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Les pièges de l'empathie
25/11/2000      -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Cet article est dédié aux professionnels: 
Tous ceux qui ont pour tâche d'aider ou d'accompagner dans un métier de soin (infirmières, aides soignantes, médecins, psychologues, psychothérapeutes, psychiatres, psychanalystes...). Tous ceux qui travaillent dans le social (assistantes sociales, éducateurs...). Tous les professionnels travaillant dans un métier de communication  (accueil, management, formation, enseignement...) 

Cet article est aussi dédié aux particuliers:
Tous ceux qui veulent une grande qualité dans leur vie de couple, dans l'éducation de leurs enfants, dans leurs relations familiales, dans leur vie sociale extra professionnelle.

sur ce site, également un dossier sur
l'empathie dans la communication
et surtout, l'article de 42 pages sur
la relation d'aide

Définition et Ambiguïté

Une étymologie étonnante 

Définition du dictionnaire Le petit Robert : de en- "dedans" et -pathie "ce qu'on éprouve"

en- Élément, du latin in- et im-, de in « dans », servant, avec le radical substantif qu'il précède, à la formation de verbes composés (devient em- devant b, m, p) : emboîter, emmancher, emprisonner, enterrer.

 -pathie, -pathique, -pathe Groupes suffixaux, du grec -patheia, -pathês, de pathos « ce qu'on éprouve » : antipathie, apathique, névropathe.

 Philosophie,  psychologie: Faculté de s'identifier à quelqu'un, de ressentir ce qu'il ressent.

Définition du dictionnaire de psychologie Doron-Parot (Puf): 
Selon Carl Rogers: L'empathie consiste à saisir avec autant d'exactitude que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d'une autre personne et à les comprendre comme si l'on était cette autre personne

(Naturellement nous prendrons soin de ne pas résumer tout le travail remarquable de Carl Rogers sur la communication à cette simple phrase. Mais c'est justement ce point qui est source d'ambiguïté: "comme si l'on était cette autre personne").

Ambiguïté

L'empathie est prônée par de nombreux spécialistes de l'aide et de la communication. Pourtant, dans le même temps, ces mêmes professionnels de la communication invitent souvent à trouver la bonne distance, à ne pas trop s'impliquer, à ne pas mettre d'affectivité.

Ceci nous donne un ensemble d'informations ambiguës car contradictoires:

Se mettre à la place de l'autre génère forcément de l'affectivité! 
Garder ses distances conduit forcément à ne pas comprendre l'autre.

Cela produit des discours maladroits où l'on entend qu'il faut comprendre, écouter, humaniser (car on sent bien qu'il est urgent de progresser sur ce point) mais en même temps qu'il  faut ne pas trop s'investir et garder ses distances (car il faut aussi prendre soin de soi, éviter le stress, l'attachement)

Tout cela est un peu vrai.. et aussi, en même temps, très faux. Il s'agit de concepts mal précisés. Même de nombreux professionnels s'y embrouillent. Ils en ont certainement l'intuition mais cela reste confus et les ballotte dans une oscillation entre trop et trop peu

Pour vraiment comprendre l'autre

L'illusion du miroir

Écouter l'autre pour se mettre à sa place (tout en restant soi-même) est un leurre. Se mettre à la place de l'autre, ne peut permettre de le comprendre.

Cela fait penser à Narcisse qui, voyant son image se refléter dans la fontaine, croit voir une autre personne et en tombe amoureux. Puis, dans sa stupéfaction  il en oublie même de boire et meurt de soif devant sa fontaine. Il fut alors transformé en la fleur "Narcisse" dont l'étymologie nous ramène au grec narké qui a donné narcose. La fleur était reconnue comme pouvant endormir même les divinités (Dictionnaire Larousse de la mythologie grecque et romaine de Joël Schmidt)

Celui qui s'adonne à l'empathie ne fait que du narcissisme relationnel. Croyant accéder à une compréhension de l'autre, il ne voit que lui-même... et encore! il ne voit qu'une image erronée de lui-même. En effet, si plus tard il vit  une situation équivalente à celle de son interlocuteur d'aujourd'hui, il vivra une expérience très différente de ce qu'il avait imaginé.

Plutôt s'ouvrir sans se mettre à la place

Se mettre à la place de l'autre est un "jeu" compliqué et dangereux. L'autre s'y sent incompris (ça peut même le rendre agressif... ou déprimé!). Quand à nous, nous croyons l'avoir compris et nous ne saisissons que de l'illusion... ce qui en découlera sera donc inadapté. En plus nous nous chargeons d'un poids qui ne nous appartient pas en tentant de "ressentir" ce que vit l'autre.

Nous pouvons faire beaucoup mieux en nous ouvrant simplement à notre interlocuteur.

Plutôt que de nous mettre à sa place, nous pouvons mettre du soin à l'entendre exprimer ce qu'il ressent, pense, ou vit à la place où il est. En laissant notre imaginaire et nos hypothèses de côté, nous pourrons mieux le comprendre. 

Notre imaginaire nous est cependant très utile pour être créatif. Notre capacité à émettre des hypothèses nous est aussi très utile dans la résolution de problèmes... mais à deux conditions: d'une part, avec une rigueur mathématique, nous ne devons pas confondre hypothèses et certitudes... d'autre part avant de conclure, apprenons à lire tout l'énoncé.

Une vraie qualité d'écoute s'opère de façon active. Il serait maladroit d'être passif et  de simplement laisser parler. Il est plus efficace d'aider notre interlocuteur à exprimer ce qu'il a à dire grâce à des questions pertinentes, sans conditions de réponse, et non indiscrètes. Ceci amènera la précision et la concision optimum pour le plus grand bonheur de chacun.

Cliquez ici si vous souhaitez en savoir plus sur cet aspect de la communication. Vous pourrez aussi découvrir la technique d'écoute thérapeutique qui en découle: le guidage non-directif

Être distinct sans être distant

J'entends souvent des stagiaires se préoccuper de garder la bonne distance (dans le management, dans la conduite de réunion, dans les entretiens individuels, dans l'accueil, dans l'aide et l'accompagnement, dans les soins, dans la prise en charge des personnes âgées, dans la fin de vie etc...) Que de domaines concernés!

Ceux qui se préoccupent d'humaniser les rapports humains recherchent cette distance optimum un peu comme l'alchimiste recherche la pierre philosophale... ils semblent ne jamais la trouver et ils oscillent seulement entre le trop proche et le trop loin (c'est à dire entre le copinage et l'indifférence).

Ils ne la trouvent pas car le problème de la distance et trop simple pour les esprits compliqués: La bonne distance c'est PAS DE DISTANCE DU TOUT.

Le zéro de la distance produit l'infini de la qualité. Mais "distance zéro" ne signifie surtout pas "se mettre à la place". Car se mettre à la place, c'est aboutir à une sorte de fusion... qui amène la confusion. Si la bonne distance  c'est pas de distance du tout, il est par contre fondamental d'être distinct.

Nous mettrons donc un soin tout particulier à ne pas confondre distinct et distant autant qu'à ne pas confondre proche et fusionnel

Être distant, c'est se mettre en rupture (se couper) de son interlocuteur. Il en résulte bien sûr qu'on ne le voit plus.
Se mettre à la place, c'est se mettre en fusion (ne faire q'un) avec lui. Il en résulte alors qu'il disparaît et qu'on ne le voit pas non plus.

Pour voir l'autre, ce qui est important, c'est de s'individualiser. Être pleinement SOI face à quelqu'un à qui on accorde d'être pleinement LUI

Affectivité et chaleur humaine

La chaleur humaine sans l'affectivité

Il n'y a jamais assez de chaleur humaine et toujours trop d'affectivité. Nous avons bien remarqué que l'excès d'affectivité est nuisible à la qualité de la communication, de l'aide et surtout de la psychothérapie. 

Mais le problème est que l'affectivité et la chaleur humaine sont mal différenciées dans l'esprit de beaucoup de monde (y compris dans l'esprit de nombreux thérapeutes et professionnels de la communication). 

Alors pour se libérer de l'affectivité, malencontreusement, certains suppriment aussi la chaleur humaine... et le résultat est toujours insatisfaisant. Où alors, voyant que cela pose problème, ils reviennent à la chaleur humaine... mais réintroduisent l'affectivité.

La chaleur humaine c'est quand on est ouvert à l'autre sans avoir besoin de lui.
L'affectivité c'est quand on a besoin de l'autre ou qu'on a peur de l'autre. Besoin de lui pour combler un de nos manques, pour nous rassurer. Peur de lui quand il risque d'aggraver un de nos manques et de nous déstabiliser.

Bien différencier la chaleur humaine de l'affectivité, permet d'être chaleureux sans ambiguïté, et d'avoir une communication plus efficace et plus sereine. 

Si on est thérapeute, cela permet d'être plus efficace et plus rapide car un patient a besoin de la chaleur humaine de son thérapeute pour oser lui livrer ce qu'il a de plus précieux, intime, douloureux en lui. Mais il a besoin évidemment aussi que son thérapeute ne soit pas dans l'affectivité, sinon ça brouille sa recherche et peut même avoir des effets très néfastes.

L'empathie source d'affectivité

La chaleur humaine réchauffe alors que l'affectivité étouffe. Nous comprenons alors bien pourquoi l'affectivité est indésirable.

L'affectivité est d'autant plus indésirable qu'elle nous expose à l'envahissement. En nous mettant à la place de l'autre, nous nous exposons à ressentir une expérience qui ne nous correspond pas et pour laquelle nous ne sommes pas prêts.

Au contraire, en étant proche et distinct, nous sommes à même de comprendre l'expérience de notre interlocuteur, de nous enrichir de ce qu'il en a fait sans pour autant en subir la pression émotionnelle. Nous pouvons aussi mieux l'aider ou l'accompagner quand il vit une expérience douloureuse.

Nous devenons ainsi capables d'entendre cette expérience sans la dramatiser ni la banaliser. Nous devenons capables d'en saisir la juste mesure: celle de l'autre (qui n'a forcément que peu à voir avec la nôtre). Nous pouvons ainsi humaniser profondément notre communication qui s'ajuste à la réalité de l'autre.

L'inconvénient majeur de l'empathie est qu'elle produit au contraire une sorte d'état fusionnel, générant illusion, confusion et affectivité. Il n'en résulte aucune chaleur humaine, mais par contre beaucoup de stress et d'incompréhension.

Conclusion

Le poids des mots

Au fond peut-être ne devons-nous pas attacher trop d'importance au fait qu'une chose, une idée, une attitude soit désignée par un mot plutôt qu'un autre. Au fond, ce qui importe c'est ce que nous en faisons! Les mots ne sont peut-être qu'une convention?

Pourtant, quand je rencontre autant de professionnels de l'aide et de la communication avoir personnellement (et même promouvoir dans leur entourage) des propos et des attitudes qui produisent l'inverse des effets attendus... je pense que la précision du langage est ici particulièrement nécessaire.

Et puis les mots ne sont pas seulement une convention. Quand on les étudie, on peut remarquer que souvent ils contiennent dans leur étymologie, dans leur construction, un aspect profond de ce qu'ils désignent.

Se remettre aux commandes

J'ai bien conscience qu'avec cet article j'invite quelques personnes à se remettre en cause par rapport à l'empathie. 

Mais se remettre en cause c'est se remettre au commandes de sa vie. C'est ne pas croire ce qui est dit parce qu'on nous le dit (même si on prétend nous donner des "preuves"). C'est plutôt confronter ce qu'on sait à l'expérience et en mesurer l'efficacité sans complaisance.

Les remises en cause sont sources de progrès. Elles ne sont pas destruction du passé, mais ajustements, ajouts, discernement accru, enrichissement. Ce qui importe, ce n'est pas d'avoir raison. Ce qui importe, c'est que l'aide, le communication, la psychothérapie, l'accompagnement soient efficaces au delà des croyances de chacun.

Thierry TOURNEBISE

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