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Le deuil

Comprendre et accompagner

mars 2011    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

 

L’expression « il faut faire le deuil » est sans doute une des plus ravageuses qui soient. Une personne ayant vécu une perte n’aime pas entendre cela, d’autant que la façon dont c’est dit sous-entend un concept totalement erroné. Souvent « faire le deuil » est compris comme « il faut passer à autre chose ». Outre le fait qu’un tel propos soit indécent face au vécu de l’endeuillé, c’est totalement méconnaître la délicate et subtile nécessité de la douleur dans cette étape particulière de la vie.

Nous allons examiner comment le cheminement s’accomplit pour un être dans cette part exceptionnelle de son existence, et comment il peut être accompagné de façon plus pertinente dans ce processus infiniment précieux qui s’accomplit en lui.

 

Sommaire

1 Notion de deuil
-« Dolus »
-Les étapes du deuil (première approche)

2 Les multiples phénomènes
-Le choc
-L’anesthésie
-Rupture avec le défunt
-Rupture avec Soi
-La douleur
-La disparition de la douleur

3 L’accompagnement vers l’intégration
-Commencer l’accompagnement
-Continuer l’accompagnement
-Simple reconnexion

4 Fondements et mises en œuvre
-Fondements
-Le symptôme comme un lien
-Début de mise en œuvre avec ce lien
-Suite de ces mises en œuvre

5 Commentaires
-Un sérieux problème de compréhension
-Conséquences sur la posture du praticien

6 Les étapes du deuil (approfondissement)
-Le moment de choc
-Anesthésie (ne sent rien mais est affaibli)
-Résilience (Anesthésie invisible)
-Création de symptômes
-Une longue quête (contre l’avis de l’entourage)
-Le moment de concilience (accomplissement)

7 Autres deuils

Bibliographie

 

 

 

 

1   Notion de deuil

1.1« Dolus »

Pour comprendre la notion de deuil nous devons commencer au commencement et simplement examiner l’origine du mot. « Deuil » est issu du bas latin « dolus » signifiant « douleur ».

Donc, « faire son deuil » ne signifie pas « terminer et passer à autre chose » mais représente une période pendant laquelle il y a une douleur, et ainsi  « Faire son deuil » c’est « Faire sa douleur ». Il s’agit même alors d’une douleur «  qu’on se fait » puisqu’on dit « faire son deuil », c’est à dire « faire son dolus ».

Si nous laissons de côté l’histoire des convenances qui disaient qu’il fallait respecter (par règle sociale ou bienséance) une période de deuil où l’on affiche ostensiblement une tenue vestimentaire noire ou autre témoignage de ce qu’on traverse, nous retiendrons tout de même qu’il s’agit « d’une douleur qu’on se fait ».

Alors, quel sens pourrait-il bien y avoir à « se faire une douleur » ?

Comme pour la plupart des symptômes, nous devons examiner cela sous l’angle de la pertinence et non d’une quelconque erreur de l’individu concerné. Cette douleur joue un rôle majeur et toute personne qui veut nous l’enlever en pareil moment représente un peu un danger pour nous*. Naturellement il s’agit que celle-ci ne soit pas forte au point de nous faire basculer dans la folie ou dans le suicide, et il convient d’y veiller soigneusement. Mais avoir pour projet d’éteindre complètement cette douleur agit à contre-courant d’un projet intime en train de s’accomplir au plus profond de l’individu qui vient de perdre un être cher.

*Nous serons vigilant cependant de ne pas retomber dans le désastreux mythe de la douleur salvatrice

1.2Les étapes du deuil (première approche)

A quoi bon comprendre ces étapes du deuil si l’on ne comprend pas les enjeux de ce qui se déroule dans ce moment si particulier de l’existence ! Pourtant nous remarquerons que les étapes du deuil se rapprochent des étapes de fin de vie proposées par Elisabeth Kübler-Ross (choc- déni-révolte-marchandage-dépression-acceptation [Kübler Ross, 1975 et 1998, p.205-208]) sans toutefois y coller exactement.

Si nous considérons le début, au moment de la découverte de cette perte d’un être cher, tout commence par un choc, un effondrement. Le sol se dérobe, les repères s’effondrent, la vie est suspendue au milieu de nulle part, dans un nouveau monde qui nous est totalement inconnu. Il se vit là une sensation surprenante, inattendue, car on ne  savait pas qu’une telle chose puisse exister. On savait qu’il y  a la mort, mais on n’avait jamais imaginé cette mort là. Quand bien même suite à une agonie due à une maladie cette mort était attendue, le fait de l’attendre ne rend pas compte de ce qui est éprouvé quand elle survient*.

*Naturellement nous aurons la sagesse de ne pas prédire tout ce qui peut être vécu par chacun, car chaque être est un être unique et peut se retrouver à vivre une sensation qui lui est spécifique et ne peut être placée dans une quelconque catégorie.

Il peut suivre une période de déni, qui en réaction au choc est surtout une forme d’anesthésie. On n’y croit pas, ce n’est pas possible ! Une phase de stupeur qui peut durer plus ou moins longtemps (de quelques heures à quelques années… ou même quelques décennies !)

Cette phase peut-être une stupeur inhibitrice, jusqu’au fait de ne plus pouvoir rien faire du tout, mais aussi ce peut être une anesthésie suffisante de la douleur permettant néanmoins de vivre « comme si de rien n’était » grâce à des compensations (étayages). La douleur du deuil proprement dit n’apparaîtra alors que plus tard. Tout cela dépend de l’énergie disponible.

La douleur du deuil (que nous distinguerons de celle du choc, qui elle est anesthésiée) jouera alors le rôle fondamental de nous permettre de ne pas oublier. Nous n’avons pas encore le moyen de pleinement placer au plus profond de nous l’être perdu (nous ne savons pas encore faire face à ce qui s’est passé), alors la douleur (du deuil) vient compenser l’anesthésie (du choc) ou la tentation d’amnésie pour échapper à la violence qu’on a éprouvé. Pareil à un nœud à son mouchoir la douleur du deuil nous permet de ne pas perdre totalement le contact, tant que celui-ci n’est pas rétabli convenablement et que nous n’avons pas la certitude que nous n’oublierons pas (ni celui que nous étions, ni surtout celui qu’était le défunt).

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2   Les multiples phénomènes

2.1Le choc

Comme nous venons de le voir, la première étape est le choc. Au moment de l’événement ou de la découverte de celui-ci, il y a une sensation indicible de vide, d’effondrement, de néantisation du monde qui soudain perd sens et s’efface aux yeux de l’endeuillé.

Une nuance à cela se produit quand le décès suit une période de maladie et de douleurs éprouvantes et que la mort arrive comme une libération, tant pour celui qui vient de finir sa vie, que pour ceux qui l’entourent. Cela crée une ambivalence de douleur et d’apaisement.

Il se peut aussi qu’il n’y ait pas de choc, sans pour cela que ce soit un déni. Je repense à cette femme qui a accompagné son jeune fils en fin de vie après une longue maladie, et qui nous dit juste après sa mort « c’est un des plus grands moments de ma vie », car elle a, dit-elle, « la sensation de l’avoir mis au monde une seconde fois ». Cette femme est en paix et personne ne sait entendre sa paix, pas plus qu’on n’aurait su entendre sa douleur si elle avait été en douleur. Ce bonheur dont elle parle ne signifie pas qu’il n’y a aucune douleur, mais la beauté de ce moment à ses yeux est plus importante pour elle que la douleur.

Lors de la circonstance, choc ou non, celui qui y est confronté, quelque soit son vécu, rencontre bien peu de monde capable d’entendre la réalité de ce qu’il éprouve, car face à lui chacun entendra son propre fantasme (sa propre projection) plutôt que ce qui est réellement éprouvé.

Nous voyons ici qu’il serait inconvenant de généraliser quoi que ce soit et que chaque vécu appartient à chacun. Cependant, cet effondrement et cette sensation de vide ineffable, de sol qui se dérobe, de monde qui perd sens, se produit souvent

2.2L’anesthésie

Pour survivre à ce choc, une anesthésie salutaire vient à l’aide de l’endeuillé. Cette anesthésie peut produire un état de stupeur où aucune réaction ne se produit plus, mais elle peut aussi, comme nous venons de le voir, juste anesthésier la douleur, tout en laissant la possibilité d’un jeu social signifiant, laissant l’entourage à penser que « finalement il ne le prend pas si mal », ou même pire : « il a l’air indifférent ! ».

Je me souviens ce monsieur qui souffrait de ne pas avoir pleuré à la mort de son frère, se souvenant de cette indifférence dans laquelle il se trouvait, dont il ne prit conscience que bien plus tard. Il trouvait lui-même cela fort inconvenant et s’en culpabilisait profondément. Son anesthésie ne signifiait en fait pas une absence de souffrance, mais que celle-ci était si forte que le seul moyen de survie possible était de tout éteindre. Le masque d’indifférence qui en a résulté, quand il en prit conscience bien plus tard, le bouleversa intensément.

L’actrice Annie Duperey ayant perdu ses parents dans son enfance nous révèle qu’elle n’en a pris conscience que bien plus tard une fois adulte, dans la maturité.

Afin de permettre la survie immédiate, cette anesthésie salutaire met en veilleuse la douleur (elle place dans l’oubli le moment du choc avec celui qu’on était et aussi celui qu’on a perdu). Mais tout cela n’est qu’en veilleuse et pourra resurgir quand la maturité le permettra afin d’accomplir la nécessaire intégration qui permettra au sujet d’aboutir sa maturation, son individuation, la stabilité de Soi.

2.3Rupture avec le défunt

Discrètement, parfois derrière l’anesthésie, il y a une colère.

Nous comprenons qu’il puisse y avoir une colère contre l’injustice, contre la maladie, ou même contre la vie et même aussi pour certains contre Dieu… mais il est plus délicat de réaliser qu’il y ait aussi souvent une colère contre le défunt : « Pourquoi tu m’as laissé ? », « Tu n’avais pas le droit de me faire cela ! », « Tu m’as lâchement abandonné ! », « Je ne te pardonnerai pas de m’avoir laissé ! »…etc.

Cette rupture avec le défunt va ajouter au manque. A partir de là, celui qui est décédé ne manque plus simplement parce qu’il est mort, mais aussi parce qu’on le rejette.

La douleur du deuil intervient alors pour permettre de ne pas le perdre totalement, malgré ce rejet réactionnel qui n’est en fin de compte qu’une façon de crier sa douleur.

Le praticien qui met en œuvre une psychothérapie pour une personne souffrant d’un deuil doit tenir compte de cette éventualité très fréquente. Naturellement il ne s’agit surtout pas de voir cette éventualité là où elle n’est pas (attention aux projections du praticien), mais de ne pas la manquer quand elle est là, car dans ce cas il se trouve un cheminement spécifique de reconnaissance de soi et de sa douleur ainsi qu’une réhabilitation du défunt qui sont fondamentales à accomplir lors de la thérapie.

2.4Rupture avec soi

L’être bouleversé qu’est l’endeuillé au moment du choc est tellement anéanti que ce moment, géré par la pulsion de survie, aura tendance à être effacé de sa structure psychique. Cette « mise à distance » d’une part de soi (trop blessée pour être intégrée sans dommage pour l’ensemble de la psyché) va engendrer un manque supplémentaire : un manque de soi. Avec le manque de la personne décédée, cela fait une double amputation psychique.

La douleur du deuil jouera donc ici également un rôle pour ne pas perdre cette part de soi en exil, autant que pour ne pas perdre le défunt (à qui l’on en veut d’être parti). Cette perte de soi s’ajoute même au fait qu’« on s’en veut aussi de lui en vouloir d’être parti » et nous avons alors une « triple amputation dans la psyché » :

-Rupture d’avec soi (à cause de la douleur du choc)
-Rupture d’avec le défunt (on lui en veut de nous avoir laissé)
-Rupture avec soi (on s’en veut de lui en vouloir)

Cette mise « à part » de bouts de soi assure la survie, mais génère un manque de Soi qui rendra ultérieurement nécessaire la réhabilitation qui permettra de retrouver son intégrité.

2.5La douleur

La douleur ne doit donc pas être combattue mais accompagnée. Il convient à l’accompagnant ou au thérapeute de ne pas chercher à l’enlever, même s’il sera parfois judicieux d’en rendre l’intensité supportable.

La douleur (le Dolus) joue un rôle majeur de marquage « spécialement pour ne pas oublier ». Tant qu’il y a un risque d’oubli (à cause du choc éprouvé et de la mise à l’écart du défunt et même de Soi même), cette douleur est un judicieux moyen de ne rien perdre, ni de Soi, ni de l’autre.

A cette douleur peuvent s’ajouter des pensées obsessionnelles qui auront le même rôle de prévenir l’oubli. Celles-ci sont pourtant vues comme un envahissement, mais elles ne font que « frapper à la porte de la conscience » pour inviter celui qui les a à revisiter ce qu’il a rejeté afin de l’intégrer, de lui donner toute sa place en soi et de retrouver son intégrité.

2.6La disparition de la douleur

La douleur disparait instantanément le jour où le sujet a intimement l’assurance qu’il n’oubliera jamais.

L’enjeu pour lui est donc de parvenir à cette assurance qu’il n’oubliera pas. Cela lui est particulièrement rendu difficile à cause d’un entourage (y compris médical) qui, croyant bien faire, veut le « détourner de tout ça » afin de le pousser à « aller de l’avant ». Peu de gens se doutent que pour aller de l’avant, il doit d’abord être entier et avoir l’assurance qu’il n’abandonnera rien de lui, ni rien de l’être précieux qu’il a perdu (et dont il s’est coupé, nous avons vu pourquoi).

Il ne s’agit donc en aucun cas de lutter contre cette douleur, mais d’en accompagner le sens, la raison, la justesse. Pour cela il faut avoir intégré qu’on ne peut aller de l’avant sans risque, que si rien ne nous manque. Dans le cas contraire, de multiples symptômes (douleur, pensées obsessionnelles, cauchemars…) viendront aider l’endeuillé à ne pas « s’émietter l’être », à ne pas poursuivre sa vie avec tous ces manques sans s’être arrêté pour les combler (et non juste les compenser). Donc il avancera, certes, mais avec ce cortège de symptômes comme autant de « nœuds à son mouchoir » pour ne rien perdre de soi.

Il arrive que le symptôme se manifeste tardivement. Ainsi ce patient profondément dépressif avec des idées suicidaires, au point de suivre plusieurs psychothérapies, un lourd traitement psychiatrique, et même de sismothérapies (14 électrochocs). En fait il retrouve que quand son grand père est décédé en se suicidant, l’enfant qu’il était n’a jamais été entendu par personne concernant la dimension de son deuil (de sa douleur) ; que la blessure qu’il éprouve adulte lors de ses dépressions est celle de cet enfant qui n’a jamais été prise en compte. Quant à ses idées suicidaires elles sont en lui l’écho du ressenti d’un grand père qu’il aimait tant et qui n’a non plus jamais été entendu. Ce qui se passe phénoménologiquement est que quand cet enfant est reconnu dans la dimension du ressenti qui fut le sien et le grand père aussi, l’apaisement est instantané et définitif chez le sujet adulte, alors que les lourds traitements étaient inefficaces.

Il importe de comprendre qu’il ne s’agit jamais de douleurs à apaiser, mais de vécu à reconnaître dans sa dimension. Tout le problème de ce patient était que les praticiens (en psychothérapie et en psychiatrie) ne visaient qu’à le débarrasser de son symptôme dépressif et suicidant, sans accomplir ce que celui-ci réclamait de rencontre en lui, tant avec l’enfant qu’il était, qu’avec cet homme qu’était son grand père.

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3   L’accompagnement vers l’intégration

3.1Commencer l’accompagnement

L’accompagnement pertinent sera donc envisagé sous l’angle de l’intégration et jamais sous l’angle de l’élimination de quoi que ce soit, ou de qui que ce soit. Pour l’accompagnant ou le thérapeute, il s’agira de partir de ce que le patient exprime et de l’inviter à le formuler en terme de ressentis.

Prenons trois exemples A, B, et C

Exemple A

-Je suis veuve depuis un an.

-Comment vivez-vous depuis que cela est arrivé ?

Exemple B

-J’ai des pensées obsessionnelles. Je n’arrête pas de voir les mêmes images quand j’ai vu son corps. Je suis arrivée trop tard, il était mort.

-Est-ce l’image du corps ou le fait d’être arrivée trop tard qui vous bouleverse le plus ?

Exemple C

-Nous avons retrouvé son corps. Il s’était suicidé par pendaison, mais aussi ouvert les veines.

-Comment celle que vous étiez a-telle supporté de voir cela ?      

L’idée dans ces trois exemples, au départ, est de basculer depuis les faits énoncés vers le ressenti du sujet qui s’y trouvait.

Puis en continuant le but sera pour le praticien (en accompagnement ou en thérapie) de faciliter l’expression de ce ressenti avec plus de précision. Il convient de comprendre que le ressenti conduit aux parts de soi à réhabiliter, ou au défunt à reconnaître dans les ressentis qui furent les siens au moment de la fin de sa vie.

Le fait de vouloir tenter de mettre de la distance entre le sujet et ce à quoi il pense est maladroit car, de son côté, celui-ci tente tout ce qu’il peut pour ne pas oublier.

Le praticien devra autant que possible garder ce cap vers les ressentis, dans un projet de rencontre de Soi. Il n’y a rien d’horrible qui est retrouvé quand on a compris que c’est vers les êtres qu’on va et non vers les circonstances. Ces dernières peuvent être évoquées si le sujet le souhaite, mais elles ne doivent en aucun cas constituer l’essentiel de l’accompagnement ou de la thérapie.

3.2Continuer l’accompagnement

Imaginons une suite de l’accompagnement dans l’exemple A

-Je suis veuve depuis un an.

-Comment vivez-vous depuis que cela est arrivé ?

-Je suis effondrée et je ne me relève pas. Je devrais aller de l’avant, tout le monde est gentil… mais je ne peux pas.

-C’est vraiment trop difficile pour vous !? (reformulation*)

*Attention, la reformulation n’est en aucun cas une simple répétition de ce qui est dit. Il ne s’agit ni d’un écho, ni d’un reflet. Il s’agit d’une chaleureuse et profonde reconnaissance du sujet éprouvant le ressenti qui est le sien. La reformulation est une phrase affirmative prononcée avec un non verbal légèrement interrogatif. Sans une telle subtilité, la phrase telle qu’elle est écrite n’a pas de sens et pourrait même prendre un sens totalement niais. Pour plus de détails sur ce sujet, vous pouvez lire sur ce site la publication de novembre 2002  « reformulation ». Chaque reformulation, pour en indiquer la spécificité, sera ponctuée par « !? »

-Oui.

-Qu’est ce qui est le plus difficile ?

-Vous comprenez, il n’est plus là !

-Sa présence était tellement importante pour vous !? (reformulation)

-Oh oui. Tellement importante. Je ne sais pas si j’ai jamais su le lui dire.

-Vous auriez aimé mieux le lui dire !? (reformulation) Ces années passées ensemble étaient de belles années !? (reformulation)

-Oui, c’est vraiment ça. C’était merveilleux et je ne m’en suis même pas rendue compte.

-Vous pouvez mettre votre attention sur lui ? (Cela n’est souvent pas très difficile, d’autant plus que les pensées obsessionnelles le maintiennent très « présent »).

-Oui, bien sûr.

-Imaginez que vous le remerciez pour ces années, pour ce bonheur, pour tout ce que vous n’avez pas su lui dire jusque là.

… vous y parvenez ?

-Oui.

Comment est-il quand vous faites cela ? (vérifier là comment évolue sa perception).

-Je le sens plus paisible.

-Et vous, comment vous sentez-vous ?

-Beaucoup mieux. Comme si quelque chose d’important venait de s’accomplir.

Imaginons une suite de l’accompagnement dans l’exemple B

-J’ai des pensées obsessionnelles. Je n’arrête pas de voir les mêmes images quand j’ai vu son corps. Je suis arrivée trop tard, il était mort.

-Est-ce l’image du corps ou le fait d’être arrivée trop tard qui vous bouleverse le plus ?

-Non c’est le fait d’être arrivée trop tard. Mais quand même la vision du corps m’a bouleversée.

-Qu’est-ce qui vous a le plus bouleversée dans cette vision du corps (malgré le « non »  du début de la réponse, il y a réaffirmation de ce bouleversement face au corps).

-Il était inerte, et je ne supportais pas l’idée… ce corps froid et immobile, inerte. C’est surtout… j’aimais tellement sa chaleur !

-Cette chaleur a été quelque chose de tellement merveilleux pour vous quand il était là !? (reformulation)

-Oui, cela m’a vraiment accompagné dans ma vie. Sa présence, sa chaleur ont été pour moi si précieuses.

-Sa présence dans votre vie vous a beaucoup apporté !? (reformulation)

-Oui.

-Vous pouvez mettre votre attention sur lui quand il finit sa vie ?

-Oui (manifestement elle le fait)

-Imaginez que vous le remerciez pour cette inestimable chaleur qu’il vous a donnée tout au long de votre vie commune. Témoignez-lui toute votre gratitude pour cela.

-C’est comme si je le voyais sourire. Il me manque toujours, mais c’est plus paisible.

Imaginons une suite de l’accompagnement dans l’exemple C

-Nous avons retrouvé son corps. Il s’était suicidé par pendaison, mais aussi ouvert les veines.

-Comment celle que vous étiez a-telle supporté de voir cela ?

-J’ai été choquée, je ne m’attendais pas à une chose pareille. Puis je ne comprenais rien. C’était si violent.

-Vous pouvez mettre votre attention sur celle que vous étiez et qui a du faire face à cette violence ? (rendre distinctes celle qu’elle est et celle qu’elle était pour en permettre la rencontre).

-Oui.

-Imaginez que vous vous approchez d’elle et que vous lui dites que vous prenez la mesure cette violence que lui fait une telle situation.

-(larmes, sanglots)

-C’était dur à ce point !? (reformulation, chaleureuse reconnaissance)

-Oui.

-D’accord. Toutes les deux*, vous et celle que vous étiez, vous pouvez mettre votre attention sur lui (le défunt) et imaginer que vous lui dites que vous trouvez cela vraiment trop dur ? (ouvrir un canal d’expression)

*Il est intéressant de permettre (dans l’imaginaire) de rencontrer l’autre « en étant à deux » : celle qu’elle est et celle qu’elle était. Il est moins inquiétant d’aller « ensemble »  à la rencontre de l’autre pour l’entendre, le reconnaitre... lui dire.

-Comment se sent celle qui a été choquée ?

-Elle est plus paisible.

-Toutes les deux, vous et celle qui a été choquée, vous pouvez imaginez que vous mettez votre attention sur lui au moment de la fin de sa vie… ? Qu’est-ce qu’il aurait aimé qu’on entende ?

- Il n’en pouvait plus. Le médecin lui avait annoncé une maladie grave, il avait demandé à voir un psy, mais le médecin lui a dit que comme il n’était pas dépressif cela n’était pas la peine.

-Il aurait tellement aimé pouvoir parler de ce qu’il ressent !? (reformulation)

-Oui.

-Vous pouvez imaginer que vous lui dites que vous prenez la mesure de ce besoin de partager son ressenti et que l’épreuve de l’annonce de cette maladie à été trop douloureuse  pour lui ? (reconnaissance du défunt)

-Oui.

-Comment est-il ?

-Il est plus paisible.

-Et vous, comment vous sentez-vous ?

-Plus chaleureuse.

-Et celle qui a été choquée en le trouvant, comment est-elle ?

-Elle est moins seule, puis elle a entendu aussi.

3.3Simple reconnexion

Dans ces exemples, nous remarquons qu’il ne s’accomplit qu’une simple reconnexion au sein de la psyché.

L’accompagnant, le praticien, œuvre pour accompagner cette réhabilitation qui cherche à s’accomplir, et où la douleur maintient le « lien » en attendant l’« ouverture » du « canal du cœur ».

Nous y voyons combien la délicatesse de la rencontre s’accomplit sans jamais chercher à enlever ou apaiser quoi que ce soit. Tout n’y est que reconnaissance, chaleur, proximité, rencontre. Il ne se livre là aucun combat intérieur, bien au contraire. C’est sans énergie que s’accomplit le processus, puisqu’il ne fait que s’y accomplir ce qui cherche à s’accomplir, reconnaître ce qui attend d’être reconnu, rencontrer ce qui attend d’être rencontré.

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4   Fondements et mise en œuvre

4.1Fondements

Nous venons de parcourir des accompagnements résumés et fictifs (quoiqu’inspirés de situations réelles). Nous remarquons déjà qu’il convient pour le praticien de se laisser porter dans un monde totalement subjectif et sensible.

Il est important de comprendre que pour accompagner un deuil, il ne s’agit aucunement (comme dans tout accompagnement psychologique d’ailleurs) de se placer sous l’angle de l’objectivité : la seule réalité qui compte ici est la « réalité subjective ».

Il peut sembler curieux de parler de « réalité subjective », mais en ce domaine particulièrement, c’est la seule qui nous importe. Nous ne chercherons donc ni la rationalité, ni l’irrationalité, mais seulement un cheminement par rapport à ce qui est ressenti de façon purement phénoménologique*

* La phénoménologie, en psychologie, « a pour objet l’étude des états d’âme, tels que les malades les éprouvent » (Jaspers, 2000, p.59)

Quand cette femme me dit la douleur qu’elle éprouve lors du deuil de son amie qui s’est récemment tuée dans un accident de voiture au cours de la semaine qui vient de s’écouler, que je lui demande simplement ce qu’elle ressent, elle me répond « J’ai l’impression qu’elle est là ! ». Je poursuis simplement en lui faisant préciser (avec beaucoup de considération, de respect et de délicatesse non verbale) « Là où ? » (tant son « elle est là » semble désigner un emplacement). Elle me répond en me disant « Là » (et elle désigne une place à côté d’elle sur sa droite). Je l’invite alors à mettre son attention « là sur la droite », là où elle me dit la sentir présente. Il ne s’agit aucunement de savoir si son amie est réellement « là » ou non, elle est simplement « là » pour elle, de son point de vue, et c’est cela que nous abordons*.

*Il ne s’agit pas de se positionner par rapport à une « immanence » (tout est là, et il n’y a que ce monde) ou par rapport à une transcendance (existence d’un autre monde, d’un au-delà, d’un ailleurs de ce monde). Nous ne pouvons prendre parti sur une telle chose dont rien n’est démontré ni d’une façon ni d’une autre. Par contre la sensibilité (et non la croyance) ouvre des portes subtiles qu’il s’agit de respecter en tant qu’expression intime de vie dans ce qu’elle a subjectivement (c'est-à-dire chez le sujet) de très réel. Encore une fois j’insiste sur la notion de « réalité subjective » qui n’est pas une façon de « laisser parler l’autre de ses délires » mais de le rencontrer dans une dimension subtile de l’existence profonde qui est la sienne.

Il se trouve que de cette attention portée sur son amie, qui est « là », il résulte une sensation d’apaisement, tant pour le défunt tel qu’il est perçu, que pour l’endeuillé dans son ressenti.

Quand ce jeune homme consulte pour une peur de la mort qui l’habite, suite à quelques questions sur la nature de son ressenti, sur la façon dont il éprouve cette peur (rappelez vous que le ressenti compte plus que les faits) il précise qu’il a peur, s’il décède, de ne plus voir ceux qu’il aime. Puis je découvre qu’il perdit sa mère deux ans plus tôt et lui demande de mettre son attention sur la femme qu’est sa mère* au moment où elle finit sa vie. Il me dit que c’est exactement ce qu’elle a ressenti, elle, dans ce moment si particulier de son existence. Je l’invite à mettre l’attention sur la femme qu’est sa mère (en train de ressentir cela lors de sa fin de vie) et de lui témoigner qu’il prend totalement le mesure de ce qu’elle éprouve. Dans sa perception subjective, sa mère s’apaise, lui aussi s’apaise, et sa peur de la mort disparait. Vous remarquerez qu’ici le praticien se laisse porter par ce qui émerge au niveau des ressentis, tout en intégrant la place de le femme qu’est la mère.

Pour comprendre les deux exemples ci-dessus il convient de bien saisir que ce qui est ressenti au niveau du sujet souffrant du deuil est là « spécialement pour » affiner une perception et offrir une reconnaissance.

*L’utilisation de la formule « cette femme qu’est sa mère » plutôt que « sa mère » est importante pour le sujet car « sa mère » le remet en situation d’enfant face à maman, alors que « la femme qu’est sa mère » le positionne en tant qu’être face à un être.

4.2Le symptôme comme un lien

Le symptôme (ce qui est ressenti et qui est quelque fois nommé « psychopathologie ») apparaît ici comme une sorte de lien temporaire entre le sujet et celui qu’il a perdu. Ce lien semble une nécessité pour avoir l’assurance de ne rien perdre de cela qui est précieux, de ne pas oublier d’entendre ce qui devait être entendu et reconnu, validé.

Cela suppose de lâcher prise d’avec la réalité objective (l’objectal) pour s’ouvrir à une réalité subjective (le subjectal, le phénoménologique). Celui qui accompagne doit savoir se laisser porter non vers la rationalité (pas vers l’irrationalité non plus) mais vers de subtils ressentis, pleins de sens, permettant d’accomplir quelque chose d’essentiel. Ces ressentis sont perçus comme des ressentis réels et il ne s’agit pas de savoir s’ils reflètent une réalité de faits, mais de les considérer comme une réalité perçue par le sujet.

Ce lien, pareil à un « cordage » permet de ne pas perdre ce qu’on a tendance à rejeter (nous avons vu plus haut pourquoi), en attendant de savoir s’y ouvrir, et de le reconnaître afin de l’intégrer.

Bien évidemment cela représente pour le praticien un changement majeur de fondement (de paradigme) car au lieu de se retrouver à combattre un symptôme de deuil à cause de son inconfort, il s’en sert pour accomplir une rencontre en attente de réalisation.

4.3Avec ce lien, autres début de mise en œuvre

L’accompagnement de la personne endeuillée, outre l’écoute de ce qui est spontanément verbalisé ou manifesté en non verbal, commencera souvent par une question ayant pour projet la reconnaissance du vécu immédiat :

Vécu immédiat 1

S’il y a des larmes : « C’est vraiment trop douloureux !? » (reformulation)

Vécu immédiat 2

S’il y a des tas de mots sur les faits mais rien sur le ressenti : « comment vivez-vous tout cela ? » (afin de recentrer sur ce qui est éprouvé)

Vécu immédiat 3

S’il y a des pensées obsessionnelles telles que « J’y pense tout le temps (à lui) » ce sera « Vous pouvez mettre votre attention sur lui, tel que vous y pensez ? »

Vécu immédiat 4

S’y a des mots du genre «  C’est trop douloureux » ce sera : « Comment est cette douleur que vous éprouvez ? »

Vécu immédiat 5

S’il y a directement une expression comme « je me sens tellement vide » ce sera « Vous pouvez mettre votre attention sur ce vide ? » (car « ce vide » fait partie de ce qui doit être regardé pour avancer)

Vécu immédiat 6

Si la personne exprime « je n’arriverai jamais à vivre sans lui » ce sera « La vie sans lui vous semble inimaginable !? » (reformulation)

Comme pour la reformulation, prendre en compte le non verbal qui accompagne chacune de ces phrases. Leur pertinence dépend totalement de la qualité de ce non verbal.

4.4Suites de ces mises en œuvre

Naturellement,  il reste à savoir comment continuer. La réponse apparaît naturellement quand on comprend qu’il s’agit à chaque fois d’une nouvelle opportunité, invitant à  demander une précision supplémentaire, dont nous savons qu’elle nous conduira vers ce qui est en attente de reconnaissance.

Vécu immédiat 1 suite

…« Oui, c’est vraiment trop douloureux » - « Qu’est ce qui est le plus douloureux ? » ou « Comment est cette douleur que vous éprouvez ? »

Vécu immédiat 2 suite

…« Je préfère ne pas regarder » - « d’accord, en quoi est-ce plus juste pour vous de ne pas regarder ? » - « C’est trop douloureux » - « D’accord. Comment est cette douleur qu’il s’agit de ne pas sentir tellement elle est grande ? » (nous nous rapprochons ainsi doucement de ce qui doit être perçu, qui n’est pas « la douleur », mais l’être qui a souffert)

Vécu immédiat 3 suite

…« Il a l’air douloureux. Il ne voulait pas partir » - « Vous pouvez  imaginez que vous lui dites que vous entendez à quel point il ne voulait pas partir ? » - « oui » - Comment est-il quand vous faites cela ? » - « Plus paisible » - « Et vous » - « J’ai moins mal ».

Vécu immédiat 4 suite

…« Je n’ai plus envie de vivre. Je voudrais le rejoindre » - « Ce serait mieux pour vous de le rejoindre !? » (reformulation) - « Oui » - « D’accord, en quoi ce serait mieux pour vous de le rejoindre ? » - « Il me manque trop » - « La vie avec lui, avec sa présence, était si agréable !? » (reformulation) – « Oh oui (avec des larmes) – « Ok, vous pouvez mettre votre attention sur lui…. et le remercier pour ces instants merveilleux que vous avez vécu grâce à lui ? » - Le sujet le fait – « Comment est-il ? » - « Il me sourit, il est heureux » - « Et vous ? » - « ça me fait du bien »

Vécu immédiat 5 suite

…« C’est un vide immense » - « Immense à quel point ? » - « Au point que je pourrai tomber dedans » - «  Est-il devant vous, derrière vous, à côté de vous ou ailleurs ? » (question à choix multiple pour mieux se situer par rapport à ce vide) – « Il est devant moi, un peu à droite » (il est toujours étonnant de voir à quel point la plupart des personnes ont ce genre de précision de façon très spontanée) –« Vous pouvez mettre votre attention sur ce vide qui est devant vous, un peu à droite ? » (le but est de suivre le ressenti, sachant qu’il nous conduit là où il faut, là ou « cela » attend d’être entendu, validé, réhabilité) –« Oui, il semble finalement peu profond » - « D’accord, vous pouvez mettre votre attention sur ce "fond peu profond" ? » - « En fait je vois de la verdure, des chemins, et il est là. Il me regarde, comme s’il voulait me dire quelque chose » - « Pouvez-vous lui demander ce qu’il souhaite que vous entendiez ? » - «  Il me dit qu’il est heureux que j’ai mis mon attention sur lui »- « Ok, et vous comment vous sentez-vous ? » - « Beaucoup plus paisible »

Vécu immédiat 6 suite

…« Absolument inimaginable » - « En quoi la vie sans lui est-elle inimaginable à ce point ? » - « Nous avions tant d’amour » - « Cette vie que vous avez partagé a été une vie merveilleuse !? » (reformulation) - « Absolument » - « Vous pouvez mettre votre attention sur lui… et lui dire à quel point cette vie avec lui a été merveilleuse ?... et le remercier pour cela ? » - « ça lui fait du bien » - «  et vous ? » - « Moi aussi ».

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5   Commentaires

Ce que je viens d’écrire ne peut en aucun cas être utilisé mot à mot. Cela ne sert qu’à donner une posture pour celui qui écoute. Cela permet aussi de saisir qu’on ne cherche ni ce qui est surnaturel, ni ce qui est terre à terre. On ne fait que suivre les propos du sujet dans la logique qui est la sienne, dans le simple projet de la reconnaissance de ses ressentis et de l’invitation à s’ouvrir là où son attention est appelée en lui.

5.1Un sérieux problème de compréhension de l’étiologie*

*L’étiologie, c’est la connaissance de la source des maladies

Si l’on en croit Antoine Pélissolo* dans les « grands dossiers » de la revue n°20 « Sciences Humaines » (p.18) :

*Service de psychiatrie du CHU La pitié Salpétrière, enseignant à Paris VI

« Il n’existe à ce jour aucune certitude sur l’origine précise des affections en psychiatrie. Ceci empêche de les classer comme on le fait en infectiologie […] deux voies sont alors possibles : soit s’appuyer sur des modèles théoriques ou des hypothèses explicatives, soit tenter une approche purement descriptive reposant sur l’observation des symptômes et pas du tout sur leurs causes présumées ».

Cela nous montre que la médecine s’occupant de la maladie mentale a encore un grand chemin à réaliser avant de proposer un soin pertinent. En effet, comment soigner correctement une pathologie dont on n’a que le symptôme (la manifestation) sans rien connaître de la cause.

Sur le plan des maladies physiques, que dirions-nous d’un médecin qui se contente de faire tomber une fièvre (symptôme) sans s’occuper des agents infectieux (qui mettent ainsi le corps en situation de défense naturelle par hyperthermie) ? Son soin serait dangereux, jusqu’à éventuellement provoquer la mort du patient dont il interrompt le processus de défense. Un médecin connaît bien cela et donnera aussi des remèdes contre l’infection.

Qu’en est-il des maladies mentales ? Dans ce cas seul le symptôme est pris en compte et le projet est purement et simplement son éradication. Nous nous retrouvons comme dans cet exemple de la fièvre qui, si on se contente de la faire tomber, met le patient en danger.

Il importe de comprendre que le symptôme en psychopathologie n’est pas là « à cause de » mais « spécialement pour » (important changement de paradigme) et qu’il s’agit plus d’une « chose juste » dont on accompagne l’accomplissement, que d’une « cause néfaste » que l’on tentera d’éliminer (ce n’est pas de l’infectiologie !). Voir sur ce site la publication « Psychopathologie » (avril 2008).

La douleur du deuil fait partie de ces manifestations « spécialement pour » dont il s’agit plus d’accomplir le projet pertinent que de supprimer la cause néfaste.

5.2Conséquences sur la posture du praticien

N’ayant pas compris cela, trop de praticiens médecins ou psychiatres vont tenter de donner à l’endeuillé des psychotropes pour supprimer purement et simplement la manifestation douloureuse.

Naturellement je ne prétends en aucun cas qu’il ne faille jamais diminuer une douleur dont le seuil trop élevé mettrait l’équilibre du sujet en danger. Mais ce qui importe c’est que cette manifestation ne soit pas entièrement gommée, afin que son projet puisse s’accomplir. Le problème est de savoir quel praticien connaît ce projet de façon suffisamment claire pour l’accompagner correctement ? L’intention de celui-ci est toujours louable, mais s’il empêche quelque chose qui doit se réaliser de façon pertinente, ses « bonnes intentions » ne suffisent pas.

Il importe de développer ce nouveau regard sur la psychopathologie en général, et ici sur le deuil en particulier.

Face à un endeuillé, le praticien se trouve face à un être qui met tout en œuvre pour ne pas oublier et dont la douleur disparaîtra seulement le jour où il aura la certitude que tout est à sa place en lui et qu’il n’oubliera jamais. Toute tentative de le faire « aller de l’avant » et de « passer à autre chose » est non seulement inefficace, mais aussi dangereuse.

Si je prends l’exemple de cette femme suivie depuis longtemps par un praticien qui s’occupe de son état dit « dépressif » en mettant l’accent sur « ce futur plein de projets sensé l’apaiser », mais qui ne lui permet pas de parler des douleurs de sa vie passée, il n’aboutit pas et doit de plus en plus surmédiquer sa patiente. D’autant que dans sa pratique, il lui interdit de parler de son passé… et l’invite seulement à se tourner vers le présent et vers l’avenir. Quand je reçois celle-ci (une seule fois), nous aboutissons instantanément au fait qu’elle a dû faire une ITG (interruption thérapeutique de grossesse, souvent réalisée tardivement quand l’enfant présente une malformation majeure). L’ITG est très douloureuse puisqu’il s’agit là d’euthanasier l’enfant dans le ventre de la mère, qui ensuite accouche de son enfant mort. Une telle chose ne se décide qu’avec les parents et toute une équipe médicale, dans un grand respect et une grande éthique. Pourtant ici, non seulement cette situation a conduit la mère au deuil douloureux de son enfant, mais en plus lors de l’ITG, il s’est avéré que l’enfant n’avait pas la malformation que l’on pensait. La douleur éprouvée était monumentale.

L’attention portée sur la femme qu’elle était lors de cette ITG et la validation du ressenti qui fut le sien… puis ensuite l’attention sur cet enfant qui a fini sa vie à ce moment là… puis l’accompagnement de celui-ci dans sa fin de vie, en conscience dans une proximité imaginaire (mais très réelle pour la patiente)… Tout cela a permis un apaisement immédiat de ce deuil qui conduisait à  une surmédication inutile.

Dès que cette femme a pu énoncer, rencontrer et valider, accompagner la femme qu’elle était à ce moment de l’ITG et cet enfant qui est le sien (décédé à cette occasion), dès qu’elle a eu l’assurance que personne ne serait oublié et que chacun avait en elle, dans sa psyché, sa juste place… la douleur disparut aussitôt et l’état « dépressif » aussi. Si cette femme était restée en surmédication tournée de force vers un futur sensé l’éloigner de ses douleurs passées, elle aurait périclité dans un insoutenable désaccord intérieure… jusqu’à perdre la raison… ce qui aurait entrainé d’autres prises en charge psychiatriques (tout autant inadaptées dans ce cas).

La posture du praticien est donc très importante et les fondements (paradigmes) sur lesquels il fonde sa démarche aussi. Dans le cas du deuil il importe de revisiter les idées reçues.

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6   Les étapes du deuil (approfondissement)

Nous pouvons alors revisiter les étapes du deuil, même si les notions de déni, de marchandage, de révolte, de dépression et d’acceptation restent justes

6.1Le moment de choc (vide)

Le sujet touche le néant. Tout s’effondre et perd sens. Le sol lui-même se dérobe sous les pieds. Il contacte une chose tellement invraisemblable qu’elle le conduit souvent dans une réaction de déni : « Non ! Ce n’est pas possible ! ».

Le choc est violent et la découverte de ce néant aussi. Avant cela, surtout chez ceux pour qui c’est un premier deuil, c’est une découverte incroyable, insoutenable. Ils n’auraient jamais imaginé qu’on puisse ressentir une telle chose.

Une telle réaction peut se produire face au défunt, mais aussi à l’annonce du décès par un tiers, de vive voix ou, cela arrive aussi, par téléphone.

Il se sent démuni, perdu, anéanti. Il peut rester prostré. Il ne perd pas connaissance, mais il perd contact avec le monde.

Cela dure un temps plus ou moins long, de quelques minutes à quelques heures à quelques semaines... parfois plus !

Cette femme dont le mari chute d’un arbre qu’il élaguait, le voyant gisant au sol comprend qu’il est mort. Elle a à peine le temps de comprendre que ses proches appellent les secours, que celle-ci est éloignée du corps dont « tout le monde s’occupe ». Ce n’est que plus tard qu’elle réalisera qu’on l’a éloignée du corps encore chaud de son mari… et qu’elle ne voulait pas cela. Sans le vouloir, croyant bien faire, on lui a volé ces derniers instants ! Mais elle n’avait pas la force de revendiquer quoi que ce soit en pareille circonstance, ni même d’être suffisamment consciente.

C’est une chose à laquelle, dans la mesure du possible, doivent penser les proches ou les secours. Sauf si le contexte le nécessite, il n’est généralement pas juste d’éloigner le sujet du proche qu’il vient de perdre. Il convient plutôt de permettre la proximité, de la favoriser… en tout cas de ne pas imposer un éloignement qui ne serait pas désiré.

Attention cependant de ne pas forcer non plus quelque chose qui ne serait pas souhaité. En matière d’accompagnement des êtres humains, nous devons être très prudent quant à tout protocole systématique. Le systématique en ce domaine est dangereux. Tout n’est qu’ajustement à ce qui est vécu ici et maintenant.

6.2Anesthésie (ne sent rien mais est affaibli)

Ce choc conduit à une anesthésie qui, dans sa forme la plus forte, peut aller jusqu’à une perte de connaissance. Ce fut par exemple le cas de cette femme dont le mari s’était suicidé après avoir tué leurs deux enfants. Il s’en suivit pour elle plus qu’une « simple » perte de connaissance : une semaine de coma. Elle put cependant, après, accomplir un cheminement profond vers un apaisement.

Mais dans ses formes moins violentes, le sujet va tenter de remonter, de raccrocher la réalité (ou d’en donner l’illusion, aux autres autant qu’à lui-même), de mettre en œuvre des actes. Il s’éloignera de son ressenti insoutenable en « faisant ce qu’il y a à faire ».

Nous aurons ici une anesthésie de la psyché, mais l’intellect et le corps pourront œuvrer efficacement.

Il peut même ainsi donner l’illusion « qu’il ne le prend pas si mal », tant il peut être efficace pour « faire ce qu’il y a à faire ». Il s’occupe des obsèques, parle avec les personnes présentes… évoque ce qui s’est passé. Mais il est déconnecté de lui-même. Il a un discours, mais pas de ressenti. Cela le préserve de l’insoutenable.

Il se sent mal, mais ce mouvement l’éloigne un peu de sa douleur et l’aide à tenir, au point que personne n’est en mesure d’imaginer ce qu’il vit.

Le sujet fait d’autant plus cela qu’il perçoit très vite que personne n’est capable d’entendre son ressenti ou son vécu. Tout le monde veut le rassurer, l’encourager, le tourner vers l’avenir, le détourner de lui-même… et du défunt. Il se met donc spontanément à ne plus rien évoquer à quiconque ne sait entendre… c'est-à-dire à tout le monde (ou presque).

6.3Résilience (anesthésie invisible)

Finalement, l’imprégnation culturelle faisant son effet, la personne elle-même peut être emmenée à ne pas s’entendre elle-même. Chez les personnes qui ont de l’énergie, cela conduit à se construire une vie d’action, de projets, de contacts.

Boris Cyrulnik parle de résilience pour dire qu’on a la capacité à se relever après un choc. Il dit aussi qu’on n’est pas, après, exactement comme avant, mais « un peu plus qu’avant » (Cyrulnik 2005 et 2006). Il se trouve que le mot résilience qu’il a choisi ne définit pas bien cet état de « un peu plus qu’avant », puisque le mot résilience désigne,  dans l’industrie de l’ameublement, par exemple pour un matelas ou un siège, que celui-ci est quand on se lève identique à ce qu’il était avant qu’on se mette dessus. Il est « comme si rien ne s’était passé ». Plus le taux de résilience est grand, plus il reste identique à lui-même.

De ce fait le mot « résilience » définit plutôt un état où on est « après exactement comme avant », et non pas un état où « après avoir intégré on est un peu plus qu’avant ». Cet état optimum devrait plutôt s’appeler « concilience » (et non résilience) car il n’y a pas de tentative de « résiliation », mais plutôt de « conciliation » entre ce que nous sommes et ce que nous avons été. Pour plus de précision à ce sujet, lire sur ce site la publication de novembre 2003  « Résilience ».

Dans cette phase il n’y a jamais de demande d’aide car nous y trouvons une sorte de « rémission » de la douleur (il peut même se faire, quand le sujet dispose de beaucoup d’énergie, que cette douleur n’ait même pas eu le temps d’apparaître). Cette accalmie permet sans doute, de continuer à vivre et de « grandir » jusqu’au jour où, si tout se passe bien, nous serons capable d’accomplir cette « conciliation » entre celui que nous sommes et celui que nous étions.

Cette phase peut s’assimiler à celle du marchandage où de multiples transactions avec la vie permettent de donner illusion à autrui, mais aussi à soi-même. Tant qu’il y a de l’énergie, cela fonctionne. Mais tôt ou tard, la vie reprend ses droits, généralement à l’occasion d’un fléchissement de l’énergie (échecs de projets, conflits avec des proches, contrariétés majeures, maladie… ou, au pire, avec l’âge où tout ce qui a été mis de côté revient).

6.4La création de symptômes

La vie tôt ou tard reprend ses droits, que ce soit au bout de quelques jours ou au bout de quelques années ou décennies. La vie réalise cela en produisant des symptômes. Attention : les symptômes ici ne reflètent pas une santé qui diminue, mais au contraire une santé qui est en train de revenir ! Nous trouverons ainsi la révolte du fait de l’immensité des douleurs éprouvées. Nous voyons alors une inversion des étapes de révolte et de marchandage, puisque le marchandage était une mise entre parenthèse des douleurs grâce à quelques stratégies temporairement apaisantes.

Dans le deuil, le symptôme majeur est la douleur (dolus). Celle-ci peut s’accompagner ou s’exprimer à travers diverses « manifestations » (je préfère ce terme à celui de « psychopathologie ») : pensées obsessionnelles, insomnies, fétichisme (avec des objets du défunt), dépression.

Ces manifestations qui rendent la vie si inconfortable ne doivent pas être envisagées sous l’angle de « ce qu’il faut soigner », mais sous celui de « ce qu’il faut entendre ».

*Maslow, Dr en psychologie,  se désole de notre « courant dominé par la tradition médico-thérapeutique d’éradication de la maladie. » (2008, p.68). Il ajoute « A ceux qui préfèrent voir plutôt qu’être aveugle, se sentir bien plutôt que se sentir mal, l’intégralité de l’être plutôt que l’infirmité, on peut conseiller de chercher la santé psychique » (2008, p.34).Il propose de ne plus être dans l’axe de l’éradication de la maladie, mais dans celui de la promotion de la santé. Il parle de « la bonne croissance vers l’accomplissement de soi » (p.31)

Ces manifestations constituent un lien ultime entre la conscience du sujet et ce que celui-ci rejette pour survivre. L’apparition de tels symptômes marque le fait que le sujet tente de passer de sa situation de survie (résilience) à une situation de Vie (concilience).

 

 

C'est-à-dire qu’il passe d’une situation de compensation à une situation de décompensation pour aboutir, si tout se passe bien, à une situation d’intégration

 

 

A ce stade, la difficulté pour le sujet est de se trouver entouré de proches et de praticiens qui veulent tous lui enlever ses symptômes pour qu’il « aille de l’avant » et « passe à autre chose ». Le pire est que lui-même peut en faire la demande explicite, tant il a vécu dans une culture de l’évitement, du déni et de l’anesthésie. Il se trouve surpris de ressentir tout cela et veut simplement s’en débarrasser. N’ayant pas la ressource pour le faire seul, il peut demander à un praticien de l’y aider et, si ce dernier ne connaît pas ces mécanismes, il risque de l’accompagner « à l’envers » en mettant en œuvre de nouveaux moyens d’évitement, alors que la situation revendiquait une intégration.

Le problème est que l’inconscient a trop souvent été vu comme source de troubles alors qu’il est empli de justesse et conduit généralement l’individu, grâce aux symptômes, à se rouvrir à lui-même, à retrouver son intégrité, à accomplir son individuation pour aboutir à une authentique et durable stabilité, à se « détroubler » (à être plus limpide, mieux individué, moins amputé de soi).

6.5Une longue quête (contre l’avis de l’entourage)

Voici une quête qui s’accomplira, même chez les sujets qui en sont conscient, contre l’avis de leur entourage. Cela ne leur rend pas la tâche facile et conduit nombre d’entre eux à ne plus parler de cela à personne.

Il éprouve non seulement une solitude de contacts, mais aussi une solitude culturelle, car notre culture ne nous a pas habitué à écouter ce que nous ressentons : le discours habituel est plutôt d’« être fort », de « ne pas s’écouter », de « se dépasser », d’« aller de l’avant », d’« être battant ». Le fait même d’être à l’écoute de soi a été souvent stigmatisé comme une attitude « narcissique », « nombriliste et égoïste » ! Comment en est-on encore à confondre le fait d’être « en amour de Soi » (intégration), avec le fait d’être en admiration de soi (égo, compensation). Le premier se rencontre, l’autre s’évite. Quel manque d’acuité que de les confondre !

Avec tout cela, faire un chemin différent devient héroïque !

Mais sans doute la vie est-elle plus forte et les symptômes frappent à la porte malgré tous ces « accompagnements à l’envers » qui viennent égarer. Les symptômes reviennent, se déplacent, ressurgissent. La vie se contorsionne pour remonter à la lumière, pareille à une herbe qui pousse sur le trottoir, malgré le goudron qui voudrait l’en empêcher.

6.6Le moment de concilience (accomplissement)

C’est le moment de « connexion » où se trouve la certitude qu’on n’oubliera jamais. Ce qui  avait été évacué de la psyché pour préserver un équilibre acceptable pendant une période plus ou moins longue va enfin pouvoir intégrer la conscience pour y trouver sa juste place (qui est toujours une place d’honneur).

Il convient de comprendre que ce qui est intégré, ce ne sont pas les évènements dramatiques qui se sont passés, mais les êtres qui s’y trouvaient. Cela n’est possible que quand la maturité permet de changer son regard et de passer d’une « connexion aux circonstances » à une « connexion aux êtres ». Le problème est que la connexion aux circonstances a souvent dominé la conscience du sujet et c’est pour cela qu’une distance s’est installée.

Au moment où la concilience s’accomplit, la douleur cesse instantanément. Il ne s’agit pas d’un long apprentissage. Il ne faut pas confondre cet « instant de concilience »  avec « l’apprentissage qu’il est nécessaire de faire pour vivre une vie sans la présence physique de celui que l’on a perdu ». Ce deuxième aspect peut prendre du temps, voire beaucoup de temps. Mais ce deuxième aspect n’est pas de même nature que la concilience qui, elle, se réalise en un instant (au moment où la maturité le permet).

Il faut comprendre que le défunt ne manque pas uniquement à cause de son décès et de son absence physique bien évidente, mais aussi à cause des multiples fractures (ruptures) qui se sont faites à cette occasion dans la psyché de l’endeuillé. Nous avons vu notamment la fracture d’avec le défunt par colère de nous avoir laissé (ou même « abandonné ») et celle d’avec soi-même au moment de la  nouvelle où le choc fut si violent que seule une « mise à l’écart de cette part de soi qui a vécu cela » est possible pour assurer la survie immédiate avec une anesthésie suffisante.

Ce qui se répare avec ce que nous venons de voir, ce sont surtout ces fractures. C’est heureux que cela puisse se faire avec un accompagnement psychothérapique car une fois cela réalisé, l’étape d’apprentissage de la vie sans la présence physique de l’autre en devient beaucoup plus accessible. Sans cela cet apprentissage est quasiment impossible et j’ai déjà vu, dans mon cabinet, des personnes ayant vécu la perte d’un être cher il y a plus de trente ans s’assoir et pleurer comme si c’était arrivé hier… puis ces fractures n’étant plus là par concilience… terminer leur deuil instantanément.

Dans les cas où le décès est « prévu » (comme dans les situations de maladies fatales), une chose qui peut permettre de terminer le deuil plus vite est de ne pas avoir de fractures antérieures avec le défunt. Pas de fractures du genre « conflits non résolus » ou « colères rentrées » ou « secrets de famille », mais aussi plus simplement, pas de fractures du genre « on ne s’est pas assez rencontré, on ne s’est pas dit ce qu’on aurait aimé se dire, on ne s’est pas montré ce qu’on ressentait ». D’où, quand cela est possible, la nécessité de partager réciproquement ses ressentis, ses émotions avec celui qui va décéder, quitte à partager des larmes (voir le livre de Marie de Hennezel « Nous ne nous sommes pas dit au revoir »). Naturellement cela n’est possible que quand le décès est connu comme étant proche.

Tout ce que nous venons de voir va au delà des situations où la date à venir du décès est connue (uniquement dans sa probabilité, car en la matière les certitudes absolues n’existent pas)… cela concerne toute situations où un être souffre du « départ » d’un proche. Cela concerne toute situation de deuil ou la douleur (le dolus) crée un lien en attendant le moment de concilience, tout en passant par des phases d’anesthésie plus ou moins profonde et de colère plus ou moins grande.

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7   Autres deuils

Dans cette publication j’ai volontairement omis de parler des autres types de deuils.

Quelqu’un qui perd son travail, quelqu’un qui divorce, quelqu’un qui doit quitter un pays, quelqu’un qui change de carrière, quelqu’un qui se retrouve à la retraite, quelqu’un dont l’enfant ne fait pas le mariage espéré, quelqu’un qui ne peut avoir d’enfant, quelqu’un qui doit subir l’amputation d’un membre ou d’un organe, quelqu’un qui se retrouve handicapé… autant de situations où un être peut se retrouver en situation de deuil.

Même si la notion de deuil dans chacune de ces situations est juste, je souhaitais ne pas les mêler à la perte d’un être.

Il serait cependant inconvenant de dire ce qui est le plus douloureux, car la douleur éprouvée ne dépend aucunement de la gravité de la situation, mais avant tout de la façon dont le sujet l’éprouve. Il se peut même, dans certains cas, qu’une personne devant simplement déménager souffre plus de perdre son ancien logement qu’une autre ne souffrira de la perte d’un être cher (comme nous l’avons vu pour cette femme qui, perdant son enfant, « vit un merveilleux moment où elle a la sensation de l’avoir mis au monde une seconde fois »). Néanmoins, quand la douleur du déménagement est si importante, celle-ci est souvent reliée à des vécus existentiels antérieurs qui n’ont jamais été entendus et réhabilités. Par exemple ce monsieur qui quittant un lieu d’habitation quitte un lien avec ses racines qu’il n’a jamais pu construire du fait d’une vie familiale douloureuse, où se trouve la mort de son père dans l’enfance… le simple déménagement est douloureux parce qu’il est en lien avec d’autres parts de soi très importantes.

Cependant, la perte d’objet ou de situations ne peut être mise en balance avec la perte d’un être. D’ailleurs, souvent les gens ayant été en situation de risquer de perdre leur vie ou celle d’un proche se retrouvent à relativiser beaucoup de choses, à pointer les valeurs existentielles, et réalisent que « tant qu’il y a de la vie… ! ». Quand il n’y a plus de vie il se passe quelque chose de particulier, et de si fort, qu’en situation ordinaire, cela est inconcevable.

Nous pourrions cependant parler de deuils dans bien des situations, dont certaines peuvent être infiniment douloureuses (et sont également mal comprises et mal accompagnées) sans pour autant qu’il ne s’agisse de la perte d’un être cher.

Cela pourrait être traité dans une autre publication car je souhaitais vraiment évoquer ici, dans une place qui lui est spécialement dédiée, la blessure de la perte d’un être cher. Il s’agissait de comprendre ce qui se passe en pareille situation, comment nous nous en sortons spontanément, et surtout comment cela peut être accompagné avec pertinence autour du sujet si tabou que représente la mort.

Thierry TOURNEBISE

   

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Bibliographie

DE HENNEZEL, Marie
-Nous ne nous sommes pas dit au revoir – Robert Laffont 2000
-La mort Intime -

CYRULNIK, Boris
-Le murmure des fantômes - Odile Jacob poches, Paris 2005
-De chair et d’âme – Odile Jacob, Paris 2006

JASPERS, Karl
-Psychopathologie générale – Claude Tchou, 2000

KÜBLER ROSS, Elisabeth

-Avant de se dire au revoir -Pocket Presses du Châtelet 1999
-Les derniers instants de la vie – Labor et Fides 1975
-Mémoires de vie mémoires d’éternité – Pocket Jean-Claude Latès 1998

MASLOW, Abraham
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

PELISSOLO, Antoine
« Sciences Humaines » les grands dossiers : « les troubles mentaux » - revue n°20 septembre octobre novembre 2010

 Liens internet

Interne au site

Reformulation. novembre 2002

Psychopathologie avril 2008

Résilience novembre 2003

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