Humaniser la fin de vie 5/5  Retour page d'accueil        -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Opportunité vers une
nouvelle sensibilité

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Le  défi de la fin de vie

Revers du progrès, source d’évolution

Le fait de prolonger la vie est une avancée majeure de la médecine. La mort est une épreuve insoutenable, tant pour ceux qui perdent un proche, que pour ce proche lui-même découvrant que sa vie va finir.

A chaque fois qu’une vie est sauvée, c’est beaucoup de douleur évitée et d’espoirs retrouvés. Ce côté du progrès soulage vraiment l’être humain. Il est indiscutablement bénéfique.

Cependant, cette euphorie fait vite place à de nouvelles difficultés. Jusque là, la mort trop précoce était vécue comme une fatalité insupportable, mais au moins, la mort décidait «elle-même» de son moment. Dorénavant, on sait la reculer… pour souvent aboutir à un moment où l’état du patient, sa dignité, ses souffrances interrogent sur ce qu’i y a de mieux à faire. On sait maintenir un corps en vie grâce à une assistance complète… alors la frontière de la mort doit être redéfinie.

Jusqu’où un soin doit continuer? À partir d’où l’acharnement doit s’arrêter pour laisser venir la fin? L’impensable euthanasie, dans un monde où le projet est de sauver la vie, vient alors à l’esprit, et tout naturellement, les choses ne sont pas si simples. Les réponses à ces questions sont très délicates. L’interrogation nous porte plus profondément encore sur le sens de l’existence et de sa fin.

Ces progrès, qui nous ont permis de reculer les limites de la mort (et c’est heureux), nous conduisent en même temps à trop souvent devoir décider un peu de cette mort, au moins par arrêt de l’acharnement

Nous remarquons tout de suite que dans cette situation nouvelle le cœur n’est guerre plus léger qu’en ces temps où il fallait simplement la subir! Nous nous trouvons devant une réflexion de vie à laquelle l’éthique peine à répondre (et la loi encore plus).

La médecine et l’humain sont ainsi projetés au-delà des pensées simplistes ou étroites. Après avoir reculé les limites de la mort, l’homme y est confronté avec plus d’acuité et se doit de rencontrer la vie avec plus de subtilité.

Il doit sortir de son imaginaire et de ses idéologies pour réellement développer une sensibilité authentique à l’autre et à lui-même.

L’empathie démasquée

La croyance selon laquelle, pour être chaleureux, il faut être dans l’empathie, s’évanouit totalement dans la fin de vie. «Ecouter quelqu’un pour comprendre ses références de pensées afin de pouvoir se mettre à sa place tout en restant soi-même» est pourtant le cheval de bataille de toute démarche de communication ou d’aide. Ce n’est pourtant qu’une illusion dans toutes les circonstances de l’existence.

On ne peut jamais se mettre à la place de quelqu’un… sous peine de ne plus être en contact qu’avec son propre imaginaire. Cela n’induit pas de la chaleur humaine, mais de l’affectivité.

En réalité, il s’agit plutôt d’écouter l’autre nous exprimer ce qu’il ressent, lui, à la place où il est. La clé, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est d'être distinct sans être distant.

Etre chaleureux, ce n’est pas être à la place, mais être individualisé, proche, ouvert et plein de reconnaissance.  C’est être capable de reconnaître et de valider le ressenti que l’autre nous livre, de le considérer comme une confidence précieuse. C’est recevoir délicatement cette confidence, sans jamais se l’approprier, sans jamais oublier que seul notre interlocuteur en est propriétaire.

Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, ce site comporte tout un article sur Le piège de l’empathie (novembre 2000)

La fin de vie est le moment par excellence où l’on est invité à se recentrer avec modestie, pour mieux comprendre l’autre sans jamais prétendre pouvoir se mettre à la place

Aider sans solution

Pour aider, souvent, le premier réflexe est de vouloir trouver une solution. Notre culture nous a habitué à ce tandem problème/solution. Dans le monde soignant cette pulsion à la «solutionite» est encore renforcée. La croyance est tenace, mais la fin de vie bouscule cette attitude de pouvoir.

Ici le chercheur de solution se trouve devant un néant insupportable. Il est amené à découvrir une autre façon d’aider, une manière où la notion de solution n’a plus droit de cité… car ce qu’on voudrait, c’est que la mort ne soit pas… mais elle est tout de même. Alors on doit aider autrement par une présence, une écoute, un accompagnement. C’est évidemment très déroutant!

La recherche de solution est, comme l’empathie, une croyance tenace qui est mise à mal dans ce moment extrême de l’existence. Se battre, trouver des solutions, mettre en œuvre des stratégies, mesurer les résultats… tout cela ne marche plus ici.

Même en dehors de la fin de vie, en psychologie, commencer par vouloir trouver une solution est une erreur. Cela peut même être néfaste.

Par exemple, si vous lisez sur ce site l’article de mars 2003 «aider le malade alcoolique», vous découvrirez qu’il ne faut pas que le projet initial soit de trouver une solution à son alcoolisme. Le projet doit être de l'aider à accomplir une rencontre avec celui qu'il était dans les moments de sa vie qui ont rendu cet alcool nécessaire. C'est à cette condition (de réhabilitation de la raison) que l'addiction disparaît durablement.

Le projet n’est pas une solution, mais une médiation.

La médiation, c’est une rencontre. La solution,  c’est une rupture. Vouloir solutionner, éloigne des raisons, éloigne de ses propres sources de vie, fait rompre avec ses bases intérieures et rend instable.

D’ailleurs le mot solution signifie «rupture». En médecine, une fracture osseuse est désignée par l’expression «solution de continuité» pour indiquer que la continuité du segment osseux est rompue. Langage couramment utilisé en radiologie.

Aider, en psychologie, c’est permettre à celui qu’on aide de se rencontrer lui-même. Les problèmes sont souvent simplement l’expression d’une partie de lui qui attend cette rencontre. Vouloir solutionner revient à empêcher cette rencontre de s’accomplir.

La fin de vie est une circonstance qui sensibilise profondément à cette réalité. Une inestimable révélation nécessaire à tout ceux qui, maladroitement,  cherchent à solutionner aveuglement les souffrances psy.

La dimension humaine à nue

Authenticité

Dans la fin de vie, les masques tombent. Tout le superficiel s’évanouit. La valeur de l’existence jaillit de façon puissante et inattendue. Statut, masques et protocoles sociaux deviennent caducs.

Alors que notre tendance est de vivre le quotidien sans prendre la mesure de grand-chose, discutant de tout et de rien, se préoccupant exagérément de mille petites «bricoles» qui nous envahissent… ici les valeurs changent.

Les priorités s’inversent. Ce qui autrefois n’était même pas visible nous saute alors aux yeux. Par contre ce qui autrefois était important nous apparaît désormais dérisoire. La valeur de chaque instant nous semble tout à coup immense. La présence d’un être cher prend tout son sens.

Comment pouvons nous passer tant d’années ensemble sans nous voir vraiment pour d’un seul coup réaliser que nous risquons de nous manquer ?

Pourquoi faut-il la menace du manque pour prendre conscience de la valeur?

Pareils à des autistes bavards, nous nous côtoyons sans nous rencontrer. Tournant en rond dans notre imaginaire nous peinons à rencontrer l’autre. Ceux que nous aimons le plus ne sont pas épargnés. Nous les connaissons tellement… que nous écoutons à peine la fin de leurs phrases et ne faisons qu'imaginer leurs pensées

La fin de vie nous rappel à l’ordre, nous invitant, comme le petit prince, à visiter la planète de notre voisin… et surtout à le rencontrer.

Plus de vie et moins de pouvoir

Le pouvoir est très recherché,pour le pire ou pour le meilleur. Parfois, dans d’égoïstes projets, certains l’espèrent pour leur satisfaction personnelle. Par contre, beaucoup d’autres, plus généreux, en attendent le moyen d’apporter à autrui une aide plus efficace.

Ici aussi, en psychologie, le pouvoir est un piège. Même pour le «bien», l’invitation au pouvoir sur autrui, sur soi ou sur des problèmes psy peut rapidement aboutir à l’inverse de ce qui est recherché.

Cette quête de puissance est terrassée dans la fin de vie. C'est une zone de non pouvoir absolu qui dérange ce désir compulsif de maîtriser, contrôler, résoudre. Dans un ultime soubresaut cette stratégie du pouvoir s’exprimera dans une «lutte contre la douleur». Là on reconnaît ses marques. Mais ce qui est parfaitement juste pour la douleur physique ne l’est plus pour la douleur psychologique.

Face à la souffrance psy, il ne s’agit plus de lutter, mais de s’ouvrir, d’être sensible, d’être à l’écoute, de respecter, accompagner entendre. Il s’agit d’accepter de ne pas savoir, car en fait nous ne savons rien dans le domaine de la mort. Nous y sommes propulsés dans une humilité forcée.

Or l’humilité est sans doute une des clés pour aborder ce moment ultime. Accepter de ne pas savoir pour mieux entendre. Le rôle du non savoir, essentiel dans toute situation d’aide ou même de communication, est ici un pilier incontournable. Pour mieux explorer cette notion, vous pouvez lire sur ce site l’article «Le non savoir source de compétence» (avril 2001).

Une plus grande capacité à vivre
(compensations, vides et plénitudes)

La fin de vie nous montre ses étapes : déni (anesthésie), révolte (colère, injustice), marchandage (transactions anxiolytiques), déprime (confrontation à l’évidence du vide) et acceptation (intégration, sérénité, plénitude).

Elle nous montre en fait les étapes que nous rencontrons tout au long de notre existence. Elle nous renseigne sur cet antagonisme la pulsion de survie et la pulsion de vie qui assurent notre équilibre et notre maturation.

La fin de vie nous sensibilise sur la différence entre l’énergie (faire) et la vie (être).

Elle nous renseigne sur cette pulsion qui nous habite et qui nous pousse à retrouver notre intégrité. Notre structure psychique tend à rechercher ses parts manquantes pour les remettre à leur juste place.

Ce que nous voyons dans la fin de vie nous éclaire sur un mieux vivre qui peut s’accomplir tout au long de l’existence. Ces pulsions sont probablement à l’œuvre dès notre conception.

Elle nous montre que la déprime n’est qu’une phase de naissance permettant de passer de l’énergie à la vie, de l’intérêt (pour les choses) à l’attention (pour les êtres). Il ne s’agit pas d’y décoder une promesse d’éternité, mais plus simplement une meilleure aptitude à vivre le présent. En plus de l'article de juin 2001 sur la dépression, vous pouvez lire à ce sujet l'article de mars 2001 sur l'affirmation de soi: "Un quelqu'un en habit de personnes

La déprime précède la phase d’intégration qui conduit à se réapproprier les parts manquantes de soi. Le sentiment de vide est nécessaire pour s’interroger sur ce qui manque et porter son attention dessus, puis le placer en soi. Pour plus de détails sur ce point vous trouverez dans ce site l’article dépression et suicide (juin 2001) qui détaille la façon de traverser cette phase sans cataclysmes.

HUMANISATION
Simplicité de la rencontre

Loin des théories et des solutions, dans ce dépouillement, seule la simplicité permet la rencontre. Toute réflexion théorique ou application de techniques psychologiques semblent ici bien dérisoires.

La rencontre avec la personne en fin de vie, et son accompagnement, se feront sur un mode de sensibilité, d’authenticité, d’humilité et de confiance.

Sur ce plan, il ne peut s’agir simplement de compréhensions intellectuelles, ni de compétences techniques.

Même sans formation, le plus simple et le plus évident ne doit pas échapper. La qualité du non savoir et l’humilité restent des guides majeurs.

Parfois une personne peut annoncer des choses étonnantes. Un patient appelle car il voit de l’eau monter dans sa chambre. Il a très peur. La soignante vient et l’invite à décrire cette eau qu’il voit et qu’elle ne voit pas. La lui décrivant, il la trouve de plus en plus douce, lumineuse, dorée et confortable. Il s’apaise. Cet homme est décédé quelques heures plus tard.

Je vous cite cet exemple pour vous montrer qu’il convient de rester simple et d’avoir confiance dans le patient. Ne pas avoir peur d’aller vers lui. Rester sans a priori. Juste avoir confiance et l’accompagner vers lui-même en respectant ses ressentis, même quand ceux-ci nous étonnent.

Rappelez vous, il ne s’agit pas de solutions, mais de rencontres et d’ouverture d’esprit loin des théories et des croyances.

Ultime proximité

Cette rencontre se fait avant la mort, mais il semblerait juste qu’elle puisse se poursuivre après. Je veux dire par là que les proches doivent bénéficier d’un temps près du défunt s’ils le souhaitent.

Que ce soit à l’hôpital, dans une chambre funéraire ou à la maison, ce temps permet de réaliser une transition entre la mort, la mise en bière et l’enterrement.

Ces autres phases sont délicates aussi et il semble avantageux que les proches puissent rester suffisamment longtemps avec lui.

Quand cela est possible, un retour du corps à la maison semble la meilleure solution afin de donner à chacun un temps que l’institution hospitalière ne peut offrir. Un, deux ou trois jours seront souhaitables.

Chacun y dira ses dernières paroles, y fera ses derniers au revoir, y donnera ses derniers baisers. Chacun prendra le temps de lui laisser un objet de son choix (si tel est son souhait) Chacun pourra pudiquement y réaliser le rituel de son choix par sa présence silencieuse, un chant, une prière ou toute autre chose.

Ce temps d’intimité est indispensable. Même s’il est court, il doit pouvoir exister.

Ultime regard

Je ne pouvais terminer cet article sans évoquer ce temps juste après la mort. Pas le deuil, que j’ai abordé plus haut, mais ce qui suit immédiatement le décès. La mort est un moment extrême pour l'entourage. Ce qui suit juste après est également très fort.

La mise en bière est un moment souvent très difficile qui vient s'ajouter au décès proprement dit. Notamment à la fermeture du cercueil. Ce moment délicat, trop souvent traumatisant,  mérite un regard spécial pour laisser une impression plus douce et plus légère.

Si cela peut être ressenti comme une aide, je vous invite à considérer que ce corps est l’outil par lequel le défunt a partagé tant de choses durant sa vie.

Cet outil est si précieux qu’on le met dans un coffre comme l’outil d’un bon artisan qui a engendré tant de chefs d’œuvres.

Cet outil, qui fut son prolongement, est mis précieusement dans ce coffre pour l'honorer de ce qu’il lui permit de réaliser au cours de son existence.

Puis ce coffre est mis en terre. C’est ce qu’on ferait pour un trésor infiniment précieux qu’on veut préserver.  

"A chaque souffle qui touchera notre coeur"

Pour certains, la crémation a été choisie. Or la crémation peut être plus douloureuse encore, pour ceux qui restent. Perdre la forme du corps est un coup brutal supplémentaire qui pour beaucoup de personnes arrive trop tôt. Il n'est pas possible techniquement de le différer, mais ce serait certainement préférable.

Afin d'apporter une modeste contribution à l'adoucissement d'une telle situation, je vous propose le texte ci-dessous que j'ai écrit  pour une personne proche:

Des mots de lumière
Chantent la paix que tu nous as donnée.

En s’élevant de la terre
Tu viens de nous les rappeler.

Les mots que tu nous as offerts
Résonnent dans nos cœurs et nos âmes,
Ceux de l’amie, de l’épouse et de la mère…
Mais aussi ceux de la femme éclairée.

Tu offres ce délicat chemin d’amour
Avec tant de générosité
Que par ta vie, tes actes et tes cours
Nous sommes aujourd’hui comblés.

Sommes-nous donc insatiables
Quand nous avons du regret ?
N’est-ce pas légitime de rêver
Que ça aurait pu encore un peu durer !

 

Mais…


Ce corps par lequel tes enfants ont touché la terre,
Ce corps par lequel nous t’avons connue…
Ce corps par lequel nous avons reçu…
Tu le rends à la lumière.

Tu as souhaité ce feu d’amour
Qui  va le restituer à la source.

De ce feu il pourra rejaillir
Et devenir multitude.
Chaque grain y portera l’espoir :
Une infinité d’espoir offerte à chacun,
Une infinité d’espoir offerte aux tiens.

Chaque grain, aussi léger que le vent,
Contiendra l’immensité de ton amour.
Alors à chaque souffle qui touchera notre cœur
Nous sentirons se lever le jour.

Nous recevrons comme un délicieux cadeau
Ce clin d’œil d’éternité
Une brise de présence et nous te saurons ici
A tout jamais, en nous, tu es en vie.

 

Où est passée la vie?

Pour certains, le défunt existe encore en un autre monde. La vie après la mort devient alors un réconfort dans lequel se loge un espoir et parfois le profond sentiment qu’il est toujours là.

Pour d’autres, ici,  la vie s’est totalement terminée. Même dans ce cas, celui que fut le défunt dans sa vie existe encore en nous. Il fait partie de notre structure psychique.  

D'ailleurs le deuil sera terminé quand il y aura pleinement trouvé sa place et que nous serons certain de ne jamais l’oublier

Les deux éventualités citées ci-dessus ne sont pas incompatibles entre elles.

Aidant des personnes en deuil j’ai remarqué à quel point, en abordant une thérapie ils craignent qu’on efface en eux le souvenir de leur défunt. Naturellement je les aide plutôt à accomplir les réconciliations décrites dans cet article, et à partir de là ils n’ont plus de pensées obsessionnelles, en même temps qu’ils peuvent y penser sans douleur.

 

 

Thierry TOURNEBISE

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témoignage d'une lectrice du site 

Une lectrice du site, avant la publication de cet article m'a adressé un courrier racontant l'histoire de sa pathologie et de sa récidive. Elle nous y livre ce qu'elle a vécu, l'attitude de son entourage, ce qu'elle en attend et ce qu'elle conseille aux proches trop souvent maladroits.

Témoignage d'une élève infirmière en fin de vie
"laissez vous toucher"
extrait de « La mort, dernière étape de la croissance » 
d'Elisabeth Kübler-Ross (Edition du Rocher Pocket 1985)
 
chapitre "La mort à la première personne"
pages  61 à 63,

Pour compléter cet article, 
vous pouvez lire sur ce site

 Ouvrages à lire 
Validation Mode d'emploi
- Naomi Feil  - Editions PRADEL 1997
La mort Intime - Marie de Hennezel - POCKET   ROBERT LAFFONT Paris 1995
Nous ne nous sommes pas dit au revoir - Marie de Hennezel -  ROBERT LAFFONT Paris 1995