aimé et qui nous manque tant ? En fait on ne lui pardonne pas de nous avoir laissé, de nous avoir abandonné. Cette rupture ne se produit pas toujours, mais elle est très fréquente. Parfois elle se dirigera plus vers la maladie ou la circonstance qui l’a emporté. Mais souvent, un «pourquoi ne s’est-il pas plus battu?» manifestera au moins un peu de reproche.

A partir de là le défunt manque par son absence physique… et en plus il manque parce qu’on le rejette.

Ces deux manques ajoutés aggravent le vide qui est ressenti.

Mais cette colère dirigée contre lui ne fait en réalité qu’exprimer notre douleur que nous n’osons pas regarder. Derrière la colère, se cache notre douleur refoulée. C’est aussi un peu une rupture avec soi-même qui avons trop mal pour vraiment écouter ce que nous ressentons.

La rupture avec sa propre colère (refoulement)

Puis, comme il ne semble pas correct d’en vouloir à un mort, cette colère est généralement vite refoulée. Il est difficile de s’avouer qu’on en veut à celui qui a souffert et qui a quitté cette vie.

Le refoulement de cette colère revient à une rupture avec soi-même.

Ce refoulement cache alors la colère qui elle-même cachait notre douleur.

On s’aperçoit ici que les ruptures s’ajoutent et que les manques s’additionnent.

Les ruptures antérieures au décès

Puis avant tout cela, restent en suspends d’autres ruptures. Les manques y sont sournois, souvent inconscients… mais bien réels et pesants.

Nous trouverons ici les ruptures, les colères, les reproches qui n’ont cessés de jalonner notre vie avec celui qui est parti, ainsi que les regrets de ne pas avoir su mieux faire. Non seulement ces rejets antérieurs de l’autre ne sont pas guéris, mais en plus, nous nous en voulons pour nos maladresses, oubliant quelles souffrances,  quelles impossibilités, à cette époque, nous ont conduit à agir ainsi.

Ici aussi s’ajoutent les ruptures avec lui, puis la culpabilité (rupture avec soi). Encore un nouveau pôle de manques douloureux restés en suspend.

Le manque par idéalisation

Cet autre type de rupture antérieure et/ou postérieure au décès est assez inattendu : l’idéalisation. Elle rendra le deuil difficile et aggravera le sentiment de manque.

 Il est fréquent qu’un défunt soit idéalisé. Or, c’est hélas le meilleur moyen de le perdre définitivement et de ne jamais guérir son manque.

La fascination rend aveugle et éloigne de l’autre. Quelqu’un qui est idéalisé n’est plus rencontré, n’est jamais entendu ni considéré. Si, autrefois, il a toujours été idéalisé, c’est un peu comme s’il n’avait jamais été rencontré. De cette idéalisation, il résultera un manque aggravé car il est encore plus douloureux de perdre quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré.

Ici, le processus de réconciliation est de vraiment «entendre» l’autre, même à titre posthume, dans ce qui a fait la réalité de sa vie, dans ce qu’ont été ses joies et ses peines, dans tout ce qui a fait son humanité.

Le «devoir de mémoire» n’est en aucun cas un devoir d’idéalisation, mais un devoir de reconnaissance de ce qu’il a vraiment été et de ce qu’il a vraiment ressenti. Que soit enfin entendu ce qu’il a porté et dont personne n’a jamais vraiment fait cas.

C’est ainsi qu’on a toujours pu penser qu’il était fort. Personne n’a jamais fait attention à sa douleur le jour où il a vécu un traumatisme. Mais aujourd’hui, on se surprend à en prendre la mesure. La réconciliation consiste alors à imaginer  qu’on lui dit: «ça y est, tu sais, je crois que je t’ai enfin entendu!».

Comme si à cet instant nous relevions le message laissé trop longtemps dans une boite aux lettres jamais visitée. Comme si nous venions de précieusement recueillir cette bouteille à la mer qu’il a jetée et que personne n’avait trouvée jusqu’à aujourd’hui.

Le «dire» amputé

Il ne s’agit pas ici vraiment de ruptures, mais d’échanges manqués.

Tous ces désirs de communications restés silencieux par trop de pudeur. Tout ce qu’on n’a pas su se dire à temps. Tout ce que l’éducation ou le contexte ou la timidité nous a fait retenir. Tout ce qu’on aurait aimé se dire et qu’on a tu. 

Naturellement il est trop tard pour le réaliser physiquement, mais il est important, dans l’imaginaire, de faire ce dialogue manqué.

Il est important de le placer dans sa structure psychique, en même temps qu’il est important de valider les raisons pertinentes pour lesquelles il ne pouvait se faire à l’époque.

La fin du deuil

A part la première rupture (celle par le manque de la présence physique), toutes les autres pourront s’apaiser dans des séances de psychothérapie appropriées.

L’apaisement viendra du fait que la réalité sera reconnue à tous les pôles : celle de l’endeuillé et celle du défunt. Chacun s’y trouvera reconnu et réhabilité dans la réalité de ses vécus.

Ce processus peut naturellement se faire sans psychothérapie. En réalité, un psychothérapeute aura pour tâche d’accompagner son patient dans ce processus de réhabilitation qu’il fait déjà.  

De façon spontanée et inconsciente, le patient est déjà dans ce processus de réhabilitation. Le thérapeute ne fait que l’accompagner dans cette démarche intérieure déjà en cours, afin de la rendre plus rapide et moins douloureuse.

La fin du deuil sera marquée par le fait qu’on se sent libre, car on a d’un seul coup la certitude qu’on n’oubliera jamais.

Le deuil n’est pas fini parce qu’on n’y pense plus!  Il est terminé parce qu’aucune rupture  ne crée plus de distance,  parce que le sentiment de «rencontre» et de réhabilitation remplit les vides.

A partir de là, seul reste le manque physique. Il est majeur, très important. Néanmoins, ce nouvel apprentissage de vie sans la présence corporelle de l’autre peut maintenant s’accomplir plus rapidement (mais il est loin d’être instantané !)

Selon qu’il s’agit d’un deuil récent ou ancien, le résultat d’une psychothérapie comportera des différences.

Dans un deuil récent, le manque physique devra encore faire son chemin de maturation.

Par contre, quand un deuil ancien est resté douloureux, il peut s’apaiser instantanément.

J’ai vu entrer dans mon cabinet des patients ayant perdu un proche il y a plus de 15 ans et tomber en larmes comme si c’était arrivé hier. Puis, ayant accomplis les réhabilitations, reconnaissances et réconciliations nécessaires, se sentir définitivement libéré… parfois en une seule consultation.

Réhabilitation du dernier instant

Souvent on se préoccupe peu de ce que le patient a ressenti psychologiquement à son dernier instant. Aussi court soit cet instant, il est habité par un milliard de pensées et de ressentis dont l’intensité et la profondeur (en paix, en regrets ou en terreurs) dépassent tout ce qu’on peut habituellement imaginer.

Soit il y fut seul. Soit il y fut accompagné. Mais la gentillesse et la douceur qu’on a voulu y mettre ont souvent fait manquer les ressentis intimes.

Je me souviens d’un enfant de 13 ans qui, ayant perdu sa mère, fut soudain habité par la peur de la mort. Il décrivait ainsi sa peur «si je meurs, je souffrirai trop de ne plus voir ceux que j’aime».

Puis en y regardant de plus près, il découvre que ce qu’il ressentait, c’est ce que sa mère a ressenti dans ses derniers instants et que personne n’avait entendu.

A cet instant, pensant à sa mère, il fût intimement habité par l’idée qu’il l’avait enfin entendu. Comme si elle avait «lancé un cri en terminant sa vie».

Ce cri n’avait pu être recueilli par personne. Il venait juste de l’entendre. C’est comme si à partir de cet instant tout pouvait rentrer dans l’ordre. Sa peur de la mort disparut car elle n'était plus nécessaire pour "entendre" sa mère.

Je repense par exemple à cette personne tourmentée par le décès de sa grand-mère, qu’elle n’a pas connu. Cette grand-mère mourut en mettant au monde la tante de la patiente. Mais comme, entre la naissance de la mère et de la tante elle avait perdu un enfant, au moment de quitter sa vie elle était prise entre deux désirs apposés : mourir pour retrouver l’enfant qu’elle avait perdu, ou vivre pour accueillir celui qui naît. Ceci restait à "entendre" dans l’histoire familiale, même deux générations plus tard!

 

Humaniser la fin de vie 4/5

4

Humaniser
l'accompagnement

retour menu de l'article

La chaleur humaine

Marie de Hennezel, citée plus haut, fait sans doute partie de ces psys, trop rares, qui ont su faire la différence entre chaleur humaine et affectivité. Ne sombrant pas dans le travers de l’affectivité ils ont cependant compris qu’il n’y a pas d’aide sans chaleur humaine. Ils savent rester distincts sans être distants et chaleureux sans être vulnérable. Pour eux il n’y a pas de mythe de la bonne distance. Ils ont compris que la bonne distance, c’est «pas de distance du tout».

L’empathie ne les a pas embrouillés. Ils ont compris qu’il ne faut pas se mettre à la place de quelqu’un mais en être proche et l’entendre vraiment, lui, à la place où il est, en train de ressentir ce qu’il ressent. Toute tentative de se mettre à sa place pour le comprendre est une hérésie qui ne conduit qu’à s’empêtrer dans son propre imaginaire à soi et éloigne de l’autre.

Chaleur humaine et affectivité? Je ne reprendrai pas ici en détail la définition de ces deux notions totalement différentes, mais trop souvent confondues. Vous en trouverez le détail d’ans l’article « reformulation ».  Cependant, si vous n’avez pas le temps de lire cet autre article, juste un petit rappel :

La chaleur humaine

La chaleur humaine réchauffe, elle sécurise. C’est ce qu’on dégage quand ce qu’on fait, on le fait pour l’autre. L’autre reste libre à chaque instant. Sa dignité et son autonomie sont parfaitement préservées et encouragées. Le patient se sent libre, respecté et accompagné.

Il ne peut y avoir d’aide ou d’accompagnement sans chaleur humaine. C’est une sensibilité qui garantit une juste perception de l’autre. On y est ouvert (lucide).

L’affectivité

L’affectivité étouffe, elle oppresse, elle prend la liberté, elle brise l’autonomie. C’est ce qu’on dégage quand, croyant faire quelque chose pour l’autre, on le fait en réalité pour soi. On y trouve la compensation à un de nos manques. Cela nous rend alors vulnérable et non seulement ne produit aucune aide, mais en plus peut «abîmer» celui qu’on croit aider. C’est une émotivité qui nous empêtre dans notre imaginaire et qui nous coupe de l’autre. On y est alors attaché (affecté).

En psy et en communication, les praticiens ont généralement bien compris que l’affectivité est nuisible. Mais trop souvent confondue avec la chaleur humaine, cela a malencontreusement conduit à supprimer cette dernière. Or il ne peut y avoir de soin réel sans chaleur humaine.

Avec ou sans spiritualité

Des convictions diverses

Il semble bien difficile de parler de la mort sans parler de spiritualité. Celle-ci s’exprime généralement à travers des religions qui tentent de donner un sens à la vie. Il y a des personnes pour lesquelles c’est un grand secours et il y en a d’autres à qui cela ne dit rien. Il est évidemment hors de question d’essayer de savoir qui a raison.

Mais on peut comprendre que donner un peu de solennité en pareil moment soit essentiel et que les cérémonies religieuses semblent le mieux satisfaire à ce critère (même en dehors de toute croyance).

D’autre part la croyance en un au-delà après la mort adoucit parfois la souffrance tant de celui qui part que de ceux qui restent.

Sur ce point il est fondamental de respecter les choix, la culture, les aspirations de chacun et de ne pas intervenir avec ses propres convictions personnelles.

Entre «Rien» et «Quelque chose»

Si l’on se veut respectueux, modeste et pragmatique, il est important de considérer la notion de croyance avec plus de précision.

Croire en quelque chose est une croyance. Croire en rien en est une aussi. Affirmer quoi que ce soit en l’absence de preuves est toujours une croyance. Personne n’a rapporté la preuve du quelque chose, mais personne n’a non plus apporté la preuve du rien.

Ne pas avoir prouvé qu’il y a quelque chose ne prouve pas qu’il n’y ait rien. Ne pas avoir prouvé qu’il n’y a rien ne prouve pas non plus qu’il y ait quelque chose.

Il s’agit d’un domaine qui ne fonctionne pas avec des preuves. Rien ne peut y être affirmé avec des certitudes si l’on veut rester pragmatique et respectueux.

Cela n’empêche pas chacun d’avoir ses propre convictions, ses impressions, ou une certaine sensibilité qui porte intuitivement à se positionner plutôt vers le quelque chose ou plutôt vers le rien.

Retenons qu’il y a deux positions : ceux qui croient (en quelque chose ou en rien) puis ceux qui ne croient pas (restant ouverts à toute éventualité).

Nous prendrons soin de ne pas confondre celui qui croit en rien et celui qui ne croit pas. L’un est fermé, l’autre est ouvert.

Dans tous les cas il est évident qu’accompagner quelqu’un, c’est d’abord respecter ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ce qui, selon lui, a l’air juste.

Il semble pertinent de pouvoir tout entendre sans jamais tenter de ramener l’interlocuteur à nos convictions personnelles.

Pour vraiment aider ou accompagner, il est souhaitable de se sentir aussi à l’aise face à quelqu’un qui a le sentiment d’aller vers le néant, que face à quelqu’un qui a le sentiment qu’il va retrouver ses proches autrefois disparus.

Sensibilité incontournable

Cette neutralité n’entrave pas la sensibilité. Au contraire, elle lui permet de s’exercer avec plus de nuances et de subtilité.

Les croyances ont par contre souvent l’inconvénient majeur de diminuer fortement la capacité à percevoir. Quand on croit (à quelque chose ou a rien), la perception de ce qui se passe se réalise à travers un à priori. La lucidité s’en trouve très altérée.

Quand on s’attend à quelque chose, on ne voit pas ce qui se passe, si ça ne correspond pas à ce qui était prévu.

Or, dans le deuil et dans la fin de vie, il s’agit de zones de l’existence où il n’y a pas de repères. Tout y est hors normes. Beaucoup de choses fortes y sont perçues. Alors, toute idée préconçue détériore, surtout dans l’entourage, la capacité à percevoir.

Telle personne dira «de toute façon, après il n’y a rien,  depuis qu’il est mort, je ne ressens que du vide ». Dans ce cas il faudra l’accompagner sur ce vide ressenti, qui peut être l’opportunité de réhabiliter et réconcilier quelques ruptures antérieures.

Telle autre dira, «depuis qu’il est mort, j’ai l’impression qu’il est toujours là, tout près». Dans ce cas il conviendra de l’accompagner vers cette sensation de «tout près» qui peut être l’opportunité de «terminer» des communications inachevées.

Telle autre vous parlera de son expérience proche de la mort qu’elle a vécue (il y en a plus qu’on ne le croit). Le fameux tunnel, la lumière, la sensation d’être hors de son corps, de se rapprocher d’êtres bienveillants…etc. Elle a vraiment besoin qu’on entende avec sérieux ce vécu d’exception qui a changé sa vie.

Telle soignante dira :

«quand je rentre dans la chambre d’un patient qui vient de décéder, c’est comme s’il s’y trouvait plus de présence qu’avant sa mort»

«Quand je rentre dans la chambre d’un patient qui vient de décéder, c’est comme s’il s’y trouvait plus de présence qu’avant sa mort».

L’intellect aime à tenter de rationaliser tout cela. Les mystiques, eux,  aiment à envisager la version surnaturelle. En réalité pendant ces querelles stériles, il y a quelqu’un qui ressent quelque chose d’important et que personne n’écoute… et c’est cela qui est fâcheux.

Accorder valeur à ces ressentis sans pour autant les prendre comme des preuves de quoi que ce soit permet une liberté d’écoute et d’accompagnement très subtile, très efficace et très respectueuse.

Les progrès face à la douleur

Nous venons de loin

Longtemps on a cru que les enfants petits ne ressentaient pas la douleur… au point de réaliser des interventions chirurgicales sur eux sans anesthésie!!!

Ces vingt dernières années, les progrès ont permis au contraire de découvrir que le système nerveux de l'enfant perçoit la douleur (influx nocioceptifs) dès la 8e semaine de grossesse. Ce sont au contraire les mécanismes d'inhibition et de protection contre la douleur qui sont immatures jusqu'au 3e mois après la naissance (ces quatre lignes sont extraites de l’article La mère et l’enfant)

Les personnes adultes qui ne s’expriment pas ont aussi tardées à être prise en compte sur le plan de la douleur. Aujourd’hui, le protocole Doloplus est par exemple un moyen d’y remédier. Ce protocole est une bonne chose, mais il est lourd et ne peut remplacer la sensibilité du soignant attentif.

Quand un protocole tente d’objectiver quelque chose pour servir de prothèse à un manque de sensibilité, le progrès n’est que partiel.

Des caricatures existent encore

Trop de médecins ont du mal à prendre en compte la douleur. Pour certains il s’agit juste de maladresses fâcheuses. Mais pour quelques autres, il semblerait qu’il y ait une conscience terriblement immature.

Par exemple une équipe soignante m’évoque ce praticien hospitalier qui estime que l’eva (évaluation de la douleur) est inutile. Puis, pour se justifier, il ajoute qu’un malade qui dit «haï!» montre qu’il a mal, c’est tout. Une autre équipe me parle d’un médecin qui ne veut pas calmer la cruralgie d’une patiente souffrant de neuropathologie diabétique estimant «on ne peut rien faire». Pire encore, dans un autre cas, face au  refus d’amputation du pied par une patiente, un chef de service propose de laisser sa douleur augmenter jusqu’à ce qu’elle réclame elle-même d’être amputée.

Il ne s’agit pas d’évènements anciens… mais de circonstances actuelles rencontrées dans des services de soins.

Même s’il ne faut pas en faire des gorges chaudes et les généraliser, ces cas sont vraiment attristants et révèlent trop d’immaturité.

Des attitudes plus nuancées

Avec plus de délicatesse, dans une réunion d’un service de soins, le cas d’une patiente qui se plaint d’avoir mal partout est évoqué.

Tout le monde se préoccupe sincèrement de son cas afin de voir si on peut l’apaiser. Un des médecins dit «Si elle dit qu’elle a mal partout, c’est probablement une douleur psy, car on n’a jamais mal partout» Il ne dit pas cela par déni, mais par préoccupation d’un juste diagnostic. Tout aussi soucieux de la qualité du soin, son confrère ajoute, «oui, mais si on calme (par médicament) sa douleur psy, on risque de la rendre inconsciente».

Or s’il s’agit d’une douleur psy (ce qui reste à établir vraiment) la solution médicamenteuse n’est pas la seule. L’écoute, la considération, la présence, la validation des ressentis… sont autant de possibilités non médicamenteuses qui peuvent ajouter avantageusement au soin… au point que le médicament soit dans ce cas diminué ou même devienne inutile.

Aujourd’hui, le regard sur la douleur se précise de plus en plus et les progrès sont immenses. Mais la prise en compte psychologique reste insuffisante. Une ancestrale culture de la lutte en freine la progression.

De la lutte vers l’écoute

Les équipes antidouleur

La prise en compte de la douleur a donné naissance à des unités mobiles de soins palliatifs apportant, dans les hôpitaux,  leur aide aux patients en fin de vie. Il y a là une grande avancée.

Mais j’ai parfois aussi entendu parler d’équipe antidouleur. Même quand le mot «équipe antidouleur» n’est pas prononcé, l’esprit de lutte reste présent. Comme s’il fallait livrer combat!

Or cette notion de lutte contre la douleur comporte discrètement un piège: Le positionnement contre la douleur n’est pas de même nature qu’un positionnement pour le patient.

Au premier abord la nuance ne semble pas importante. Remarquons cependant que combattre la douleur est une chose, mais que entendre et accompagner le patient en est une autre. Le bon ordre serait d’abord le patient, ensuite sa douleur. D’autant que pour soulager sa douleur il convient de l’avoir d’abord rencontré par la parole ou par l’auscultation (de préférence par les deux).

Avoir trop l’attention sur ce qu’on combat risque de faire oublier celui pour qui on combat. Reprenant le flambeau de la lutte contre le mal en le modernisant en lutte contre la maladie, le risque est encore d’oublier l’individu et sa dimension de vie.

La médecine a dû apprendre à lutter contre la maladie. Elle enchaîne sa pratique par une lutte contre la douleur. Elle doit poursuivre jusqu’à s’ouvrir aux patients.

Vers plus de considération

Les médecins sont dans cette dynamique de respect et de considération, mais ils n’ont pas vraiment appris les aspects psychologiques de l’aide et ils sont débordés par trop de travail (souvent plus de cinquante heures par semaine).

Les soignants jouent un rôle majeur car ce sont souvent eux qui ont acquis des notions d’aide ou d’accompagnement. On trouvera aussi des bénévoles formés qui pourront, eux, consacrer plus de temps.

Les soignants ont à leur disposition de plus en plus de possibilités de formations sur l’humanisation de la fin de vie, sur la prise en compte de la douleur, sur l’accompagnement des patients et des familles. Mais eux aussi manquent de temps.

D’autre part, les besoins en personnel sont mal définis dans les soins palliatifs. Combien de médecins, combien d’infirmières, d’aides soignantes, de psychologues et de psychiatres faut il compter, par patient, pour obtenir une qualité de soin satisfaisante? Une fois qu’on le sait, quel budget viendra le financer?… puis quand on a le budget, y a-t-il sur le marché de l’emploi suffisamment de praticiens disponibles pour venir le faire?

Malgré ces insuffisances et ces incertitudes, les équipes de soin se mobilisent de mieux en mieux pour répondre aux besoins du patient qui atteint le seuil de son existence.

Le patient en fin de vie et son entourage sont de moins en moins niés, de plus en plus considérés, de mieux en mieux accompagnés.

Mais d’importants progrès restent à faire.

 Humaniser la fin de vie 5/5

5

Opportunité vers une
nouvelle sensibilité

retour menu de l'article

Le  défi de la fin de vie

Revers du progrès, source d’évolution

Le fait de prolonger la vie est une avancée majeure de la médecine. La mort est une épreuve insoutenable, tant pour ceux qui perdent un proche, que pour ce proche lui-même découvrant que sa vie va finir.

A chaque fois qu’une vie est sauvée, c’est beaucoup de douleur évitée et d’espoirs retrouvés. Ce côté du progrès soulage vraiment l’être humain. Il est indiscutablement bénéfique.

Cependant, cette euphorie fait vite place à de nouvelles difficultés. Jusque là, la mort trop précoce était vécue comme une fatalité insupportable, mais au moins, la mort décidait «elle-même» de son moment. Dorénavant, on sait la reculer… pour souvent aboutir à un moment où l’état du patient, sa dignité, ses souffrances interrogent sur ce qu’i y a de mieux à faire. On sait maintenir un corps en vie grâce à une assistance complète… alors la frontière de la mort doit être redéfinie.

Jusqu’où un soin doit continuer? À partir d’où l’acharnement doit s’arrêter pour laisser venir la fin? L’impensable euthanasie, dans un monde où le projet est de sauver la vie, vient alors à l’esprit, et tout naturellement, les choses ne sont pas si simples. Les réponses à ces questions sont très délicates. L’interrogation nous porte plus profondément encore sur le sens de l’existence et de sa fin.

Ces progrès, qui nous ont permis de reculer les limites de la mort (et c’est heureux), nous conduisent en même temps à trop souvent devoir décider un peu de cette mort, au moins par arrêt de l’acharnement

Nous remarquons tout de suite que dans cette situation nouvelle le cœur n’est guerre plus léger qu’en ces temps où il fallait simplement la subir! Nous nous trouvons devant une réflexion de vie à laquelle l’éthique peine à répondre (et la loi encore plus).

La médecine et l’humain sont ainsi projetés au-delà des pensées simplistes ou étroites. Après avoir reculé les limites de la mort, l’homme y est confronté avec plus d’acuité et se doit de rencontrer la vie avec plus de subtilité.

Il doit sortir de son imaginaire et de ses idéologies pour réellement développer une sensibilité authentique à l’autre et à lui-même.

L’empathie démasquée

La croyance selon laquelle, pour être chaleureux, il faut être dans l’empathie, s’évanouit totalement dans la fin de vie. «Ecouter quelqu’un pour comprendre ses références de pensées afin de pouvoir se mettre à sa place tout en restant soi-même» est pourtant le cheval de bataille de toute démarche de communication ou d’aide. Ce n’est pourtant qu’une illusion dans toutes les circonstances de l’existence.

On ne peut jamais se mettre à la place de quelqu’un… sous peine de ne plus être en contact qu’avec son propre imaginaire. Cela n’induit pas de la chaleur humaine, mais de l’affectivité.

En réalité, il s’agit plutôt d’écouter l’autre nous exprimer ce qu’il ressent, lui, à la place où il est. La clé, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est d'être distinct sans être distant.

Etre chaleureux, ce n’est pas être à la place, mais être individualisé, proche, ouvert et plein de reconnaissance.  C’est être capable de reconnaître et de valider le ressenti que l’autre nous livre, de le considérer comme une confidence précieuse. C’est recevoir délicatement cette confidence, sans jamais se l’approprier, sans jamais oublier que seul notre interlocuteur en est propriétaire.

Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, ce site comporte tout un article sur Le piège de l’empathie (novembre 2000)

La fin de vie est le moment par excellence où l’on est invité à se recentrer avec modestie, pour mieux comprendre l’autre sans jamais prétendre pouvoir se mettre à sa place. Mieux comprendre l’autre sans jamais prétendre pouvoir se mettre à sa place.

Aider sans solution

Pour aider, souvent, le premier réflexe est de vouloir trouver une solution. Notre culture nous a habitués à ce tandem problème/solution. Dans le monde soignant cette pulsion à la «solutionite» est encore renforcée. La croyance est tenace, mais la fin de vie bouscule cette attitude de pouvoir.

Ici le chercheur de solution se trouve devant un néant insupportable. Il est amené à découvrir une autre façon d’aider, une manière où la notion de solution n’a plus droit de cité… car ce qu’on voudrait, c’est que la mort ne soit pas… mais elle est tout de même. Alors on doit aider autrement par une présence, une écoute, un accompagnement. C’est évidemment très déroutant!

La recherche de solution est, comme l’empathie, une croyance tenace qui est mise à mal dans ce moment extrême de l’existence. Se battre, trouver des solutions, mettre en œuvre des stratégies, mesurer les résultats… tout cela ne marche plus ici.

Même en dehors de la fin de vie, en psychologie, commencer par vouloir trouver une solution est une erreur. Cela peut même être néfaste.

Par exemple, si vous lisez sur ce site l’article de mars 2003 «aider le malade alcoolique», vous découvrirez qu’il ne faut pas que le projet initial soit de trouver une solution à son alcoolisme. Le projet doit être de l'aider à accomplir une rencontre avec celui qu'il était dans les moments de sa vie qui ont rendu cet alcool nécessaire. C'est à cette condition (de réhabilitation de la raison) que l'addiction disparaît durablement.

Le projet n’est pas une solution, mais une médiation.

La médiation, c’est une rencontre. La solution,  c’est une rupture. Vouloir solutionner, éloigne des raisons, éloigne de ses propres sources de vie, fait rompre avec ses bases intérieures et rend instable.

D’ailleurs le mot solution signifie «rupture». En médecine, une fracture osseuse est désignée par l’expression «solution de continuité» pour indiquer que la continuité du segment osseux est rompue. Langage couramment utilisé en radiologie.

Aider, en psychologie, c’est permettre à celui qu’on aide de se rencontrer lui-même. Les problèmes sont souvent simplement l’expression d’une partie de lui qui attend cette rencontre. Vouloir solutionner revient à empêcher cette rencontre de s’accomplir.

La fin de vie est une circonstance qui sensibilise profondément à cette réalité. Une inestimable révélation nécessaire à tous ceux qui, maladroitement,  cherchent à solutionner aveuglement les souffrances psy.

La dimension humaine à nu

Authenticité

Dans la fin de vie, les masques tombent. Tout le superficiel s’évanouit. La valeur de l’existence jaillit de façon puissante et inattendue. Statuts, masques et protocoles sociaux deviennent caducs.

Alors que notre tendance est de vivre le quotidien sans prendre la mesure de grand-chose, discutant de tout et de rien, se préoccupant exagérément de mille petites «bricoles» qui nous envahissent… ici les valeurs changent.

Les priorités s’inversent. Ce qui autrefois n’était même pas visible nous saute alors aux yeux. Par contre ce qui autrefois était important nous apparaît désormais dérisoire. La valeur de chaque instant nous semble tout à coup immense. La présence d’un être cher prend tout son sens.

Comment pouvons nous passer tant d’années ensemble sans nous voir vraiment pour d’un seul coup réaliser que nous risquons de nous manquer ?

Pourquoi faut-il la menace du manque pour prendre conscience de la valeur?

Pareils à des autistes bavards, nous nous côtoyons sans nous rencontrer. Tournant en rond dans notre imaginaire nous peinons à rencontrer l’autre. Ceux que nous aimons le plus ne sont pas épargnés. Nous les connaissons tellement… que nous écoutons à peine la fin de leurs phrases et ne faisons qu'imaginer leurs pensées.

La fin de vie nous rappelle à l’ordre, nous invitant, comme le petit prince, à visiter la planète de notre voisin… et surtout à le rencontrer.

Plus de vie et moins de pouvoir

Le pouvoir est très recherché, pour le pire ou pour le meilleur. Parfois, dans d’égoïstes projets, certains l’espèrent pour leur satisfaction personnelle. Par contre, beaucoup d’autres, plus généreux, en attendent le moyen d’apporter à autrui une aide plus efficace.

Ici aussi, en psychologie, le pouvoir est un piège. Même pour le «bien», l’invitation au pouvoir sur autrui, sur soi ou sur des problèmes psy peut rapidement aboutir à l’inverse de ce qui est recherché.

Cette quête de puissance est terrassée dans la fin de vie. C'est une zone de non pouvoir absolu qui dérange ce désir compulsif de maîtriser, contrôler, résoudre. Dans un ultime soubresaut cette stratégie du pouvoir s’exprimera dans une «lutte contre la douleur». Là on reconnaît ses marques. Mais ce qui est parfaitement juste pour la douleur physique ne l’est plus pour la douleur psychologique.

Face à la souffrance psy, il ne s’agit plus de lutter, mais de s’ouvrir, d’être sensible, d’être à l’écoute, de respecter, accompagner entendre. Il s’agit d’accepter de ne pas savoir, car en fait nous ne savons rien dans le domaine de la mort. Nous y sommes propulsés dans une humilité forcée.

Or l’humilité est sans doute une des clés pour aborder ce moment ultime. Accepter de ne pas savoir pour mieux entendre. Le rôle du non savoir, essentiel dans toute situation d’aide ou même de communication, est ici un pilier incontournable. Pour mieux explorer cette notion, vous pouvez lire sur ce site l’article «Le non savoir source de compétence» (avril 2001).

Une plus grande capacité à vivre
(compensations, vides et plénitudes)

La fin de vie nous montre ses étapes : déni (anesthésie), révolte (colère, injustice), marchandage (transactions anxiolytiques), déprime (confrontation à l’évidence du vide) et acceptation (intégration, sérénité, plénitude).

Elles nous montrent en fait les étapes que nous rencontrons tout au long de notre existence. Elle nous renseigne sur cet antagonisme où la pulsion de survie et la pulsion de vie assurent notre équilibre et notre maturation.

La fin de vie nous sensibilise sur la différence entre l’énergie (faire) et la vie (être).

Elle nous renseigne sur cette pulsion qui nous habite et qui nous pousse à retrouver notre intégrité. Notre structure psychique tend à rechercher ses parts manquantes pour les remettre à leur juste place.

Ce que nous voyons dans la fin de vie nous éclaire sur un mieux vivre qui peut s’accomplir tout au long de l’existence. Ces pulsions sont probablement à l’œuvre dès notre conception.

Elle nous montre que la déprime n’est qu’une phase de naissance permettant de passer de l’énergie à la vie, de l’intérêt (pour les choses) à l’attention (pour les êtres). Il ne s’agit pas d’y décoder une promesse d’éternité, mais plus simplement une meilleure aptitude à vivre le présent. En plus de l'article de juin 2001 sur la dépression, vous pouvez lire à ce sujet l'article de mars 2001 sur l'affirmation de soi: "Un quelqu'un en habit de personne

La déprime précède la phase d’intégration qui conduit à se réapproprier les parts manquantes de soi. Le sentiment de vide est nécessaire pour s’interroger sur ce qui manque et porter son attention dessus, puis le placer en soi. Pour plus de détails sur ce point vous trouverez dans ce site l’article dépression et suicide (juin 2001) qui détaille la façon de traverser cette phase sans cataclysmes.

HUMANISATION
Simplicité de la rencontre

Loin des théories et des solutions, dans ce dépouillement, seule la simplicité permet la rencontre. Toute réflexion théorique ou application de techniques psychologiques semblent ici bien dérisoires.

La rencontre avec la personne en fin de vie, et son accompagnement, se feront sur un mode de sensibilité, d’authenticité, d’humilité et de confiance.

Sur ce plan, il ne peut s’agir simplement de compréhensions intellectuelles, ni de compétences techniques.

Même sans formation, le plus simple et le plus évident ne doit pas échapper. La qualité du non savoir et l’humilité restent des guides majeurs.

Parfois une personne peut annoncer des choses étonnantes. Un patient appelle car il voit de l’eau monter dans sa chambre. Il a très peur. La soignante vient et l’invite à décrire cette eau qu’il voit et qu’elle ne voit pas. La lui décrivant, il la trouve de plus en plus douce, lumineuse, dorée et confortable. Il s’apaise. Cet homme est décédé quelques heures plus tard.

Je vous cite cet exemple pour vous montrer qu’il convient de rester simple et d’avoir confiance dans le patient. Ne pas avoir peur d’aller vers lui. Rester sans a priori. Juste avoir confiance et l’accompagner vers lui-même en respectant ses ressentis, même quand ceux-ci nous étonnent.

Rappelez vous, il ne s’agit pas de solutions, mais de rencontres et d’ouverture d’esprit loin des théories et des croyances.

Ultime proximité

Cette rencontre se fait avant la mort, mais il semblerait juste qu’elle puisse se poursuivre après. Je veux dire par là que les proches doivent bénéficier d’un temps près du défunt s’ils le souhaitent.

Que ce soit à l’hôpital, dans une chambre funéraire ou à la maison, ce temps permet de réaliser une transition entre la mort, la mise en bière et l’enterrement.

Ces autres phases sont délicates aussi et il semble avantageux que les proches puissent rester suffisamment longtemps avec lui.

Quand cela est possible, un retour du corps à la maison semble la meilleure solution afin de donner à chacun un temps que l’institution hospitalière ne peut offrir. Un, deux ou trois jours seront souhaitables.

Chacun y dira ses dernières paroles, y fera ses derniers au revoir, y donnera ses derniers baisers. Chacun prendra le temps de lui laisser un objet de son choix (si tel est son souhait) Chacun pourra pudiquement y réaliser le rituel de son choix par sa présence silencieuse, un chant, une prière ou toute autre chose.

Ce temps d’intimité est indispensable. Même s’il est court, il doit pouvoir exister.

Ultime regard

Je ne pouvais terminer cet article sans évoquer ce temps juste après la mort. Pas le deuil, que j’ai abordé plus haut, mais ce qui suit immédiatement le décès. La mort est un moment extrême pour l'entourage. Ce qui suit juste après est également très fort.

La mise en bière est un moment souvent très difficile qui vient s'ajouter au décès proprement dit... notamment à la fermeture du cercueil. Ce moment délicat, trop souvent traumatisant,  mérite un regard spécial pour laisser une impression plus douce et plus légère.

Si cela peut être ressenti comme une aide, je vous invite à considérer que ce corps est l’outil par lequel le défunt a partagé tant de choses durant sa vie.

Cet outil est si précieux qu’on le met dans un coffre comme l’outil d’un bon artisan qui a engendré tant de chefs d’œuvres.

Cet outil, qui fut son prolongement, est mis précieusement dans ce coffre pour l'honorer de ce qu’il lui permit de réaliser au cours de son existence.

Puis ce coffre est mis en terre. C’est ce qu’on ferait pour un trésor infiniment précieux qu’on veut préserver.  

"A chaque souffle qui touchera notre coeur"

Pour certains, la crémation a été choisie. Or la crémation peut être plus douloureuse encore, pour ceux qui restent. Perdre la forme du corps est un coup brutal supplémentaire qui pour beaucoup de personnes arrive trop tôt. Il n'est pas possible techniquement de le différer, mais ce serait certainement préférable.

Afin d'apporter une modeste contribution à l'adoucissement d'une telle situation, je vous propose le texte ci-dessous que j'ai écrit  pour une personne proche:

Des mots de lumière
Chantent la paix que tu nous as donnée.

En s’élevant de la terre
Tu viens de nous les rappeler.

Les mots que tu nous as offerts
Résonnent dans nos cœurs et nos âmes,
Ceux de l’amie, de l’épouse et de la mère…
Mais aussi ceux de la femme éclairée.

Tu offres ce délicat chemin d’amour
Avec tant de générosité
Que par ta vie, tes actes et tes cours
Nous sommes aujourd’hui comblés.

Sommes-nous donc insatiables
Quand nous avons du regret ?
N’est-ce pas légitime de rêver
Que ça aurait pu encore un peu durer !

Mais…
Ce corps par lequel tes enfants ont touché la terre,
Ce corps par lequel nous t’avons connue…
Ce corps par lequel nous avons reçu…
Tu le rends à la lumière.

Tu as souhaité ce feu d’amour
Qui  va le restituer à la source.

De ce feu il pourra rejaillir
Et devenir multitude.
Chaque grain y portera l’espoir :
Une infinité d’espoir offerte à chacun,
Une infinité d’espoir offerte aux tiens.

Chaque grain, aussi léger que le vent,
Contiendra l’immensité de ton amour.
Alors à chaque souffle qui touchera notre cœur
Nous sentirons se lever le jour.

Nous recevrons comme un délicieux cadeau
Ce clin d’œil d’éternité
Une brise de présence et nous te saurons ici
A tout jamais, en nous, tu es en vie.

 

Où est passée la vie?

Pour certains, le défunt existe encore en un autre monde. La vie après la mort devient alors un réconfort dans lequel se loge un espoir et parfois le profond sentiment qu’il est toujours là.

Pour d’autres, ici,  la vie s’est totalement terminée. Même dans ce cas, celui que fut le défunt dans sa vie existe encore en nous. Il fait partie de notre structure psychique.  

D'ailleurs le deuil sera terminé quand il y aura pleinement trouvé sa place et que nous serons certain de ne jamais l’oublier.

Les deux éventualités citées ci-dessus ne sont pas incompatibles entre elles.

Aidant des personnes en deuil j’ai remarqué à quel point, en abordant une thérapie ils craignent qu’on efface en eux le souvenir de leur défunt. Naturellement je les aide plutôt à accomplir les réconciliations décrites dans cet article, et à partir de là ils n’ont plus de pensées obsessionnelles, en même temps qu’ils peuvent y penser sans douleur.

 

 

Thierry TOURNEBISE

retour menu de l'article

Témoignage (Annexe I)

Une lectrice du site, avant la publication de cet article m'a adressé un courrier racontant l'histoire de sa pathologie et de sa récidive. Elle nous y livre ce qu'elle a vécu, l'attitude de son entourage, ce qu'elle en attend et ce qu'elle conseille aux proches trop souvent maladroits.

Témoignage d'une élève infirmière en fin de vie (Annexe II) 
"laissez vous toucher"
extrait de « La mort, dernière étape de la croissance » 
d'Elisabeth Kübler-Ross (Edition du Rocher Pocket 1985)
 
chapitre "La mort à la première personne"
pages  61 à 63,

Pour compléter cet article, 
vous pouvez lire sur ce site

Annexe  I

Line, atteinte d'une pathologie grave dont l'issue peut être fatale, m'a fait cadeau de ce texte après avoir pris connaissance de mon site. Je l'en remercie et avec son accord, je vous le propose.

Entre surprise, révolte et espoir elle y décrit une période de combat mal comprise. Entre certitudes et effondrement, elle essaye de se tenir debout. Peut-être peut-elle réussir? Dans tous les cas elle explique bien que le traitement médical à lui seul ne peut tout faire.

Elle décrit la difficulté de trouver un soutien dans l'entourage familial ou médical et nous décrit ce qu'elle souhaiterait. Elle a trouvé des aides de la part de gens auxquels elle ne pensait pas.

A Etat de la situation 
Quand la maladie, puis sa récidive surgissent d'un seul coup.

B La "bonne parole
Ce qu'il ne faut pas dire à celui qui vit cette situation

C Le bon geste 
L'attitude souhaitée, tellement attendue

A.     État de la situation

L’été dernier, je marchais sur une belle rue ensoleillée, grouillante de rendez-vous, de clients, de défis. Ma micro-entreprise roulait très bien, la vie de famille était correcte et j’avais des projets  plein la tête.  Soudain, je suis tombée dans un grand trou très profond, très noir, très humide et tout gluant.  J’étais seule là-dedans, tout au fond,  et j’ai vite réalisé que si je voulais m’en sortir,  il fallait que je le fasse moi-même,  à bout de bras.  

J’ai relevé la tête vers la lumière cherchant qui était là pour m’aider, pour me lancer des cordes, pour me dire comment me placer les pieds et les mains, pour me dire de ne pas lâcher…J’y ai vite reconnu mon époux, mes 2 grands enfants, ma sœur,  du personnel médical compétent, des amies très chères et de précieux  voisins.   

Ce premier diagnostic de cancer au côlon allait changer ma vie pour toujours.  L’opération pour enlever une tumeur de 4 cm a eu lieu le 6 août 2001 puis les traitements de chimiothérapie ont débuté le 27 août pour se terminer le 18 janvier 2002.  On m’avait joyeusement annoncé une rémission. Oui, je m’étais bravement sortie du trou.   J’allais pouvoir repartir l’entreprise en mars 2002.  Mes clients avec qui j’avais des contrats signés avaient promis qu’ils m’attendraient, peu importe le temps.  

 Le 15 février 2002, lors d’un examen de contrôle, on m’annonce platement que j’avais 2 taches suspectes sur le foie.  Seconde chute dans un autre trou noir, cette fois en chute contrôlée car je savais un peu plus à quoi m’attendre.  Je relève encore une fois la tête vers la lumière et j’aperçois que les mêmes personnes qui étaient là lors du premier diagnostic sont encore présentes toutes prêtes à m’aider encore et encore. « On ne te lâchera pas! »m’ont-ils lancé fermement.   J’ai dû sabordé  mon entreprise. Je me suis sentie tel un commandant de la marine qui s’arrache lui-même ses galons hautement mérités, après presque 7 années de durs défis d’affaires.  

 Je suis maintenant devenue une CAPT, une combattante à plein temps !   Je vais donc me sortir une autre fois de ce trou merdeux  et me débarrasser de ce 2e cancer qui s’est effrontément implanté au foie, malgré la chimio.  La chirurgie est prévue pour le 23 mai 2002.  Après, je ne sais pas vraiment ce qui m’attend.  

J’écris ce texte à l’intention de ceux  et celles qui ont cessé de me parler, de me regarder, qui  m’ont condamnée et exclue dès l’annonce du premier diagnostic de cancer.  Nous nous connaissions pourtant depuis près de 28 ans et vous m’avez fait disparaître d’un seul coup de votre vie, comme si j’avais apporté une maladie honteuse dans votre clan. Belle-famille, beaux-frères et belles-sœurs, pourquoi m’avez-vous abandonnée ?  Deux fois, lors de réunions familiales récentes,  j’avais espéré un petit mot d’encouragement, une accolade, une poignée de main, je me suis retrouvée isolée,  comme mise en quarantaine.  

Quand vous me regardiez, vous dirigiez votre regard  au-dessus de moi pour éviter mes yeux qui n’étaient pas du tout larmoyants pourtant.  J’avais l’impression d’être une entité transparente flottant  parmi vous.  Puisque j’étais condamnée, je n’avais à vos yeux plus de projets, plus de travail, plus d’avenir. Il n’y avait donc plus de sujet de discussion possible entre vous et moi.  Un instant même, j’ai crains que vos plus jeunes enfants, mes neveux et nièces s’enfuient de moi, croyant attraper « ma maladie ».

Cette souffrance que m’a causée  votre excommunication à mon égard a été plus douloureuse que la maladie elle-même.  Mon mari, qui est votre fils et votre frère,  a souffert aussi de votre indifférence. Il ne l’avouera pas cependant.  Il a bien tenté de m’expliquer que c’était parce que vous m’aimiez trop…Je n’ai pas compris ce genre d’amour muet, invisible, esquivé. Pas de téléphone, pas de courriel, pas de cartes, pas de visite.  Rien !  Vous avez décidé de faire un  front commun familial et d’attendre que le tout redevienne « normal » pour reprendre contact.  Je ne redeviendrai plus jamais la même personne et je ne sais même pas si je vais guérir complètement. Alors, vous ne me reparlerez plus jamais ?   

Je veux bien croire que vous n’avez pas voulu être méchants.  Vous avez été pris au dépourvu, vous avez manqué de tact et de politesse et surtout de courage.  Aujourd’hui, j’ai transcendé cette plaie d’abandon qui me réveillait souvent la nuit et qui me faisait pleurer.  Quand un tel drame s’abat sur nous, que la foudre frappe ainsi notre maison, les premières personnes que l’on  souhaite voir nous entourer ce sont les membres de notre famille immédiate.  J’ai été chanceuse de pouvoir vous remplacer par des voisins, des amies, et des contacts d’affaires.  

Une seule belle-sœur a eu le courage de me téléphoner à toutes les semaines pour sans doute prendre et vous  transmettre les nouvelles  à vous qui êtes devenus  comme des « voyeurs-auditifs ». Vous êtes là, attendant, semaine après semaine, comme à l’écoute d’un télé-feuilleton,  la suite de ma saga médicale, mes hauts et mes bas, mes petites victoires et parfois  mon écœurement le plus total.  Quand belle-maman téléphone, comme à tous les dimanches matins, depuis des années…elle doit espérer que ce ne soit pas moi qui réponde car elle ne sait pas quoi me dire.  Elle s’entretient donc de mon « cas » avec son fils.  

Je sais maintenant  que d’autres combattants vivent et souffrent de ce cruel isolement social et familial.  J’écris ce texte pour aider ceux et celles qui paralysent, qui répriment leurs paroles et leurs gestes amicaux quand ils rencontrent un combattant de quelque maladie grave.   

Ne croyez jamais que seul le traitement médical,  peut sauver un combattant.  Dans les hôpitaux, on donne vite la piqûre, la pilule, le traitement.  Malheureusement le personnel médical, aussi dévoué et empathique soit-il n’a plus le temps de nous tenir la main, d’essuyer nos larmes et surtout de nous écouter et nous réconforter.   

Il faut absolument que d’autres humains, tels que vous,  prennent la relève. La survie du combattant en dépend.   Voici comment, selon mon expérience personnelle,  vous pouvez l’aider à gagner son combat.  

retour début

B.     La bonne parole

 Ne dites pas au combattant ou à la combattante :  

 « T’as pas  l’air malade ! »  C’est un peu comme si vous mettiez en doute la véracité de l’état médical pourtant très sérieux du  combattant.  Celui-ci voudra sans doute motiver et expliquer son état, ce qui est inutile en plus d’être humiliant.  Le cancer est une maladie sournoise et silencieuse.  Les traces de cette maladie vont marquer le visage bien plus tard.  Personnellement, j’ai toujours porté une attention particulière à l’image corporelle que je projetais car je ne veux absolument pas me faire prendre en pitié.

 « Je sais ce que tu ressens !»  Si vous n’avez pas passé par-là, vous ne pouvez pas le savoir du tout.  

« Je suis très débordé au bureau, mais je t’appelle quand même !»  Et vous lui racontez tous vos petits malheurs d’employé ou encore tous vos petits bobos personnels ainsi que les bobos de vos enfants avec tous les détails par ordre chronologique.  

« J’ai connu M. Untel et Mme Chose qui ont eu le cancer…» Vous défilez tout le pedigree de chacune des personnes que vous connaissez qui sont mortes du cancer ! Tant qu’à faire,  découpez-lui la chronique nécrologique de quelques journaux !

 « Pour le cancer, tout se passe dans le mental  … c’est 10% de médecine et 90% entre les deux oreilles !»  Cette phrase est tellement absurde et ridicule qu’elle ne vaut pas la peine d’être commentée plus en profondeur.  Pourtant, plusieurs personnes  paraissant intelligentes la répètent souvent.  Avez-vous réfléchi un seul instant que si cette affirmation était véridique, combien les coûts médicaux de nos hôpitaux seraient bas…  

« M. Jo Bine,  atteint de cancer généralisé s’est lui-même guéri à force de rire !» Une autre affirmation du même type que la précédente.  Quel vidéo faut-il regarder 10 fois? Les Boys ? Ou certains discours politiques ?  

« Je t’envoie des ondes positives ! »   Vous prenez -vous pour la tour du CN de Toronto ou pour votre four à micro-onde ?  Vous expédiez rapidement un devoir d’amitié dans cette phrase vide de sens.   Rien ne remplacera une vraie communication verbale ou écrite, parole à parole, cœur à cœur.  Ainsi, vous serez certain que le message s’est bien rendu.

« Le voisin s’est commandé sur Internet tout plein de médicaments qui  guérissent le cancer ! Tu devrais faire comme lui !»   Oui, très certainement à coup de centaines et de milliers de dollars américains, sans connaître l’origine et la composition de ces pilules miracles !  

« Tu devrais essayer ce traitement  parallèle, alternatif, doux, underground ou extraterrestre»Si vous n’y connaissez rien, alors n’insistez pas pour que le combattant se lance à  corps perdu dans toutes sortes d’autres voies qui souvent deviennent des impasses quand ce ne sont pas carrément des impostures.  Il y perdra sa précieuse énergie, ses espoirs,  et son argent.  

Apprenez plutôt ces phrases, par cœur, justement parce que vous avez du cœur et de la sensibilité et prononcez-les en regardant le combattant ou la combattante droit dans les yeux.  Si, en plus, vous êtes capable de lui tenir la main ou de l’entourer dans vos bras vous franchirez une limite et vous passerez immédiatement dans une autre dimension.  La dimension de la précieuse chaleur humaine, de la véritable communication et de l’amitié sincère.  Vous deviendrez un adulte accompli car vous vous serez  libéré de vos  premières émotions d’enfant et de votre ridicule timidité d’adolescent.  

« J’ai appris ce qui t’arrive et j’en suis très peiné».  C’est LA phrase la plus simple, la plus complète et la plus amicale que vous puissiez dire ou écrire.    

« Je sais que ton combat sera long, mais je veux que tu saches que je suis à tes côtés dans la mesure de mes moyens et de mes possibilités».   Cette phrase est réconfortante et sans détour.  Ainsi vous offrez votre aide mais sans insister.  Vous devenez pour le combattant un ange amical qui saura apparaître en cas de besoin.

 « J’aimerais faire quelque chose pour toi, ta famille, ton conjoint, tes enfants et j’aimerais que tu me dises ce que je peux faire pour vous aider dans votre combat ».  Cette phrase est tout aussi agréable à entendre pour le combattant que la précédente.  

« Je suis là, au bout du fil quand tu veux. » Cette offre, toute douce, toute timide est quand même sincère et appréciée par le combattant.

 « Je peux venir prendre un café avec toi certains après midis».   Encore- là, une offre très sympathique qui met du baume sur le cœur du combattant et qui comblera sa solitude.  

« Je peux t’accompagner pour tes traitements ou tes examens…je ne connais pas comment cela se passe mais tu va m’expliquer et je vais aller avec toi. »  Ceci exige un réel engagement de votre part.  Il ne suffit pas de conduire le combattant à l’hôpital et d’aller le chercher une heure après.  Vous ne pouvez imaginer le bien-être que cela procure d’avoir quelqu’un qui nous soutient le bras quand on est à jeun depuis plusieurs heures et qu’il faut s’y retrouver dans les dédales du complexe hospitalier, se promener d’un étage à l’autre sans défaillir, d’essayer de bien comprendre ce que le pro de la santé tente de nous expliquer dans son jargon, on devient vite  très nerveux et très fatigué. 

 Le simple fait de ne pas avoir à conduire l’automobile, de ne pas se préoccuper du stationnement et surtout d’avoir quelqu’un d’amical qui nous ramène tout en douceur chez soi et qui pousse peut-être la gentillesse à nous préparer un petit repas sympa parce qu’il aura pensé à emporter la nourriture.  Cela devient un cadeau inespéré et précieux pour le combattant ou la combattante.

 « Je peux te préparer quelques repas pour toi et ta famille quand tu auras tes nausées à cause des traitements de chimio et que tu ne pourras pas cuisiner » ou encore «  Je vais m’occuper de tes enfants quand ils reviennent de l’école durant ta semaine de chimio. » Cet engagement est vraiment un cadeau inestimable pour le combattant et sa famille.

 « Je peux t’accompagner pour t’aider à t’acheter des vêtements.» Voilà un autre cadeau très précieux.  

« Je vais prendre chez moi tes enfants certains week-ends pour que vous puissiez vous retrouver en couple » ou encore  « On va sortir ton conjoint ou ta conjointe pour lui changer les idées un peu…pendant ce temps tu peux te reposer, on revient dans quelques heures !» Votre degré d’amitié est certes très élevé envers le combattant et votre cœur est très noble et généreux.  

retour début

C.  Le bon geste  

Si vous êtes un membre de la famille ou un ami mais que vous habitez trop loin pour assurer une présence continue et régulière auprès du combattant, vous pouvez quand même faire quelque chose de concret.  Bien sûr, le téléphone demeure votre premier lien mais rendre une courte visite de temps en temps ou du moins écrire, par la poste ou par courriel  régulièrement, vous permettra d’être à l’écoute de ses états d’âme et de partager un peu le fardeau de son combat quotidien.

 Vous pouvez penser à lui offrir un abonnement à une revue qui convient à ses intérêts par exemple.  Ainsi, durant ses périodes de repos obligatoires, une bonne lecture intéressante rendra la journée plus courte et le combattant   pensera à vous et à votre petit geste amical.  

Quelques amies formidables m’ont fait livrer une boite à fleur qui servait en fait de panier rempli de dizaines de surprises.  Disques, huiles et crèmes parfumées, pantoufles, confitures, objets décoratifs, etc.  La réception et le déballage de cet envoi fut un moment très intense pour moi que je n’oublierai jamais.  Il faut laisser aller votre originalité et votre créativité.

Un autre geste qui serait  sans doute très apprécié de votre part si le combattant connaît déjà ce type de traitement plus doux.  Quelques rapides recherches vous permettront de déceler un institut de massages thérapeutiques et de commander par téléphone des certificats cadeaux que vous expédierez dans une carte de vœux de prompts rétablissements.  

Au lieu de faire livrer un énorme bouquet de fleurs seulement quand le combattant est hospitalisé, pourquoi ne pas lui faire parvenir un petit bouquet durant les semaines de traitements ou lors d’un examen particulièrement important ?  Vous savez qu’à l’hôpital, l’espace est restreint pour entreposer les bouquets dans la chambrette et souvent, bien que fort joli et agréable à regarder le pot de fleurs devient  vite encombrant d’autant plus que souvent, abruti par l’anesthésie, le combattant n’est pas en état d’en apprécier tout le charme.  

Si le combattant ou la combattante a de jeunes enfants, vous pouvez proposer de garder les enfants à l’occasion. Si vous vous sentez plus à l’aise dans le ménage, un petit coup d’aspirateur et d’époussetage est toujours apprécié par une personne qui voit bien la saleté s’accumuler mais n’est pas en mesure de la faire disparaître parce qu’elle est trop faible.  

Personnellement, j’ai été ébahie et très touchée des gestes de  support de mon voisinage.  Certains m’ont prise dans leurs bras pour m’assurer de leur aide constante, d’autres m’ont accompagnée à l’hôpital, certaines voisines ont marché avec moi lors de mes  promenades matinales, d’autres m’ont offert de la bonne soupe maison, des muffins, des fleurs et beaucoup beaucoup de paroles affectueuses et d’encouragements sur une base très régulière et constante.  Certaines voisines et amies spécialisées dans les médecines douces et alternatives ont recherché pour moi ce qui était le meilleur à prendre pour améliorer ma santé.  Cela donne de l’énergie et une raison de continuer à combattre parce que je reçois constamment le témoignage que je vaux la peine de continuer à vivre malgré toutes ces difficultés.  

Si vous me rencontrez, je m’attends  à  ce que vous me considériez encore comme une personne entière en pleine possession de mes capacités mentales et physiques. Mon cerveau, mon cœur et mon âme  ne sont pas atteints ! Je ne suis pas alitée en permanence, ni figée dans la terreur et l’anxiété.  

Certains jours, ma confiance en moi est peut-être diminuée et mon degré d’énergie tombe  à plat.  L’émotivité m’envahit souvent, les larmes veulent venir, comme une montée de lait, surtout vers la fin de la journée.  Je veux rester digne, sans abattement perpétuel.  J’ai choisi de combattre le dragon, avec les moyens et les ressources que je connais et que d’autres personnes ont bien voulu mettre à ma portée.  Je veux que vous me considériez comme une personne humaine complète, intelligente et créative  encore en train de construire un avenir parmi vous.

 

Annexe II

Une lettre d'élève infirmière en fin de vie: "Laissez-vous toucher"

Dans : « La mort, dernière étape de la croissance » 
de Elisabeth Kübler-Ross
(Edition du Rocher Pocket 1985)
pages  61 à 63,

« Je suis étudiante infirmière. Je me meurs. J'écris ceci pour vous qui êtes ou deviendrez infirmière, dans l’espoir qu’ayant partagé mes sentiments vous soyez un jour capable d’aider mieux ceux qui vivent la même expérience que moi.

Je suis sortie de l’hôpital maintenant – pour un mois, six peut-être -, mais personne n’aime parler de ces choses là. En effet, personne n’aime parler de grand-chose. Le nursing avance sans doute, mais je voudrai qu’il se hâte. Nous apprenons maintenant à ne plus jouer la bonne humeur, nous réussissons assez bien à oublier le « tout va bien » de routine. Mais il ne reste qu’un vide silencieux et solitaire. Sans le « tout va bien » protecteur, le personnel reste pris avec sa propre peur et sa vulnérabilité. On ne voit pas encore le mourant comme une personne et on ne peut donc pas communiquer avec lui. Il est le symbole de ce que craint tout être humain, de ce que nous savons tous, au moins académiquement, devoir affronter un jour. Ne nous disait-on pas dans les cours de psychiatrie, que si on s’approche de la pathologie avec sa propre pathologie on ne peut que nuire à tout le monde ?Et qu’il fallait connaître ses propres sentiments avant de pouvoir aider quelqu’un d’autre avec les siens ? Comme c’était vrai.

Quant à moi, j’ai peur tout de suite, je meurs maintenant. Vous entrez et sortez de ma chambre en silence, vous me donnez des médicaments, vous prenez ma pression artérielle. Est-ce le fait d’être étudiante infirmière ou le simple fait d’être un humain qui me fait sentir votre peur ? Votre peur souligne la mienne. Pourquoi avez-vous peur ? Après tout c’est moi qui meurs !

Je sais que vous êtes mal à l’aise, que vous ne savez ni que dire ni que faire. Mais croyez moi, on ne peut pas se tromper en montrant de la chaleur. Laissez-vous toucher. C’est de cela dont nous avons besoin. Nous pouvons poser des questions sur l’après, le pourquoi, mais nous n’attendons pas vraiment de réponse. Ne vous sauvez pas, attendez, je veux simplement savoir qu’il y aura quelqu’un pour me tenir la main quand j’en aurai besoin. J’ai peur. La mort est peut-être devenue une routine pour vous, mais elle est nouvelle pour moi. Je ne suis sans doute pas un cas unique pour vous, mais c’est la première fois que je meurs. Pour moi, c’est le moment unique.

Vous parlez de ma jeunesse ; mais quand on se meurt, est-on si jeune ? Il est des tas de choses dont je voudrais vous parler. Il ne nous faudrait pas beaucoup plus de temps, puisque vous passez déjà beaucoup de temps près de moi de toute façon.

Si nous pouvions seulement être honnêtes, admettre nos peurs, nous toucher l’une l’autre. Et après tout notre professionnalisme serait-il vraiment menacé si vous alliez jusqu’à pleurer avec moi ? Entre nous ? Alors il ne serait peut-être plus si dur de mourir à l’hôpital… car on y aurait des amis. »

 Elisabeth Kübler-Ross nous propose ce touchant document 
en le citant de The American journal of nursing company (février 1970) 

nb. les mots en caractères gras bleus ont été soulignés par T. Tournebise.
Les mots "laisser-vous toucher", dans le texte,
mettent en exergue une attitude fondamentale 
dans l'accompagnement psychologie:

Savoir être touché sans être affecté