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Causalité et finalité
origines du symptôme en psychologie

juillet 2014    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Nos raisonnements opèrent culturellement en termes de causalités. La causalité suppose un enchaînement événementiel depuis un point initial vers un point final, parfaitement organisés du passé vers le futur. La notion de causalité est ainsi accolée à celle de temporalité (axe et sens). Sans y regarder de plus près, il ne semble pas pouvoir en être autrement. Les lois de la thermodynamique, dont l’entropie, orientent notre regard du passé vers le futur et une autre possibilité ne nous vient même pas à l’esprit, sauf à passer par les contes de fées ou par la science fiction.

Or, si le présent se produit en conséquence de causes antérieures, il semble aussi se produire en fonction de sources ultérieures (au minimum avec les projets). L’introduction du « futur » comme source du présent a-t-elle un sens et une utilité ? Il se trouve qu’envisager la psychothérapie sans cette notion voue le praticien (et surtout le patient) à bien des déboires, et que la situation clinique exige un remaniement des paradigmes habituels.

Il convient cependant d’aborder le sujet d’une façon aussi pragmatique que possible, sans recherche d’effets philosophiques ou métaphysiques, avec toute la précision et la rigueur possibles, avec une créativité et une sensibilité débridées, un raisonnement plus inductif (du général vers le détail) que déductif (du détail vers le général), mais qui n’oublie jamais la réalité du terrain concret.

Sommaire

1 Horizons et paradigmes
- Le temps séquencé – L’exploration presque libre du séquençage –Planétairement libre – Le cas des accès dans la psyché

2 Causalité et finalité en biologie
La causalité – La finalité

3 Causalité et finalité en physique
La causalité – la finalité

4 Causalité et finalité en psychologie
La causalité – Au-delà de l’événement… un ressenti – La finalité – Notion de déploiement – Exemples cliniques

5 Oser un nouvel horizon
La cible – Des trésors ou des sorcières ? – Passé, présent, futur, atemporalité – Corrections ou accomplissements

6 Psychologie du moi et du Soi
Psychologie du moi – Psychologie du Soi – Psychologie positive

Bibliographie

 

1   Horizons et paradigmes

Dimensions et horizons sont des notions essentielles pour comprendre notre perception du monde. L’horizon depuis un sillon ou une tranchée ne peut être qu’un point, devant ou derrière. Les autres directions nous sont alors inaccessibles, inconnues, ou même inconnaissables ! Bien souvent les paradigmes qui fondent nos pensées, en fonction de notre culture ou de notre éducation, limitent notre vision à celle que l’on a depuis un seul point de vue, voire depuis le fond d’un sillon… ils nous occultent l’entièreté du monde. C’est un peu comme si, géométriquement, nous n’avion accès qu’à la seule étendue d’une droite, alors qu’il y a tout un plan à explorer.

Cette simplification linéaire, sans doute utile dans un premier temps, est cependant très limitatrice pour une âme de chercheur. Regarder en dehors des limites nécessite alors témérité et candeur afin de découvrir des nouveautés, mais aussi rigueur et précision, afin de ne pas s’égarer dans quelques feux d’artifices métaphysiques, séduisants mais trop souvent illusoires.

1.1 Le temps séquencé

Sur un disque vinyle, une tranchée presque circulaire (en spirale) contient des ondulations gravées  qui font vibrer le diamant. Celui-ci délivre un son séquencé du passé vers le futur. Pour entendre la musique suivante, il faut passer par la musique précédente. Vouloir faire un saut plus loin revient à accepter une dose de hasard, car il est quasiment impossible de tomber exactement où l’on veut. Ce parcours unidimensionnel nous offre peu de repères.

Le séquençage du passé vers le futur est quasi incontournable et on ne peut auditionner un point suivant sans passer par le point qui le précède.

Le sillon est une forme unidimensionnelle (ligne) placée dans un espace bidimensionnel (surface du disque). Vu depuis le fond du sillon (de la tranchée) l’horizon est ponctuel et ne permet pas d’avoir connaissance de ce qui se trouve sur les côtés. On pourrait même dire que ce qui s’y trouve juste devant cache ce qui se trouve juste après, car tout ce qui se trouve dans un sillon ne peut-y être qu’aligné... Finalement il ne s’y trouve même pas d’horizon ! Non seulement on n’y voit que dans une direction, mais on ne peut y voir que ce qui se trouve juste devant ou juste derrière soi. Les graines qui se trouveraient semées dans un champ ne peuvent « voir » que la graine immédiatement située juste devant ou derrière. Voir plus loin leur est impossible… et voir dans les autres sillons latéraux, encore plus inaccessible !

1.2 L’exploration presque libre du séquençage

Avec le CD, nous pouvons aller au morceau suivant exactement à son début, sans tâtonnement. Nous sommes cependant obligés de faire se succéder tous les débuts de morceaux pour trouver celui que nous cherchons. Même si nous pouvons y opérer des sortes de « sauts temporels » pour aller plus loin, nous devons aussi suivre la ligne séquentielle des trous gravés que lira le faisceau laser.

Pour réaliser ces « sauts temporels » de façon satisfaisante, sans tâtonnement, nous devons ajouter une dimension : le menu inscrit sur la pochette (feuille bidimensionnelle- plane) où s’étend la liste des titres et les numéros des plages. De ce fait, nous pouvons accéder directement au morceau désiré. L’ajout de cette « carte » (plan bidimensionnel), permet d’aller droit au but… mais n’oublions pas que nous nous plaçons au dessus pour la lire, et que cela revient à se placer dans une troisième dimension (lire un texte en se plaçant sur la tranche de la feuille nous serait impossible).

Le menu sur la pochette (plan bidimensionnel), vu de dessus (troisième dimension) nous permet d’aller directement où l’on veut, sans que le hasard nous place à un endroit non désiré. Les numéros de plage sont parfaitement identifiés. L’horizon n’est plus un point, mais une surface (celle de la feuille sur la quelle se trouve la liste des morceaux).

Concernant le sillon voisin, nous pourrions avoir plusieurs sillons parallèles, comme dans le champ de l’agriculteur. En ce cas, passer d’un sillon à l’autre reviendrait à « changer de monde ». Or le sillon du disque est d’une autre nature. C’est une spirale et le sillon apparemment voisin n’y est autre que le même sillon un tour plus loin. Un tel saut revient à un changement de place temporelle dans le même monde, et non à un changement de monde.

1.3 Un accès libre du séquençage

L’enregistrement mp3 sur un disque dur ou une mémoire flash ne nécessite plus une telle continuité des données. C’est un logiciel qui peut « décider » de la succession des morceaux. L’écoute se fait successivement, mais on peut commencer par celui de la fin continuer par celui du début et terminer par celui du milieu. Le séquençage des morceaux inscrits n’est même plus assujetti à l’emplacement dans la mémoire. Il ne s’agit plus de se situer « ailleurs sur un même sillon en spirale » mais plutôt de visiter plusieurs « mondes », qui ne sont pas forcément alignés entre eux (plusieurs albums différents peuvent  être enregistrés sur plusieurs mémoires connectées, et l’on peut  passer de l’un à l’autre sans difficulté. L’album n’est alors plus une entité physique, mais le choix de l’auditeur.

Un menu regroupant plusieurs mémoires peut être lisible sur un écran (pas besoin de pochette), qui est tout de même lui aussi bidimensionnel.

Quelque soit la disposition spatiale des musiques, l’ordre de lecture peut être librement choisi. On peut même y ajouter des morceaux à notre gré, ou en retrancher. L’explorateur mélomane se retrouve ici avec la vastitude d’un univers à explorer, libéré de la tranchée, du sillon, de la ligne qui lui limitait l’horizon.

1.4 Planétairement libre

Avec le Web, la mémoire peut se situer n’importe où dans le monde avec plein d’interconnexions. Elle a perdu sa localisation délimitée et peut être « appelée » localement dans un ordre choisi… depuis n’importe où sur la planète.

Il n’y a plus d’avant ou d’après. Il y a simplement des musiques disponibles qui peuvent être demandées par genres, par durées, par auteurs, par titres, par instruments, etc.

La disposition des informations est mondialement spatiale (tridimensionnelle) et lisible localement dans un présent qui se place sur une ligne entre un présent et un futur. Il n’y a plus de sillon, mais il y a néanmoins une nécessité d’écoulement temporel pour entendre la musique qui se déroule toujours du passé vers le futur.

1.5 Le cas des accès dans la psyché

Plusieurs modes se côtoient. Pareillement au sillon du vinyl, la pensée par déduction fonctionne avec un séquençage du passé vers le futur. La notion de causalité y organise les informations en succession logique. Notre histoire et ses explications se trouvent ainsi organisée suivant un fil temporel du passé vers le futur : Je manque d’attention, la tasse m’échappe, elle tombe, elle se brise !

Pourtant, la psyché ne semble pas répondre uniquement à ce critère temporel. Des sauts fortuits peuvent se produire et rendre contemporains les uns des autres des événements de différentes époques. Marcel Proust a remarqué de telles juxtapositions soudaines, et la contemporanéité d’époques différentes a été l’une de ses fascinations. La saveur des madeleines qui rappelle sa tante, ou la couleur des toilettes qui fait jaillir le bureau de l’oncle :

« À l’instant même où la gorgée mêlée de miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de cause. […] J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? [...] Et je commence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique.[…] Je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré à une grande profondeur ; […] Et tout à coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray […] ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul » (Proust « A la recherche du temps perdu I » -La Pléiade 1960, pp. 46-47)

Il constate cette émergence comme une sorte de « déflagration entre le passé et le présent ». Il avait la capacité d’en être conscient.

« Mais, séparé des lieux qu’il m’arrivait de retraverser par toute une vie différente, il n’y avait pas entre eux et moi cette contiguïté d’où naît, avant même qu’on s’en soit aperçu, l’immédiate, délicieuse et totale déflagration du souvenir » (Proust « A la recherche du temps perdu III » -La Pléiade 1959).

En psychologie, on appelle cela des « déplacements », c'est-à-dire que la perception d’une personne ou d’une situation conduit vers la vision d’une autre personne ou situation. Cela produit des impressions émotionnelles sans rapport avec le présent, mais tout à fait justifiées par rapport au passé ainsi rappelé. Ces impressions sont alors injustement attribuées au présent alors qu’elles viennent d’une antériorité le plus souvent inconsciente.

En thérapie analytique, il se passe une chose du même ordre quand le patient fait un « transfert » envers le praticien, qui alors va utiliser cela pour aider celui qui le consulte à conscientiser une émotion et sa vraie source.

Finalement ces « déflagrations spatiotemporelles » jalonnent notre existence et l’on peut même préciser que nos symptômes appelés « psychopathologies » sont souvent des manifestations de cette nature, appelant un passé à être contemporain de notre présent. C’est un peu comme si des « sillons temporels juxtaposés » ouvraient un passage entre eux. Une sorte de « porte vers les étoiles qui sont en nous » ouvrant des accès directs dans notre univers intérieur. Les astro physiciens, concernant l’espace temps, parleraient de « trous de vers ».

Nous pouvons examiner ce phénomène sous l’angle de la cause ou de la source. En effet, si la source est dans le passé c’est bien une cause (faisant raisonner en termes déterministes de causes et de conséquences). Mais il semble arriver que la source ne soit pas dans le passé  et soit plutôt contemporaine du présent (rétraction du temps) ou dans le futur (projet d’avenir, finalité). Il nous faut alors revisiter les diverses possibilités pour couvrir au plus près la nature des phénomènes observés.

Les symptômes (manifestations) sont alors un peu comme des menus d’accès sur une pochette de CD, ou un type de musique à trouver sur le Web. Ils peuvent être utilisés comme des « portes » vers ce qui, en nous, appelle notre attention.

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2   Causalité et finalité en biologie

2.1 La causalité

La biologie sait parfaitement raisonner en termes de causalité. Le déterminisme, dont la logique commence par une cause et se poursuit par une conséquence, est au cœur de son analyse. Bien des problèmes de santé trouvent ainsi leur origine et l’on peut en déduire les remèdes à apporter : un toxique engendre une intoxication, un virus ou une bactérie provoquent une maladie, un manque d’exercice cause une fragilité corporelle, d’un manque de calcium/magnésium il résulte un état plus nerveux etc… quand nous trouvons un caillot de sang il y a une possibilité de thrombose, d’embolie, d’infarctus, d’AVC… etc.

Ce raisonnement déterministe, en recherche de causalité, est très utile en bien des situations. Il permet de résoudre de nombreuses équations vitales. Cependant nous n’y trouvons que peu d’informations systémiques suffisamment riches pour tenir compte d’une réalité plus complète.

Si l’agent infectieux est bien source de la maladie, les défenses immunitaires du sujet sont aussi en cause. En effet, certaines personnes « attraperont » la maladie et pas d’autres. La question est alors de savoir ce qui fait les défenses immunitaires : génétique, hygiène de vie, toxiques (pollution), exposition antérieure, situation iatrogène (effets secondaires de médicaments)… ou même la psychologie du sujet.

En fait les causes sont multifactorielles, et si nombreuses qu’il est difficile d’être exhaustif. La précision absolue étant inatteignable, nous n’aurons toujours que des approximations qui se doivent d’être suffisantes (mais quel est le seuil de précision adéquate ?).

2.2 La finalité

Si la biologie sait fonctionner de façon déterministe, elle fonctionne aussi d’une autre façon assez inattendue. Elle place la finalité comme source :

On n’a pas un organe « à cause » de, mais « spécialement pour ». On a un estomac pour digérer, un cerveau pour penser, des yeux pour voir, une bouche pour manger.

Cette façon de placer le projet comme source revient à placer la cause dans le futur. Mais de ce fait ce n’est plus une « cause » (puisque le mot désigne une antériorité) mais une « source » placée dans un temps à venir. Cela se désigne par le mot « téléonomie » (teleo, telos [achèvement] –nomos [règles]). Dans ce cas, c’est « l’état achevé » qui donne les « règles d’accomplissement ».

L’évolution selon Charles Darwin ne suit pas ce principe de « source dans le projet ». Elle résulte plutôt d’une adaptation subtile engendrée par le fait que le mieux adapté (et non le plus fort)  survive plus que les autres. Avec une très grande subtilité, Darwin a même observé qu’arrivé à l’homme, la règle qui prévaut pour être le mieux adapté, est de savoir prendre soin du plus faible :

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti-éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73).

La faiblesse devient un avantage pour la survie :

« Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’Homme et l’Homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence et de l’éducation des jeunes (dont le propre est d’être "sans défense"). » (Tort, 2010, p.66).

L’évolution n’est donc pas vue en termes de finalité. Pourtant, la plupart des définitions en biologie se font sur un mode téléonomique. Jacques Monod (1910-1976 biologiste, biochimiste, prix Nobel de physiologie ou médecine) propose même cela comme une des règles du vivant, qui se distingue des objets. Il propose la notion de principe interne autonome (axe intime), d’invariance reproductive (transmission génétique), et de téléonomie (réalisation d’un projet).

« La notion de téléonomie implique l’idée d’une activité orientée, cohérente et constructive » (« Le hasard et la nécessité », Jacques Monod, Point Seuil 1970 p.67)

La notion de finalité s’insinue alors en biologie. Même si Jacques Monod souhaite rester à l’écart de la « téléologie » (étude des finalités en philosophie), il nous propose de seulement considérer une activité orientée, cohérente et constructive.

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3   Causalité et finalité en physique

3.1 La causalité

La physique est un des domaines où le déterminisme est très fort. Il semble même indétrônable du fait des 3 principes de la thermodynamique

Principe zéro : Équilibre thermique (système global)
Principe 1 :       Conservation de l’énergie (globale)
Principe 2 :       l’entropie, ou irréversibilité des phénomènes (avec un désordre croissant)

Ceci oriente la flèche du temps, et accrédite le déterminisme qui se déroule invariablement du passé vers le futur. Les particules de signes contraires (particule et antiparticule : par exemple électron et positron) sont une même particule dont on peut mathématiquement interpréter que l’une va vers le futur, l’autre vers le passé. Mais le principe d’entropie interdit cela, et propose que la seule possibilité soit deux particules de signe contraire, toutes deux orientées du passé vers le futur.

Cependant, si l’on en croit les données actuelles, l’univers n’a pas dit son dernier mot : seuls 5% de ce qui le constitue est aujourd’hui accessible à nos investigations les plus élaborées. Avec ces  95%  d’ignorance, le plus savant des savants représente bien ce que répondit un jour Louis Leprince-Ringuet (physicien, 1901-2000) à un journaliste fasciné par les savants : « un savant c’est juste quelqu’un dont l’ignorance a quelques lacunes ».

3.2 La finalité

La notion de finalité apparaît en astrophysique. Ouvre-t-elle une brèche vers ces 95% ? Trinh Xuan Thuan,  astrophysicien connu et reconnu (vietnamien, contemporain, né en 1948) pose la question « Le monde s’est-il créé tout seul ? » (Albin Michel, 2008).

Avec l’astronome britannique Brandon Carter, il propose l’idée d’anthropie (de anthropos : homme). En effet, les constantes de l’univers sont telles, qu’une infime différence dans leurs valeurs initiales aurait compromis tout ce qui s’y trouve. Trinh Xuan Thuan  utilise déjà ce terme dans son ouvrage « La mélodie secrète – et l’homme créa l’univers » (1991, p.278).

« Il faut savoir que les propriétés de l’univers sont déterminées par une quinzaine de nombres appelés "constantes fondamentales de la nature", ainsi que par son état physique au moment de sa naissance – ce qu’on appelle les conditions initiales.[…] Nous avons pu mesurer ces nombres avec une très grande précision.[…] La précision du réglage de l’expansion de l’univers étant de 10-60, si nous invoquions le hasard pour en rendre compte, il faudrait postuler l’existence de 1060 univers différents, chacun avec sa propre combinaison de conditions initiales et de constantes physiques. » (Trinh Xuan Thuan, 2008, pp. 39-46)

A titre d’ordre de grandeur, selon les scientifiques, l’univers visible compterait 1080 atomes.

Le terme « anthropie » fut tentant, car il est phonétiquement identique à « entropie », tout en signifiant le contraire : l’un parle d’ordre croissant, l’autre d’ordre décroissant. Mais bien qu’il aborde ce sujet avec finesse,Trinh Xuan Thuan n’hésite pas à remettre le mot en cause :

« le terme "anthropique" est mal choisi, car il sous entend que l’univers est réglé pour la seule apparition de l’homme. Or cet anthropomorphisme n’est pas de mise. En fait l’univers est réglé pour l’émergence de n’importe quelle vie et conscience » (ibid., p.37)

Au lieu d’anthropie, nous trouvons parfois le terme « néguentropie » (ou entropie négative) pour évoquer cette idée d’ordre croissant. C’est ce que nous propose Jean Charon, (physicien 1920-1998) dans son ouvrage « Je vis depuis quinze milliards d’années » (Albin Michel-1983, p.28)

De son côté, Henri Bergson, (Philosophe, 1858-1941) a beaucoup travaillé sur la notion de temps et nous  écrit :

« Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain ; elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir » (Bergson, 2006, p.15)

Nous nous trouvons ainsi des concepts chamboulés sur le plan de la physique. Voici que même cette science rigoureuse s’autorise à examiner l’horizon hors du sillon, sans pour autant abandonner la rigueur de son approche.  

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4   Causalité et finalité en psychologie

4.1 La causalité

En psychologie, les anciennes circonstances de la vie semblent être à la source de bien des ressentis ultérieurs. Comme nous l’avons vu avec Marcel Proust, un ressenti d’aujourd’hui est implicitement dépendant d’une circonstance antérieure. L’exemple de la madeleine nous donne un tel lien produisant quelque chose d’agréable, mais nous avons aussi d’autres liens produisant des choses désagréables : quelqu’un qui a eu un accident de la route peut devenir phobique des véhicules. Ici le lien est évident, mais dans certaines situations il est plus discret.

Nous avons ainsi l’exemple de cette personne qui, ayant un trouble phobique concernant la vitesse en voiture, retrouve qu’enfant elle était assise à côté de sa mère qui conduisait… en lui annonçant qu’elle ne verrait plus jamais son père du fait de leur divorce et de leur expatriation (ici, il ne s’agit pas d’accident, mais d’une circonstance majeure toute aussi bouleversante). Après avoir abordé cela en psychothérapie, et qu’elle eut pris soin de cette enfant bouleversée, son trouble phobique disparut aussitôt.

Une circonstance crée dans la psyché une marque temporelle, qui assujettira les perceptions ultérieures. S’il y a eu un bonheur, ce qui y ressemble sera recherché, s’il y a eu un malheur, ce qui y ressemble sera évité. Pour un être, les événements de sa vie semblent engendrer son futur. Son présent dépend alors de son passé, et il est habituel, en psychologique, de considérer que bien des états actuels dépendent de notre enfance. Mais cette notion d’événements comme cause n’est pas tout à fait satisfaisante, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’une même circonstance ne marque pas tout le monde de la même façon.

4.2 Au-delà de l’événement… le ressenti

En réalité, la causalité antérieure ne vient pas tant de l’événement que de la façon dont celui-ci a été vécu. Selon le bagage dont il dispose, un être ne vit pas une circonstance de la même façon. Un enfant qui se sent bien chez ses parents aimants éprouvera peut-être douloureusement l’année où, pour des raisons techniques, ceux-ci doivent l’envoyer en colonie de vacances. Pour un autre enfant, vivant chez des parents violents, ce temps en colonie de vacances sera ressenti comme une bénédiction. Le contexte est bien plus vaste que l’événement proprement dit.

La vraie cause n’est pas le factuel, mais ce qui est éprouvé quand celui-ci s’est produit. En psychothérapie, nous ne cherchons pas les circonstances qui ont marqué la vie, mais plutôt les vécus majeurs qui ont été éprouvés. La cause ne se situe pas dans l’événementiel, mais dans l’émotionnel éprouvé à cette occasion. Si la circonstance joue un rôle de déclencheur, elle n’est pas vraiment l’origine : la véritable source, c’est le ressenti ! C’est lui qui pose une marque dans la psyché.  La mémoire des ressentis est bien plus importante en thérapie que celle des événements... et cela tombe bien, car elle est beaucoup plus accessible !

Ce qui est souvent oublié chez les praticiens, c’est que l’anamnèse, qui  consiste à recueillir l’histoire de vie du patient, ne reflète en rien ce qu’il a vécu si on se limite à l’événementiel. Ce simple point mérite déjà une grande précision dans l’investigation thérapeutique.

Cependant, même en plaçant le ressenti clairement au premier plan, il convient d’aller plus loin, et de ne pas se contenter de la notion de causalité. Le ressenti éprouvé laisse une marque… et engendre un projet. De ce fait, la vraie source de ce qui suivra n’est ni la circonstance, ni l’émotionnel, mais le projet qui est « décidé » (inconsciemment) à cette occasion.

La finalité est ici un élément majeur. Elle bouleverse nos mécanismes cognitifs habituels. Nous retrouvons une forme de téléonomie telle que nous l’avons évoquée en biologie et en physique.

4.3 La finalité

Les besoins de la psyché créent un projet suite à un vécu. Ces besoins sont :

1/La complétude (quête d’individuation, d’intégrité)
2/La sécurité (protection contre les surcharges émotionnelles non intégrables)

Le premier point est assuré par une pulsion de Vie, le second par une pulsion de survie. Nous pouvons parler de « pulsions » car ces mécanismes sont inconscients et ne dépendent que très peu de notre volonté. La première est garante de la cohésion, la seconde de la protection. La première fait que tout ce qui est Soi ne soit pas perdu. Au final, intégration directe ou reportée, le projet est toujours la complétude (individuation). Mais pour que celle-ci s’accomplisse sans risques, la pulsion de survie va parfois temporairement séparer de la psyché ce qui est émotionnellement trop chargé. L’intégration sera alors différée.

Le praticien, qui veut investiguer un symptôme psychologique pour découvrir une psychopathologie et son origine, trouvera ainsi ses pistes brouillées. En effet, cette manifestation est davantage le signe d’une tentative de retour à la santé psychique que d’une maladie. Elle n’est autre, pour la pulsion de Vie, qu’une façon de maintenir un contact possible entre le Soi et ce qui en a été séparé*.

*Par exemple dans le cas cité où il y a une phobie de la vitesse, la femme adulte a peur en voiture pour ne pas oublier la petite fille qui a été choquée d’apprendre qu’elle ne reverrait plus son père (la circonstance analogue étant la voiture puisque sa mère le lui a annoncé en conduisant).

Les effets ultérieurs résultent davantage de ce projet de complétude que de ce qui s’est passé, ou même que de ce qui a été ressenti. Reprenons le séquençage :

1/ Un événement se produit.
2/ Un ressenti est éprouvé (dépendant de ce dont on dispose déjà)
3/Il s’en suit :
-soit un déploiement du Soi (intégration directe). Maturité spontanée.
-soit un clivage du Soi (intégration reportée). « Fracture » de la psyché, mécanisme de sécurité isolant ce qui est trop douloureux.
4/Dans le cas de clivage, un projet jaillit aussitôt (en vue d’une intégration ultérieure). Il sera source d’un symptôme qui, pareil à une balise, permettra de ne pas perdre ce qui a été écarté de Soi.

L’événement est une fausse cause. Naturellement, s’il ne s’était pas produit, il n’y aurait pas eu ce ressenti et, de ce fait, aucun symptôme n’aurait été nécessaire dans le futur. Pourtant, le ressenti ne vient pas de l’événement à proprement parler : il vient de ce qu’on en fait… c’est cela qui pourra être revisité tout au long de la vie ! On ne peut pas changer ce qui s’est passé, mais on peut toujours changer ce qu’on en fait (il en résulte que les thérapies soient possibles).

En cas de surcharge émotionnelle, le vécu trop éprouvant est la cause réelle (et non la circonstance). La pulsion de survie réalise à cette occasion un clivage (du Soi, et non du moi) qui se trouve en être la conséquence. Attention : ce n’est pas le choc qui « brise » la psyché, mais la psyché qui s’« autoclive » pour se protéger.

Cette conséquence est salutaire à notre intégrité. Bien que morcelés, nous pouvons ainsi poursuivre notre vie sans être « écrasés » par trop de charge, puis gagner en maturité pour un jour accomplir l’intégration. Concernant le symptôme qu’on retrouve plus tard, et dont s’occupent les praticiens, nous trouverons deux sources :

1/la première source est dans le passé. C’est une « cause » : le vécu éprouvé engendra une auto fracture de la psyché (Nous avons bien un séquençage du passé vers le futur).

2/ La seconde source est dans le futur (projet) et ne peut se nommer « cause ». Elle est une influence téléonomique favorisant un présent propice à l’intégration (nous avons ici « un futur source d’un présent »).

Cela nous conduit à préciser une notion très importante : un symptôme ne se produit pas seulement « à cause de quelque chose » (ressenti antérieur), mais aussi « spécialement pour un accomplissement » (intégration ultérieure). C’est ce deuxième point qui est trop souvent ignoré dans les psychothérapies (pour ne parler que de celles qui s’occupent du ressenti et ne se limitent pas aux circonstances… car ces dernières sont bien loin de notre propos).

4.4 Notion de déploiement

Le moi

Le moi évolue selon le cycle naturel « croissance, maturité, décroissance ». Nous y trouvons des stades de développement nous permettant d’élaborer notre personnalité. Mais attention : le moi (ou personnalité) n’est pas ce que nous sommes. Il représente les stratégies que nous utilisons pour faire face au monde. Freud en disait qu’il est comme l’hydre qui, avec ses pseudopodes urticants,  attrape les proies ou chasse les prédateurs (Freud, 1985, p55-56). Il ne constitue pas notre « humanité » mais notre capacité de survie. N’oublions pas que la personnalité, c’est le personnage (persona signifiant  étymologiquement « masque de théâtre »). La personnalité n’est pas « qui nous sommes » mais « à quoi nous jouons pour gagner la partie » ! Les tests de personnalité n’indiquent donc pas intimement « qui nous sommes » mais « comment nous faisons face au monde ». Ils ne sont pas analyse d’identité mais analyse de stratégies adoptées.

Le Soi

Le Soi évolue en se déployant continuellement. Il nous arrive de l’éteindre, car nous n’osons pas être, mais il est là, en déploiement continu, réclamant de voir le jour à chaque instant. Pour le « moi » nous parlerons de croissance, pour le « Soi » nous parlerons de déploiement.

Carl Gustav Jung a introduit une psychologie du Soi. Cependant, aujourd’hui encore, la distinction entre le moi et le Soi reste floue. J’ai consacré une publication spécifique sur ce thème qui vous fournira, le cas échéant, les précisions nécessaires (« ça, moi surmoi et Soi » novembre 2005). Débordant les limites freudiennes, Jung tente de nous proposer une dimension supplémentaire, nous conduisant à l’idée d’individuation (et non plus de développement). Abraham Maslow, de son côté nous propose que l’on devienne qui l’on a à être (tout ce que l’on a à être) avec une grande confiance en les qualités qui fondent l’humain. Frans Veldman (père de l’haptonomie) évoque cette capacité à voir le « bon en l’autre, présent et en devenir ». Carl Rogers, vers la fin de sa vie, se soucie de la notion de « présence dans un espace transcendé » où se trouvent le patient et le praticien.

Tous ces visionnaires proposent à notre attention cette dimension spéciale où il semble qu’il s’agisse plus de déploiement que de développement.

Nous trouvons trace de l’idée de déploiement chez Gottfried Wilhem Leibnitz (célèbre philosophe et mathématicien) qui présente l’unité de conscience comme une « monade » (un « atome de conscience »)*. Elle contient tout, et même la totalité de l’univers. Celle-ci est une totalité, mais tellement repliée qu’elle en est initialement ponctuelle. Elle n’évolue pas… elle se déploie, se déplie (une sorte de « big bang psychique » !). Selon les types de déploiements engagés, le sujet prend un aspect plutôt qu’un autre (potentiellement « contenant tout en permanence »). Gilles Deleuze a repris ce travail de Leibniz dans son ouvrage « Le plis » (1988)**.

*« Monadologie » – Leibniz, Gottefreid Wilhelm -Flammarion, 1999
**«  Le plis » Deleuze, Gilles -Les Éditions de Minuit, 1988

Ces notions de Soi et de déploiement bouleversent aussi les idées de causalités. Selon Jung :

« Le Soi embrasse non seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente et constitue de ce fait pour ainsi dire une personnalité plus ample, que nous sommes aussi…. » [1973, p462] « Ma conscience est comme un œil qui embrasse en lui les espaces les plus lointains, mais le non-moi psychique est ce qui, de façon non spatiale emplit cet espace. » [p. 450]*

*«  Ma vie » - Carl Gustav  Jung, -Folio  Gallimard, 1973

Tout se passe comme si « le futur contemplait le présent », autant que « le passé engendre le futur ». Les interactions sont multiples et tout doit être considéré dans une « hypersystémie ». Ces nuances semblent bien correspondre au phénomène que l’on observe dans la psyché sur le plan clinique. Il se pourrait qu’il faille se résoudre à ne pas s’accrocher aux notions de temps et d’espace pour aborder ces possibilités de « sources causales » ou de « sources téléonomiques ».

4.5 Exemples cliniques

Au-delà de Kronos (temps) et de Topos (lieu), dans un « quelque part » ni spatial ni temporel (uchrotopique*), se trouve la psyché œuvrant  pour son déploiement et sa complétude (individuation).

*Ce qui est uchronique est ce qui ne se situe pas dans le temps, ce qui est utopique est ce qui ne se situe pas dans l’espace. Par le néologisme « uchrotopique » je définis ce qui n’est ni spatial ni temporel.

Le symptôme, pareil à la balise permettant de retrouver un naufragé, appelle la conscience du sujet vers celui qu’il fut, celui qu’il avait écarté par sécurité. Le symptôme opère soigneusement en vue d’une possible intégration pour conduire l’Être vers plus de complétude, de maturité, d’individuation. Il est comme un appel venant de celui qu’il fut, resté « en dehors » de Soi, mais jamais très loin. !

Des symptômes à l’œuvre 

-Une femme ayant des maux de ventre persistants (médicalement non biologiques) s’interroge sur une éventualité psychosomatique. Elle contacte celle qu’elle était, en grossesse extra utérine ayant occasionné une perte de trompe et même d’utérus (deuil d’organe, mais aussi deuil de l’enfant qui venait, plus deuil d’enfants à venir). La somatique disparaît après intégration.

-Une femme ne pouvant s’empêcher d’être agressive quand on lui adresse la parole, comme si on allait lui demander plus qu’elle ne peut faire. Elle contacte l’enfant qu’elle était qui dû s’occuper de ses frères et sœurs suite à un éloignement parental. La pulsion agressive disparaît après intégration.

-Une personne étant atteinte de trouble panique quand elle s’éloigne de chez elle (avec peur de ne pouvoir revenir). Elle contacte l’enfant que fut sa mère quand celle-ci perdit sa propre mère, fut retirée du foyer à cause d’un père violent… et ne revint jamais à la maison. Son trouble panique cesse après intégration.

-Un homme souffrant d’une addiction alcoolique au point de risquer de perdre son travail et son couple. Il contacte celui que fut son père se mettant à boire pour supporter un vécu de guerre insoutenable. Après intégration, la cure de désintoxication suivante fonctionna (contrairement à toutes celles qui avaient précédé).

-Un homme ayant des pulsions de violence conjugale. Il contacte l’enfant qu’il était quand son père frappa sa mère de telle façon qu’il la crut morte … puis, surtout, il contacte spontanément l’homme qu’était son père envahi par une pulsion qui le dépassait. Après intégration de ce père, sa pulsion de violence disparut.

Nous remarquons à quel point les symptômes sont là « spécialement pour » que la retrouvaille et l’intégration s’accomplissent et non pas « à cause de ce qui s’est passé ».

Distance et proximité… intégration différée

Ce qui était séparé de la psyché (clivage du Soi) est loin de la conscience, mais n’est pas éloigné spatialement ou temporellement. C’est ce qui permet au symptôme d’être particulièrement actif. Celui qu’a été le sujet à une époque (même lointaine) n’a jamais cessé d’être là, près de lui, à le « tirer par la manche » pour solliciter son attention. Mais il ne pourra y répondre qu’avec une maturité suffisante, ou sinon, en étant accompagné par un praticien qui rendra la rencontre possible.

Le thérapeute n’est autre qu’un médiateur entre le sujet qui consulte et celui qu’il était appelant sa conscience. Les deux éléments clivés du Soi ne sont pas en distance, mais le contact a simplement été coupé (fermé). La thérapie consiste à permettre de rouvrir ce contact sans risques, afin que le flux de vie s’écoule à nouveau dans l’intégralité de la psyché. Une telle approche thérapeutique vise une individuation augmentée et non une éradication de symptôme.

La cible est l’intégration

Bien qu’au final le symptôme disparaisse, et que le praticien le vérifie au terme de la séance, cela n’est jamais le projet. Ce n’est qu’un indicateur de l’état d’accomplissement de l’intégration qui, elle, est le véritable but.

Par exemple, en voiture, vous vérifiez la jauge pour vous assurer qu’il y ait assez de carburant. Le but n’est pas « la position de la jauge », mais « ce dont vous disposez dans le réservoir ». Pareillement, le symptôme n’est qu’un indicateur d’intégration accomplie ou non, et en aucun cas une finalité.

Autres sources

Si tous les symptômes ont du sens, il convient de rester ouverts à des différences de sources. Parcourons quelques exemples :

-1ère autre source : Une personne qui estime n’avoir aucune valeur (défaut de narcissisation ?), dont on finit par trouver en thérapie qu’elle protège ainsi sa mère qui ne l’appréciait pas. En effet avoir une mère qui a raison est sécurisant, quitte à y laisser un peu de Soi. A l’opposé, avoir de la valeur et ainsi lui donner tort, reviendrait à ne pas avoir de mère. L’équation trouve réponse en comprenant que le regard de la mère est lié à la vie de celle-ci et non à la valeur de sa fille, et en validant ces justesses maternelles. La fille peut alors accorder une considération à sa mère sans s’altérer (et réciproquement). Ici, la pulsion de survie préservait l’intégrité potentielle du sujet en l’éteignant,  tant que la vision n’est pas assez précise sur les raisons de chacune. Source antérieure : manque de mère. Stratégie en éteignant sa propre valeur pour donner raison à la mère de ne pas l’apprécier. Source ultérieure : projet d’accomplir une restauration de Soi et de la mère.

-2e autre source : Une femme a une somatique rebelle (trouble psychosomatique ?) pour laquelle ni la médecine ni l’ostéopathie ne trouve de cause. On aboutit à son accouchement où, en hémorragie, elle fit une EMI (expérience de mort imminente). L’être qu’elle était, était en paix, « voyant » son mari et son enfant qui « se débrouilleront bien ! ». Par contre, il apparaît que son corps, lui, est émotionnellement bouleversé que l’enfant qu’il portait soit sorti… et qu’en même temps l’Être avec qui il « faisait équipe » soit aussi « parti ». La reconnaissance du vécu émotionnel du corps fait alors aussitôt disparaître la somatique. Source antérieure : vécu émotionnel du corps. Le corps, comme un interlocuteur à part entière, a son propre vécu émotionnel qu’il convient de reconnaître (il fait partie de la psyché). Source ultérieure : projet d’entendre et de reconnaître le vécu du corps (Publication de janvier 2013 « Le corps comme interlocuteur »).

-3e autre source : Un être éprouve une difficulté d’affirmation de soi et se sent mal à l’aise en société (phobie sociale ?). On aboutit à celui qu’il était enfant, parfaitement en forme, serein, affirmé, sensible, ouvert. Une situation éprouvante le conduisit à mettre cet enfant à l’abri. Ensuite, il poursuivit sa vie sans cette ressource, souffrant alors d’un manque d’assurance. Cet inconfort l’amena à retrouver en thérapie, non pas un enfant qui a souffert, mais un enfant en parfait état, jamais altéré, qui avait seulement été mis à l’abri de la tourmente. Source antérieure : protection d’une ressource.  La fracture de la psyché mit ici à l’écart, non pas ce qui était douloureux, mais ce qui était ressource pour le retrouver intact ultérieurement. Source ultérieure : projet de rendre à nouveau cette ressource disponible.

-4e autre source : Un patient éprouve une difficulté à communiquer (trouble relationnel ?). Il pense avoir un blocage. Néanmoins il se révèle que sa gêne vient du fait qu’il n’en a jamais fait l’apprentissage. Un environnement peu propice à la parole ne lui a pas offert l’opportunité d’apprendre. Cette situation revient plutôt aux coachs ou aux praticiens en TCC (thérapies comportementales et cognitives). La source antérieure est ici un défaut d’apprentissage. Elle ne nécessite pas (ou peu) une réhabilitation,  mais plutôt des possibilités de mise en œuvre afin d’acquérir un savoir faire par l’expérience et la sensibilité. La source ultérieure est un projet d’apprentissage.

-5e autre source : Une personne se sent retenue par son passé, n’osant pas se déployer vers qui elle a à être (phobie du changement ?). Alors que l’on aurait pu penser à des retenues antérieures tentant de capter son attention par son symptôme (inconfort de ne pas oser être,  peur de la nouveauté), il se trouve seulement qu’il n’ose pas devenir qui il a à être et que la fracture de sa psyché se trouve entre qui il est (aujourd’hui) et celui qu’il a à être (demain) et non avec l’un de ceux qu’il a été. Devenir « autre » présenterait le risque de perdre la considération de certaines personnes. Donc pour ne pas être seul, il se retient de devenir. La source antérieure est absente. Nous avons surtout ici une source présente qui est un besoin d’appartenance ou d’estime à maintenir (satisfaction des besoins psychosociaux). Naturellement une telle situation vient du fait que le besoin de considération (besoin ontique) est en carence... Source ultérieure : aboutir à la satisfaction du besoin ontique de considération envers lui-même autant qu’envers ceux qui ne le lui en ont pas donné.

Toutes les autres sources : Il est impossible d’être exhaustif. Ne limitons pas les possibilités. Nous trouverons cependant souvent des situations voisines des 5 première citées. Dans tous les cas la source est pleine de pertinence et d’accomplissement en cours. Nous  considérerons ainsi une justesse à accompagner et non un défaut à corriger ou une souillure à éliminer. Cela guidera avantageusement le travail du praticien qui ne doit en aucun cas altérer les pertinences de son patient.

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5   Oser un nouvel horizon

5.1 La cible

Cibler l’éradication du symptôme semble souvent inapproprié. Le symptôme éprouvé par le sujet qui consulte n’est pas « quelque chose à guérir » car « ce n’est pas une maladie »* : troubles paniques, troubles alimentaires, troubles phobiques, dépression, troubles anxieux, deuils trop long, addictions, troubles de la personnalité, troubles du comportement, psychosomatiques… bien des dénominations sont injustement comprises comme des psychopathologies, alors que ce ne sont que des symptômes, des manifestations. Ces symptômes sont des indicateurs. Le plus souvent pareils à des sortes de « balises », ils permettent de ne pas perdre ce qui a été séparé de la psyché.

*Même en médecine physique, on ne soigne généralement pas les symptômes (sauf quand ils représentent en eux-mêmes un danger : par exemple température ou inflammation excessives) mais la pathologie qu’ils représentent (éventuellement un agent infectieux). « Guérir » le symptôme sans s’occuper de guérir vraie la pathologie serait une dangereuse pratique

Si l’on doit parler de psychopathologie, nous considérerons plutôt  celle-ci au niveau d’une « fracture » de la psyché**... une sorte de clivage du Soi (et non du moi). Mais là aussi nous devons rester vigilants, car cette fracture ne résulte pas d’un choc, mais de la mise en œuvre spontanée d’une auto protection. Pour mieux comprendre vers où le praticien est censé porter son attention rappelons-nous le séquençage :

**nous pourrions dire « solution de continuité de la psyché », comme on le dit médicalement d’un os rompu : « solution de continuité du segment osseux ».

1/ Trauma (le vécu éprouvé et non la circonstance).

2/Auto fracture de la psyché (moyen pour elle de se préserver d’une charge trop importante).

3/ Compensations (permettant de vivre malgré ce qui a été ôté de Soi).

4/Projet de restauration : Celle-ci s’accomplira quand la maturité sera suffisante. Le symptôme est un allié dans cette dernière phase en ce sens où il permet de garder un accès vers ce qu’il faut réhabiliter.

La pathologie est « l’état fracturé de la psyché ». L’origine du symptôme est un « projet de réduction de cette fracture, d’intégration, de juste déploiement ». Le praticien est censé accompagner ce projet (pas le combattre).

Note : Naturellement je n’oublie pas que si les symptômes sont trop violents, tout ce qui permettra de les rendre supportables sera bienvenue (que ce soit chimique ou psychothérapique) pourvu qu’on ne les éteigne pas complètement. Je n’oublie pas non plus les situations purement biologiques où la psychiatrie et la neuro psychiatrie peuvent apporter remèdes.

5.2 Des trésors ou des sorcières ?

L’habitude consiste à rechercher un mal à combattre afin d’apporter un apaisement. Inspirée probablement de notre évolution phylogénétique de lutte contre les prédateurs, cette posture n’est pas adéquate en psychothérapie.

En effet, même quand le praticien sait qu’il ne s’agit pas d’éradiquer un symptôme, il doit aussi se mettre en quête, non pas de trouver le mal (source du symptôme) pour en délivrer son patient, mais de trouver ce qui, par ce symptôme, appelle la conscience du patient pour reprendre sa juste place et lui rendre son intégrité.

Nous pouvons donc abandonner la chasse aux sorcières dans la psyché, ne plus s’attarder sur les catharsis purificatrices, ni sur les dispersions d’attention (par divertissements ou par anesthésie) afin de se détourner du « mauvais » (autrefois on aurait dit « du malin » !).

Finalement, point de lutte contre le mal, mais : quête de réalisation d’un bien en cours de déploiement. Il s’agit plus de chasse aux trésors que de chasse aux sorcières !

La paradigme change totalement et permet au praticien, autant qu’au patient, de se détendre un peu. La dimension existentielle de la thérapie n’engage plus aucune énergie d’opposition contre quoi que ce soit, mais un accompagnement des justesses naturelles qui conduisent la vie du patient.

Naturellement nous n’oublierons pas la difficulté, voir la douleur terrible que peut éprouver celui-ci du fait de certaines manifestations. Une première écoute et reconnaissance de cela est incontournable. TOC, dépression, paniques, troubles anxieux, phobies,  peuvent être invalidants et ne doivent pas être abordés avec légèreté ou dérision (cela serait totalement irrévérencieux et nuisible). Cependant, il importe de ne pas non plus les considérer avec gravité ou dramatisation.

5.3 Passé, présent, futur, atemporalité

Après avoir voyagé dans le monde des causes (origines antérieures) et des sources  téléonomiques (origines ultérieures), nous pouvons éprouver un petit vertige temporel ! Le présent n’est-il pas le point le plus important où se situer pour aller vers un avenir convenable ?

Ce qui semble juste pour que cet avenir soit « convenable » c’est qu’on y soit entier. Pour y être en entier, il est souhaitable que tous ceux que l’on a été soient réunis. Il serait illusoire de chercher une paix stable en laissant la moitié de Soi derrière Soi.

L’illusion consiste à croire que ceux que nous avons été sont dans le passé et ne nous concernent plus. En fait ce qui est dans le passé, ce ne sont que les circonstances d’autrefois. Ceux que nous étions lors de ces circonstances, eux, sont avec nous et y sont depuis tout ce temps. Finalement, rencontrer celui qu’on était à ce moment là n’est pas un voyage dans le temps, mais une ouverture vers Soi, dans l’actuel.

D’un côté les événements suivent une ligne temporelle du passé vers le futur (répondant aux lois physiques de l’entropie). Les êtres, eux, se déploient au fil des événements, et tout ce qui apparaît de Soi à chaque instant est là pour toujours. La question est juste de savoir si nous sommes ou non en paix avec.

De l’autre, l’Être ne semble pas sujet à l’entropie, et se déploie continuellement. Il ne se suit pas une courbe de « croissance/déclin » contrairement aux objets. Cela est sans doute dû au fait qu’il n’est pas en croissance mais en déploiement. D’une certaine façon l’être est atemporel et son entièreté potentielle l’accompagne en permanence. Nous devons alors concevoir que le nouveau contienne (au moins potentiellement) l’ancien, et même sans doute que « le présent » contienne (au moins potentiellement) l’avenir. Le mot « contenir » est cependant bien maladroit, car ils sont plus en « co-présences » (en partenaires, en équipe), qu’en « contenance » (inclusions). Ce qu’on a été, aussi bien que ce qu’on a à être, appelle notre conscience en permanence.

Cependant, il y a parfois dans cette équipe des conflits. C’est ce dont est censé s’occuper la psychothérapie.

5.4 Corrections ou accomplissements ?

S’agit-il de corriger ou de nettoyer ? Ou bien d’accomplir et de réhabiliter ? Comme nous l’avons vu il y a quelques lignes il s’agit plus de trésors à trouver que de sorcières à pourchasser.

Un grand renversement de paradigme s’offre ainsi au praticien. Le voilà promu « chercheur de trésor » ! Il ne s’agit pas d’un positivisme désuet tentant de rendre l’image de son métier plus « gentille » au pays des « Bisounours » ! Il s’agit d’une réalité clinique dans laquelle les résultats en psychothérapie sont probants.

Dans la vie d’un sujet, il y a « ce qui s’est passé », puis « celui qu’il était quand ça s’est passé », et enfin « ce qu’il a ressenti à cette occasion ». Concernant ce qui s’est passé il est bien évident qu’il y a des choses déplaisantes, parfois même horribles, voire abominables (il serait indécent de les édulcorer). Concernant ce qui a été ressenti, cela peut aller jusqu’à de grandes douleurs, de la terreur ou de l’effroi (le minimiser serait une posture de déni insoutenable). Concernant celui qui a vécu cela, il ne sera jamais abominable, quoi qu’il se soit passé, et quoi qu’il ait ressenti (penser le contraire reviendrait à le déchoir).

La « cible » en thérapie, ce n’est ni « ce qui s’est passé », ni « ce qui a été ressenti », mais « celui qui a ressenti ». Or « celui qui a ressenti » est le fameux « trésor » dont nous parlons. Si c’est lui qui mobilise l’attention du praticien, ce dernier ne sera jamais effaré et sera toujours authentiquement touché, sans jamais être affecté. C’est ce regard à la fois neutre et bienveillant (profondément humain et tranquille, même en réjouissance délicate et discrète) qui permettra au patient de se rencontrer sans crainte (on n’a pas peur d’aller vers un trésor !). Le patient pourra ainsi retrouver et consolider cette « équipe intérieure » au sein de laquelle il y avait quelques conflits.

Pour le sujet lui-même, ces conflits viennent du fait que, par  manque d’acuité, il confond « ce qui s’est passé et ce qui a été ressenti » avec « qui il était » (alors il se déchoit lui-même). Le praticien sera le garant d’une telle acuité rendant rencontrable « qui il était ».

Des praticiens comme Carl Rogers, ou Carl Gustav Jung ont dénoncé l’attitude inappropriée des praticiens qui engendrent des résistances, qu’ils analysent ensuite comme une problématique du patient qu’ils tentent d’éclairer… alors que c’est une problématique de leur propre pratique :

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers,1996, p.155)

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérisons » (Jung, 1973, p.157)  

Les anciens ne s’y trompaient pas. Il y a plusieurs millénaires, les sages indiens ayant imaginé le « Yoga » ont pris ce nom pour signifier une équipe à réunir : le mot « Yoga » vient de « joug » pour atteler à la vie l’« être et le corps en partenaires ». De son côté Sénèque, il y a 2000 ans, nous proposa bien que la longueur de la vie ne dépend pas de sa durée, mais de cette présence en partenariat de tous ceux qu’on a été. De ceux qui n’auront pas constitué une telle équipe intérieure, il dit :

 « Leur esprit est encore dans l’enfance quand la vieillesse les accable : sans préparation ni défense, voilà comment ils y parviennent » (IX-3, 2005, p.117).

De ceux qui y sont parvenus il énonce les bénéfices :

« Toutes les années antérieures à eux leurs sont acquises […] Aucun siècle nous est interdit » (XIV-1 ; ibid., p.127), « […] la nature nous admet dans la communauté du temps tout entier. » (XIV-2 ; ibid.,p.127). « C’est le propre d’un grand homme, crois moi, et qui s’élève au-dessus des erreurs humaines, que de ne rien soustraire de son temps. » (VII-4, p.113)

Le propos que j’avance ici conduit à un renversement de paradigme qui peut sembler bouleversant à quelques praticiens, mais pourtant, il n’est pas si nouveau puisque le Yoga bien avant JC, Sénèque au début de notre ère, et Jung ou Rogers (auxquels on pourrait ajouter Maslow et quelques autres) il y a moins d’un siècle, nous offraient déjà des précisions allant en ce sens. Mais la « lutte contre le mal », la « peur du prédateur » ancrée phylogénétiquement en nous, a gardé une emprise sur nos pratiques, nous rendant aveugles à ces subtilités, faisant trop souvent basculer les praticiens vers une sorte « d’exorcisme moderne et laïc » plutôt que vers un « délicat accouchement de Soi ».

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6   Psychologie du moi et du Soi

6.1 Psychologie du moi

La psychologie du « moi » est une psychologie du développement. Elle a son importance car le « moi », en tant que « stratégie sociale » est un outil essentiel pour mener sa vie. La construction du moi suit des stades de développement qui commencent, qui fluctuent, qui évoluent dans l’enfance. Selon le développement accompli, ce « moi » est plus ou  moins efficace. Il déterminera une personnalité (personna : masque de théâtre) qui définit notre stratégie, notre « façon de jouer la vie » (personnage), mais pas notre identité (l’acteur). L’identité est « ce qui reste identique » tout au long de notre vie et ne peut concerner le moi qui se modifie. L’identité se situera plutôt au niveau du Soi, qui donne la sensation de ne jamais être un autre, quelle que soit l’étape de notre vie, quels que soient les changements apparents (le Soi ne se développe pas, il se déploie).

La psychologie du moi prend appui sur la « libido » (énergie de besoin) qui gère des problématiques de plaisir, face à des « objets à investir » (l’autre y est considéré comme un objet, au point que, concernant l’autre, la psychanalyse parle de « libido objectale »).

Ces nuances définissent bien la part « non encore vraiment humanisée » de nous-mêmes, qui utilise ses compétences intellectuelles pour gérer des problématiques de proies et de prédateurs (Freud, 1985, p55-56, comparaison à l’hydre). L’évolution vers plus d’humanité se fera au-delà de cette posture profiteuse et conflictuelle dans ce que, même Darwin, propose comme un basculement vers la coopération (Tort, 2009, p.72-73).

Ainsi notre humanisation ne tient pas en un usage performant de l’intelligence (nouvel outil adaptatif), mais en une quête de coopération, de considération d’autrui. Nous savons bien qu’il y a eu dans l’histoire beaucoup d’intelligence mise au service de la destruction (jusqu’à l’horreur) et que l’intellect à lui seul ne définit pas l’humanité d’un être. Rien de nouveau ici : Rabelais au 15e siècle nous avertissait déjà que science sans conscience n’est que ruine de l’âme (Pantagruel, chapitre VIII, Rabelais, 1962, p.206).

Néanmoins, cela fait de la psychologie du moi une psychologie de la causalité (origines antérieures, où le passé influence le futur). Elle a toute sa place puisque l’humain passe par cet outil et que, quelque soit l’humanité qu’il aura mise dans sa vie, il y aura toujours (au moins) un peu de cela présent dans son édifice global.

6.2 Psychologie du Soi

La psychologie du « Soi » est une psychologie du déploiement. Elle est très importante, car elle accompagne l’individuation. C’est aussi une psychologie de la réhabilitation et de l’intégration. Nous y trouvons des auto-clivages protecteurs (suite à des traumas),  des projets (en vue de restauration), des symptômes (moyens pour retrouver ce qui a été clivé), des ressources (antérieures et ultérieures).

Elle est par essence existentielle et humaniste et n’appuie pas son œuvre sur l’énergie ni sur les solutions. Elle s’appuie sur  la vie et sur les médiations. L’énergie c’est « faire », la vie c’est « être » ; la solution sépare, la médiation restaure un contact.

Elle ne part pas du principe d’une « faute à corriger » (reprogrammer), ou d’une « charge à éliminer » (catharsis). Il n’y a  pour elle, en la psyché, que justesses à identifier, à décoder et à accompagner, que des ressenti à exprimer qui attendent simplement une reconnaissance (et non une suppression).

Le paradigme est très différent : de l’énergie on y passe à la vie, des solutions on y passe aux médiations, des corrections on y passe à l’accompagnement des justesses. L’affirmation du DSMIV (pourtant déjà élargie) mérite une extension pour la sortir malgré tout d’une restriction implicite à propos du « trouble mental » :

 [Le trouble mental ] « Quelle que soit la cause originelle il doit être considéré comme un dysfonctionnement comportemental psychologique ou biologique de l’individu » (DSM IV, p.XXXV) [elle n’offre pas d’autres possibilités que le dysfonctionnement].

Les auteurs du DSM rappellent que l’étude des sources reste un champ délicat en psychologie :

« Les décisionnaires non cliniciens doivent aussi être avertis que, poser un diagnostic n’implique rien concernant la cause du trouble mental ». (ibid., p.XXXVIII).

Peut-être même les sources ne sont pas vraiment connues ! :

« Il n’existe à ce jour aucune certitude sur l’origine précise des affections en psychiatrie. Ceci empêche de les classer comme on le fait en infectiologie […] deux voies sont alors possibles : soit s’appuyer sur des modèles théoriques ou des hypothèses explicatives, soit tenter une approche purement descriptive reposant sur l’observation des symptômes et pas du tout sur leurs causes présumées » (Antoine Pelissolo*.  « Sciences Humaines » - Les grands dossiers n°20  Les troubles mentaux - 2010, p.18).

*Service de psychiatrie du CHU La pitié Salpêtrière, enseignant à Paris V

La psychologie du moi et celle du Soi ne traitent pas des mêmes choses. La psychologie du Soi ne doit en aucun cas invalider la psychologie du moi, mais lui apporter une extension. Elle permet de sortir des tranchées paradigmatiques pour ouvrir de nouvelles perspectives, jusque là insoupçonnées (« insoupçonnées ? », façon de parler puisque des anciens l’évoquaient déjà, de Jung, Rogers ou Maslow… jusqu’à Sénèque).

Les praticiens ne doivent jamais oublier que les différentes approches sont faites pour se compléter, et non pour se combattre les unes les autres. De telles frictions seraient mal venues dans un domaine qui prétend accompagner l’humain.

6.3 La psychologie positive* et négative réunies

*Publication d’avril 2012  « Psychologie positive »

Alors que la psychologie classique est dite « négative » (sans que ce soit péjoratif) en ce sens où elle s’occupe de la maladie mentale, la psychologie est dite « positive » (sans gloire à cela) quand elle s’occupe de la santé mentale. Comme le rappelle l’OMS, la santé ne peut se réduire à l’absence de maladie, ce qui donne toute leur place à ces deux types de soins.

(Voir la publication d’avril 2012 « Psychologie positive »)

La psychologie du Soi participe un peu des deux, en ce sens où elle contribue au déploiement, mais en intégrant les zones de psyché clivées, vers lesquelles nous conduisent les symptômes (considérés comme des troubles psychiques par la psychiatrie). Elle gère les symptômes sans les prendre pour cible et revisite ce qu’on appelle « psychopathologie » en contactant les justesses et pertinences du patient. Si en physique, la relativité générale et la physique quantique peinent à s’unifier (tentative avec le « modèle standard »), en psychologie, la psychologie négative et la psychologie positive trouvent un trait d’union avec la psychologie du Soi.

Les causes (origines antérieures), autant que les sources téléonomiques (origines ultérieures), y trouvent leur place. Les sujets en souffrance peuvent alors être apaisés et atteindre leur juste déploiement, sans avoir à craindre d’aller vers eux-mêmes.

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Bergson, Henri
-La pensée et le mouvant – PUF, 2006

Charon, Jean
-J’ai vécu quinze milliards d’années – Albain Michel 1983

Deleuze, Gilles
-Le plis – Les Éditions de Minuit, 1988

DSM IV-TR 
-Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux- Masson, 2003

Freud, Sigmund
- Le narcissisme – Tchou Sand 1985

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Leibniz, Gottefreid Wilhelm
 -Monadologie – Flammarion, 1999

Monod, Jacques
- Le hasard et la nécessité- Point Seuil 1970 p.67

Pelissolo, Antoine
-Revue « Sciences Humaines » - Les grands dossiers n°20  Les troubles mentaux - 2010

Rabelais, François
-Œuvres   complètes - Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Bruges 1962

Rogers, Carl Ransom  
-Relation d’aide et psychothérapie  – ESF, Paris 1996
Sénèque
-La brièveté de la vie – GF Flammarion 2005

Tort, Patrick
-Darwin et le darwinisme –Puf, 2009
-Darwin n’est pas celui qu’on croit- Le cavalier Bleu éditions, 2010

Trinh Xuan Thuan
-Mélodie secrète - Gallimard folio essais 1991
-Le monde s’est-il créé tout seul ? - 
Albin Michel 2008

Proust, Marcel
-A la recherche du temps perdu I –Gallimard, La Pléiade, 1960
-A la recherche du temps perdu III –
Gallimard, La Pléiade, 1959

Liens internes cités

ça, moi surmoi et Soi novembre 2005

Psychologie positive  avril 2012 
Le corps comme interlocuteur   janvier 2013

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