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La mère et l'enfant

Concevoir, mettre au monde, accompagner

20/12/2001      -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Aux futures mères, aux futurs parents
Aux professionnels d’obstétrique, de maternité, de néonat
Une pensée à tous les parents qu’on a maladroitement culpabilisés
et à tous ceux qui n’ont pas trouvé l’accompagnement dont ils auraient eu besoin.


Vous pouvez lire également le poème : "Instant maternel".

De mars à décembre

L'an passé, pour Noël 2000, je vous avais proposé un article sur le fait d'éclairer autrui sans produire d'ombre... c'est à dire en respectant sa pensée et son existence.

A la demande de soignants et de sages femmes, je vous proposerai cette année pour Noël 2001 un article sur la conception, la grossesse, la naissance et l'accompagnement dans ce même esprit de respect d'autrui. Noël m'a semblé une excellente occasion pour ce thème car les enfants y sont à l'honneur.

Nous devons tout naturellement ce plaisir de voir nos enfants au fait qu’un jour ils naquirent… c’est à dire aussi au fait qu’un jour nous les avons conçus.

Pour un enfant qui naît en décembre, neuf mois plus tôt, en mars, c’était le premier temps (printemps) de la maternité le premier pas nous conduisant vers l’heureux événement.

Pour qu’un être humain vienne au monde, il y a d’abord eu une femme (sa mère) et un homme (son père). Pour envisager sa naissance, nous devons d’abord envisager sa conception … c’est à dire ce moment sexuel par lequel commence sa vie.

Pour aborder la venue de l’enfant, je commencerai donc ainsi tout simplement par le commencement. Je poursuivrai ensuite par sa rencontre avec sa mère, rencontre intime, de l’intérieur, d’où il percevra aussi son père et l’entourage familial.

Puis je continuerai avec sa naissance, avec l’accouchement (et sa préparation) et enfin avec ce lien privilégié au cours des premiers mois, dans lesquels l’allaitement jouera un rôle majeur. Il sera sans cesse question, depuis la conception jusqu’après la naissance de la communication intime de l’enfant avec ceux qui l’entourent et en particulier avec sa mère.

Sommaire et accès aux chapitres

1 Origine de la vie

Conception
Le couple parental (amour, désir pulsion)

2 Le temps de la grossesse

Le nid (physiologique et psychologique)
La rencontre mère-enfant
Rencontre de la mère avec elle-même

3 Venue au monde

La préparation à l'accouchement
La Naissance

4 Séparation rencontre

Dépression post partum
L'allaitement 
Séparations particulières
(Fausses couches, IVG, ITG)

5 Existences croissantes

Pour qu'il accède à lui-même
Sources de croissances réciproques
(parents-enfants)

 

1

Origine de la vie

Conception

Précieux et pourtant mal considéré

Nous n’avons pas vraiment l’habitude de considérer le sexe comme précieux. L’évolution de la société nous le fait considérer avec plus de simplicité et d’aisance qu’autrefois. Pourtant, le sexe reste tout de même une zone du corps considérée avec gène (et pas seulement avec pudeur).

Notre cher Freud a contribué à une certaine libération sur ce point. Pourtant il n’en a pas fait l’éloge non plus. Tout ce qui concerne le sexe et les pulsions qui s’y rattachent, même à travers lui, reste hélas un peu ambiguës!

Or, que nous le voulions ou non, ce lieu de notre corps est le lieu d’où vient la vie… Sans le sexe, nous ne serions pas là. Cette partie du corps est donc infiniment précieuse puisque nous lui devons tous notre existence. Nous lui devons même l’existence de l’humanité toute entière !

La venue d’un enfant est, le plus souvent, vécu comme un heureux événement. Par contre le sexe, lui, a souvent été stigmatisé comme associé au mal (qu’il s’agisse des vieux démons d'autrefois ou de l’inconscient moderne).

Il devient alors contradictoire de considérer que l’heureux événement vient de quelque chose de malsain. Venir au monde, en devant sa vie à ce qui est mauvais, est pour le moins un départ difficile!

Si le plaisir associé secrètement à la sexualité fait tourner le monde et enflamme tant de passions, c’est sans doute que ce plaisir est à la mesure de l’importance de cette partie de notre corps.

Naturellement, je n’oublie pas les nombreuses déviances sexuelles où l’irrespect d’autrui est plus que condamnable. Mais ces déviances sont aussi à la mesure de l’irrespect que l’humain a eu pour le sexe… dont pourtant il vient. Considérer une chose comme mauvaise, finit hélas par la rendre mauvaise.

Revalorisation pudique

Les plantes, au sujet de leur sexe, ont bénéficié de plus de considération que l’humain! Chez la plante, la partie sexuelle, c’est la fleur ! Or, comme chacun le sait, les fleurs sont un symbole social de grande valeur. Nous aimons en offrir et en recevoir. Nous en ornons nos jardins… et un splendide bouquet trônant au milieu de la table ravit les hôtes et les convives. Chaque commune de notre pays s’enorgueillit même d’en avoir le plus possible dans ses rues et ses espaces verts !

Il est amusant que nous ayons tant de considération pour le sexe de la plante… et si peu pour le nôtre.

Naturellement, il est hors de question d’envisager d’exhiber le sexe de l’humain comme celui des plantes. La pudeur est certainement une qualité… mais faisons bien la différence entre les comportements dictés par de la pudeur et ceux dictés par de la honte.

Si la pudeur sexuelle vient du fait que cette partie de soi est infiniment précieuse… Alors elle est justifiée, car il est naturel que ce qui est précieux reste intime.

Si, par contre elle vient du fait que cette partie du corps est considérée comme honteuse, c’est très dommageable… car avoir honte de là d’où l’on vient, ne peut conduire qu’à un fondement instable et même parfois à ces déviances tant redoutées.

Nous distinguerons donc avec soin la différence entre honteux (car mauvais) et intime (car précieux) Les deux conduisent à la pudeur… mais ne donnent pas les mêmes résultats comportementaux.

Le couple parental

L’amour, le désir et la pulsion

L’homme et la femme, 
qui sont attirés l’un par l’autre, 
ressentent au moins trois sentiments : 
l’amour, le désir, la pulsion.

L’amour est une ouverture d’esprit inconditionnelle à autrui, dont on reconnaît la valeur inestimable. Cet amour ne dépend pas du caractère, ni du physique, mais d’un profond sentiment d’ouverture à l’autre. Cet amour ne demande rien, n’attend rien, mais il peut recevoir autant que donner. C’est lui qui dégage la chaleur humaine et la sécurité.  
L’amour donne à l’enfant sa réalité individuelle.

 Le désir, c’est quand on reconnaît en l’autre le corps que l’on "attend". C'est une sorte de magie corporelle où l’autre est reconnu comme l’individu singulier dont on souhaite qu’il soit parent de notre enfant. C’est une reconnaissance identitaire et physique de l’autre. C’est ce désir qui pousse à l’envie d’enfant. Le mot "désir" vient de desiderare… c’est à dire, "manque d’étoile" (sidéral). Avec le désir, l’autre est reconnu comme l’étoile manquante pour constituer notre univers intérieur.  
Le désir donne, à l’enfant  qui en résulte, sa réalité charnelle.

 La pulsion, elle, est très différente. C’est l’expression d’un besoin personnel qui ne tient pas compte de l’autre, mais qui se sert de l’autre. L’autre y est reconnu comme un moyen d’assouvir sa pulsion. Cela n’a rien de généreux, mais l’autre y trouve son compte en ce sens que cela lui donne un certain pouvoir et une satisfaction de séduction. Cela le (ou la) confirme dans son caractère attractif en tant qu’homme ou en tant que femme. Cela le (ou la) confirme dans sa virilité ou sa féminité. D’autre part, cette pulsion a engendré l’humanité en étant source de la transmission de vie ne s’encombrant pas de la volonté de chacun.  
La pulsion donne, à l’enfant qui en résulte,  l’énergie de l’espèce humaine.

La pulsion est un besoin personnel dans lequel on utilise l’autre. Elle ne s’exprimera pas que dans l’aspect sexuel où on l’imagine habituellement. Elle pourra aussi s’exprimer dans la quête irrépressible d’avoir un enfant où l’autre devient alors une sorte d’objet géniteur, de la même façon que cet autre peut n’être qu’un objet sexuel dans la sexualité.

Naturellement, s’il n’y a que la pulsion… la situation manque de chaleur humaine, et l’enfant s’en trouvera hélas dévalorisé.

Mais sans pulsion, il y a manque d’élan. Or il est préférable que l’enfant ne soit pas construit qu’avec l’amour et le désir. Il est bon que s’y ajoute le côté pulsionnel. Remarquons que ce sera une difficulté majeure chez les couples ayant du mal à avoir un enfant. Le côté "technique" prenant petit à petit le pas sur le côté pulsionnel… le charme se dissout et défavorise la fécondité tant attendue.

Un équilibre d’amour vers l’enfant

Il est souhaitable que les trois composantes (amour, désir , pulsion) soient présentes dans un couple. Si ce n’est pas le cas, l’amour sans désir ni pulsion, la pulsion sans amour ni désir, le désir sans amour ni pulsion ne donnent que des couples qui s’éteignent ou se déchirent.

Le couple et sa sexualité ne s’épanouiront vraiment que si les trois sont présents dans une mesure suffisante. L’enfant issu d’un tel couple a de la chance…

Le plus souvent, chacun de ces trois aspects n’est jamais, ni tout à fait présent, ni tout à fait absent. Les équilibres sont différents, plus ou moins stables… mais chacun s’en sort à peu près en se sécurisant dans ses propres compensations.

Les inconforts ou les tensions, qui en résultent, s’apaisent avec la communication (quand il y en a)… chacun le vit au mieux et assure ainsi sa maturation le conduisant de plus en plus vers l’autre.

En effet, ces trois composantes peuvent se développer. Pour mieux comprendre l’histoire du couple, ce qui fait sa grandeur et ses difficultés, vous pouvez lire l’article de février 2001 sur La Passion.

Quoi qu’il en soit, ce couple en vient à concevoir l’enfant. Quand les trois composantes de l’amour, du désir et de la pulsion sont là, l’enfant est particulièrement aimé et attendu.

Dans le cas contraire, il arrive qu’il survienne sans être souhaité… d’où peut-être alors l’expression "tomber enceinte"… La grossesse en sera moins épanouie, la chaleur du nid qui accueille l’enfant en dépend.

Ne tombons surtout pas dans le travers d’en faire le reproche aux parents. Rappelons nous toujours que chacun fait pour le mieux et que s’il y a souffrance, il y a plus besoin d’aide que de reproches et de culpabilisation.

La psychologie doit essayer d’en finir avec cette propension à culpabiliser les parents des difficultés de leurs enfants. Si la qualité du nid matriciel et psychologique dépend des parents, s’il est important de comprendre ce qui fait cette qualité, il serait néanmoins déplacé de se servir de ces connaissances pour reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit. Ces connaissances ne doivent servir qu’à aider, jamais à briser.

Nous ne répèterons donc jamais assez qu' une mère qui ne peut assurer le nid psychologique de son enfant a certainement plus besoin d’aide que de reproches. Ceci est aussi important pour elle que pour son enfant qui, plus tard pour retrouver son intégrité, aura plus besoin de la comprendre que de la mépriser !

 

2

Temps de la grossesse

Le nid

Quand tout se passe bien, le nid matriciel est un lieu où l’on bénéficie d’un moment d’exception. En tout cas, sur le plan physiologique, rien ne manque. Cette douceur baigne l’enfant d’une délicieuse continuité. C’est d’ailleurs une des choses qui marquera le plus sa naissance : passer du continu au discontinu, passer du permanent à l’alternance (faim-satiété, chaud-froid, présence-absence…).

Le nid physiologique

Le nid physiologique est le minimum incontournable. Sauf en cas de grossesses à problèmes graves ou en cas d’accouchements prématurés, le nid physiologique est là… que la mère le veuille ou non.

Ce n’est pas une affaire de volonté personnelle, mais plutôt une expression de la volonté de la nature.

Naturellement, la qualité de ce nid peut malgré tout être affectée par l’hygiène de vie de la mère. Alcool, tabac, drogues, médicaments, mauvaise nutrition etc… affecteront ce nid qui assurera ainsi plus ou moins bien sa fonction protectrice et nourricière. Dans la plupart des cas l’enfant n’en sera que fragilisé… mais dans les cas d’excès, sa santé et même sa vie pourront être en danger.

Prendre soin de l’enfant, pour la mère, c’est d’abord prendre soin d’elle-même par sa nourriture, son activité physique, par l’évitement de toxiques de toute sorte, par son repos… etc. Il est toujours dommageable pour l’enfant que la mère qui le porte continue de fumer ou de boire. Naturellement il n’est pas bon non plus de culpabiliser une telle mère… mais il n’en demeure pas moins que cela est néfaste pour l’enfant qu’elle porte.

Le nid psychologique

Le nid psychologique, lui, n’est pas toujours là. Sa qualité est plus fragile. Ce n’est plus un minimum incontournable. Une grossesse peut même arriver à terme sans qu’il ait existé.

Cela jouera certainement sur la psychologie de l’enfant, mais n’empêche pas la formation de son corps ni sa naissance. Encore que certaines situations extrêmes peuvent avoir des conséquences psychosomatiques… mais c’est une chose difficile à démontrer avec rigueur.

La façon dont l’enfant est considéré jouera un rôle sur la façon dont il viendra à la vie. Par exemple : les parents peuvent attendre un garçon alors que c’est une fille ; Ils peuvent avoir peur d’être de mauvais parents ; il peuvent souhaiter un enfant pour remplacer celui qu’ils ont perdu ; Ils peuvent souhaiter un enfant pour prouver aux autres qu’ils en sont capables. Pour diverses raisons, une mère peut aussi ne donner aucune attention à l’enfant qu’elle porte…

Toutes ces situations sont certainement dommageables pour l’enfant, mais les parents n’en sont pas reprochables. D’abord les situations sont rarement caricaturales (il y a beaucoup de nuances), ensuite ils ont une raison intime à leur attitude. Par exemple, une mère qui a vécu plusieurs fausses couches avant sa grossesse, a des raisons d’hésiter à s’attacher… à ce qu’elle risque de perdre. Elle ne s’ouvrira vraiment à son enfant que vers le sixième mois, moment à partir duquel le risque diminue.

Une telle mère a besoin d’aide, d’écoute, de délicatesse et de compréhension… elle n'a surtout pas besoin de reproches !

J’ai déjà eu en thérapie des personnes vivant aujourd’hui un vide, une sensation de désert, correspondant en fait à cette étape de leur vie… Ce sentiment fut apaisé en donnant de l’attention et du soin à l’enfant qu’elles étaient dans le ventre de leur mère, à une époque où leur mère ne pouvait encore le faire. Le processus de cette rencontre avec eux-mêmes est décrit dans le dossier psychothérapie ou dans les ouvrages chaleureuse rencontre avec soi-même (Dangles) et L’écoute thérapeutique (ESF).

Dans le ventre de sa mère, l’enfant est déjà un être de communication. Il est déjà concerné par la vie et le ressenti de ses parents. Certes il ne s’agit pas des canaux habituels… mais la communication est une composante essentielle de son nid psychologique.

La Rencontre mère-enfant

C’est cette rencontre qui constitue le nid psychologique.

De la fusion à la rencontre

Au tout début, le plus souvent, la mère ne communique pas encore avec son enfant… même si elle s’adresse beaucoup à lui ! Ce tout début n’est pas encore une étape de communication. Ce n’est encore qu’une étape relationnelle et fusionnelle.

De même que le couple se rencontre dans la passion (lire à ce sujet l’article de février 2001), l’enfant et la mère se rencontrent d’abord dans la fusion. Cette étape, fort naturelle, délicieuse et nécessaire, doit évoluer vers une individualisation (individuation) permettant véritablement la rencontre.

Quand la mère et l’enfant cessent de ne faire qu’un, ils se mettent à communiquer vraiment (car pour communiquer il faut être deux) Il est souhaitable que cette individualisation se produise avant la naissance… cela devrait même faire partie de la préparation à l’accouchement!

Un échange de vie

Il y a d'abord la découverte de la présence en soi, puis la sensation de profonde intimité. Une intimité telle, que la sensation de ne faire qu’un emplit tout le corps d’une chaleur de vie dans laquelle on ne sait pas très bien lequel des deux donne de la vie à l’autre.

La mère donne la vie à l’enfant, mais aussi l’enfant donne la vie à sa mère. A tel point, qu’il arrive que ce sentiment vienne compenser, chez certaines femmes, un vide de vie, que le quotidien ne remplit pas habituellement. Dans ce cas, la véritable rencontre sera plus difficile car l’étape fusionnelle risque de perdurer… parfois au-delà de la naissance… et pour longtemps.

Si c’est le cas, la vie ne s’échange plus, car l’état fusionnel, naturel au départ, plus tard devient un frein. C’est comme si on voulait dépasser le terme de la grossesse sous prétexte que le ventre de la mère est un bon endroit pour le petit… c’est profondément vrai… mais pas au-delà de neuf mois !

Naturellement, une fois encore, la mère n’en est surtout pas reprochable. Si un tel manque la conduit à ce type de fusion, elle a besoin d’aide… pas de reproches.

Il est utile de bien pointer la différence entre la fusion (affectivité) et l’amour. La fusion, l'affectivité,  absorbe l’autre (et le nie involontairement) alors que l’amour le reconnaît dans sa propre dimension. Il ne peut y avoir de véritable mise au monde dans la fusion (précisions en fin d'article sur la différence entre l'amour et l'affectivité).

La "rencontre message"

Des "messages" divers et subtils s'échangent entre la mère et son enfant. La mère et l'enfant sont à la fois distincts et fusionnels. Les mots peuvent s’exprimer, les sons, les musiques, la voix des parents.

Mais s'expriment aussi les mouvements de l’enfant, ses sursauts, ses jeux, ses réponses aux présences, aux caresses et aux intentions. L’haptonomie est par exemple une approche qui tient beaucoup compte de cette communication par le toucher, par le ressenti. Un canal particulièrement approprié pour l’enfant habitant le sein de sa mère.

Invisible, mais très présent, très ressenti, très expressif, l’enfant partage beaucoup avec cette mère qui lui offre un nid physiologique nourricier et un nid psychologique chaleureux. Il partage aussi déjà beaucoup avec ceux qui l’entourent… élargissant ainsi le nid psychologique au moins au père et à l’ensemble de la famille.

Tous ceux qui l’entourent doivent se faire les acteurs d’une telle reconnaissance et d’une telle communication.

L’intimité

L’intimité va encore plus loin, car l’enfant sera sensible à ce que la mère ressentira. Elle n’aura pas besoin de "dire" pour qu’il "ressente" ses joies, ses peurs, ses tristesses, ses envolées et ses effondrements.

De ce fait, il sera judicieux qu’elle ose éclairer l’enfant qu’elle porte, sur ses doutes ou sur ses envolées. Il sera précieux qu’elle ose l’éclairer sur ce qui se passe. Que son ressenti soit joyeux ou douloureux, cette mère l’explicitera à celui qui est en elle afin de lui offrir l’authenticité de sa présence. Elle s’adressera à l’enfant qu’elle porte comme on s’adresse à quelqu’un à qui on offre sa sincérité… car ce qu’on a de plus beau à lui offrir c’est Soi.

Simuler ou dissimuler ne fait qu’embrouiller. Cela conduit un peu à perdre l’autre, cela conduit à interpréter et à dramatiser. Cela diminue la sensibilité (on ne perçoit plus l’autre) et par conséquence augmente l’émotivité (on imagine l’autre puisqu’on ne le perçoit plus).

Que les moments de vie soient heureux ou douloureux, l’authenticité du partage reste la composante précieuse de la rencontre. Tous les ressentis de l’enfant l’aideront à se construire.

A chaque instant de sa vie, ce qu’il sera, contiendra tout ce qu’il a été et ce qu’ont été ses parents. Il sera essentiel que ce qui est en lui soit clair, compris, intégré, sans mystère. Il sera important qu’il accède à la raison de chacun. Connaître la raison des parents permet d’être libre de leurs pesanteurs.

L’intimité permet une rencontre sans mots, qui va au plus profond de l’être et de ses ressentis. Si les moments douloureux portent à quelques hésitations d’authenticité, les moments heureux produisent au contraire spontanément des envolées de bonheur avec une sensation d’être au plus près de l’autre, de partager avec lui, sans pour autant être dans la fusion.

Tout cela se vit avec beaucoup de profondeur, quand il est ressenti à quel point l’enfant à naître est déjà quelqu’un à part entière, et que ce quelqu’un est un être de communication, porté vers la vie.

Si la mère rencontre l’enfant… la mère se rencontre aussi elle-même dans une dimension jusque là inconnue d’elle.

La rencontre de la mère avec elle-même

Devenir mère

Quand il s’agit d’un premier enfant, la maternité fait entrer la mère dans un autre aspect de la femme, mal connu d’elle jusqu’alors. L’idée de maternité, tant qu’elle n’est connue qu’intellectuellement, même si elle est désirée viscéralement, ne peut rendre compte de la réalité effectivement vécue et ressentie.

La femme devenant mère se trouve dans une position protectrice et nourricière qui fait qu'elle n'est plus simplement la fille de sa propre mère. A son tour, elle est la source, le nid, la sécurité. A son tour  la vie est là, en elle. Elle fait une expérience nouvelle de la femme qu’elle est et de la femme qu'elle devient.

Les autres la regardent tantôt avec considération, tantôt avec plus de considération pour l’enfant qu’elle porte que pour elle! Ce désagrément va parfois jusqu’à incommoder certaines femmes qui aimeraient qu’on les voit aussi! La mère découvre en elle des réactions qu’elle n’aurait pas imaginées.

La mère revit sa propre naissance et sa propre enfance

La grossesse la conduit à revisiter différents aspects de sa propre vie.

Si le premier est une fille, cela amènera naturellement la mère à penser à sa propre naissance, et donc à la grossesse de sa propre mère.

Si le premier est un garçon, il réactivera moins, chez la mère, sa propre naissance. Mais si le suivant est une fille, cette deuxième naissance la rapprochera plus du moment où sa propre mère a accouché d’elle. Ce sera une sorte de première fois quand même.

Si le garçon arrive en deuxième, il donne aussi à sa mère une expérience nouvelle : celle de porter en elle un homme en devenir. La femme en devenir, quand c’était une fille la rapprochait d’elle-même, l’homme en devenir quand c’est un garçon donne un nouveau rôle à la femme.

Si la mère est la troisième dans sa propre fratrie, elle vivra la venue de son troisième enfant comme un événement singulier la rapprochant d’elle-même lors de sa propre naissance, surtout si ce troisième est une fille… etc.

De nombreuses situations sont possibles et renvoient la mère (et le père à leur propre histoire). Quelquefois les situations sont étonnantes : ma femme et moi par exemple avons eu quatre enfants, d’abord trois filles, puis un garçon… or ma femme a deux sœurs et je suis fils unique.

La pulsion maternelle

Après cet accouchement, le désir d’enfant est rarement définitivement rassasié. Que cela soit raisonnable ou non, après quelque temps, la femme ressent souvent le besoin d’une nouvelle maternité.

Ce désir peut se trouver mal compris et frustré. Or il fait partie de la femme, qui souvent n’ose l’avouer aux autres… et même, n’ose se l’avouer à elle-même.

Naturellement l’amplitude de ce désir dépend en grande partie de la façon dont les choses se sont passées dans les accouchements précédents. Elle dépend aussi de l’histoire personnelle, conjugale, amoureuse et familiale de la femme.

Ce désir, qui est toujours là, même après plusieurs grossesses, rend douloureux le cap des 40 ans. Un âge où la maternité est possible, mais non souhaitée. Une sorte de pré-deuil avant que, plus tard, la fécondité ne cesse totalement. Là encore elle rencontrera une nouvelle dimension de sa vie de femme.

Cette étape est difficile et mal prise en compte, car peu d’interlocuteurs entendront son ressenti. Chacun ne tentera que de la raisonner sans jamais vraiment la comprendre. La comprendre ne voulant pas dire "fais donc un enfant!". Cela signifie plus simplement reconnaître l’importance que ça a pour elle.

 

3

Venue au monde

La préparation à l’accouchement

L’accouchement est l’aboutissement de la grossesse et naturellement de la conception. Un moment attendu… et pourtant parfois source d’inquiétudes.

Les inquiétudes y sont physiologiques et techniques: comment ça se passe? est-ce que ce sera douloureux? comment se comportent les parties du corps entrant en jeu dans la naissance?… mais aussi comment favoriser au mieux la sécurité de la naissance de l'enfant, autant que son propre confort, en tant que mère.

Les inquiétudes y sont également psychologiques: il va falloir se séparer, l’enfant va passer du dedans au dehors, la mère se demande parfois si elle saura être une mère à la hauteur...etc.

La préparation à l’accouchement de la mère devrait aussi prévoir la préparation à la naissance de l'enfant. Préparer la naissance à venir c'est aider à l’individualisation mère-enfant pendant la grossesse. C'est aider à être proche, intime, mais distinct, car on ne se rencontre vraiment que si on est distinct l'un de l'autre. Cela permet de prévenir la déprime de la naissance.

Côté physique de la préparation

Depuis longtemps, l’accent a été mis sur la découverte de l’anatomie féminine. De nombreuses femmes, connaissant mal leur corps, trouvent un grand avantage dans cette étape de la préparation.

Comprendre comment l'évènement physique se passe est important. Mais le risque à ce niveau est de trop mettre l’accent sur les différentes difficultés susceptibles de se produire… et de provoquer ou d’augmenter l’inquiétude de la mère.

Ce côté technique de la préparation abordera donc l’anatomie, la respiration, les mouvements à faire pendant les contractions.

Côté psychologique de la préparation

La relaxation, la sophrologie, la visualisation sont des méthodes souvent utilisées pour préparer la mère à vivre plus sereinement son accouchement.

Cela lui permet de mieux se disposer mentalement , de trouver en elle des ressources et de l’énergie qu’elle pourra mobiliser le jour J. En cas de difficulté elle sera ainsi moins soumise au stress émotionnel ou à la peur, elle saura mieux se relâcher, tout en disposant de plus d’énergie.

Côté communication de la préparation

De plus en plus de sages femmes abordent l’aspect de la communication de la mère avec l’enfant. Mais cela n’est pas généralisé. Communication tactile, verbale, pensée, intime, intérieure...

Hélas, on dit "préparation à l’accouchement" mais rarement "préparation à la naissance". Or, trop souvent, si on conçoit bien que la mère accouche, on a tendance à oublier que l’enfant, lui, naît. Il est judicieux de s’occuper des deux aspects de l’évènement.

Comme nous l’avons vu plus haut, le lien mère-enfant passe de la fusion vers l’individualisation. Cette individuation doit si possible se faire avant la naissance. Ce travail devrait faire partie intégrante de la préparation à l'accouchement-naissance.

Il s’agit ici de permettre une communication mère-enfant qui ne soit pas une relation  fusionnelle. Il s'agit que la mère apprenne à s’adresser à son enfant comme à un Être qui est autre et non comme à un Elle-même-intérieur.

Cette individuation et cette rencontre prénatale feront que la naissance sera une heureuse continuité et non une rupture. Il sera toujours plus dure pour la mère de "lâcher" un enfant qu’elle n’a pas encore rencontré.

Il m’est déjà arrivé en consultation de rencontrer une patiente ne "sentant pas sa fille" de 12 ans (contrairement à ses autres enfants). Cette patiente découvrit que le dernier moment où elle l’a senti c’était pendant sa grossesse. Nous repartîmes de là pour effectuer psychologiquement la rencontre qui ne s’était pas faite. Elle se mit aussitôt à mieux sentir sa fille, à se sentir plus mère.

Souvent, quand un tel travail n’est pas fait, la mère risque de se crisper, de se "resserrer" pour ne pas laisser échapper cet enfant… à l’idée qu’il parte, il lui manque déjà! En plus le terme "expulsion" est maladroit (on a l’impression qu’on va en faire un SDF!) et aggrave ce sentiment d’inquiétude à le laisser naître.

Cette naissance étant alors plus vécue comme un déchirement que comme une joie, il s’en suit alors une déprime qui n’est pas que d’origine hormonale.

La naissance

La mère

La naissance, pour la mère, c’est de toute façon cesser de ne faire qu’un, au moins physiquement. Laisser naître l’enfant, c’est accepter qu’il soit autre. Ce lâcher prise peut ne pas être si évident et devrait occuper une partie de la préparation à l’accouchement qui est aussi naturellement une préparation à la naissance.

C’est le moment où la mère va rencontrer son enfant dans une nouvelle réalité physique, avec d’autres perceptions. L’enfant rêvé et ressenti se matérialise d’une façon nouvelle. Un contact différent se prépare, même s’il n’est (ou ne devrait être) que le prolongement du contact vécu pendant la grossesse.

Cette étape se passe beaucoup plus sereinement si l’individualisation s’est déjà faite avant la naissance.

Moins de douleur pour la mère: depuis quelques décennies déjà l’obstétrique a eu l’idée de se préoccuper de la mère. Plus exactement, on s’est préoccupé de sa souffrance physique avec le fameux accouchement "sans douleur" surtout basé sur la respiration.

Puis les sages-femmes se sont préoccupées de la douleur avec la dimension plus délicate de la relaxation, de la sophrologie, des visualisations.

Enfin, pour permettre un plus grand confort de la mère, la médecine a développé la fameuse péridurale. Mais ici on s’est aperçu que certaines femmes, si elles ne veulent pas souffrir, veulent néanmoins sentir naître leur enfant. Naturellement il s’agit que la péridurale soit davantage destinée au confort de la mère... qu' à celui de l’accoucheur (qui souhaite parfois une parturiente plus calme, surtout pour lui-même travailler sans gène) .

Puis la communication tactile et sensible s’est développée avec l’haptonomie, amenant une dimension très humaine, remplie de délicatesses.

Malheureusement, nous constatons que la dimension psychologique de la naissance est encore trop souvent négligée. Tout au plus parle-t-on du baby blues qui suit la naissance. Nous en reparlerons plus loin.

L’enfant

Si la psychologie de la mère a longtemps (et encore aujourd’hui) été négligée, celle de l’enfant le fut encore plus. On a longtemps cru que l’enfant nouveau-né ne sentait rien. Tout en ayant beaucoup de respect pour cette vie nouvelle venant au monde, on ne s’est que fort peu préoccupé des ressentis subtils habitant cette étape de la vie.

Or les psychologues et psychothérapeutes se sont aperçus dans certaines thérapies que la naissance est chargée de nombreux ressentis, y compris l’étape prénatale.

Naître, pour l’enfant, c’est se retrouver dans le monde du discontinu comme nous l’avons vu plus haut au paragraphe "Le nid". Une étape vraiment nouvelle, dans laquelle il fait l’apprentissage d’un début d’autonomie. Même en dehors de toute problématique particulière, c’est déjà au moins de cela qu’il s’agit pour lui!

L’enfant à naître est déjà quelqu’un! Nous devons à quelques médecins comme Frédéric Leboyer ("Pour une naissance sans violence" - 1974 au SEUIL) ou Michel Odent ("Bien Naître" 1976 au SEUIL) de s’être enfin préoccupé du confort de l’enfant. Si le côté sécurité avait évolué, le côté sensibilité et psychologie de l’enfant était bien en retard. On remarquera aussi la démarche de Frans Veldman (L’haptonomie) où l’enfant à naître est reconnu à part entière dans son existence physique, sensible et émotionnelle. Nous avons eu le bonheur aussi de découvrir en 1985 cette émission de Bernard Martino sur TF1 "Le Bébé est une personne". Plusieurs médecins nous y ont montré une approche sensible et très délicate de l'enfant à naître ou  du nouveau-né.

Malheureusement, toutes ces nuances ne font même pas encore aujourd'hui le quotidien de toutes les maternités... loin s'en faut!

Pourtant, la médecine s'intéresse enfin à la douleur du nourrisson. Mais le chemin fut long! Elle a même longtemps opéré les tout-petits sans anesthésie (y compris sur des interventions lourdes), pensant qu’ils ne sentaient rien. Il y avait encore tant de chemin pour comprendre qu’ils sont des êtres de nuances et de sensibilité. 

Depuis vingt ans, les progrès ont permis de découvrir que le système nerveux de l'enfant perçoit la douleur  (influx nocioceptifs) dès la 8e semaine de grossesse. Ce sont au contraire les mécanismes d'inhibition et de protection contre la douleur qui sont immatures jusqu'au 3e mois après la naissance. La réflexion (non encore complètement aboutie) porte donc même sur la douleur de l'enfant in-utéro. Elle pose alors le problème des interventions invasives que la médecine actuelle permet d'accomplir pour sauver des enfants en difficulté pendant la grossesse. 

(informations contenues dans le Rapport de l'Académie Nationale de Médecine de Mars 2001: "Les avancées dans le domaine des douleurs et de leur traitement chez l'adulte et chez l'enfant") site www.pediadol.org 

Nous commençons heureusement à réaliser que si la mère accouche, l’enfant, lui, accomplit sa naissance. Nous comprenons enfin que cet événement est un moment majeur de sa vie et qu’un souvenir inconscient en marquera son existence.

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Séparation - Rencontre

La dépression post partum

dépression chez la mère... et chez l’enfant

La dépression de la mère  

Cette dépression, après l’accouchement est assez connue. Imputable en partie aux modifications hormonales, elle est surtout la résultante d’un changement fondamental de la morphologie et de l’habitation de son propre corps. Le ventre a perdu son volume… et son contenu.

Savez-vous que des adolescents dont le corps se transforme trop vite ne se reconnaissent plus? Savez vous que certaines personnes suivant un régime amincissant, si elles maigrissent trop vitre peuvent être déroutées par leur modification corporelle (pourtant désirée)? Dans ces deux cas il peut y avoir état dépressif. Pour la mère qui vient d’accoucher, c’est un peu ça, mais d’un coup… plus la séparation!

Trop souvent, la préparation à l’accouchement ne prévoit pas la préparation à la naissance, c’est à dire l’individualisation et la communication de la mère et de l’enfant. L’heureux événement se transforme alors en déchirure, en arrachement dont le vide qui en résulte est un effondrement.

Il est souhaitable d’aider la mère à rencontrer son enfant individualisé, mais aussi à être reconnaissante envers son ventre, par lequel il a pris corps. Il peut y avoir aussi de nombreuses situations difficiles, dans la vie de la mère, qui ont été réactivées par la naissance, ou même par la grossesse. Dans ce cas une aide psychothérapique aurait été utile.

La déprime de l’enfant

Si la dépression de la mère est connue (bien que souvent mal prise en charge, psychologiquement), la déprime de l’enfant n’effleure généralement même pas les consciences. L’enfant, lors de ce passage du monde de continuité vers le monde de discontinuité se retrouve séparé, seul, en attente de la suite… Ce passage est un changement d’univers radical et sans retour.

Venant de quitter le nid physiologique, il lui faudra apprendre à vivre de cette façon nouvelle. Pour y parvenir, il a encore besoin du nid psychologique de sa mère.

J’ai déjà entendu dans une maternité une puéricultrice dire à une mère "ne le prenez pas autant, vous allez lui donner de mauvaises habitudes!" 

Craindre qu’à cet âge un enfant prenne de mauvaises habitudes est aussi ridicule que si on avait cru que le ventre de la mère est une mauvaise habitude entre 0 et 9 mois. Il y a un temps pour chaque étape de la vie. Celle-ci requiert la présence de la mère qu’il est maladroit de réglementer… car elle est la mieux placée pour en ressentir l’équilibre adapté à son enfant.

L’allaitement

L’allaitement est une sorte de prolongement du nid physiologique.

Pour passer le cap vers cette discontinuité, le nouveau-né trouvera ici la chaleur maternelle qui lui est nécessaire.

Naturellement le nid psychologique peut aussi s’exprimer avec des biberons, en caressant l’enfant, en lui parlant, en lui donnant de l’attention. Mais la chaleur et le côté charnel du sein en font un contact d’exception, tant pour la mère que pour l’enfant.

Trop souvent, des mères ont été découragées d’allaiter. Heureusement, de plus en plus les mères sont, au contraire, encouragées à cette pratique dans laquelle la qualité du lait est inestimable... mais aussi dans laquelle le contact est particulièrement nourricier. Il l’est pour l’enfant, mais il l’est aussi pour la mère qui trouve ici une heureuse continuité.

Une étape autour de laquelle la famille, père, frères, sœurs, s’organisent différemment. Avec le bonheur, se joue en même temps quelques frustrations quand le mari, les frères et sœurs se sentent un peu délaissés par cette mère si attentionnée à ce nouveau-né.

Certaines séparations, d'un tout autre genre, sont bien plus délicates.

Avant d’aborder la fin de l’article, où j’évoquerai le cheminement de l’enfant vers de plus en plus d’existence, j’aimerais d’abord évoquer un regard subtil et nuancé sur quelques situations délicates.

Séparations particulières

Quand la naissance se produit, il y a passage d’un enfant en soi à un enfant hors de soi. Si le travail d’individualisation s’est bien fait, cette étape est vécue comme un grand bonheur. Dans le cas contraire, l’heureux événement produit parfois, comme nous l’avons vu plus haut, un état dépressif, un état de manque douloureux, qui n’est pas du qu’à un changement hormonal.

Si la grossesse se passe bien, j’ai déjà abordé le sujet et il n’est pas utile de lire ce paragraphe, vous pouvez alors directement passer au suivant.

Par contre, en cas de grossesse difficile, de fausse couche, d’IVG (interruption volontaire de grossesse) ou d’ITG (interruption thérapeutique de grossesse), ce paragraphe est très important.

J’ai un peu hésité à évoquer ces cas dans cet article de l’enfant à naître, mais comme il y s’agit aussi de rencontre avec l’enfant, je ne pouvais l’ignorer. Ces nuances ne feront que mieux prendre conscience de l’importance de la rencontre… dans tous les cas.

Trop souvent on pense résoudre le problème en invitant à prendre de la distance d’avec l’enfant pour ne pas s’y attacher, dans le but de ne pas trop souffrir de le perdre!

Même si de nombreux soignants ont compris qu’il est préférable de faire l’inverse, ces situations restent délicates. Paradoxalement, c’est celle de l’IVG (la plus courante) qui est la moins bien accompagnée.

Pourtant, on quitte mieux ce qu’on a rencontré que ce qu’on a manqué.

Séparation par choix (IVG)

L'IVG est certainement une avancée. Les grossesses non désirées, les interruptions clandestines meurtrières pour les mères, l’exploitation de la détresse de femmes par les autres, la souffrance des enfants violemment non désirés… autant de raisons de considérer que c’est une avancée prodigieuse.

Mais le fait que ce soit une avancée ne doit pas pour autant nous conduire à en banaliser la pratique. Quand je parle de banalisation indésirable, je ne parle pas du nombre, mais de la manière.

Je vois trop de femmes ayant vécu une IVG par choix, récemment ou il y a longtemps, me livrer en consultation, la détresse qui leur en est restée. Même de nombreuses années après, il reste un travail de réhabilitation à faire : la réhabilitation de la mère meurtrie qu’elle fut à ce moment et la réhabilitation de l’enfant qu’elle a choisi de ne pas garder.

Ce travail peut être accompli beaucoup plus tard, mais il serait préférable que la femme soit accompagnée dans ce sens au moment de l’événement.

Un tel accompagnement l’amène à bien ressentir ce qui motive son choix. Il ne s’agit surtout pas de la détourner de ce qui motive sa décision. Au contraire il s’agit de l’aider à asseoir ce qui la fonde.

Quand la décision est de ne pas garder l’enfant, il est important qu’elle ose mettre l’attention sur lui et qu’elle ose lui expliquer qu’elle ne peut pas le garder. Elle devrait lui ouvrir son ressenti sans détour et néanmoins accueillir ce que lui a fait vivre ce bref temps de partage se limitant à quelques semaines.

Un véritable au revoir ne peut s’accomplir qu’après une véritable rencontre. Attention, je le répète,  une telle démarche n’a surtout pas pour projet, lui faisant rencontrer l’enfant, de la détourner de sa décision. Le projet est qu’elle l’assume et la partage avec l’enfant, puis qu'elle accepte de l’accompagner vers cette séparation.

Elle en sera moins vide, moins meurtrie, moins coupable. Ultérieurement le manque en sera moins douloureux… car la rencontre aura eu lieu. Ignorer cet enfant produit au contraire un regret profond et récurrent.

Séparation spontanée (Fausse couche)

Là il ne s’agit plus de choix. La nature semble lâcher la mère et l’enfant qui vont devoir mettre un terme à cette rencontre. Soit cela se produit de façon un peu attendue ou redoutée (grossesse à risque) soit cela se produit sans crier gare de façon soudaine.

Dans tous les cas cela ne remet pas en cause la nécessité impérieuse de la rencontre mère enfant. Au contraire, un enfant perdu, quelque soit l’avancée de la grossesse doit avoir une place privilégiée dans le cœur de la mère. Il doit faire partie de son histoire comme ayant existé. L’ignorer c’est le faire disparaître une seconde fois et cela, généralement, la mère ne peut l’accepter.

Je me souviens d’un couple me consultant pour un trouble du comportement de leur quatrième enfant. Nous trouvâmes que la mère eut une fausse couche avant la naissance du premier. Avec tendresse son mari lui avait dit, dans le but de la rassurer "ce n’est pas grave, ma chérie, nous en aurons un autre!" Le "Ce n’est pas grave" était resté gravé en elle comme une profonde douleur.

Cela fait partie des phrases à ne plus dire.

L’enfant perdu doit exister dans le cœur de la mère et aussi être reconnu, dans son importance, par les autres. Pour les enfants suivants il fera partie de l’histoire familiale, ne sera pas occulté, il aura sa place dans le cœur de tous.

Il ne s’agit surtout pas de pensées morbides, ni d’incitation à la commémoration perpétuelle. Au contraire lui donner existence permet de se libérer de la pesanteur et de l’obsession.

Naturellement, si parfois une mère choisit plutôt l’oubli, car cela lui semble momentanément plus acceptable pour survivre, cela doit être profondément respecté. Il ne s’agit en aucun cas de lui imposer ce contact avec son enfant… il s’agit plutôt de savoir repérer le moment où elle le souhaite, et alors de le lui permettre. Alors, on saura l’accompagner pour faciliter cette rencontre valorisante et libératrice.

Séparation thérapeutique (ITG)

Si les deux premières situations de l'lVG et de la fausse couche sont délicats, l’interruption thérapeutique de grossesse l’est encore plus. Il y s’agit d’un enfant désiré chez qui on découvre une pathologie grave, justifiant d'interrompre la grossesse (après réflexion d’éthique en équipe et avec les parents).

Cela est d’autant plus délicat quand cette révélation pathologique se fait tard dans la grossesse, par exemple à six ou huit mois.

Dans l’IVG l’enfant est à son tout début, alors que dans l'ITG, il est beaucoup plus proche du terme, beaucoup plus proche de nous. En dehors du problème d’éthique que pose cette situation, c’est une profonde meurtrissure pour les parents… et en particulier pour la mère.

Dans ce cas aussi la communication, avec cet enfant qu’on ne gardera pas, est de première importance. Il s’agit d’une sorte d’euthanasie intra utérine, et la femme doit accoucher ainsi d’un enfant décédé avant la naissance.

Le temps où l’on faisait vite, puis comme si rien ne s’était passé est heureusement révolu. De nombreuses équipes médicales ont compris qu’il fallait considérer l’enfant comme né puis décédé avec une place dans l’état civil. Ils mettent aussi un soin tout particulier à préparer l’enfant pour le présenter à la mère qui ainsi fera mieux son deuil.

Naturellement il se peut que la mère ne le souhaite pas. Dans ce cas, l’équipe prend des photos qui seront à la disposition de la mère quand elle le souhaitera.

Ces délicatesses sont un immense progrès auquel on ajoutera toute la communication prénatale telle que décrite ci-dessus.

Là aussi la séparation est moins douloureuse si on ne s’est pas manqué.

 

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Existences croissantes

Pour qu'il accède à lui-même

Le paragraphe précédent (que vous avez lu ou que vous avez passé selon votre choix) a mis l’accent sur le fait que, quelques soient les circonstances, la rencontre avec l’enfant reste le point clé. Les trois circonstances qui s’y trouvent décrites sont heureusement rares, comparées au nombre de naissances.

Hors de ces circonstances, revenons à la situation naturelle et délicieuse dans laquelle l’enfant a été conçu, porté, accueilli puis allaité. Il reste à l’accompagner vers un plus d’existence toujours croissant.

Une étape quelquefois remplie de maladresses, involontaires où voulant aider l’enfant, les parents (ou les autres) freinent quelquefois cette croissance d’être.

Le prendre pour l’entendre, pas pour le calmer

Valider les ressentis de l’enfant est très important. Quand celui-ci exprime son inconfort (généralement par les pleurs) la tendance naturelle est de le prendre dans les bras… pour le calmer!

Naturellement, il est très important d’être près de lui à chaque fois qu’il en a le besoin. Mais si on le prend pour le calmer plus que pour l’entendre, c’est involontairement nier ce qu’il exprime. Le problème n’est pas qu’on le prenne dans les bras… ça, c’est plutôt une bonne chose ! Le problème c’est quand c’est plus pour le calmer que pour l’entendre.

Il est bon d’entendre son pleur comme l’expression d’un ressenti profond. L’accent doit être mis sur le fait de prendre en compte ce qu’il exprime. Entendre son pleur comme une conversation dans une autre langue. L’écouter avec ouverture d’esprit et considération.

Il peut sembler curieux d’accorder tant d’importance à ce qui peut-être n’en a pas autant ? En fait, l’expérience montre qu’en faisant cela, on apaise mieux l’enfant qu’en voulant le calmer.

Cela continuera quand il grandira. Quand il se cognera et pleurera, les parents penseront à lui demander "Tu as mal?", "Où t’es tu fait mal?"…etc pour valider ce qu’il exprime plutôt que de lui lancer "Ce n’est rien, ne pleure pas!"

Un enfant, dont on valide les ressentis, gagne de la confiance en lui et se calme plus vite... alors qu’un enfant dont on nie les ressentis, ne peut plus faire confiance à ce qu’il perçoit. Quand son ressenti est validé, son apprentissage devient meilleur car il devient plus lucide et plus confiant.

Donner droit à la sensibilité, c’est donner la possibilité de percevoir la vie et d'assurer une capacité d’ajustement et d’adaptation plus juste. C’est aussi l’accompagner dans la découverte de soi et du monde. C’est le préserver de trop de danger sans pour autant lui bloquer l’accès à l’expérience et sans nier le ressenti personnel qu’il en éprouve.

La différence entre l’amour et l’affectivité

Accompagnant leur enfant, la mère comme le père peuvent être excessifs. C’est sans doute ce qui a conduit à quelques conseils de réserve du genre : ne le prend pas trop, lâche le un peu, ne soit pas toujours après lui, laisse le un peu respirer…etc.

Or il doit être clair que les parents n’auront jamais trop d’amour envers leur enfant. L’amour, plus il y en a, mieux c’est, plus l’enfant est heureux et chanceux. Mais il faut différencier l’amour de l’affectivité, car l’affectivité, souvent il y en a trop… et cela est plutôt source de perturbation, d’inconfort, de révolte, de souffrance.

Nous différencierons soigneusement l’amour (qui réchauffe) de l’affectivité (qui étouffe).

L’amour est une considération reconnaissante et constructive d’autrui, lui accordant liberté et ressentis personnels. L’amour accueille, ne nie jamais, sécurise, réconforte. Celui qui le reçoit peut devenir de plus en plus lui même en toute sécurité.

L’affectivité, elle, est l’expression d’un manque personnel qu’on essaye de compenser au dépend de l’autre. Par exemple un parent, qui ne s’est pas senti assez aimé par ses propres parents, attendra de son enfant qu’il lui donne ce qu’il n’a pas reçu. Il voudra se sentir aimé par son enfant pour recevoir ce qu’il lui a manqué. Ses actions, ses conseils, ses gentillesses, a priori destinées à l’enfant, ne seront alors en fait qu’une demande déguisée rendant l’enfant redevable. Ce dernier ne se sentira alors pas le droit de mener sa propre vie sans risquer d’offenser son père ou sa mère. Cela contribuera à le retenir de vivre et à l’étouffer.

Il est important de comprendre que ce qui étouffe, ce n’est pas trop d’amour, mais plutôt trop d’affectivité. Naturellement, là encore, les situations sont rarement caricaturales et les deux aspects sont inégalement mêlés.

Source de croissance réciproque

Si en tant que parent nous nous découvrons un excès d’affectivité, il ne s’agit pas de s’en culpabiliser, mais simplement de s’offrir une rencontre avec soi-même pour combler les parts manquante de notre vie. Il arrivera ainsi, que grâce à la venue de son enfant, le parent soit amené aussi à s’occuper de l’enfant qu’il était lui même et qui est resté en attente, en lui,  depuis tout ce temps.

En venant au monde, un enfant fait ainsi à ses parents, en bonus, le cadeau de les conduire à se mettre eux-mêmes au monde. Ainsi la famille est de plus en plus complète!

Ceux qu’on a été et ceux dont on est issu, sont la base de celui qu’on est et trouvent ainsi, grâce à nos enfants, une nouvelle opportunité de réhabilitation, d’écoute et d’existence. Un cadeau inattendu… dont l’enfant peut être fier et dont les parents peuvent lui être reconnaissants! Ils se donnent mutuellement plus de vie.

Thierry TOURNEBISE

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Vous pouvez lire également le poème : 
"Instant maternel"