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Relation d'aide - Psychothérapie

Communication thérapeutique

avril 2004    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

 

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Cet article (ou publication),  est destiné à mieux comprendre ce qui fait l'efficacité d'une aide psychologique. Le but est de pouvoir accomplir une telle aide en augmentant sa capacité à développer l'humanisation, mais avec moins de vulnérabilité, être plus proche des patients, mais en restant distincts, à en être distinct, mais sans en être distant, à savoir aider autrui, mais sans oublier de s'aider soi-même. Ouvrage "L'écoute thérapeutique" , Réédité en novembre 2005 - ESF,  consacre ses pages à ce cheminement thérapeutique, enrichi de nombreux exemples. Vous trouverez également des documents complémentaires important concernant l'aide, sur ce site : Ne plus induire de culpabilisation (2004) et Reformulation (2002),ainsi que Libido amour et autres flux (2005) qui est un  plus destiné aux professionnels et permet de situer l'approche décrite parmi les approches existantes

STAGES inter et STAGES intra

Sommaire

1 Place de l'aide dans le soin

Très évoquée et pourtant méconnue 

Un soin à découvrir

2 Approche préalable

Importance du projet initial

Accompagner simplement

Remonter du symptôme à sa source

Ni distance ni empathie 

3 Réaliser l'aide  

Non pouvoir, non savoir et confiance

Le guidage non directif

L'art de poser une question juste

Respecter résistances et confidences

Le toucher

Relation, communication, aide et thérapie

Quelques cas

Pour conclure

Bibliographie

 

 

1

Place de l'aide dans le soin

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Très évoquée, pourtant méconnue  retour

De plus en plus présente

La médecine réussit à sauver de plus en plus de vies grâce à de prodigieuses avancées. Mais, la nécessaire hypertrophie technique, a malencontreusement eu tendance à éloigner le soignant du patient.

L’humanisation des soins est alors apparue comme un indispensable complément. D’autant plus que l’état psychologique du patient influe sur son acceptation et son investissement dans les traitements qu’il reçoit… donc influe sur leur efficacité.

Le développement de la relation d’aide est donc arrivé comme une incontournable évolution dans  la qualité et l’efficacité de la médecine. Il ne s’agit pas ici de considérations psychiatriques, ni de psychopathologies à guérir, mais d’une qualité des comportements  face à la souffrance humaine. La relation d’aide est un immense progrès à l’hôpital. Elle y est aujourd’hui reconnue comme un soin à part entière.

Même si la relation d’aide fait avant tout partie du rôle propre de l’infirmière, elle concerne tous les agents : aides soignantes (AS) et agents de service hospitalier (ASH), ainsi que médecins, secrétaires médicales, sages-femmes, puéricultrices, kinésithérapeutes, conseillères conjugales, assistantes sociales, éducateurs… Elle concerne tous les acteurs du soin et naturellement, également les praticiens en profession libérale.

Nous remarquons pourtant un étonnant paradoxe : 
D’un côté la relation d’aide est reconnue comme un soin à part entière, d’un autre, les protocoles ne prévoient aucun temps pour la réaliser. Dans le flou, un peu abandonnée à l’appréciation de chacun, elle sera néanmoins mise en œuvre par les soignants. Des formations sont réalisées à leur intention pour les éclairer dans cette tâche si subtile et nuancée.

La délicate mesure du temps

Une piqûre, une toilette, un recueil de données, préparer et distribuer des médicaments, prendre une tension, changer un pansement, distribuer des repas, nettoyer et changer un lit … il est admis que ces soins directs et indirects consomment du temps. Ce temps est mesuré et connu. Même si la mesure en est parfois discutable, elle a le mérite d’exister.

Pour la relation d’aide,  il n’est même pas possible de contester le temps évalué… simplement parce qu’il n’y a généralement pas de temps évalué. Parfois des agents ou des cadres pensent même qu’on peut aider tout en faisant un autre soin, par exemple tout en faisant une toilette. Cela est parfois vrai, mais l’importance de ce qui est évoqué par le malade ne souffre pas toujours qu’on l’écoute tout en faisant autre chose, d’une part par respect pour lui, d’autre part pour apporter la qualité de soutien requise. Même s’il ne s’agit que de marquer une pause de quelques minutes (deux ou trois), celle-ci est souvent indispensable. Bien sûr il arrive aussi que le temps nécessaire soit plus important.

Il est curieux de croire que l’aide puisse se réaliser en même temps que les autres soins ou à temps perdu, d’une part parce que les autres soins requièrent toute l’attention du soignant,  et d’autre part parce que « le temps perdu » est une denrée de plus en plus rare dans le milieu hospitalier.

En notre époque, où le fait de tout mesurer devient quasi obsessionnel, la situation est étonnante. Hors des mesures du temps, la relation d’aide se retrouve alors trop souvent comme une sorte de soin fantôme.

Il y a pourtant un rapport entre la relation d’aide et le temps : une bonne qualité d’écoute et d’aide raccourcit de nombreuses situations conflictuelles, améliore l’autonomie et la participation du patient, puis facilite le travail des soignants qui sont alors moins sollicités à tort. Le bilan final en sera généralement un gain de temps, un plus grand confort professionnel et une réelle gratification pour l’agent.

Un soin à découvrir  retour

Tout en nuances

Même si tout le monde parle de la relation d’aide, trop peu savent dire avec précision de quoi il s’agit vraiment. Il en découle que bien que reconnue et souvent évoquée, elle ne bénéficie d’aucun temps prévu pour être accomplie.

Il est vrai que pour mesurer le temps nécessaire à la relation d’aide il faudrait déjà savoir quand elle commence, quand elle finit... et de quoi elle est faite. Il est rare que l’on sache préciser la différence entre une aide véritable et une simple conversation. Il est rare aussi que la différence soit claire entre un vrai moment de chaleur humaine et une situation d’affectivité (pourtant, la chaleur humaine sécurise, l’affectivité étouffe).

Le plus souvent le concept d’aide sera associé à une certaine gentillesse ou à la réalisation de quelques souhaits ou projets du malade ou au respect de ses besoins fondamentaux… sans toutefois penser suffisamment au plus important : être reconnu.

Les chartes et droits des malades "tapissent" les murs des services hospitaliers et sont un progrès, mais qu’en est-il sur le terrain, dans les faits, dans la réalité ? Que vit et que ressent le malade ?

Aider sans être vulnérable

La volonté d’aider et d’être humain est réelle et sincère chez les soignants. Mais les repères leur manquent pour mettre en œuvre ce qu’ils souhaitent. Ils se trouvent alors fréquemment en situation d’épuisement ou même parfois de burn out.

Le manque de temps, le manque de personnel et la charge de travail sont généralement évoqués comme raisons majeures. Certes,  ce sont là des éléments plus que défavorables, mais la difficulté la plus importante, concernant la relation d'aide,  ne se situe pas là.

Même quand il y a suffisamment de temps et de personnel, l’aide qui est apportée est trop insatisfaisante. Piégés entre les préceptes contradictoires "d’empathie" (se mettre à la place) et de "distance professionnelle" (ne pas trop s’impliquer), les soignants peinent à se positionner. Soit ils se rapprochent et se trouvent dans une éprouvante affectivité, soit ils mettent de la distance et se désinvestissent. Comme aucune des deux situations n’est satisfaisante, ils oscillent entre les deux… jusqu’au moment du découragement.

Les quelques notions de psychopathologie qu’ils reçoivent ne les éclairent pas beaucoup non plus. Si ces dernières renseignent sur l’existence de certains troubles du comportement, elles n’indiquent pas comment aider.

Il va s’agir dans cet article de comprendre 

- Comment se différencient la relation, la communication, l'aide, la psychothérapie 

- Comment on peut être proche, sans être vulnérable, 

- Comment être distinct du patient, sans en être distant, 

- Comment être chaleureux, sans être dans l’affectivité, 

- Comment prendre soin de l’autre, sans oublier de prendre soin de soi.

En effet, la qualité de l’aide aux patients doit s’accompagner d’un plus grand confort professionnel pour les soignants, avec moins de stress, moins de fatigue, moins de temps perdu, des résultats gratifiants et une relance de ses motivations professionnelles.

2

Approche préalable

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Importance du projet initial  retour

La première pensée qui vient à l’esprit

Face à une personne en souffrance psychologique,  tout commence par la première pensée qui nous vient à l’esprit. Avant même d’envisager une attitude, une phrase ou un acte d’aide… tout débute par une première pensée.

Trop souvent, quand il s’agit d’aider, le soignant s’occupe plus de la technique d’aide à utiliser que de sa pensée initiale. Cette pensée initiale semble dérisoire par rapport aux multiples approches de soutien psychologique. Or c’est surtout ce positionnement du début qui va déterminer l’efficacité de ce qui va suivre.

Ce point de départ est prioritaire pour aider un patient. Les techniques verbales ou non verbales qui seront utilisées ne viennent qu’en second plan. Sans ce point de départ correct, toute approche, même la plus élaborée, au mieux ne sert à rien, au pire risque d’être nuisible.

La pensée initiale donnera tout naturellement l’impulsion à la suite. Quand le démarrage se fait dans une mauvaise direction, il y a risque d’inefficacité, voir de nuisance, et ce, quelles que soient les compétences intellectuelles et techniques mises en jeu.

C'est ce point de départ qui définira l’innocuité et l’efficacité de l’aide ainsi que l’énergie nécessaire. Plus l’aide demande de l’énergie au soignant, plus cela montre que ce n’est pas de l’aide, plus cela montre que le projet initial est erroné et donc que la direction est incorrecte.

Cette pensée initiale est générée par le regard que nous portons sur le symptôme du patient (troubles psychologiques, troubles émotionnels ou troubles du comportement).

« Spécialement pour » 
et non « à cause de »

Les symptômes sont par exemple : une simple gène, une inquiétude, une opposition, une  peur, une angoisse, une dépression, de la violence, des phobies, des tocs, des dépendances et addictions, des pulsions, des états suicidaires, de la prostration, des hallucinations, des désorientations… etc.

Pour bien positionner l’état d’esprit initial, il est fondamental de bien comprendre que,  dans le domaine psychologique, un symptôme ne se manifeste pas « à cause de », mais « spécialement pour ».

Cet état d’esprit initial peine généralement à se positionner car il y a une confusion entre le mécanisme des causes psychologiques et celui des causes physiologiques.

Certains symptômes ont une origine physiologique. Ils apparaissent, eux, « à cause de » la source physique. Par exemple un manque de fer produit un état dépressif et beaucoup de larmes… à cause du manque de fer. Dans le cas de cette situation somato-psychique le patient a plus besoin d’une approche médicale que d’une approche psychologique. Notons tout de même que ça n’enlève rien au fait que le patient a besoin d’être entendu et compris dans ce qu’il ressent.

C’est ce « à cause de », dans les causes physiologiques, qui entretient le mauvais positionnement des soignants dans les cas de causes psychiques. C’est ce qui a amené celui-ci à vouloir combattre la cause pour guérir le symptôme plutôt que d’entendre et valider ce que celui-ci exprime. La difficulté est que certains symptômes sont identiques dans les cas de sources physiologiques ou de sources psychiques (comme dans l’exemple des larmes ci-dessus). La manifestation est la même, mais le soin devra être différent selon la nature de la source..

Quand les symptômes ont une origine psychique, ils ne se produisent plus « à cause de », mais « spécialement pour ». A travers ce symptôme, le patient exprime alors quelque chose d’important, vers autrui (il a besoin qu'on l'entende), ou vers lui-même (il a besoin "d'entendre" quelque chose en lui).

Quand l’origine est psychique, avoir pour projet d’enlever ce symptôme, revient involontairement à éloigner le patient de lui-même. Cela revient à un déni de ce qu’il a besoin que nous comprenions ou de ce qu’il a besoin lui-même de comprendre en lui.

Hélas, le réflexe culturel nous porte fréquemment à vouloir enlever le symptôme (et à en combattre la cause), alors qu’il faudrait plutôt chercher à entendre ce que le patient exprime à travers lui.

C’est sans doute là, la plus grande remise en cause à réaliser pour celui qui veut améliorer la qualité de l’aide qu’il prodigue à ses patients : comprendre qu’un symptôme psychologique ne se produit pas « à cause de » mais « spécialement pour ».

Exemples simples

Violence
Un patient insulte et menace. En vérité il cherche à dire sa détresse. Mais comme on veut le calmer, ce déni provoque l’effet inverse et il s’énerve d’avantage. Il était en colère « spécialement pour » qu’on entende sa douleur. Seul le fait de l’entendre peut le calmer vraiment.

Désorientation (apparente)
Une dame de 95 ans réclame sa mère. En vérité elle cherche à exprimer combien celle-ci lui manque. Comme on veut la ramener dans le présent (la ramener au fait que sa mère n’est pas là et que c’est ridicule de l’appeler)… la dame s’énerve… ou s’éteint… car personne n’entend son manque. Elle réclamait sa mère « spécialement pour » qu’on entendre à quel point elle lui manque. Elle revient mieux dans le présent quand on sait entendre à quel point, dans ce présent, elle lui manque.

Peur
Un patient redoute d’aller faire un examen, soit par peur de l’examen, soit par peur du résultat. Il l’exprime, il a besoin qu’on entende sa peur. Or les soignants chercheront souvent à calmer sa peur… mais pas à l’entendre et à la reconnaître. Le patient se sentira nié dans ses propos et dans ses ressentis. Il peut même finir par se trouver ridicule d’avoir peur (se culpabiliser). Il disait sa peur « spécialement pour » qu’on reconnaisse sa peur et pour ne pas se sentir seul avec ce qu’il ressent… En reconnaissant sa peur, on ne la lui aurait pas enlevée, mais il se serait senti compris, moins seul et sécurisé.

Ce qui est difficile à concevoir, c’est que la validation de la peur est plus apaisante pour le patient que toute tentative de la lui enlever. C’est vraiment le problème du projet initial.

Opposition  
Une vieille dame refuse une toilette.
En la refusant elle dit, en réalité, quelque chose d’autre que le refus de toilette. Avec un peu de chance elle ajoutera « je suis pudique ». Le projet de la soignante est alors souvent de la rassurer plutôt que de l’entendre. La soignante lui répond ainsi parfois gentiment « ne vous inquiétez pas j’ai l’habitude ». La patiente se sent alors niée dans ce qu’elle ressent et cela provoque des tensions. En fait, elle refuse la toilette « spécialement pour » qu’on reconnaisse sa pudeur et non pour savoir si le soignant a l’habitude. Si l’on reconnaît sa pudeur et si on lui accorde que celle-ci est certainement fondée en elle, elle n’aura pas de peine à réfléchir avec le soignant à la meilleure solution pour vivre ce soin sans être trop gênée.

Le « spécialement pour » peut mener plus loin 
Si on reconnaît la pudeur de la patiente, elle ajoutera, par exemple, facilement « vous savez, quand on a vécu ce que j’ai vécu…! ». Si le soignant valide pudiquement par « vous avez vécu des choses difficiles ? », la patiente peut continuer « oui ». La soignante « cela rend la toilette trop pénible pour vous ? »,  la patiente  « je n’aime pas qu’on me touche ». La soignante « c’est vraiment insupportable qu’on vous touche ? », la patiente « vous savez, un jour on m’a fait des trucs que je n’oublierai jamais ! » la soignante, pudiquement,  « Si vous avez vécu de telles choses, je comprends que vous n’aimiez pas qu’on vous touche » puis la soignante poursuit par « comment pourrions nous faire pour que votre toilette soit moins pénible ? »,  sollicitant ainsi la ressource de la patiente.

Dans ce dernier exemple, nous découvrons que la patiente, non seulement veut qu’on entende sa pudeur, mais en plus espère qu’on lui accordera que cette pudeur a une raison… et même qu’on l’aidera pudiquement à évoquer cette raison afin de la reconnaître et d’en valider l’importance (sans toutefois insister sur le détail des circonstances).

Nous découvrons ainsi que le malaise qui conduit la patiente à être pudique existe « spécialement pour » ne jamais oublier l’être douloureux qu’elle a été « quand on lui a fait ces trucs ». Il ne s’agit pas de la débarrasser de ce malaise, mais de réhabiliter celle qu’elle était dans ce moment de vie auquel il est relié (la circonstance vécue est dramatique, mais l'être qu'elle était dans cette circonstance reste précieux). Ceci étant fait, le malaise diminue non pas parce qu’il est guéri, mais parce qu’il n'est plus nécessaire : il n’y a plus besoin de ce lien avec cette part de soi qui vient d’être validée (car elle cesse d’être niée et oubliée)

C’est cette reconnaissance de l’être qu’elle a été, et de son ressenti, qui sera source d’apaisement et qui, en plus, conduira la patiente à mettre en œuvre  sa propre ressource pour que l’on puisse tout de même réaliser le soin.

Pour de tels exemples plus complexes, lire l’article de novembre 2003 résilience et l’article de novembre 2002 reformulation

Accompagner simplement  retour

Il s’agit plus d’accompagner une émergence précieuse que de livrer un combat.

Aucune énergie contre

Apparaissant « spécialement pour »,  le symptôme conduit à la raison (à la raison du patient). La raison, c’est la cause, la source, l’origine, la circonstance (actuelle, récente ou ancienne) vers laquelle ce symptôme nous renvoie. Comprendre cela permet d’adopter une attitude qui n’investit jamais « d’énergie contre » le symptôme… ni « contre la raison » de ce symptôme.

En effet il ne s’agit pas de trouver la cause pour s’en débarrasser, mais pour la reconnaître. Il ne s’agit pas de quelque chose de néfaste à enlever, mais de quelqu’un de précieux à réhabiliter dans un moment de sa vie (actuel, récent ou ancien) où il a ressenti quelque chose de majeur.

Une des sources d’épuisement dans le soin est de croire qu’il faut éradiquer, combattre, débarrasser, enlever, libérer, évacuer, décharger…

Ce gaspillage d’énergie cesse aussitôt quand on comprend qu’il s’agit plus de reconnaître que de combattre. Le patient porte en lui le sens de ce qui se passe. Il a d’abord besoin d’être entendu et reconnu dans son ressenti.

Il importe ainsi d’apprendre à naviguer dans le sens du courant (de la pensée du patient) et cela épargne beaucoup de fatigue tout en produisant plus de résultats.

Médiation plutôt que solution

Chercher à identifier le problème dans le but d’apporter une solution n'est pas adapté au domaine de l’aide psychologique. La notion « problème - solution -  résultat - mesure du résultat » ne peut s’appliquer telle quelle dans ce cas. C’est même un piège source d’épuisement, d’inefficacité et de risques.

Quand une personne exprime un ressenti si l’on choisi de commencer par chercher une solution, cela revient à commencer par un déni.

La « solutionnite aiguë » est l’ennemi de l’aide psy, tant pour le patient qui se sent alors nié que pour le soignant qui alors se vide de son énergie tout en produisant l’inverse de ce qu’il espère... avec pourtant de bonnes intentions

Curieusement, le mot « solution » signifie même « rupture ». Le radiologue désigne la fracture d’un segment osseux par l’expression « solution de continuité du segment osseux » pour dire que la continuité a été rompue

L’aide ne consiste pas en une solution, mais en une médiation (média, remédier, remettre en contact, rapprocher, réduire la fracture)

Un symptôme est généralement l’expression d’une fracture intérieure que le patient manifeste dans l’espoir (inconscient) qu’on saura l’aider à se réconcilier avec lui-même…et non qu’on le coupera d’avantage de lui-même.  Voir l’article de novembre 2003 sur la "Résilience"

Juste accompagner
l’émergence de ce qui est en cours

Aider semble souvent délicat. Les stagiaires me disent quelque fois « saurai-je aider quand je serai seul face au patient ? ».

Il faut comprendre que si on se croit seul face au patient, effectivement, on ne pourra pas l’aider. Le soignant n’est jamais seul face au patient : il est avec le patient (voilà une évidence trop souvent oubliée). Le patient et le soignant forment déjà une équipe. Le soignant qui se croit seul n’a pas suffisamment considéré l’importance du patient et ne pourra pas lui apporter une aide réelle.

Il s’agit pour le soignant de comprendre, avec l’aide du patient, ce que celui-ci cherche à exprimer.

Le soignant va bien regarder dans quel sens va le patient, ce qu’il tente de faire émerger de lui. Quand le soignant ne voit pas bien, il doit simplement se faire aider par son patient. Cette attitude d’humilité, de confiance, de partenariat et même de "non savoir" est source d’efficacité et de moindre fatigue. Lire sur ce site l’article d'avril 2001 « Le non savoir source de compétence »

En réalité, le symptôme est le jaillissement d’une source précieuse, d’avec laquelle le patient est coupé. C’est un peu comme s’il essayait de « mettre au monde » une part de lui-même que l’on a oublié de valider. C’est un peu comme s’il tentait de rétablir une circulation de vie là où, en lui,  elle a été interrompue.

Remonter 
du symptôme à sa source
  retour

Qu’il s’agisse d’une psychopathologie, d’un simple trouble du comportement ou juste d’une situation émotionnelle, apporter de l’aide consiste d’abord à accorder au patient que ce qu’il exprime est pertinent.

Il y a d’une part la manifestation (symptôme psychologique) et d’autre part sa source (ce que le patient a ressenti dans une situation actuelle, ancienne, ou très ancienne).

Il convient de respecter la manifestation (symptôme) qui, en fait, ouvre un chemin vers sa source. Puis il convient aussi de respecter cette source car elle contient un élément infiniment précieux : une part de l’individu qu’est le patient, en attente d’écoute et reconnaissance. Pour y parvenir il importe de ne pas confondre le patient avec les évènements qu’il a vécu.

Bien différencier
l’événement et celui qui l’a  vécu

En réalité, la raison du symptôme n’est pas ce qui s’est passé autrefois, ce n’est pas « l’événementiel ».

En psychologie, on sait depuis longtemps qu’il y a un lien entre les symptômes présents et des circonstances passées. Mais la nature de ce lien, souvent, n’est pas claire.

Le symptôme résulte, non pas des évènements antérieurs,  mais d’une fracture intérieure entre le patient tel qu’il est aujourd’hui et celui qu’il était au moment de ces évènements. Même quand les circonstances furent terribles, l’individu qu’il était à ce moment là reste tout de même infiniment précieux, et fait partie de lui. Il importera donc de ne pas mélanger la circonstance (terrible) avec celui qui l’a vécu (précieux) - voir article de novembre 2003 sur la "Résilience"

La circonstance est passée et n’existe plus, mais celui qu’il était lors de cette circonstance est encore très présent en lui. On peut même dire qu’il le constitue, qu’il fait partie de sa structure psychique.

Aider ne consiste pas à évoquer, ni à faire évoquer les circonstances passées. Il n’y a pas à « retourner vers les événements ». Cela risquerait même parfois de réactiver inutilement des douleurs. Il y a juste à entendre le ressenti de celui qui les a vécu. Ce ressenti est bien plus important que les circonstances dans lesquelles il est survenu.

Le but n’est pas d’éliminer quoi que ce soit, mais de réparer une fracture entre celui qu’est le patient aujourd’hui et celui qu’il était lors de ces circonstances. Celui qu’il était n’est pas dans le passé. Il est avec lui, dans le présent, et n’a jamais cessé d’y être depuis que c’est arrivé. Il fait partie de sa structure psychique. Cependant il y est avec cette fracture.  C’est ce qui engendre sa pesanteur et son mal être.

Par le symptôme, le patient réclame (inconsciemment) qu’on entende cette fracture et qu’on l’aide à se rapprocher de lui-même.

Confiance et reconnaissance

Le projet est donc juste un projet de reconnaissance du patient et de son ressenti, tout en lui accordant inconditionnellement qu’il y a une raison pertinente à ce ressenti, même si nous ne la voyons pas, même si le patient lui-même n’en est pas encore conscient.

Aider, c’est d’abord se positionner avec cet état d’esprit. C’est la confiance que nous accorderons au patient qui amènera le patient à avoir confiance en nous. La confiance que nous avons en lui est même plus importante que la confiance que nous avons en nous-mêmes.

Cette confiance amènera naturellement l’aidant à ne jamais se fourvoyer dans une attitude de déni. Sans tout ce que j’ai évoqué précédemment, il arrive trop souvent que l’aidant, croyant aider, n’ait en fait qu’une attitude de déni du ressenti du patient…augmentant  alors la douleur qu’il croit soulager !

Le déni dévastateur

Pensant aider, trop souvent celui qui soigne ne fait que se positionner en déni. Il arrive même que le soignant reproche au patient d’être dans le déni alors que c’est le soignant qui est dans le déni de l’expression et du ressenti du patient.

Quand par exemple une personne est alcoolique, souvent le projet maladroit est de vouloir la débarrasser de l’alcool. Puis remarquant que l’alcoolique ne coopère pas et nie son alcoolisme… le soignant dira que l’alcoolique a tendance à nier sa pathologie. Mais le soignant ne remarquera pas que le déni de l’alcoolique pour son alcoolisme n’a d’égal que le déni du soignant sur le fait que l’alcoolique a une raison de boire. En effet, le projet de le débarrasser de l’alcool prend le pas sur le projet de reconnaître sa raison de boire. Le soignant ne voit pas que c’est son propre déni de la raison qui favorise chez le patient le déni de sa pathologie. Si vous souhaitez plus de détails sur ce cas, vous pouvez lire l’article de mars 2003 « Aider le malade alcoolique »

En Pédopsychiatrie, une infirmière me dit un jour en stage : notre difficulté pour la prise en charge des enfants, c’est que les mères sont souvent dans le déni de la pathologie de leur enfant. Je lui demande alors : « Avez-vous pu entendre ce que la mère exprime de sa détresse à travers son déni ?»… et elle me répond : « Mais nous soignons les enfants, pas les mères… pour ça il y a des thérapies systémiques ». Puis elle se rend compte que le déni de la mère est augmenté par le déni des soignants qui n’écoutent pas son angoisse. Ils essayent plutôt de la convaincre de l’importance d’hospitaliser son fils… mais sans l’entendre elle. Or, comment prendre soin d’un enfant sans donner existence à sa mère ? Lire l’article de Décembre 2001 "La mère et l’enfant"

La situation n’est guère plus brillante avec les suicidaires. Quand quelqu’un veut mourir, le soignant tentera souvent de l’en décourager. Ce qui, en soi, est bien. Mais, c’est la façon de s’y prendre, qui est fréquemment inadaptée. Quand un patient a fait une TS, le soignant qui s’occupera de lui aura tendance à lui demander « pourquoi vous avez fait ça ? »… puis « vos enfants ont besoin de vous ! ».

Je ne parle même pas des situations où (encore actuellement) il arrive qu’on lui fasse un soin pénible pour le décourager de recommencer… même avec en prime, pendant le soin, la phrase « comme ça il ne recommencera pas ! »

Le déni de sa raison de vouloir mourir ne découragera pas le patient de recommencer. Cela lui indique simplement qu’il est définitivement seul et qu’il n’a vraiment rien à attendre de cette vie. Quand quelqu’un veut mettre fin à ses jours malgré le fait qu’il ait des enfants, ce n’est pas qu’il ne les aime pas ! C’est simplement que sa douleur est encore plus grande que cet amour. Nier cette douleur est une maladroite invitation à la récidive ! Pour plus de détails sur ce sujet, lire l’article de juin 2001 "Dépression et suicide"

Nous aurons aussi de nombreux exemples de déni auprès des personnes âgées. J’ai cité plus haut le cas de la vielle femme qui pleure en réclamant sa mère, l’exemple de celle qui refuse la toilette. Pour plus de détails au sujet de l’aide des personnes âgées, lire l’article de mai 2001 "Personnes âgées" 

Ramener à la raison

Trop souvent, nous croyons que ramener l’autre à la raison, c’est le ramener à notre logique à nous. Quand quelqu’un est agressif, par exemple, nous sommes tentés de lui expliquer  que cela ne sert à rien et que nous le comprendrons mieux s’il se calme. Quand quelqu’un pense à un mauvais souvenir, nous aimons lui dire qu’il ferait mieux de penser à autre chose, car il se fait du mal. Même quand un enfant a peur du loup, nous aimons lui expliquer qu’il n’a pas à avoir peur, car il n’y a pas de loup. Chacune de ces attitudes est néfaste car chacune est un déni du ressenti de l’autre et de son fondement.

Il faut vraiment comprendre que ramener l’autre à la raison, ce n’est certainement pas le ramener à notre raison à nous, mais plutôt le rapprocher de sa raison à lui. Pour celui qui est agressif, il s’agit de l’aider à dire ce qui, en lui, justifie cette colère. Pour celui qui pense à de mauvais souvenirs, il s’agit de lui demander en quoi cela est important d’y penser encore. Pour l’enfant qui a peur du loup, il s’agit de lui demander comment est ce loup qui l’effraie tant.

Dans chacun de ces cas l’aboutissement doit être une validation de la raison de l’autre : « s’il vous est arrivé ceci je comprends que vous soyez en colère », « si ce moment est tellement important, et vous a tant marqué, je comprends que vous y pensiez encore », « si ce loup que tu imagines est si terrifiant je comprends que tu ais peur ». Ce n’est qu’ensuite que nous donnerons notre information ou notre point de vue. Pour mieux comprendre ce danger du déni je vous recommande de lire mon article de Juin 2002  « Le danger de convaincre »

La validation de la raison du patient sera généralement source d’apaisement. Dans le pire des cas, même si la personne ne se sent pas apaisée, elle se sentira comprise et moins seule. 

Ni distance ni empathie  retour

Distinguer la raison de l’autre, de sa raison à soi, est fondamental. Pour y parvenir, il convient de ne jamais se mettre à la place de son interlocuteur. Il convient de rester distinct de la personne qu’on écoute et qu’on aide, mais sans ne jamais prendre de distance.

Hélas, le soignant se trouve actuellement sous le joug de deux injonctions contradictoires : pour être chaleureux soyez emphatiques, et pour ne pas être vulnérable, gardez la bonne distance, soyez surtout professionnel.

Se mettre à la place de l’autre
nous éloigne de lui

Même quand il est précisé que l’empathie c’est « écouter l’autre avec soin afin de pouvoir se mettre à sa place, comme si on était lui, tout en restant soi-même » la situation reste hasardeuse. Carl ROGERS, à l’origine du succès de ce concept est, par ailleurs, un psy remarquable qui nous a proposé une approche particulièrement respectueuse et humaniste. Il nous a livré d’excellents principes sur l’aide : la confiance inconditionnelle en le patient et l’authenticité (congruence) de l’aidant. Mais l’empathie, qui constitue son troisième principe de base, est lui, assez ambiguë.

Peut-être s’agit-il d’une mauvaise compréhension de ce qu’il a voulu nous transmettre ? « En-pathês » aurait-il trop été compris comme « sentir ce qu’il y a en l’autre » (en se mettant à sa place) plutôt que « être dans la reconnaissance de ce que ressent l’autre en lui après l’avoir aidé à l’exprimer »?

Pourquoi devrais-je m’imaginer à la place de l’autre pour accéder à son ressenti ? Si je me mets à sa place, je ne ferai que contacter ce que j’imagine, même si je l’ai écouté avec soin. Se mettre à la place de l’autre revient plus à rencontrer son propre imaginaire à soi, qu’à vraiment comprendre ce qu’il vit. Se mettre à sa place conduit en réalité à s’éloigner de lui, de celui qu’il est et de ce qu’il ressent vraiment.

Cela ne peut produire de chaleur humaine. Cela risque plutôt de ne produire que de l’affectivité. Rappelons nous que la chaleur humaine réconforte et sécurise, alors que l’affectivité étouffe. Je préciserai cette notion un peu plus loin. 

Pour plus de détails sur l’empathie, lire mon article de novembre 2000 sur "Les pièges de l’empathie

Etre distinct sans être distant

Quand l’aidant a intégré qu’il n’est pas souhaitable de se mettre à la place de celui qu’il aide, il lui reste maintenant à intégrer qu’il est souhaitable de ne pas en être distant.

Trop souvent les notions de « distinct » et de « distant » ont été confondues. Or il semble impossible d’aider convenablement quelqu’un en restant à distance. C’est comme une sorte d’ergonomie de la communication. De même qu’on ne peut mobiliser (physiquement) un patient en le tenant à bout de bras sans risquer d’être inefficace et en plus de s’abîmer le dos, on ne peut aider quelqu’un en restant loin de lui (psychiquement).

Le mythe de « la bonne distance » entretien une mauvaise attitude. Une stagiaire me parlait récemment des canadiens qui préfèrent parler de « bonne proximité ». La notion de « bonne proximité » est infiniment préférable à celle de « bonne distance ». Mais il reste à intégrer que la "bonne proximité", c'est "pas de distance du tout"

Se sentir proche du patient, attentif, ouvert, sans jamais se mettre à sa place, permet de l’encourager, de l’accompagner et de le sécuriser réellement.

L’attitude juste peut se définir ainsi : être distinct sans être distant. La bonne distance (proximité) c’est « pas de distance du tout », mais en restant parfaitement distinct

Etre proche sans être vulnérable

L’idée d’être proche amène souvent la crainte d’accroître sa vulnérabilité et son affectivité.

Il faut bien comprendre que la vulnérabilité ne vient pas de l’absence de distance. Elle vient du fait que l’on se met à la place de l’autre et surtout qu’on adopte une « attitude contre » ses problèmes ou contre la source de ses problèmes (revoir le chapitre Importance du projet initial) La vulnérabilité et l’épuisement viennent de ce combat que l’aidant tend à vouloir livrer pour « libérer » son patient.

La vulnérabilité vient aussi des transferts et projections du soignant sur son patient. Le transfert, chez le soignant, c’est quand celui-ci associe involontairement des proches qui lui ont posé problème aux attitudes de son patient.  Une projection c'est quand le soignant se voit à travers le patient.

La Chaleur humaine sans l’affectivité

Être distinct sans être distant permet à l’aidant de donner de la chaleur humaine sans tomber dans l’affectivité.

La chaleur humaine, c’est quand je fais ce que je fais pour l’autre et juste pour lui. C’est vraiment quelque chose qu’on ne fait que proposer et dans lequel l’autre garde toute sa liberté. Cela permet à l’aidé de ne pas se sentir envahi. A chaque instant il peut choisir de se positionner comme « souhaitant ou ne souhaitant pas ce qu’on lui propose ». Chacun de ses ressentis peut être exprimé et sera reconnu et validé sans que l’aidant en prenne ombrage. Cela procure beaucoup de sécurité et de confort tant pour l’aidé que pour l’aidant.

L’affectivité c’est quand je fais ce que je fais, apparemment pour l’autre, mais en réalité pour moi. Cela sert à compenser une fragilité ou un inconfort personnel. Si par exemple,  on nous a souvent dit qu’on était bon à rien, aider l’autre devient alors un moyen de se prouver qu’on vaut quelque chose. Dans ce cas, il devient difficile d’accepter un refus de la part de l’aidé sans le prendre comme une attaque personnelle. Cela rend l’aidant vulnérable et asphyxie l’aidé. Toutes les approches d’aide ont déjà remarqué ce côté nuisible de l’affectivité et l’ont bannie. Mais sans la distinguer de la chaleur humaine, celle-ci disparaît souvent avec ! Or absence d’affectivité ne veut en aucun cas dire froideur !

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3 -Réaliser l'aide