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Annexe I

Line, atteinte d'une pathologie grave dont l'issue peut être fatale, m'a fait cadeau de ce texte après avoir pris connaissance de mon site. Je l'en remercie et avec son accord, je vous le propose

Entre surprise, révolte et espoir elle y décrit une période de combat mal comprise. Entre certitudes et effondrement, elle essaye de se tenir debout. Peut-être peut-elle réussir? Dans tous les cas elle explique bien que le traitement médical à lui seul ne peut

Elle décrit la difficulté de trouver un soutien dans l'entourage familial ou médical et nous décrit ce qu'elle souhaiterait. Elle a trouvé des aides de la part de gens auxquels elle ne pensait pas

 

A Etat de la situation 
Quand la maladie, puis sa récidive surgissent d'un seul coup.

B La "bonne parole
Ce qu'il ne faut pas dire à celui qui vit cette situation

C Le bon geste 
L'attitude souhaitée, tellement attendue

A.     État de la situation

 L’été dernier, je marchais sur une belle rue ensoleillée, grouillante de rendez-vous, de clients, de défis. Ma micro-entreprise roulait très bien, la vie de famille était correcte et j’avais des projets  pleins la tête.  Soudain, je suis tombée dans un grand trou très profond, très noir, très humide et tout gluant.  J’étais seule là-dedans, tout au fond,  et j’ai vite réalisé que si je voulais m’en sortir,  il fallait que je le fasse moi-même,  à bout de bras.  

J’ai relevé la tête vers la lumière cherchant qui était là pour m’aider, pour me lancer des cordes, pour me dire comment me placer les pieds et les mains, pour me dire de ne pas lâcher…J’y ai vite reconnu mon époux, mes 2 grands enfants, ma sœur,  du personnel médical compétent, des amies très chères et de précieux  voisins.   

Ce premier diagnostic de cancer au côlon allait changer ma vie pour toujours.  L’opération pour enlever une tumeur de 4 cm a eu lieu le 6 août 2001 puis les traitements de chimiothérapie ont débuté le 27 août pour se terminer le 18 janvier 2002.  On m’avait joyeusement annoncé une rémission. Oui, je m’étais bravement sortie du trou.   J’allais pouvoir repartir l’entreprise en mars 2002.  Mes clients avec qui j’avais des contrats signés avaient promis qu’ils m’attendraient, peu importe le temps.  

 Le 15 février 2002, lors d’un examen de contrôle, on m’annonce platement que j’avais 2 taches suspectes sur le foie.  Seconde chute dans un autre trou noir, cette fois en chute contrôlée car je savais un peu plus à quoi m’attendre.  Je relève encore une fois la tête vers la lumière et j’aperçois que les mêmes personnes qui étaient là lors du premier diagnostic sont encore présentes toutes prêtes à m’aider encore et encore. « On ne te lâchera pas! »m’ont-ils lancé fermement.   J’ai dû sabordé  mon entreprise. Je me suis sentie tel un commandant de la marine qui s’arrache lui-même ses galons hautement mérités, après presque 7 années de durs défis d’affaires.  

 Je suis maintenant devenue une CAPT, une combattante à plein temps !   Je vais donc me sortir une autre fois de ce trou merdeux  et me débarrasser de ce 2e cancer qui s’est effrontément implanté au foie, malgré la chimio.  La chirurgie est prévue pour le 23 mai 2002.  Après, je ne sais pas vraiment ce qui m’attend.  

J’écris ce texte à l’intention de ceux  et celles qui ont cessé de me parler, de me regarder, qui  m’ont condamnée et exclue dès l’annonce du premier diagnostic de cancer.  Nous nous connaissions pourtant depuis près de 28 ans et vous m’avez fait disparaître d’un seul coup de votre vie, comme si j’avais apporté une maladie honteuse dans votre clan. Belle-famille, beaux-frères et belles-sœurs, pourquoi m’avez-vous abandonnée ?  Deux fois, lors de réunions familiales récentes,  j’avais espéré un petit mot d’encouragement, une accolade, une poignée de main, je me suis retrouvée isolée,  comme mise en quarantaine.  

Quand vous me regardiez, vous dirigiez votre regard  au-dessus de moi pour éviter mes yeux qui n’étaient pas du tout larmoyants pourtant.  J’avais l’impression d’être une entité transparente flottant  parmi vous.  Puisque j’étais condamnée, je n’avais à vos yeux plus de projets, plus de travail, plus d’avenir. Il n’y avait donc plus de sujet de discussion possible entre vous et moi.  Un instant même, j’ai crains que vos plus jeunes enfants, mes neveux et nièces s’enfuient de moi, croyant attraper « ma maladie ».

Cette souffrance que m’a causée  votre excommunication à mon égard a été plus douloureuse que la maladie elle-même.  Mon mari, qui est votre fils et votre frère,  a souffert aussi de votre indifférence. Il ne l’avouera pas cependant.  Il a bien tenté de m’expliquer que c’était parce que vous m’aimiez trop…Je n’ai pas compris ce genre d’amour muet, invisible, esquivé. Pas de téléphone, pas de courriel, pas de cartes, pas de visite.  Rien !  Vous avez décidé de faire un  front commun familial et d’attendre que le tout redevienne « normal » pour reprendre contact.  Je ne redeviendrai plus jamais la même personne et je ne sais même pas si je vais guérir complètement. Alors, vous ne me reparlerez plus jamais ?   

Je veux bien croire que vous n’avez pas voulu être méchants.  Vous avez été pris au dépourvu, vous avez manqué de tact et de politesse et surtout de courage.  Aujourd’hui, j’ai transcendé cette plaie d’abandon qui me réveillait souvent la nuit et qui me faisait pleurer.  Quand un tel drame s’abat sur nous, que la foudre frappe ainsi notre maison, les premières personnes que l’on  souhaite voir nous entourer ce sont les membres de notre famille immédiate.  J’ai été chanceuse de pouvoir vous remplacer par des voisins, des amies, et des contacts d’affaires.  

Une seule belle-sœur a eu le courage de me téléphoner à toutes les semaines pour sans doute prendre et vous  transmettre les nouvelles  à vous qui êtes devenus  comme des « voyeurs-auditifs ». Vous êtes là, attendant, semaine après semaine, comme à l’écoute d’un télé-feuilleton,  la suite de ma saga médicale, mes hauts et mes bas, mes petites victoires et parfois  mon écœurement le plus total.  Quand belle-maman téléphone, comme à tous les dimanches matins, depuis des années…elle doit espérer que ce ne soit pas moi qui réponde car elle ne sait pas quoi me dire.  Elle s’entretient donc de mon « cas » avec son fils.  

Je sais maintenant  que d’autres combattants vivent et souffrent de ce cruel isolement social et familial.  J’écris ce texte pour aider ceux et celles qui paralysent, qui réprime leurs paroles et leurs gestes amicaux quand ils rencontrent un combattant de quelque maladie grave.   

Ne croyez jamais que seul le traitement médical,  peut sauver un combattant.  Dans les hôpitaux, on donne vite la piqûre, la pilule, le traitement.  Malheureusement le personnel médical, aussi dévoué et empathique soit-il n’a plus le temps de nous tenir la main, d’essuyer nos larmes et surtout de nous écouter et nous réconforter.   

Il faut absolument que d’autres humains, tels que vous,  prennent la relève. La survie du combattant en dépend.   Voici comment, selon mon expérience personnelle,  vous pouvez l’aider à gagner son combat.  

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B.     La bonne parole

 Ne dites pas au combattant ou à la combattante :  

 « T’as pas  l’air malade ! »  C’est un peu comme si vous mettiez en doute la véracité de l’état médical pourtant très sérieux du  combattant.  Celui-ci voudra sans doute motiver et expliquer son état, ce qui est inutile en plus d’être humiliant.  Le cancer est une maladie sournoise et silencieuse.  Les traces de cette maladie vont marquer le visage bien plus tard.  Personnellement, j’ai toujours porté une attention particulière à l’image corporelle que je projetais car je ne veux absolument pas me faire prendre en pitié.

 « Je sais ce que tu ressens !»  Si vous n’avez pas passé par-là, vous ne pouvez pas le savoir du tout.  

« Je suis très débordé au bureau, mais je t’appelle quand même !»  Et vous lui racontez tous vos petits malheurs d’employé ou encore tous vos petits bobos personnels ainsi que les bobos de vos enfants avec tous les détails par ordre chronologique.  

« J’ai connu M. Untel et Mme Chose qui ont eu le cancer…» Vous défilez tout le pedigree de chacune des personnes que vous connaissez qui sont mortes du cancer ! Tant qu’à faire,  découpez-lui la chronique nécrologique de quelques journaux !

 « Pour le cancer, tout se passe dans le mental  … c’est 10% de médecine et 90% entre les deux oreilles !»  Cette phrase est tellement absurde et ridicule qu’elle ne vaut pas la peine d’être commentée plus en profondeur.  Pourtant, plusieurs personnes  paraissant intelligentes la répètent souvent.  Avez-vous réfléchi un seul instant que si cette affirmation était véridique, combien les coûts médicaux de nos hôpitaux seraient bas…  

« M. Jo Bine,  atteint de cancer généralisé s’est lui-même guéri à force de rire !» Une autre affirmation du même type que la précédente.  Quel vidéo faut-il regarder 10 fois? Les Boys ? Ou certains discours politiques ?  

« Je t’envoie des ondes positives ! »   Vous prenez -vous pour la tour du CN de Toronto ou pour votre four à micro-onde ?  Vous expédiez rapidement un devoir d’amitié dans cette phrase vide de sens.   Rien ne remplacera une vraie communication verbale ou écrite, parole à parole, cœur à cœur.  Ainsi, vous serez certain que le message s’est bien rendu.

« Le voisin s’est commandé sur Internet tout plein de médicaments qui  guérissent le cancer ! Tu devrais faire comme lui !»   Oui, très certainement à coup de centaines et de milliers de dollars américains, sans connaître l’origine et la composition de ces pilules miracles !  

« Tu devrais essayer ce traitement  parallèle, alternatif, doux, underground ou extraterrestre»Si vous n’y connaissez rien, alors n’insistez pas pour que le combattant se lance à  corps perdu dans toutes sortes d’autres voies qui souvent deviennent des impasses quand ce ne sont pas carrément des impostures.  Il y perdra sa précieuse énergie, ses espoirs,  et son argent.  

Apprenez plutôt ces phrases, par cœur, justement parce que vous avez du cœur et de la sensibilité et prononcez-les en regardant le combattant ou la combattante droit dans les yeux.  Si, en plus, vous êtes capable de lui tenir la main ou de l’entourer dans vos bras vous franchirez une limite et vous passerez immédiatement dans une autre dimension.  La dimension de la précieuse chaleur humaine, de la véritable communication et de l’amitié sincère.  Vous deviendrez un adulte accompli car vous vous serez  libéré de vos  premières émotions d’enfant et de votre ridicule timidité d’adolescent.  

« J’ai appris ce qui t’arrive et j’en suis très peiné».  C’est LA phrase la plus simple, la plus complète et la plus amicale que vous puissiez dire ou écrire.    

« Je sais que ton combat sera long, mais je veux que tu saches que je suis à tes côtés dans la mesure de mes moyens et de mes possibilités».   Cette phrase est réconfortante et sans détour.  Ainsi vous offrez votre aide mais sans insister.  Vous devenez pour le combattant un ange amical qui saura apparaître en cas de besoin.

 « J’aimerais faire quelque chose pour toi, ta famille, ton conjoint, tes enfants et j’aimerais que tu me dises ce que je peux faire pour vous aider dans votre combat ».  Cette phrase est tout aussi agréable à entendre pour le combattant que la précédente.  

« Je suis là, au bout du fil quand tu veux. » Cette offre, toute douce, toute timide est quand même sincère et appréciée par le combattant.

 « Je peux venir prendre un café avec toi certains après midis».   Encore- là, une offre très sympathique qui met du baume sur le cœur du combattant et qui comblera sa solitude.  

« Je peux t’accompagner pour tes traitements ou tes examens…je ne connais pas comment cela se passe mais tu va m’expliquer et je vais aller avec toi. »  Ceci exige un réel engagement de votre part.  Il ne suffit pas de conduire le combattant à l’hôpital et d’aller le chercher une heure après.  Vous ne pouvez imaginer le bien-être que cela procure d’avoir quelqu’un qui nous soutient le bras quand on est à jeun depuis plusieurs heures et qu’il faut s’y retrouver dans les dédales du complexe hospitalier, se promener d’un étage à l’autre sans défaillir, d’essayer de bien comprendre ce que le pro de la santé tente de nous expliquer dans son jargon, on devient vite  très nerveux et très fatigué. 

 Le simple fait de ne pas avoir à conduire l’automobile, de ne pas se préoccuper du stationnement et surtout d’avoir quelqu’un d’amical qui nous ramène tout en douceur chez soi et qui pousse peut-être la gentillesse à nous préparer un petit repas sympa parce qu’il aura pensé à emporter la nourriture.  Cela devient un cadeau inespéré et précieux pour le combattant ou la combattante.

 « Je peux te préparer quelques repas pour toi et ta famille quand tu auras tes nausées à cause des traitements de chimio et que tu ne pourras pas cuisiner » ou encore «  Je vais m’occuper de tes enfants quand ils reviennent de l’école durant ta semaine de chimio. » Cet engagement est vraiment un cadeau inestimable pour le combattant et sa famille.

 « Je peux t’accompagner pour t’aider à t’acheter des vêtements.» Voilà un autre cadeau très précieux.  

« Je vais prendre chez moi tes enfants certains week-ends pour que vous puissiez vous retrouver en couple » ou encore  « On va sortir ton conjoint ou ta conjointe pour lui changer les idées un peu…pendant ce temps tu peux te reposer, on revient dans quelques heures !» Votre degré d’amitié est certes très élevé envers le combattant et votre cœur est très noble et généreux.  

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C.  Le bon geste  

Si vous êtes un membre de la famille ou un ami mais que vous habitez trop loin pour assurer une présence continue et régulière auprès du combattant, vous pouvez quand même faire quelque chose de concret.  Bien sûr, le téléphone demeure votre premier lien mais rendre une courte visite de temps à temps ou du moins écrire, par la poste ou par courriel  régulièrement, vous permettra d’être à l’écoute de ses états d’âme et de partager un peu le fardeau de son combat quotidien.

 Vous pouvez penser à lui offrir un abonnement à une revue qui convient à ses intérêts par exemple.  Ainsi, durant ses périodes de repos obligatoires, une bonne lecture intéressante rendra la journée plus courte et le combattant   pensera à vous et à votre petit geste amical.  

Quelques amies formidables m’ont fait livrer une boite à fleur qui servait en fait de panier rempli de dizaines de surprises.  Disque, huile et crème parfumée, pantoufles, confitures, objet décoratif, etc.  La réception et le déballage de cet envoi fut un moment très intense pour moi que je n’oublierai jamais.  Il faut laisser aller votre originalité et votre créativité.

Un autre geste qui serait  sans doute très apprécié de votre part si le combattant connaît déjà ce type de traitement plus doux.  Quelques rapides recherches vous permettront de déceler un institut de massages thérapeutiques et de commander par téléphone des certificats cadeaux que vous expédierez dans une carte de vœux de prompts rétablissements.  

Au lieu de faire livrer un énorme bouquet de fleurs seulement quand le combattant est hospitalisé, pourquoi ne pas lui faire parvenir un petit bouquet durant les semaines de traitements ou lors d’un examen particulièrement important ?  Vous savez qu’à l’hôpital, l’espace est restreint pour entreposer les bouquets dans la chambrette et souvent, bien que fort joli et agréable à regarder le pot de fleurs devient  vite encombrant d’autant plus que souvent, abruti par l’anesthésie, le combattant n’est pas en état d’en apprécier tout le charme.  

Si le combattant ou la combattante a de jeunes enfants, vous pouvez proposer de garder les enfants à l’occasion. Si vous vous sentez plus à l’aise dans le ménage, un petit coup d’aspirateur et d’époussetage est toujours apprécié par une personne qui voit bien la saleté s’accumuler mais n’est pas en mesure de la faire disparaître parce qu’elle est trop faible.  

Personnellement, j’ai été ébahie et très touchée des gestes de  support de mon voisinage.  Certains m’ont prise dans leurs bras pour m’assurer de leur aide constante, d’autres m’ont accompagnée à l’hôpital, certaines voisines ont marché avec moi lors de mes  promenades matinales, d’autres m’ont offert de la bonne soupe maison, des muffins, des fleurs et beaucoup beaucoup de paroles affectueuses et d’encouragement sur une base très régulière et constante.  Certaines voisines et amies spécialisées dans les médecines douces et alternatives ont recherché pour moi ce qui était le meilleur à prendre pour améliorer ma santé.  Cela donne de l’énergie et une raison de continuer à combattre parce que je reçois constamment le témoignage que je vaux la peine de continuer à vivre malgré toutes ces difficultés.  

Si vous me rencontrez, je m’attends  à  ce que vous me considériez encore comme une personne entière en pleine possession de mes capacités mentales et physiques. Mon cerveau, mon cœur et mon âme  ne sont pas atteints ! Je ne suis pas alitée en permanence, ni figée dans la terreur et l’anxiété.  

Certains jours, ma confiance en moi est peut-être diminuée et mon degré d’énergie tombe  à plat.  L’émotivité m’envahit souvent, les larmes veulent venir, comme une montée de lait, surtout vers la fin de la journée.  Je veux rester digne, sans abattement perpétuel.  J’ai choisi de combattre le dragon, avec les moyens et les ressources que je connais et que d’autres personnes ont bien voulu mettre à ma portée.  Je veux que vous me considériez comme une personne humaine complète, intelligente et créative  encore en train de construire un avenir parmi vous.

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